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Agora, Com & Société

L'affaire Zemmour ou les dérives d'un chroniqueur

Le 15 décembre 2014, Jean-Luc Mélenchon publiait sur son blog un article intitulé « Zemmour se lâche en Italie : déporter 5 millions de musulmans ? Ça peut se voir ! ». Il y dénonce les propos tenus par le polémiste Eric Zemmour dans une interview donnée au journal italien Corriere della Serra le 30 octobre 2014. Celui-ci n’a pas hésité à suggérer la déportation des musulmans de France qui vivraient « en communauté », obéissant à leurs propres règles et poussant les « Français » à s’en aller. Le chroniqueur d’ITélé qui n’en est pas à son galop d’essai en matière de propos provocateurs s’est vu renvoyer de la chaîne après que les journalistes de RTL se soient « désolidarisés de ses propos ». Cette affaire n’est pas sans rappeler l’affaire Dieudonné en ce qu’elle nous interroge sur la liberté d’expression dans les médias. Mais surtout, elle parait être le symptôme d’une dérive du rôle des médias en ce qu’ils rendent légitime et possible cette parole, lui offrant une très large diffusion au sein de l’opinion publique.
De la légitimation par la télévision
L’émission Ça se dispute ne sera plus diffusée. La chaîne du groupe Canal+, ITélé, à mis fin à sa longue collaboration avec le polémiste et chroniqueur Eric Zemmour. La directrice de la rédaction de la chaîne, Céline Pigalle, pointe du doigt l’ampleur et l’écho inquiétant qu’ont pris les propos d’Eric Zemmour depuis quelques temps : « Le dialogue [avec Eric Zemmour] est devenu de plus en plus difficile, voire impossible. On a l’impression qu’il se parle à lui même et à son public » confit-elle au Monde. Elle rappelle que Ça se dispute est une « émission de débat ».

Au delà de la véracité ou de la fausseté de ses propos, se pose la question de la légitimité d’Eric Zemmour à se prononcer sur des sujets politiques ou de société. C’est là qu’intervient le dispositif de « l’émission de débat » qui octroie aux différents participants un statut et les autorise à parler. Le statut d’Eric Zemmour est celui de « journaliste-chroniqueur ». On pourrait penser qu’il s’agit d’un journaliste spécialisé dans un domaine de la vie sociale en mesure d’apporter des explications plus approfondies, des analyses plus poussées que de simples commentaires en rapport avec des faits d’actualité. Il devrait marquer une certaine distanciation, qui est celle des intellectuels et des chercheurs, ainsi que confronter de manière constructive différents points de vue en dehors de la polémique, des réactions à chaud et provocatrices. Cela n’empêche pas le journaliste d’agrémenter sa chronique, ses propos ou son article d’un point de vue un peu plus personnel du moment que celui- ci se distingue d’une analyse plus objective et générale de la situation. C’est le cas, par exemple, du journaliste Bernard Guetta dans sa chronique Géopolitique sur France Inter.
Un journaliste ne peut pas prétendre porter des jugements définitifs, c’est une question de déontologie. La « désolidarisation » des journalistes de la radio RTL relative aux propos d’Eric Zemmour le 17 décembre, marque la distance que les professionnels prennent non seulement avec ses propos mais aussi avec ses méthodes.
La disparition des intellectuels et le culte du clash
Dans un son ouvrage La destitution des intellectuels paru en 2010, le philosophe Yves Charles Zarka dénonce la disparition des véritables intellectuels « dotés d’une autorité morale incontestable […] mus par un simple idéal de vérité ». Ceux-ci auraient disparu au profit de « prédateurs médiatiques, qui s’auto-définissent, arbitrairement, comme des intellectuels ». Une des explications à ce phénomène pourrait être la marchandisation inhérente au capitalisme des entreprises de médias. En effet, il semble que la plupart des chaines, notamment privées (TF1, Canal+…) soient motivées par des finalités financières et non pas d’intérêt général. Il s’agit de faire de l’audience et non d’instruire les publics. La polémique fait vendre : grâce à Zemmour, ITélé à dépassé l’audience de BFM TV, sa concurrente.

Cela peut paraitre dangereux pour la démocratie en ce que les dispositifs médiatiques rendent légitime la parole de ceux qui s’expriment dans les médias. Eric Zemmour apparait comme un symptôme de ce phénomène : Ça se dispute n’est pas une émission d’information ni un débat démocratique mais plutôt un divertissement où sensationnalisme et provocation semblent être les mots d’ordre. Même si l’infotainment est sensé faire cohabiter information et divertissement, il semble que la deuxième notion ai largement pris le dessus et que les chaines de télévision, en mélangeant les genres, permettent à ce type de personnalité de monopoliser la parole médiatique.
Le faux argument de la liberté d’expression

Suite au renvoie d’Eric Zemmour, ses défenseurs s’offusquent : Zemmour représenterait le malaise de la société française, une société malade dont les valeurs sont menacées par l’immigration, la « bien pensance » et la gauche au pouvoir. Il aura fallu peu de temps pour que le FN dénonce une « censure » (Marine Le Pen sur Twitter). Pour Louis Alliot c’est une « atteinte au pluralisme des idées ». L’argument de la censure ou de l’atteinte à la liberté d’expression parait assez bancal. En effet, la liberté d’expression dans un « débat démocratique » suppose un droit de réponse, de réplique ou du moins un adversaire. Or, c’est loin d’être le cas du compère de Zemmour, Nicolas Domenach dans l’émission Ça se dispute dont le ton semble assez complaisant. Pour finir, la liberté d’expression interroge la légitimité de celui qui parle : Eric Zemmour n’est pas un homme politique qui exprime des convictions. Les propos populistes d’un homme au statut de « journaliste » ou de « chroniqueur » sont plus dangereux que ceux de Jean-Marie Le Pen par exemple, en ce qu’ils se veulent plus objectifs et influenceront d’avantage l’opinion.
Alice Rivoire
Sources :
lemonde.fr
médiapart.fr
lefigaro.fr
lepoint.fr
Crédit photo:
lemonde.fr
closermag.fr
francetvinfo.fr

la santé n'est pas un luxe
Société

Quand Médecins du Monde rencontre IAM

En cette fin d’année 2014, l’heure est au bilan : entre épidémies, catastrophes naturelles, conflits, pauvreté ou encore précarité, les nombreuses ONG se sont mobilisées afin d’aider au mieux les populations touchées. Du virus Ebola en Afrique de l’Ouest aux camps de réfugiés syriens, en passant par les populations des pays sous-développés, ces organismes ont pour but d’apporter l’aide nécessaire et d’améliorer les conditions de vie des populations dans le besoin à court et long termes. Pourtant, malgré leur présence, encore 1 personne sur 5 n’a pas accès aux soins. Et c’est encore trop.
La force des mots
C’est ce que dénonce justement la dernière campagne de Médecins du Monde, conçue par BETC : dans deux spots TV, entre autres, elle met en scène Luka, petit garçon à la rue et Myriam, jeune haïtienne, enceinte de sept mois vivant dans un bidonville. Face caméra, plan serré, le champ s’élargit : leur regard planté dans le nôtre et les mots prennent tout leur sens. Cette campagne rend aux paroles des classiques de la chanson française toute leur profondeur en les ancrant dans un contexte réel, celui de l’injustice.
Parce que « Médecins du Monde soigne aussi l’injustice », elle cherche à nous sensibiliser aux difficultés d’accès aux soins dans certains pays notamment en France. Ce qui nous paraît pourtant être le b.a.-ba n’est parfois pas une évidence pour certains. D’après le rapport de l’Observatoire de Médecins du Monde, la pauvreté touche plus de 3 millions de personnes en France et la précarité ne cesse d’augmenter.

Des chiffres alarmants en France
L’année dernière, 29 960 personnes dont 3 760 mineurs se sont déplacées dans les centres d’accueil et d’orientation de MdM dont 97% vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Pour ces personnes, l’accès aux soins est rendu difficile par les démarches administratives et les pratiques abusives. D’autre part, une grande partie des patients de l’ONG sont des étrangers : de fait, ils sont écartés du système de soins de par leur situation irrégulière et à cause de la politique migratoire très répressive. Les jeunes ne sont pas, non plus, épargnés et le nombre de mineurs qui fréquentent les centres de l’organisation est en constante augmentation.
Ces personnes en difficulté rencontrent aussi des problèmes de logement. Face à l’augmentation des expulsions sans solutions de relogement, la plupart d’entre elles deviennent sans-abris, n’ont pas ou plus de couverture médicale et dans cette situation, se soigner n’est plus une priorité. Et c’est la raison pour laquelle Médecins du Monde veut sensibiliser les publics au problème de la précarité sur lequel nous sommes nombreux à fermer les yeux et aussi inciter aux dons en cette période de fêtes de fin d’année.
Un problème international
Si la France connaît actuellement une période de forte précarité, à l’international le problème est plus grave encore : risques sanitaires, épidémies et catastrophes naturelles. MdM est présente dans 44 pays allant de l’Amérique Centrale, à l’Europe de l’Est en passant par l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Dans la plupart des pays concernés, la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, où l’accès aux soins est tout aussi problématique que l’accès à une alimentation saine, à une eau salubre et à l’éducation. Par exemple, le risque pour un enfant de mourir avant l’âge de cinq ans est huit fois plus élevé en Afrique qu’en Europe. De plus, la proportion de personnel médical pour le nombre d’habitants est largement inférieure à celle d’autres pays: on trouve plus de 400 médecins pour 100 000 habitants en Norvège contre 5 au Burkina Faso. Cette inégalité face à la médecine ne fait que creuser le fossé de l’injustice que l’ONG tente de réduire à travers quatre grandes priorités d’actions : les soins aux migrants et déplacés, la promotion de la santé sexuelle et de la reproduction (SSR), la lutte contre le VIH, la réduction des risques et enfin, les crises et conflits.

Des campagnes toujours plus percutantes
MdM nous a toujours habitué à des campagnes chocs et touchantes dans lesquelles on retrouve toujours cette notion d’injustice. En effet, l’ONG nous pousse à nous poser des questions sur notre condition en tant qu’être humain mais surtout sur celle de nos voisins, celle des populations obligées de fuir leur pays en guerre ou encore celle des victimes de pandémies. Toujours empreint de sarcasme subtil, le message véhiculé par Médecins du Monde a pour but de faire réagir face aux problématiques démographiques et sanitaires d’aujourd’hui.

Cette campagne s’inscrit donc dans la continuité et se veut toujours aussi touchante. Ici, la force des mots alliée aux imaginaires liés aux classiques français lui confère profondeur et intensité. Une campagne qui se démarque par son originalité et sa mise en perspective. Un réel électrochoc en cette période de fêtes de fin d’année, haute-saison de prise de parole des ONG : avec Reporter sans Frontières et sa campagne « Great People » mettant en scène Vladimir Poutine, Amnesty International en décembre 2013 avec sa campagne de sensibilisation sur le sort des sans-abris ou encore Les Enfoirés qui se produisent sur scène (émission télévisée et tournée dans toute la France), la période des fêtes de fin d’année reste un véritable terrain d’expression pour ces organisations, qui misent sur notre générosité et sur notre propension à être plus sensible aux tourments de nos semblables.
Stratégie marketing ou simple altruisme ?
Enfin, pour ceux qui souhaitent faire un don, c’est par ici !
Alizé Grasset
Sources :
medecinsdumonde.org
who.int
Crédits photos :
meanings.fr
capitainecourageux.files.wordpress.com
cbnews.fr
z-factory.blogspot.fr

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Médias

Au Tele-catching, j’attribue la note de 10.

Adieu veau, vache, cochon, couvée…
« Quelles scènes si on annonçait demain la fin du monde » se lamentait Paul Léau-taud déjà plein d’inquiétudes au milieu du siècle dernier. Et que n’avait-il pas prévu. La fin d’un monde…D’un véritable phénomène de société… D’une brèche lucrative pour la chaine… D’une émission de téléréalité culinaire pour gourmets, heureux d’en reproduire le concept à la maison et de près de six ans de loyaux services…La fin d’un Diner presque parfait sur M6 inauguré un 11 février de l’an 2008, clôturée le 4 avril dernier.
L’émission qui mettait en compétition des cuisiniers passionnés du lundi au vendredi à 17h40, quelque fois rediffusée sous une version condensée en troisième partie de soirée et qui était parvenue à attabler le non moins raffiné Francis Lalanne, laisse derrière elle d’innombrables spectateurs affamés, une quantité considérable de produits dérivés et, surtout, une part de marché à prendre ou à laisser.

Une tendance presque imparfaite
A la suite de M6, qui a lancé la tendance avec son Diner presque parfait, c’est TF1 qui a repris la chandelle pour proposer une déclinaison surprenante d’émissions de compétition, voulues bien plus acharnées, qui se positionne entre les jeux et les docu-réalité d’autant plus divertissants que le mauvais esprit des participants y est manifeste. Quelques choix stratégiques, des contradictions dans les jeux des participants, passées inaperçues et une mauvaise foi sagement dosée sont les savoureux ingrédients de ces nouvelles émissions qui occupent l’espace télévisuel, constitué en ring, pour nous distraire. En somme, des scènes de chicane amusantes entre candidats séduits par la promesse d’une formidable couverture médiatique et par des gains allant jusqu’à 3000 euros et qui prolongent à des reliefs bien plus cruels et alléchants l’art du télé-catching.
Du divertissement au théâtre de la cruauté

Voila un mythe tout naturel, la vertu purgative d’un spectacle de catch et qui exige une lecture immédiate de la part du spectateur. Des moments qui se lisent indépendamment, animés par une passion. Tels sont les mots de Barthes dans ses Mythologies. Une question demeure : Que demande le peuple ? L’authenticité de ces passions assurément. Il en réclame l’ostentatoire, la mécanique cruelle. En rejetant jusqu’à la pudeur des situations d’affront : Le télé-catching, un tele-coaching compétitif et hargneux.
Ces émissions dévoilent par des plans confession la fausseté des participants et leur rivalité ultime dans une compétition pour décrocher le titre du meilleur d’entre tous. Dans le sas d’un confessionnal, pareil à un ring de catch lors d’instants debriefs, l’hypocrisie est affichée impunément regard caméra pour justifier l’attribution des mauvaises notes qui détermineront le podium final. Le divertissement réside principalement dans la prise à témoin du spectateur qui s’amusent du combat de coqs malheureux d’un divertissement pris au sérieux par des candidats déterminés à gagner.
La tendance du tele-catching, bien marquée sur nos chaines nationales de télévision n’est pas sans rappeler d’autres programmes, pour la majorité anglo-saxons. Actuellement, la tendance est à la mise en compétition des méthodes éducatives de mères de famille tantôt désignées comme « maman maniaque » tantôt comme « maman laxiste » ou encore « maman sévère » sur D8. La démonstration d’une véritable comédie humaine où s’engendrent petites railleries, infamies, jugements et mauvais esprit semblent plus vrais que nature, et le caractère spectaculaire des émissions, au lieu de sevrer un public affamé, se changent en de véritables points de focalisation qui concentrent une attention toujours grandissante.

Après Quatre mariages pour une lune de miel, une émission qui mettait en compétition des mariages de couples modestes au même plan que des mariages de grands bourgeois et qui recevaient lors de l’attribution de la note, des commentaires méprisants tels « ça fait cheap » ou encore « je me suis cru à une kermesse », des candidats au sommet d’une médisance injustifiée et du conflit, oeuvrant librement sur le PAF, se prêtent à une indigne mascarade relayée par des restaurateurs dans L’addition s’il vous plait, des propriétaires de chambres d’hôte ou de camping, et plus récemment des propriétaires d’établissements hôteliers dans Bienvenue chez nous, orchestrent une partie conséquente de la programmation télévisuelle.
Une tendance qui s’inverse ?
La chaîne M6 a fait le deuil de son programme record Un diner presque parfait (dont on espère la reprise annoncée en Janvier 2015) en mettant l’accent sur un panel de magazines de tele-coaching bon enfant incarné par le chef étoilé Cyril Lignac, Bruno Cormerais et Gontran Cherrier pour La meilleure boulangerie de France. Cristina Cordula et ses Reines du shopping raffle l’audience avec plus récemment l’emission du chef Philippe Etchebest Objectif top chef. Une tendance qui s’inverse sur la chaîne dont les programmes tentent de s’inscrire dans la feel good tv.

Certes la compétition est toujours à l’honneur dans ces émissions, Cependant, on remarque bien l’existence d’un jury choisi pour transiger, et dont certaines tranchent avec les émissions de tele-catching de la chaine concurrente. Et l’objectif est précisément de mettre les savoir-faire en compétition et non pas les individus, et d’offrir à la fois un divertissement sympathique et des conseils de professionnels.
L’émission Objectif Top Chef, dans laquelle le chef doublement étoilé Philippe Etchebest sillonne les routes de France à la rencontre de soixante apprentis cuisiniers, les mettant à l’épreuve dans l’objectif de sélectionner les plus talentueux pour le concours professionnel Top Chef, fête ses premières semaines de diffusion et devient le nouveau leader des émissions culinaires. Témoins d’une compétition journalière d’apprentis passionnés, telle une série TV où l’on suivrait le quotidien de plusieurs personnages, la conception de la compétition sur la chaine découle d’une volonté particulière de valoriser des participants et peut-être aussi, d’attendrir et de mettre en concurrence non pas des individus mais des savoir-faire sinon réels du moins télégéniques.
Johana Bolender
@johbolen
 
Sources:
m6.fr
huffingtonpost.fr
wikipedia.org 1 & 2
Crédits images:
cdn.im6.fr
videoteque.cnrs.fr
canalvie.com
huffpost.com
Nouveautes-medias.com
nouveautes-tele.com

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Société

THE INTERVIEW : UN ACTE DE GUERRE ?

 
La nouvelle est tombée comme un couperet le 17 décembre dernier. La comédie produite par le grand studio américain Sony Pictures Entertainment, The Interview, – en français L’Interview qui tue – s’est vue refuser une sortie nationale en bonne et due forme dans les salles de cinéma américaines et mondiales. Initialement prévue pour le 25 décembre aux États-Unis et le 11 Février en France, cette production met en scène le duo d’acteurs Seth Rogen et James Franco dans une comédie franchement potache. À l’origine de cet échec cuisant, un conflit entre l’Oncle Sam et son éternel ennemi, la Corée du Nord. Retour sur une affaire à prendre avec une pincée de recul et un soupçon de dérision…

Un synopsis décidément trop provoquant
The Interview retrace le périple de deux journalistes américains en mission pour la CIA. Leur objectif : éliminer le leader politique nord-coréen Kim Jong Un. Âmes sensibles s’abstenir. Dans la scène de l’assassinat en question, d’une finesse cinématographique sans précédent, on pourrait voir la tête du dictateur exploser dans une effusion de sang. Il n’en fallait pas plus pour indigner Pyongyang, qui a dès lors défié Sony de diffuser son film, en l’accusant ni plus ni moins « d’acte de guerre ».
Vous l’avez compris, ni la nuance, ni la demi-mesure ne font partie de cette affaire. Cet avertissement du régime nord-coréen vient ponctuer une lutte acharnée qui dure depuis plus de quatre semaines, la dictature ne s’étant pas contentée d’un simple rappel à l’ordre. Une organisation de hackers nord-coréens nommée Guardians of Peace a détourné plus de 100 terabytes de données, dont les informations personnelles de 47 000 employés et collaborateurs de Sony Pictures Entertainment. Ils ont également menacé le studio d’attentats si le film sortait dans les salles américaines. « Rappelez vous du 11 Septembre. » Voilà ce que les employés de S.P.E pouvaient lire sur leurs ordinateurs pendant les cyber-attaques. Plusieurs médias américains d’envergure ont d’ailleurs relayé l’information, baptisant, au passage, l’affaire « Sony Leaks ». Parmi eux le New York Times, qui affirme, selon des sources gouvernementales, que la Corée du nord était « centralement impliquée » dans le piratage des données de S.P.E. La dictature nord-coréenne a immédiatement démenti toute implication dans cet acte en apportant tout de même son soutien aux auteurs. Comme ci cela ne suffisait pas, l’agence de presse gouvernementale nord-coréenne a de nouveau agité la menace de l’arsenal nucléaire du régime et conseillé à Washington de « réfléchir à deux fois à sa politique hostile » envers Pyongyang.
Hollywood capitulerait-il ?
Cette annulation forcée sonne comme une défaite pour un studio aussi puissant et influent que S.P.E. Avant que Sony ne déclare officiellement l’annulation de la sortie du film, les réseaux de distribution hollywoodiens refusaient déjà de le diffuser. Selon le Président américain : « Sony a fait une erreur ». De plus, l’excitation du corps médiatique quant aux affaires de piratage semble avoir quelques peu brouillé les enjeux inhérents à cette affaire. Le Monde, notamment, parlait déjà de « victoire sans pareille dans l’histoire de la guerre cybernétique ». Pourtant si l’on y regarde de plus près, l’aspect économique, avant tout, permet de visualiser plus clairement les obstacles auxquels Sony et tout studio américain doit faire face.
S.P.E comptait amortir un investissement de 80 millions de dollars, 35 pour la campagne de promotion et 44 pour la production, comptant sur la « seasonability » du projet. Ce terme renvoie à la rentabilité du calendrier annuel – les fêtes de Noël et les vacances scolaires sont particulièrement propices à la sortie de productions mainstream, assurant un nombre de spectateurs suffisant pour générer du bénéfice. Voilà l’embarras dans lequel se retrouve Sony : faire une croix sur la période la plus rentable de l’année. Difficile de savoir si cela relève de la stupidité ou de l’exploit, mais une chose est sûre, c’est un aveu de faiblesse vis-à-vis de ses concurrents. S.P.E sortira affaibli de cette épreuve, l’année 2014 ayant été peu reluisante au box-office. Les autres majors hollywoodiennes ont dû être particulièrement soulagées à l’annonce de l’annulation de la sortie de The Interview. C’est pour elles l’occasion inespérée de préserver le succès de leurs blockbusters de Noël. Le Hobbit pour la Warner, Exodus pour la Fox, Hunger Games pour Lions Gate notamment.
Une illustration des luttes inhérentes au Soft Power
Toutes les majors hollywoodiennes sont des ambassadrices de la culture américaine à travers le monde et incarnent un certain idéal de puissance, au-delà des forces militaires, économiques et industrielles. On voit dans cette affaire qu’une major hollywoodienne peut influencer les affaires internationales au même titre que les domaines précédemment cités. C’est parce qu’elles sont détentrices d’une forme particulière de pouvoir et d’influence, le Soft Power. Ce concept renvoie à un pouvoir vu sous le prisme de l’attraction et non pas de la coercition. Un film obéit à tout un système de signe, lui même enraciné dans une culture donnée. Le blockbuster américain, imprégné de sa propre culture, est régi par des codes particuliers et véhicule des valeurs stratégiques : la liberté, la démocratie, l’individualisme, l’économie de marché. La pression nord-coréenne, qui s’est traduite par des actes hostiles, traduit des appréhensions bien plus profondes. Ces luttes interculturelles à l’image de l’affaire Sony Leaks permettent de voir sous un nouveau jour les relations d’attraction et de répulsion que le modèle américain suscite à travers le monde, les tensions entre les affirmations identitaires, sans oublier la course à l’expansion culturelle, à l’heure où les contenus deviennent globaux.
Karina Issaouni
 
Sources
Lemonde.fr 1 & 2
Fréderic Martel – MAINSTREAM, éditions stock

Dossiers et conférences

Qui es-tu, héros traditionnel ?

Plusieurs personnages, une seule symbolique : le héros traditionnel comme archétype
A l’évocation de la notion de héros traditionnel, les mêmes figures s’imposent presque immédiatement dans l’esprit de la plupart d’entre nous : les plus âgés revoient avec émotion (ou une pointe de cynisme) Charles Ingalls fendre inlassablement ses bûches de bois, les plus jeunes penserons plutôt à Eric Camden, le sage père de famille nombreuse de la série américaine Sept à la maison. Qu’ils soient pasteurs ou bûcherons, entraineurs sportifs ou employés de la CIA, ce qui frappe lorsque l’on se penche un peu plus sur ces héros qui jalonnent nos séries télévisées, ce sont les nombreuses similitudes qui les lient (bonté, honnêteté, fiabilité, et une pléiade de mots finissant par –té que nous détaillerons plus tard). Au point de pouvoir parler d’un archétype du héros traditionnel, qui se décline dans le temps et dans différentes situations, mais qui s’offre à voir dans toute son unité lorsque l’on s’amuse à comparer les rôles symboliques joués par les personnages qui l’incarnent.

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Dossiers et conférences

Étude de cas d’un héros, Obama

Le 4 novembre 2008, Barack Obama était élu 44ème président des Etats-Unis d’Amérique à la suite d’une véritable Obamania médiatique qui avait passionné toute la planète. Certes il est le premier métisse à accéder à la magistrature suprême de ce pays au passé fortement raciste. Mais un tel engouement international pose tout de même question. Que la majorité de ses concitoyens tourne des yeux subjugués vers lui peut sembler normal puisqu’elle l’a élu pour les gouverner, mais le fantasme qui prend le reste du monde fait glisser la figure d’Obama : d’homme providentiel pour son pays il devient un véritable messie pour la planète entière.

oldéal
Flops

Offrez-vous un vieux pour Noël !

 
Ces derniers jours, de nombreux sites proposant des services affligeants pour les personnes âgées ont fleuri sur le web. Plumeunvieux.com et Oldéal.com font partie de ces sites qui ont créé la polémique récemment.
Le premier est un site internet permettant de sélectionner une personne âgée n’ayant ni famille, ni amis, en vue de créer des liens avec elle pour ensuite en hériter. Le choix est large, il y en a pour tous les goûts ! On peut piocher parmi les cancéreux par exemple. Quoique, mieux vaut saisir une offre de dernière minute. Rapide et efficace. Il ne reste au vieillard que quelques semaines à vivre, donc on arrose ses plantes patiemment en lui parlant du temps qu’il fait dehors, puis bingo, on empoche le jackpot !
Oldéal quant à lui, est un site qui propose une solution à ceux qui souhaiteraient éloigner leurs proches, pour ainsi réaliser des économies. Le site propose 3 formules pour envoyer ses vieux à l’autre bout du monde et ne plus s’occuper de rien, des paperasses aux obsèques. Il n’est même plus nécessaire de perdre son temps à les appeler pour les entendre radoter, Oldéal s’occupe de tout !

Vous trouvez ça aberrant ? Tant mieux. Car ces sites sont en fait montés de toute pièce par des étudiants en dernière année du bachelor de l’IESA, une école de multimédia. Les élèves devaient monter et animer une campagne de communication autour d’un thème, qui était cette année celui de la solitude des personnes âgées. Au risque de créer la polémique, certains n’ont pas hésité à jouer sur des campagnes trash, visant à choquer un public visiblement trop peu concerné par la solitude des séniors.
Le bruit médiatique recherché par ces étudiants était bien au rendez-vous, mais pas forcément dans le sens recherché. En effet, un bad buzz s’est fait ressentir via certaines associations comme Famidac ou Petits Frères des Pauvres, qui ont été terriblement heurtées par ces campagnes. Le secrétaire général de Famidac, association qui propose des familles d’accueil pour les personnes âgées, considère ces sites comme « ignobles, peu crédibles, mais qui peuvent piéger les sans-cœur ». Les étudiants y sont-ils allés trop fort ? Difficile à évaluer. Nous pouvons simplement admettre qu’ils se sont fait prendre au piège de leur propre motivation et de la qualité de leur travail. En effet, il est difficile au premier coup d’œil de se douter du traquenard, tant les sites sont bien réalisés.
Cela nous pousse alors à nous poser plusieurs questions : les étudiants auraient-ils pu se contenter de créer une publicité triste et émouvante ? Sommes-nous réellement obligés de choquer ou de créer de l’émotion pour sensibiliser la société ?
Moins choquer pour mieux toucher
Nous avons tous déjà été exposés à des campagnes trash, défendant de lourdes causes. Sécurité routière, pauvreté, solitude, chaque année nous sommes la cible de ces publicités douloureuses. Mais la multiplication de ces campagnes choquantes, ajoutée à la banalisation de la violence par les médias et les jeux vidéo, n’affaiblit-elle pas leur impact ? Depuis quelques années, certaines entreprises prennent le contrepied, en essayant de marquer les esprits plus en douceur. C’est par exemple le cas de Metro Trains, le réseau ferroviaire de Melbourne, qui à travers une chanson enfantine appelle à la vigilance des Australiens envers les trains et métros.

 
 
En France, la Sécurité Routière a elle aussi décidé de changer de ton. Après deux courts-métrages réalisés par Rémi Bezançon en 2014 (Le sourire du pompier et Je vous aime très fort), c’est Mathieu Amalric qui s’est chargé cette année de sensibiliser les Français quant à la vigilance à adopter au volant. Tout en suggestions, ce nouvel opus de cinq minutes mettant en scène Pio Marmaï et Caroline Ducey, nous plonge dans un vrai malaise. On assiste aux difficultés qu’éprouve un père de famille à profiter du réveillon de Noël, sans penser à l’accident mortel qu’il a causé. Pointant du doigt l’utilisation du téléphone au volant, ce court-métrage n’est ni choquant, ni forcément émouvant, mais simplement troublant. La Sécurité Routière a cette année joué la carte de l’esthétisme, du suggestif et du psychologique, afin qu’au delà des conséquences physiques qu’entraîne un accident, nous réalisions que celui-ci peut nous torturer intérieurement jour et nuit. Se pose alors la question de l’efficacité de cette publicité. La Sécurité Routière touchera-t-elle sa cible aussi efficacement avec ce court-métrage, qu’avec ses anciennes publicités bien plus choquantes ?

 
Lumière sur le sadvertising
Au delà des campagnes choquantes défendant des causes sérieuses comme la solitude des personnes âgées, il est intéressant de considérer une tendance très en vogue depuis quelques années : le sadvertising. Comme son nom l’indique, cette tendance concerne une flopée de marques qui tentent de convaincre leurs consommateurs potentiels via des publicités émotives. De nombreuses enseignes que l’on pourrait qualifier de « froides », comme Apple ou Samsung, sont friandes de cette technique et en profitent pour rappeler leur contribution à l’enrichissement de la vie affective et émotionnelle de leur public. Il s’agit d’offrir un supplément d’âme, de dépasser la simple transaction matérielle pour atteindre une cible plus large, qui achètera un produit pour sa valeur émotionnelle et non parce qu’elle en éprouve le besoin. Drôle de paradoxe : on fait du trash avec des produits de la vie quotidienne, et on arrête d’être trop choquant lorsque l’on veut sensibiliser un public à une grande cause.
La tendance du sadvertising reste tout de même largement anglo-saxonne, les Français ayant un regard plus critique et recherchant l’intention derrière l’hyperémotivité publicitaire. Je vous laisse tout de même savourer – ou détester – les six campagnes les plus larmoyantes de ces dernières années. Sortez vos mouchoirs !

Procter and Gamble
 
 

Apple
 
 

Ikea
 
 

Always
 
 

John Lewis
 
 

Google Chrome
 
Louise Bédouet
@: Louise Bédouet
Sources :
Stratégies
etudiant.lefigaro.fr
advertisingtimes.fr
silvereco.fr
Crédits photos :
silvereco.fr (1) et (2)

favela
Com & Société

Le Favela Tour : un Neverland pour touristes en quête de sensations

 
Stranger in Brazil?
Sur le belvédère où se tiennent les échoppes des artisans de la favela carioque Santa Marta, des Européens hagards, des Américains, des minibus quasi cuirassés, d’anciens trafiquants de drogue en chasuble et casquette qui s’improvisent guides touristiques et, en arrière-plan, une misère lissée et savamment mise en scène. La favela Santa Marta qui avait accueilli le roi de la pop Michael Jackson pour son clip « They don’t care about us » dans lequel ce dernier arbore un peace sign tricolore, logotype de OLODUM, un groupe afro-brésilien fondé en 1979 dont l’objectif est d’offrir à la jeunesse des favelas des alternatives culturelles comme le théâtre et la musique, rassemble aujourd’hui trois boulangeries et près de deux mille maisons en briques. Le processus d’urbanisation amorcé suite à la forte médiatisation de la favela dont on ne voyait que les toits des bocas de fumo est une prouesse, mais à qui profite cet apparent développement ?

They don’t really care about us, do they?
Si l’on se fie à notre tête de hibou fétiche, il y a bien une pratique touristique que nous ne pouvons ignorer et qui mérite ses quatre étoiles vertes et son certificat d’excellence 2014 : le favela tour ou encore Slum Tourism, popularisé en 2010 mais lancé en 1990 à Rio de Janeiro par Marcelo Armstrong. Les favelas, zones d’exclusion, de pauvreté et de non droit se sont progressivement transformées en parcours touristiques guidés et commentés dont le marché est partagé entre une dizaine de tour opérateurs.

Ces nouvelles pratiques suscitent sans étonnement des détracteurs comme des défenseurs. Certains vacanciers fatigués des voyages et des destinations trop classiques affirment trouver un intérêt à la visite d’une toute autre réalité du Brésil, convaincus que celle-ci génère des revenus pour la population et qu’elle pousse au développement de l’artisanat et des spécificités locales. La sinsscérité de cette démarche ferait presque oublier que les modalités des formules proposées par les tour opérateurs s’apparentent davantage à un safari humain qu’à un tourisme éthique et responsable. D’autres, (qui ne se privent pas de faire connaitre leur déception sur TripAdvisor, notamment) s’insurgent contre les organisateurs, reprochant la théâtralité mensongère du parcours.

Arrivée en Jeep 4×4 dans la favela de Rocinha, la plus grande favela de Rio de Janeiro. Première escale sur le marché où les touristes déambulent à la recherche de sensations fortes. Premier avertissement du guide : il est interdit de photographier parce que ce sont des points de vente de drogue. L’intrigue se poursuit plus loin, à l’angle d’une rue, où quelques jeunes derrière des stands portant l’écriteau « WELCOME IN FAVELA » tentent d’appâter le touriste avec des petites peintures et des objets qu’ils confectionnent. Un arrêt rapide à la buvette de la favela pour donner au touriste l’impression qu’il a rencontré un habitant et prenne avec celui-ci un selfie. Second avertissement du guide : il est interdit de photographier l’intérieur des habitats, vie privée oblige. Finalement, dernière halte, les écoles de la favela devant lesquelles posent les élèves, financées en grande partie par les favela tours. Confirmation qu’il s’agit bien d’un tourisme équitable. Beaucoup de ces formules sont dénoncées par les internautes qui n’hésitent pas à y consacrer des blog photos pour montrer la réalité d’une situation de misère inextirpable transformée en distraction touristique par la complicité des tour opérateurs et des pouvoirs locaux.

Who heals the world?
Qui seraient les grands gagnants de cette nouvelle pratique touristique ? Comment interpréter le fait que d’un coté, les favelas ne cessent de croitre et qu’elles sont, de l’autre, censées générer des revenus du slum tourism ?
La permanence des difficultés sociales des habitants de ces quartiers et les évolutions circonstancielles des modes d’action en matière de sécurité publique et urbaine s’apparentent à des stratégies de marketing territorial qui profitent aux grands promoteurs du projet et non pas à ses acteurs. Ce théâtre imparfait révèle un traitement injuste des espaces pauvres de la ville, une fausse redistribution des richesses ainsi que l’instrumentalisation et la distorsion de l’image de pauvreté sous l’effet d’un sensationnalisme toujours richement pensé. Le touriste auquel on accorde gracieusement des pouvoirs héroïques n’est en réalité pas moins passif et consommateur qu’il ne l’est dans les villages de vacances.
Pourquoi préférer les taudis misérables de Santa ou Rocinha qui a tout récemment inauguré, en son coeur, un centre d’accueil touristique, aux belles plages de Leblon ou d’Ipanema pour passer les vacances ? Depuis la Copa, ce nouveau tourisme prospère énormément. La réponse figurerait-elle dans le refrain du morceau de Bambi ?
Faire des quartiers insalubres un nouveau Neverland pour touristes en quête de sensations, l’aboutissement ayant déjà été prophétisé par Michael en 1995 :
« Everybody gone bad
Situation, aggravation
Everybody allegation »

Johana Bolender
@johbolen
Sources :
tripadvisor.fr
picturetank.com
lepetitjournal.com
Crédits photos :
tripadvisor.fr
theguardian.com
picturetank.com
viatorcom.fr
Video :
« They don’t care about us » Michael Jackson

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Grenoble : plus heureux sans pub ?

 
En janvier 2015, les Grenoblois pourront ajouter à leurs vœux de nouvelle année des adieux aux colonnes Morris, « sucettes » et 3×4 en tous genres. En effet, le 23 novembre dernier, la ville a annoncé ne pas vouloir renouveler son contrat à la fin de l’année 2014 avec le groupe d’affichage et de mobilier urbain JCDecaux, choisissant ainsi de mettre fin à la l’affichage publicitaire dans l’espace public.
Ainsi, le démontage des 326 panneaux – soit 2051m² d’affiches – présents dans la commune, aura lieu de janvier à mai 2015. A la place, la ville proposera trois nouveaux types d’affichages (municipal, culturel et réservé aux associations et à l’opinion) beaucoup plus discrets, notamment parce qu’ils seront à destination des piétons plutôt que des automobilistes. Elle a également prévu de planter une cinquantaine d’arbres à la place d’anciens panneaux publicitaires.
Si l’initiative séduit, elle soulève plusieurs interrogations, notamment au sujet des conséquences financières pour cette grande ville d’Europe, la première à prendre une telle décision. Et au-delà de ces questions, c’est bien l’enjeu communicationnel que cette nouvelle stratégie nous invite à analyser.

Un joli coup de com’
On ne peut, en premier lieu, que saluer l’incroyable coup de com’ réussi par l’équipe municipale : en une seule journée, après que le JDD et le Dauphiné Libéré ont publié l’information, l’ensemble du système médiatique s’est tourné vers la capitale des Alpes et a braqué ses projecteurs sur elle.
Or c’est au niveau national que la ville avait décidé d’ancrer sa stratégie de communication. Le cabinet du maire explique ainsi son choix : « sur des thématiques qui ont du sens au niveau national, comme la suppression de la pub dans l’espace public, on choisit d’ouvrir la focale à des médias nationaux. On s’est dit : quitte à faire ce choix politique-là, autant se permettre un gros barouf sur le sujet, ça va intéresser les médias et nous intéresser aussi, puisqu’on va parler de notre action municipale. ». En ce sens, ce projet participe de l’objectif que le maire EELV de la ville, Eric Piolle, s’était fixé dès la campagne des élections municipales, qui était de transformer l’image de Grenoble en une ville douce, créative et conviviale. L’enjeu étant de rompre avec le ton sécuritaire du « discours de Grenoble » de Nicolas Sarkozy en 2010 et avec l’image de la ville qui en avait découlé.
Avec cette annonce, la municipalité EELV ferait donc d’une pierre deux coups : elle remplit visiblement une de ses promesses de campagne par un coup politique et s’assure dans le même temps une visibilité médiatique en entérinant ce changement d’image de Grenoble par un formidable coup de com’.
De la pertinence de l’affichage publicitaire
Dans de nombreuses métropoles, la pollution visuelle due à l’affichage publicitaire est criante (notamment dans certaines entrées d’agglomérations), au point que beaucoup d’entre nous n’y prêtent même plus attention… En outre, avec le développement d’Internet et de ses publicités de plus en plus ciblées, la pertinence de l’affichage est aujourd’hui à interroger.

Pourtant, ce n’est pas le point de vue de Jacques Séguéla, cofondateur et vice-président de l’agence de publicité Havas, qui s’oppose farouchement à la décision de Grenoble : « Internet, c’est chez soi, c’est loin, c’est avant l’achat. L’affichage dans la rue au contraire (…) c’est le dernier écran dans la rue. C’est le moment où la marque vous rappelle ses valeurs, sa qualité et vous montre son produit ».
La publicité : une happiness therapy ?
Don Draper, de Mad Men et Jacques Séguéla ont au moins une chose en commun : leur vision de la publicité et du bonheur : pour le premier, « la publicité s’appuie sur une chose, le bonheur. Et vous savez ce qu’est le bonheur ? Le bonheur, c’est l’odeur d’une voiture neuve. C’est être débarrassé de la peur. C’est un panneau d’affichage sur le bord de la route qui vous martèle que, quoi que vous fassiez, tout va bien. » Pour le second, « la publicité est marchande de bonheur ». Mais entre le discours des années 60 sur la publicité, les dires des communicants et la réalité, il peut y avoir un monde…

Or un certain nombre d’études ont été menées sur le sujet, et les résultats risquent de ne pas faire le bonheur des annonceurs. En effet, la publicité participerait à l’édification de valeurs matérialistes (notamment en inculquant chez les plus jeunes l’idée selon laquelle l’acquisition de biens matériels serait un élément clé du succès et du bonheur, idée qui ne disparaîtrait pas en grandissant). Ces valeurs auraient ainsi une mauvaise influence sur l’humeur des matérialistes, qui ressentiraient plus d’émotions négatives (stress, angoisse, colère) au cours de leur journée. De plus, la publicité serait source de frustration dans la mesure où elle créerait chez les individus une perception erronée du revenu moyen et de leur propre place dans la répartition des revenus. Elle nous placerait ainsi dans un état d’esprit favorable à la compétition sociale et négatif pour notre félicité. En somme, la publicité créerait un horizon d’attentes relativement irréalistes pour les consommateurs et leur rendrait difficile l’accès au bonheur tant vanté par la réclame.
Epilogue
En voulant protéger ses citoyens contre la pollution visuelle, Grenoble a ainsi porté le débat sur la publicité dans l’espace public sur le plan médiatique national. La décision a été majoritairement applaudie par la société française, et le maire aurait reçu pendant les trois jours suivant l’annonce plus de 300 mails de soutien, dont une grande partie venait de maires avides de conseils méthodologiques pour appliquer la mesure dans leur propre ville. Grenoble pourrait ainsi être la première ville européenne à lancer un mouvement de transition « publicitaire » au sein de son espace public. Mais s’agit-il uniquement d’un microphénomène, ou des prémices d’une nouvelle tendance de politique urbaine ?
Léa Lecocq
@LeaLcq
Sources :
lemonde.fr (1) et (2)
telerama.fr
placegrenet.fr
lefigaro.fr
slate.fr
Crédits photos :
grenoble.fr
images.telerama.fr
images.sudouest.fr
connexionplanning.australie.com
laboiteamalices.fr
roycod.com

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Vers une réalité augmentée ?

 
Oculus Rift, quésaco ?
Sous ce nom barbare se cache le gadget qui deviendrait le possible enjeu d’une petite révolution numérique, permettant notamment de créer de nouvelles expériences télévisuelles, cinématographiques, publicitaires et même… sportives !
Créé en 2012 et racheté en 2014 par la société Facebook, ce petit bijou, qui se présente comme un masque recouvrant le regard, permet à son utilisateur de se plonger à 360° dans une réalité virtuelle.
Cette technologie, très en vogue chez les gamers, commence doucement à trouver d’autres preneurs. Le cinéma s’en est en effet déjà emparé, Zéro Point, le premier film en 3D et à 360°, étant sorti en octobre 2014.

Même si l’on peut dire de façon certaine que ce film d’une vingtaine de minutes n’est pas un chef d’œuvre cinématographique – ce dernier se présentant plutôt comme une publicité pour les lunettes que comme un film potentiellement primable à Cannes – cette sortie témoigne tout de même d’une tendance qui tend à se déployer dans le monde du cinéma.

En marche vers une nouvelle expérience cinématographique
La preuve en est, quelques semaines plus tard la chaîne Arte programmait le premier documentaire utilisant ce nouveau gadget. La chaîne a diffusé un documentaire se déployant sur différentes plateformes. Un premier format de 90 minutes pouvait être visualisé sur la chaîne puis en Replay. Dans celui-ci, les téléspectateurs voyageaient dans les paysages de l’Arctique, en ayant l’impression d’être acteurs de la scène : le réalisateur avait opté pour un point de vue subjectif.
Mais le plus intéressant reste le deuxième format proposé par Arte : plusieurs minutes de documentaire étaient mises à disposition des téléspectateurs sur internet, et les possesseurs des lunettes Oculus Rift pouvaient les utiliser et ainsi se plonger dans les paysages en immersion totale. En effet, les lunettes captent les mouvements de tête et donnent l’illusion de se déplacer à son gré sur les lieux du tournage.

Le téléspectateur n’est ainsi plus guidé par le regard biaisé de celui qui tient la caméra. Chaque visionnage devient unique, et totalement personnel. Le film s’échappe de plus en plus des mains du réalisateur et glisse vers celles du spectateur qui devient une triple figure de spectateur-acteur-réalisateur portant l’image où bon lui semble.
Arte, par le biais de ce documentaire, souhaitait sensibiliser les spectateurs aux problèmes climatiques et à ce qu’ils infligent aux magnifiques paysages de l’Arctique. Ce n’est donc pas anodin qu’ils aient opté pour l’utilisation des lunettes car celles-ci, en donnant l’illusion au spectateur qu’il se trouve sur les lieux, permettent une identification plus forte encore que celle à laquelle on pourrait être sujet dans un film traditionnel. Et, c’est bien connu, l’identification du spectateur est une des recettes clé pour le chambouler.

Oculus Rift : un coup de pouce pour les coups de pub ?
La publicité a bien compris les enjeux de cette technologie et s’en est aussitôt emparée. En effet, Volvo, par l’utilisation de ces lunettes, propose aux futurs acheteurs de vivre quelques virtuels instants au volant de leur dernière voiture, et leur donne ainsi le sentiment d’être déjà possesseurs de celle-ci. Volvo semble donc croire que la réalité virtuelle peut avoir un impact sur la réalité sensible. Le potentiel acheteur transfigurerait, par l’achat de la voiture, son expérience factice en une expérience concrète. La marque d’automobiles, plus encore que d’insuffler l’envie d’acheter la voiture, donne l’illusion au consommateur qu’il se l’est déjà appropriée.

Bien d’autres domaines ont également mis la main sur cette technique de la réalité virtuelle : une application sportive permettra bientôt à ses utilisateurs d’avoir l’impression de courir durant le marathon de New- ork. Paul McCartney, lui, propose à son public une application permettant d’assister à la performance de la chanson « Live & Let Die ». Pour en citer d’autre encore, même l’industrie de la pornographie s’y est mise, proposant à ses consommateurs de contrôler les images et ainsi de participer à la scène sans pour autant y être réellement…

Une révolution critiquable ?
Mais des critiques émergent déjà : les utilisateurs témoignent d’une douleur aux sinus, à la tête et aux yeux lors de l’utilisation de l’Oculus Rift, rendant impossible une durée de visionnage trop longue. Ils déclarent également que le format en 600*400 est difficilement perceptible pour l’œil humain, incapable de s’y fixer.
Des progrès restent donc à faire, c’est certain, mais l’on peut tout de même déclarer que cette nouvelle technologie est en phase de provoquer une révolution dans divers milieux qui touchent au numérique. Mais cette révolution est-elle positive ? Cette question mérite d’être posée car cette fois ci, ce n’est plus l’Homme que l’on souhaite augmenter, on passe à un niveau supérieur qu’est la réalité elle-même ! Mais à force de chercher l’augmentation, ne finirait-on pas par aboutir à une réduction, le danger étant que cette réalité augmentée finisse par rimer avec substitution de la réalité ?
Valentine Cuzin
Sources :
konbini.com
siliconvalley.blog.lemonde.fr
Crédits photo :
digitaltrends.com

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