Exemple d'un troll 9gag
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Le Troll, sadisme et spectacle

Peut-être avez vous manqué ce concept du troll, peut-être ne trainez-vous pas, à vos heures perdues, où les neurones cherchent désespérément à se connecter, sur des sites comme 9gag, ou d’autres encore… Vous n’avez rien manqué d’essentiel, si ce n’est un phénomène social intéressant du web : le troll. Le troll est une figuration graphique de diverses tendances qui parcourent le web. Il s’agit de ces petites BD, ou de ces montages photo, qui visent à faire rire à travers la moquerie, l’ironie, voire un peu de sadisme (voir illustrations).

On retrouve les blagues qui portent sur notre infra-ordinaire, déjà exposées sur des sites comme VDM. Par exemple, les thèmes exposés les plus importants concernent la fameuse « friendzone »*, les situations à l’école, les conversations qu’on trouve sur les réseaux sociaux, les moments de tous les jours dans lesquels tout le monde se reconnaît avec une certaine autodérision. Mais c’est aussi la démocratisation de l’illustration de notre quotidien : à l’origine, ce sont les auteurs de bande dessinées plus ou moins amateurs qui ont lancés cette vogue dans les blogs d’illustrer des anecdotes et des routines. Avec le troll, tout le monde peut se mettre à cette illustration car l’exigence graphique et artistique est minime (comme on peut le constater sur les sites en lien), et cette simplicité séduit d’autant plus qu’elle fait appel à l’imagination. Dernière tendance présente dans cette tête au sourire moqueur : la Fashion Geek. On a vu depuis quelques années se développer la mode du « nerd », les grosses lunettes, le look faussement négligé, et la conviction ferme que tout ce qui touche à cet univers un peu codé et fermé est cool. Le troll, en soi, existe depuis très longtemps, mais ce n’est que maintenant qu’il devient populaire et qu’il est utilisé par divers type de publics, sur pratiquement tous les réseaux sociaux. (Il faut tout de même noter que le troll fait constamment référence à un « patrimoine geek » qu’il est nécessaire d’avoir pour comprendre les blagues : du Seigneur des anneaux, aux jeux vidéos des années 90, la culture est vaste).

La métaphysique du troll reste cependant mystérieuse… Au départ, « troller » c’est intervenir dans un forum ou sur un site d’échange pour énerver l’audience, produire un débat, créer du conflit, ou tout simplement pour provoquer l’hilarité des complices et un certain plaisir sadique. C’est de là que sont ensuite venus les dessins, comme pour mieux représenter une pratique tellement vaste qu’elle ne concerne plus nos seuls échanges en ligne, mais envahit notre quotidien. Mais pourquoi « troller » ? Quelles sont les motivations des « trolleurs » ? Il y a cette première évidence qui vient à l’esprit : « on rit toujours plus facilement du malheur des autres » ; mais dans notre société moderne pessimiste et quelque peu dépressive, cela va au-delà de ça : la moitié des trolls, en effet, verse dans l’autodérision. Il y a cette idée que n’importe qui peut scénariser son quotidien, le représenter, ou simplement créer un événement : que l’on dessine sur Paint la petite BD de sa vie, ou qu’on aille se moquer d’une population sur un site, on crée un événement, quelque chose à raconter, qui atteindra toujours une audience. On se donne à voir, et on s’illustre à travers un humour particulier, qui a ses codes, ses règles, ses symboles, son langage. Du même coup, on intègre aussi une communauté, on partage des valeurs, des pratiques (pour un exemple concret du pouvoir de 9gag, voir ici comment les utilisateurs ont spammé Nescafé pour venger un des leurs : Nescafail. C’est bien là tous les avantages des nouveaux médias…

Pour finir, je voudrais revenir à la dimension historique du phénomène : en fin de compte, quand on y pense, le trolleur a toujours existé. C’est par exemple, celui qui durant une prise de vue en direct au journal télévisé, va se mettre en arrière plan du journaliste pour faire des grands signes de mains, ou des grimaces. En réalité, si on devait rendre toute son innocence au geste, on pourrait dire simplement que le troll est une grimace à l’endroit où ne l’attend pas.

 

Marine Gianfermi

 

* la friendzone, c’est le statut atteint parfois auprès de la personne qui nous intéresse lorsqu’on échoue à la séduire. La phrase fatale, clôturant toutes tentatives, se résumant à un discret mais terrible : « Tu es un(e) super ami(e) ».

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