Pierre Niney
Société

Pierre Saint-Laurent ou Yves Niney : la confusion des genres

 

La nuit « c’est l’occasion d’observer, de s’inspirer, voir », « la nuit c’est savoir prêter attention », « c’est l’occasion de faire le parcours classique ». Mais La Nuit, c’est surtout le dernier parfum d’Yves Saint-Laurent.

 A l’occasion de la sortie de La Nuit de l’Homme, le célèbre couturier, ou plutôt sa filiale Yves Saint-Laurent Beauté, rachetée par le groupe l’Oréal en 2008, s’est offert une stratégie de marketing audacieuse, élégante et originale. Ainsi, Pierre Niney ouvre le bal en réalisant et se mettant en scène dans le premier des neuf court-métrages imaginés par Fabien Constant pour l’occasion. Durant 2 minutes 48, le spectateur se trouve plongé dans la vie nocturne parisienne et suit le jeune comédien au fil de ses virées et de ses songes, en se laissant bercer par les récits poétiques de la voix off. D’un stand de crêpes au Jardin des Tuileries, en passant par différents bars et cafés, la déambulation nocturne se veut à la fois mélancolique et joyeuse, entre arrêt sur image et plans au ralenti. Une publicité focalisée sur le produit, entre reprise des films de James Bond et ambiances bling bling ? Très peu pour Yves Saint-Laurent, qui quitte l’univers du luxe devenu paradoxalement trop cheap. Ici, le flacon de parfum n’apparaît pas dans la diégèse ; tout en retenue, Pierre Niney ne vante pas les mérites d’effluves intrigantes et hypnotiques mais nous offre au contraire une méditation sobre et lyrique autour du concept de la Nuit. Le court-métrage emprunte les codes du cinéma, dissimulant astucieusement les ambitions commerciales derrière des considérations artistiques. Les images sont introduites par la mention « La Nuit de Pierre Niney, de la Comédie Française », comme une caution de respectabilité ou la signature de l’œuvre par son artiste. D’ailleurs, le court-métrage n’est diffusé que sur YouTube ou sur Canal +, aux côtés des autres réalisations cinématographiques. Plus qu’une campagne de publicité traditionnelle, Yves Saint-Laurent met donc en place une opération de « brand content » destinée à doter son produit d’une valeur ajoutée inestimable.

Mais la marque de haute couture va plus loin dans le brouillage des frontières entre publicité et cinéma, témoignage et rêverie onirique, réalité et mise en scène. Le choix de Pierre Niney comme réalisateur et acteur principal est évidemment loin d’être anodin. A l’heure où les esprits sont encore marqués par sa prestation et sa métamorphose, toutes deux exceptionnelles il faut le noter, dans le film éponyme, Yves Saint-Laurent a judicieusement choisi de capitaliser sur l’image et le physique du jeune pensionnaire de la Comédie Française. Si la ressemblance entre l’acteur et son personnage est frappante à l’écran, le spectateur est en droit de s’interroger sur la véritable identité de l’individu mis en scène dans le court-métrage : s’agit-il d’Yves Saint-Laurent lui-même qui, comme un spectre bienveillant et gage de qualité, raconte l’histoire de son nouveau produit ? Ou bien est-ce Pierre Niney qui, avec son visage d’ange et la révélation de ses réflexions nocturnes les plus secrètes, participe à la construction de l’imaginaire autour de la marque ? Pas simple de décider si cette création hybride est une pure fiction faisant appel à une instance légitimatrice ou un témoignage réaliste et personnel. Si le décor, parisien et moderne, joue en faveur de la seconde hypothèse, le souvenir de Pierre Niney dans la peau du créateur de mode et les références à une vie de désirs et de défis laissent planer le doute.

D’ailleurs le passage de Pierre Niney du statut d’interprète d’Yves Saint-Laurent à celui d’égérie pour la marque invite à de nouveaux questionnements. Si la forme du court-métrage et la figure de Pierre Niney tissent des liens évidents entre le film Yves Saint-Laurent et cette nouvelle campagne de publicité, il est possible de s’interroger sur la nature réelle du long métrage. Peut-être que la publicité n’est en effet pas la seule à sortir de ses codes traditionnels pour s’apparenter à des formes différentes. A bien des égards, le film n’apparaît pas uniquement comme une simple œuvre cinématographique. Tout d’abord, il convient de rappeler que ce film livre la version de l’histoire d’Yves Saint-Laurent approuvée par Pierre Bergé. Si cette version ne semble pas trop édulcorée et lisse, il reste fort probable que la marque ne proposera pas de contrat à l’interprète du second film, lui aussi dédié au génie d’Yves Saint-Laurent mais considéré comme plus dérangeant. Un long métrage relatant la vie d’un grand créateur n’est ainsi jamais uniquement biographique : il en va de l’image de la maison. Par ailleurs, l’affiche et la bande annonce d’Yves Saint-Laurent accordent une place étonnamment importante au logo YSL. Alors publicité pour le film ou publicité pour la marque ?

La rencontre entre Yves Saint-Laurent et Pierre Niney reflète ainsi parfaitement les rapports ambigus qu’entretiennent l’univers de la publicité et celui du cinéma. Car quand la publicité devient artistique, l’art n’est jamais loin de devenir publicitaire.

Margaux Putavy
Sources
LesEchos

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