KONY 2012
Agora, Com & Société

La génération Y n’est pas « anti-Kony »

« The better world we want is coming »

Le projet Kony 2012 a fait cette année encore plus de buzz que l’année dernière. Sa renommée désormais mondiale s’est appuyée sur une vidéo virale et le projet d’une journée d’action, revenons ensemble sur les évènements et la progression de l’association Invisible Children.

En résumé, l’association Invisible Children s’attache depuis l’année dernière à faire arrêter Joseph Kony, le dirigeant de la LRA en Ouganda : les crimes de ce dernier sont, d’après Jason Russel, le porte-parole et dirigeant de l’association, parmi les pires commis actuellement. Grâce à des actions de lobbying, l’association a réussi à faire pression sur le gouvernement pour faire envoyer en Ouganda une unité spéciale de conseil militaire, et pour faire surgir l’affaire sur la place publique. Cette année, leur campagne reprend, avec cette vidéo, qui a fait plus de 70 millions de vues en 5 jours.

Elle a bien sûr soulevé beaucoup de controverses, qu’il est inutile de détailler ici, et qu’on peut trouver dans un très bon article du Monde, en lien plus bas. Ce qui paraît très intéressant d’étudier d’un point de vue communicationnel, c’est la place et le rôle qui sont conférés aux réseaux sociaux dans ces discours. Ils sont, selon Jason Russel (et par conséquent une grande partie des adhérents à l’association), une manière de sauver le monde. Ils incarnent à la fois notre avenir et notre sauvegarde, et cette idée est par ailleurs la principale justification de la vidéo : Jason Russel affirme, en effet, que le problème va au delà des enfants ougandais, il s’agit de prouver au monde que la communion par les réseaux sociaux peut sauver des vies, et améliorer le sort de tous. « The people of the world see each other [and] this is turning the system upside down ». Il propose même une nouvelle manière d’ appréhender la vie politique dans le monde : désormais, la volonté des peuples influencerait (et devrait influencer) plus directement et radialement les gouvernants (ce qui est tout à faire discutable, et presque dangereux). Il semblerait donc que cette vidéo et ce projet retrouvent des tentations utopiques, très proches de celles liées à l’apparition d’Internet. La tonalité indéniablement épique de ces discours rappellent fortement les thèmes d’ « agora publique », de « village global » qui ont été très populaires alors. La différence aujourd’hui, c’est qu’ils sont profondément ancrés dans des histoires individuelles et des particularismes : la majorité des prises de paroles sont intimes et personnelles, rarement collectives, et elles portent sur des émotions et du ressenti. La force des arguments avancés n’est plus rationnelle, mais plutôt subjective, et peu claire.

Puisque cette vidéo se présente comme une expérience, il est intéressant également d’en évaluer les réactions et les réponses. 3 189 921 personnes « aiment » la page Facebook de l’association Invisible Children, mais il faut encore compter les centaines de milliers de fans dispersés sur les différentes pages « Kony 2012 » ou « Stop Kony ». Cependant, les critiques sont également nombreuses et agressives, et se sont renforcées après que Jason Russel a été retrouvé nu, se masturbant, dans les rues de Los Angeles. Celle qui se fait le plus entendre souligne la position américano-centrée du discours et les récents intérêts pétroliers découverts en Ouganda. Une grande partie de l’audience de cette vidéo a résisté à l’engouement qu’elle provoque pourtant très efficacement : le public est, en effet, placé au cœur de l’action à venir, tout à chacun peu ainsi devenir le super-héros un peu « underground » des temps modernes, répondre à ses pulsions vindicatives et prendre la décision d’agir –enfin ! C’est précisément là que se situe le problème : comment croire maintenant que nous pouvons changer quelque chose ? Cette campagne vise un public jeune, complètement connecté, la génération Y comme on la nomme, quelque soit son pays d’accueil. Mais cette génération n’a jamais été jusqu’alors une génération de l’action, et encore moins de l’action humanitaire. J’entends par là que l’engouement pour les causes humanitaires est récent, très « bobo » penseront certains (et cela correspond en effet à une même tendance), mais surtout toujours dominé par un discours sceptique qui « refuse de se donner bonne conscience ». On peut supposer que la génération du 09.11 et de la Fin du monde ne croit majoritairement pas au don désintéressé de soi pour une action efficace. Les jeunes de cette génération veulent bien admettre la nécessité d’être solidaire et la misère du monde, mais ils n’admettront jamais volontiers qu’ils ont été bouleversés et qu’ils se sont achetés leurs petits bracelets « Kony 2012 ». Cela se vérifie aussi pour d’autres générations ou d’autres classes sociales bien sûr, et peut-être qu’en fin de compte, cela reste une réaction plus européenne qu’américaine, mais la question se pose alors :

Pourquoi un jeune de 23 ans moyen, étudiant, parisien, peut « craquer » devant cette vidéo ?

• Même si le rêve utopique est has been, une foule de dizaine de personnes qui hurlent la même phrase produit son lot d’impressions.
• Ce n’est pas parce que cette génération n’a jamais connu de grande cause, ou de grands combats qu’elle n’en connaîtra jamais.
• Le modèle d’action d’Invisible Children est tout de même très « underground », ce qui est carrément tendance…
• Et comme le dit si bien M. Attali (voir lien), « ne gâchons pas notre plaisir » : le bonheur de croire est parfois inestimable.

 

Marine Gianfermi

Sources :
Le Monde.fr
L’express.fr

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