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Le président est une rock star

 

Dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 décembre, Enrique Peña Nieto, élu président du Mexique en juillet dernier, s’est vu remettre les pouvoirs par l’ancien président Felipe Calderón. Cette investigation marque les débuts à la tête de l’État d’un pur produit de la communication politique.

La stratégie de l’image

Tout a commencé lorsque le PRI, le Partido Revolucionario Institucional, a défini sa stratégie : dépoussiérer l’image du parti, dont les membres sont qualifiés de « dinosaures » par les Mexicains, en présentant un candidat jeune, glamour, beau et sexy. L’image fait campagne. Enrique Peña Nieto, ancien gouverneur de l’État de Mexico, est vite apparu au sein du PRI comme le candidat idéal, après les défaites du parti en 2000 et 2006. Issu d’une famille où la politique est une tradition, il a cultivé depuis des années son image de présidentiable.

L’écrivain mexicain Carlos Tello Diaz l’a d’ailleurs surnommé non sans ironie « la rock star », clin d’œil à sa coiffure ondulée toujours impeccable. Une rock star qui n’hésite pas à commencer son dernier meeting de campagne en juin 2012 par un si peu présidentiel « Je salue toutes les jolies filles du District fédéral ». Pas besoin de beaucoup plus pour cerner le personnage …

Jeune, sexy, dynamique, proche du peuple,… dans un pays où l’image est reine, ces facteurs comptent plus que des contenus politiques.

Un personnage de « telenovela »

Et « Enrique » n’a pas seulement le physique d’un acteur : sa vie privée s’apparente largement à un scénario de série télévisée. Veuf en 2007, il confesse son infidélité deux ans plus tard lors d’une interview télévisée, où il reconnaît en direct avoir eu deux enfants hors mariage, de deux femmes différentes. Mais le show ne s’arrête pas là. En 2010, il se remarie avec Angelica Rivera, une actrice de telenovela. Ils sont devenus, depuis, le couple glamour de la politique mexicaine, faisant régulièrement la une des journaux people.

Un phénomène médiatique

La politique et la télévision ne forment pas un couple nouveau ; cette alliance est forgée depuis longtemps, et reste bien souvent le ressort d’une puissance accrue. Enrique Peña Nieto l’a bien compris. Sa connivence de longue date avec Televisa, la principale chaîne de télévision mexicaine, a été un des chevaux de bataille du mouvement étudiant « YoSoy132 [1] » , apparu pendant la campagne électorale contre le retour du PRI au pouvoir. Cette chaîne de télévision, qui détient 80% de part d’audience nationale, n’a eu de cesse de promouvoir l’image de cet homme politique. Un accord financier secret le lierait depuis 2005 à la chaîne. C’est cette très forte médiatisation qui a permis à Peña Nieto de cultiver sa popularité politique depuis la fin de son mandat de gouverneur en 2005.

Le costume ne fait pas le président …

Pourtant, sous ses airs de jeune premier, le nouveau président traîne aussi l’image d’un homme médiocre intellectuellement, incapable d’improvisation, dépendant des discours écrits par son équipe… Bref, l’image d’un simple produit médiatique. Des attaques virulentes des étudiants et des milieux intellectuels lui reprochent toujours d’occulter son manque d’idées derrière un physique travaillé et un verbiage ampoulé. Une réputation renforcée par un échec mémorable en décembre 2011, lorsque, interrogé par des journalistes sur ses trois livres préférés, il n’avait pu citer que la Bible et un livre sur le Mexique en se trompant sur le nom de l’auteur. Cette scène a semé la jubilation parmi les détracteurs du PRI, et provoqué de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et notamment sur Twitter.

Plusieurs l’ont qualifié de « Justin Bieber du PRI », en référence aux difficultés de ce dernier à nommer les sept continents lors d’une émission le mois précédent.

L’image ne fait donc pas consensus : pour ses détracteurs, cette marionnette ne serait que la face médiatique et superficielle d’un retour de l’autoritarisme et de la corruption incarnés par le PRI.

Que tirer de tout ça ? L’image n’a bien sûr pas tout fait dans l’élection de Peña Nieto. La campagne a mis l’accent sur la sécurité, problème majeur du Mexique, et sur la lutte contre les cartels de la drogue, fléau du pays. Mais il ne faut pas oublier que l’image du PRI est entachée par son passé ; clientélisme, corruption, autoritarisme. Durant 72 ans, il a dirigé le Mexique d’une main de fer. Ce que la contestation anti-Peña Nieto n’a pas oublié. Pourtant, il semble avoir redoré avec succès le blason du parti ; cette stratégie de l’image a bien porté ses fruits puisque l’homme est officiellement à la tête du pays depuis trois jours.

La passation de pouvoir, marquée par le retour des contestations, relance un certain nombre de questions. Une en particulier attire toutes les attentions ces derniers jours : le Mexique a-t-il mis au pouvoir un people médiocre, manipulé par les anciens cadres du PRI, ou un président qui n’attend qu’à se révéler, prêt à appliquer une politique plus humble comme il l’a assuré durant sa campagne ?

 
Bénédicte Mano
Sources :
Mediapart
L’Express
Les Echos
The New York Times


[1] Voir ici
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