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La tendance m’a tuer

 

Coincée dans le métro, tu te dis qu’un article sur la tendance s’envisage avec un sourire en coin. Le coup de l’achat d’identité qui s’opère dès lors  que l’on se colle une marque sur le front, cela fait vingt ans que les journalistes te le servent. Avouons-le, il n’est pas rare qu’un titre découvre à la fin de l’hiver qu’au royaume des fashion, un truc « in » peut être « out » et que d’ailleurs ce qui est réputé « out » est archi « in ».

Attends, ne décroche pas, on a une ou deux perles à te servir. D’abord Bourdieu, auteur de « La distinction » – aux Éditions de Minuit qui en 1980 écrivait : « Classeurs classés par leurs classements, les sujets sociaux se distinguent par les distinctions qu’ils opèrent entre le savoureux et l’insipide, le beau et le laid, le chic et le chiqué, le distingué et le vulgaire – et où s’exprime ou se trahit leur position dans des classements objectifs. »

Avoir du goût, être « in » c’est signaler son appartenance à la classe sociale dominante, la stylée, l’inspirée.

Dominant/dominé, tu ne ris plus ? La tendance est une guerre qu’il faut gagner à tout prix. Le plix* bling bling (attention cet article n’est pas politicaly correct) qui s’achète une identité chez Gucci, Dior, Dolce&Gabbana est juste un suiveur, plus grave que celui qui navigue hors marques.

L’apparence c’est violent, saignant.

Tu te souviens au lycée de cette fille longue et fine (on va l’appeler Mia) que les autres tentaient de copier. Et comment elle s’amusait à les égarer dans son jeu de piste impossible. Hier, elle a soufflé à une copine de s’acheter le sac Frison sorti en octobre. Impossible à trouver parce que chez les enseignes au top, les produits, même ceux qui rapporteraient une fortune si on continuait à les vendre, connaissent une durée de vie de deux mois, concept d’excellence, de rareté (et donc de distinction) oblige.

La bonne copine de Mia a tué son papa et sa maman pour s’offrir le Frison (un vintage qu’elle a racheté le double du prix sur le Net). Sauf que Mia à la rentrée, elle arborait un sac en toile de jute venu de Sarajevo. La tendance a tué la copine, tu suis ? Jeu sado-maso : prendre le pouvoir, être prescripteur, décideur. On vote rouge ou bleu peu importe, ce qui compte ce n’est pas de sentir l’air du temps, il n’y a rien à sentir bien sûr. Il convient d’imposer son choix et se faisant de s’imposer soi. La tendance est radicale, sadique, implacable. Il s’agit d’une dictature de l’espèce dominante – celle qui a de l’allure, du caractère – sur le gros du troupeau. Classeurs classés par leur classement type Laguna super in à force d’être out, sac revolver Dior ou sac en plastique Ed, les sujets sociaux commettent parfois la pire des erreurs : croire que le style s’achète chez Colette.

Or, le style est d’essence divine, il est rare, un secret partagé par une poignée d’individus qui sont les rois du monde et le savent. Tandis que les patrons, les généraux s’imposent armes à la bretelle, les princes de la tendance se distinguent l’air de rien par ce petit truc en eux qui fait qu’on ne les arrêtera jamais à l’entrée. Le petit truc n’est vendu nulle part. Et pour cause, il n’existe pas. Pourtant il existe puisque tout le monde y croit.

Corinne Lellouche
*plix : plouc

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