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Société

La dure vie du romantisme français

 

« A l’âge où apparaît souvent le (la) prince(sse) charmant(e), l’important est-il encore de se marier et d’avoir beaucoup d’enfants ? », telle est la question que s’est posée France 2, il y a environ un mois, dans son enquête sur la « Génération Fleur-bleue » des 18-34 ans. Ainsi 52% des jeunes interrogés déclarent que les relations amoureuses sont « importantes ». Ceci démontre que l’imaginaire des relations amoureuses, ou dit autrement, de « l’amour », perdure. Et il serait même l’un des fondements du couple, puisque, toujours selon ces mêmes interrogés, la notion d’Amour serait au centre de la relation conjugale.
Cependant, ces déclarations se réfèrent bien plus à une nouvelle définition de la notion de couple qu’aux structures conjugales traditionnelles. Le couple d’aujourd’hui se fonde en effet davantage sur une promesse mutuelle qu’un contrat officiel tel que le mariage. Et c’est sur cette image du couple « sans contrainte » que semblent jouer les sites de rencontre pour célibataires avec leurs promesses de trouver l’homme ou la femme idéal(e). Pour preuve l’utilisation par Meetic, la référence à l’échelle européenne, de témoignages et expériences amoureuses réussies de ses (anciens) membres pour parfaire son identité. Cette image exclusivement positive et surtout libre du couple, portée notamment par ce type de site, s’inscrit dans les représentations individuelles et semble alimenter une vision du couple modernisée mais toujours rattachée à un fort romantisme et au Saint Graal social qu’est l’Amour.

Qu’en est-il alors de cette tendance paradoxale à l’infidélité ? Que signifie cette fleuraison sur les réseaux mondiaux de ces sites de rencontre extra-conjugale, structurant l’infidélité et encensant l’adultère ? Le précurseur, Ashley Madison, et son arrivée en fanfare en France il y a environ un an (on se souvient des publicités reprenant les quatre derniers Présidents de la République marqués d’un baiser de rouge à lèvre), le français Gleeden, fondée en 2009, qui se veut plus féminin et plus glamour, et les petits derniers, comme EntreInfidèles depuis 2012, fondent ainsi leurs profits sur ce « pêché » de manière assumée et libérée de toute accusation morale. « Fonder une relation sur un mensonge, on va vers l’échec, déclare le site français. Sur Gleeden on ne se ment pas, la transparence est de mise, l’hypocrisie n’a pas lieu d’être. La couleur est affichée dès le départ. ». Certes, Internet et les réseaux sociaux possèdent un pouvoir décomplexant et ont un « effet désinhibant » selon le docteur en psychologie Yann Leroux, mais ce que certains réduisent à un simple outil de marketing surpuissant se base en réalité sur de solides statistiques : parmi les inscrits sur Meetic, plus de 30% seraient en couple et donc à la recherche de simples aventures plutôt que de l’amour de leur vie (déjà prétendument trouvé).

Comment notre imaginaire romantique de la relation amoureuse peut-il alors se constituer parallèlement à cette vision moderne des relations interindividuelles ? Relations qui apparaissent par ailleurs de plus en plus pragmatiques : venus d’outre atlantique, des sites de « rencontre pour hommes riches et femme cherchant à se faire dorloter » voient aujourd’hui le jour comme SugarDaddy depuis 2011 ou SeekingArrangement, lancé en 2005 aux Etats-Unis, qui arbore la place de site numéro un dans le monde « pour les relations mutuellement avantageuses entre les hommes généreux et les Sugar Babies ». Le principe est simple : l’inscription y est la même que pour les sites de rencontre « classiques », sauf que Monsieur se doit de renseigner l’état de son compte en banque. Comme le soulignait l’hebdomadaire gratuit Stylist, dans son numéro du 3 Octobre, les « michetonneuses » sont « ces femmes intéressées et fières de l’être, disposées à accorder leurs faveurs à des hommes aux portefeuilles bien remplis. » Il s’agit alors de « se laisser gâter comme une princesse ». De l’autre côté, c’est la motivation, un fois encore, de l’absence de faux-semblants et d’hypocrisie qui semble pousser ces hommes riches, mais pas nécessairement sexy, avouons-le, à s’inscrire. La polémique est néanmoins évidente : bien qu’exigeant des abonnés « qu’ils expliquent sans détour ce qu’ils cherchent et ce qu’ils offrent », ces sites apparaissent très borderline, la frontière entre « arrangement » et prostitution étant mince, ou du moins fragile. Certes, la promesse sexuelle (évidente) n’apparaît nulle part de manière explicite, ce qui différencie d’ailleurs ces sites de ceux d’Escort Girl, et la contrepartie ne prend a priori que la forme de cadeaux divers et luxurieux.

Cependant, malgré l’absence de toute obligation et engagement d’ordre sexuel, il apparaît difficile, passé un certain stade de « relation » et de « cadeaux », de ne pas rencontrer ce genre de demande, et surtout délicat de ne pas y répondre, étant donné l’engrenage du « toujours plus » et le cercle vicieux que peut constituer cet échange de « bons procédés ». Dans une version plus crue et moins subtile, ce pragmatisme se retrouve au niveau de sites de rencontre aux allures de « supermarchés », où l’objectif des inscrits y est, si toujours pas textuellement explicité, connu et très clair. Et la version réelle a ainsi abouti, il y a un an à Paris, à la boutique physique, mais éphémère, du site AdopteUnMec, où des hommes posaient dans des boîtes transparentes tels des Ken dans leur emballage plastique.

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En somme, l’individu lambda doit aujourd’hui construire sa propre représentation du couple au milieu d’injonctions et de tendances paradoxales coexistantes. Perdure d’un côté l’image mythique et romantique du couple fondé sur l’Amour, sentiment presque « indémodable », et ce tout en suivant les évolutions sociales qui tendent clairement à un affaiblissement des structures traditionnelles de la relation, avec un mariage moins automatique, à l’inverse du divorce. Mais parallèlement, cette destructuration du couple et de ses valeurs d’antan aboutit à un total renversement et semble prendre le contre-pied du couple de nos grands-parents, voire de nos parents. Face à une institutionnalisation du libertinage, à la limite parfois de la prostitution, sommes-nous en mesure de répondre à cette question qui nous brûle les lèvres : pourquoi ce choix ? Revendications libertines, féminisme exacerbé, véritable nécessité économique, rejet du modèle dominant, déception amoureuse ou encore désillusion romantique… La liste est longue et la réponse complexe.

 
Eugénie Mentré
Sources :
Stylist de la semaine du 3 au 10 Octobre 2013
Cosmopolitan.fr
Huffingtonpost.fr
Lemonde.fr
Francetv.fr
Rfi.fr

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