Perrier publicité
Flops, Publicité

À quand la fin des publicités vulgaires ?

Depuis quelques années, de nombreuses marques usent et abusent d’une tendance publicitaire traditionnelle mais pourtant toujours aussi délicate à manipuler : l’allusion à la sexualité. Alors que certaines agences font des publicités qui tombent dans le vulgaire sans passer par la case départ, d’autres produisent tout un univers en exploitant notamment les codes graphiques des sites à caractère pornographique, pour créer du contenu et faire le buzz. Or, rares sont les publicités qui sortent gagnantes de cette “stratégie”. Elles font beaucoup parler d’elles, sont très souvent critiquées car dérangeantes et peu pertinentes, lumière sur le flop général décerné aux publicités de mauvais goût.
Non non n’insistez pas, les jeux de mots ça ne marche plus
Au delà des nombreuses plaintes d’associations luttant contre le sexisme ou l’utilisation de la femme comme objet de marketing, il est intéressant de se pencher sur les publicités qui continuent de croire que faire allusion au sexe va nous faire acheter un billet d’avion ou une cannette de soda. Certes, les spots réussissent à capter notre attention pendant les 30 secondes de leur première diffusion, mais qu’en est-il de leur efficacité ?
J’aimerais commencer par parler du 4×3 qui attaque ma rétine chaque matin depuis un an sur le quai de la ligne 4, en d’autres termes la campagne pour le comparateur de vols en ligne Liligo. Incontestablement plus cheap que le vichy de mon cabas Tati, cette publicité donne envie de se jeter sur les rails du métro plutôt que de se rendre sur ce site.

Mettant en scène des personnes dont l’apparence laisse paraître leur sérieux, la marque tente de nous faire esquisser un sourire en s’appuyant sur le jeu de mot “s’envoyer en l’air”. Une idée brillante et originale en somme. Cessons l’ironie, et notons simplement la vulgarité et la lourdeur de cette annonce.
Vous en voulez encore ? Vous voilà servis ! Ouiz, une nouvelle marque d’aromatiseur d’eau, a dernièrement sorti un spot faisant lui aussi allusion au sexe, via un jeu de mot ne volant pas plus haut que celui de Liligo, soit l’utilisation ambiguë du mot “chatte”. Epoustouflant, n’est-ce-pas ?

Bien qu’il ait été créé à l’occasion de la semaine de l’égalité professionnelle, ce spot a suscité beaucoup de réactions négatives, notamment sur Twitter. Les internautes ont également dénoncé une réutilisation « sexiste » de la Tippexperience – que l’agence Buzzman avait créé 4 ans auparavant – au profit du site Ouiz.fr, sur lequel on peut trouver des solutions pour aider Charlotte à se faire entendre auprès de ses collègues masculins.

Regard sur les grandes marques  
Dans le même thème, on peut désormais parler des grandes marques, qui sont elles aussi friandes de ces allusions, mais qui en usent de manière plus qualitative et donc sensiblement plus subtile. Ces publicités font alors régulièrement objets de débats, notamment lors de séances de cinéma, ce qui en devient presque aussi agaçant que le bruit des pop corn de ma voisine pré pubère. Certains adorent ces campagnes, d’autres les trouvent vulgaires. Je pense par exemple à Schweppes, qui a misé en 2011 sur la beauté d’Uma Thurman pour jouer une scène de quiproquo autour du nom de la marque qui s’apparente facilement au mot « sexe ». Cette publicité a plutôt bien marché, bien que le relai ait été difficilement repris par Pénélope Cruz en 2014, qui a du mal à nous laisser croire qu’elle va embrasser une jeune fille dans un bar.
Autre marque de soda dont les publicités font polémique : Orangina. Le changement de positionnement de la marque, qui a personnifié des animaux pour les rendre pulpeux et sexy, a divisé les téléspectateurs.

D’un côté, la campagne a attiré les prescripteurs que sont les enfants, grâce à l’imaginaire évoqué par les couleurs et les animaux, ainsi que les adolescents pour sa touche de provocation. Mais d’un autre côté, l’aspect érotique des publicités a dérangé une grande part de téléspectateurs, notamment les parents qui sont en grande partie les acheteurs du produit. En Angleterre, le spot jugé trop sexy n’a d’ailleurs été diffusé qu’une seule fois, en 2008. On peut donc se questionner sur l’efficacité de ce repositionnement, après des années de publicités décalées, connues et reconnues.
Quid des faux sites coquins ?
Depuis quelques mois, de grandes marques ont choisi quant à elles d’utiliser les codes graphiques de sites à caractère pornographique, de façon à créer le buzz. C’est par exemple le cas de la SNCF, qui a dernièrement créé le site 28Max, consacré à des offres réservées aux moins de 28 ans. Mouais.
Plus drôle, et poussé jusqu’au moindre détail, le concept avait d’abord été développé par Oasis avec son site YouPomm, qui a beaucoup fait parler de lui l’année dernière. (On peut d’ailleurs y mater des fruit-tease ou des sextape de filf, sans se soucier de vider son historique par la suite, si c’est pas génial ça !).

La marque, voulant changer de cible et toucher les 18-25 ans, a plutôt réussi son coup grâce à l’agence Marcel, mais s’est tout de même fait critiquer par des internautes qui, l’ignorant, trouvaient cette parodie de site coquin choquante vis-à-vis des enfants.
Quoi qu’il en soit, il est important de noter que malgré le bruit médiatique qu’elles entraînent, les campagnes qui font allusion à l’érotisme n’en sont pas plus efficaces. En effet, l’étude d’Adrian Furnham et d’Ellie Parker, du département de psychologie du University College London, explique que la présence de trop de sexe dans la publicité perturbe la concentration et altère le processus de mémorisation de la marque. Et pourtant, dans Le Neuromarketing en action, Patrick Georges et Michel Badoc observent qu’un cinquième des publicités font encore allusion au sexe.
Bref, c’était mieux avant
Les marques et leurs agences devraient donc peut-être songer à changer de stratégie, car en plus d’être vulgaires et de nous énerver par la même occasion, ces publicités ne jouent pas en leur faveur. Du moins plus. Car à l’époque, Perrier avait relevé le défi de façon très explicite, mais sans une pointe de vulgarité à mon goût – bien que la publicité ait été censurée.

Mais c’était en 1976, et depuis le géant de l’eau gazeuse semble avoir du mal à rester drôle et fin. Leur campagne a effectivement animé les réseaux sociaux en avril dernier, faisant encore une fois usage d’un quiproquo autour de la nouvelle taille de leur cannette. Un changement de positionnement ne leur ferait peut-être pas de mal à eux aussi. La preuve : 592 dislikes pour seulement 438 likes sur la vidéo Youtube de leur dernier spot.
Vive Mad Men.

Louise Bédouet
@: Louise Bédouet
Sources :
lexpress.fr
e-marketing.fr
ladn.eu
Crédits images :
youpomm.fr
twitter.com
creads.fr 

prix sweat shop
Agora, Com & Société

"Sweatshop", quand la télé-réalité met les marques devant leurs responsabilités

« Sweatshop – Deadly Fashion » est un programme de télé-réalité norvégien produit par le journal Aftenpost et diffusé sur son site internet depuis mai 2014. On y suit trois jeunes blogueurs mode norvégiens plongés durant un mois dans l’enfer d’une usine textile à Phnom Penh au Cambodge. Les consommateurs occidentaux avaient déjà été avertis de l’existence des « ateliers de la sueur » lors du drame du Rana Plaza en avril 2013 qui avait fait 1138 morts. Des géants de la grande distribution textile comme Auchan, C&A, Zara, Primark ou encore H&M avaient été au cœur du scandale pour avoir fait fabriquer leurs produits dans des usines où la dignité humaine est sacrifiée sur l’autel du rendement.
Une télé-réalité au service de la bonne cause ?
Choc et sensationnalisme assurés : trois blogueurs mode vivant dans un des pays les plus riches de la planète, la Norvège, se retrouvent à travailler pendant un mois dans les conditions inhumaines des « sweatshops ». Dans l’usine de Phnom Penh, ils réalisent ce qu’est le travail à la chaîne, même si celui-ci n’est pas l’apanage des pays pauvres. Il s’avère rapidement que cette jeunesse dorée n’a aucune conscience de cette réalité et fait rapidement son mea culpa : « Nous sommes des enfants gâtés. J’ai honte. » déclare Anniken Jorgensen sur son compte Instagram.

Cependant, faire culpabiliser les consommateurs ne semble pas être une manière efficace de changer les comportements. En effet, le choc des images, la distance géographique et culturelle entre la Norvège et le Cambodge, risquent de placer le consommateur dans une situation d’impuissance, il va alors préférer ignorer cette réalité qui lui échappe. Il faut aussi garder à l’esprit que l’Europe subit une grave crise économique depuis 2008 et que face à la baisse du pouvoir d’achat et à une société de consommation qui crée sans cesse de nouveaux besoins, les classes pauvres et moyennes n’ont d’autres choix que de consommer à bas coût.
En revanche, un tel programme peut jouer un rôle essentiel dans la dénonciation des pratiques de grandes marques du textile. Ainsi une des participantes n’a pas hésité a dénoncer H&M menaçant de manière imminente l’image de la firme.
Le déni au péril de la réputation
Au lendemain de la catastrophe du Rana Plaza, les grandes marques européennes impliquées ont été rapidement montrées du doigt par les médias, les ONG et les différentes associations de consommateurs. Le drame humain a été tel que les marques se sont retrouvées dans une crise sans précédent. Plutôt que de choisir la transparence, elles ont préféré pour la plupart rester dans le déni, s’appuyant sur l’absence de preuve de leur participation à un tel business.

C’est le cas par exemple de la firme suédoise H&M qui a nié les faits. Alors que des étiquettes portant le logo de la marque avaient été retrouvées et photographiées dans les décombres, H&M a maintenu son absence de responsabilité. Il n’empêche qu’H&M a, au lendemain de la catastrophe, annoncé qu’elle cofinancerait, avec l’agence suédoise d’aide au développement, un projet « d’exportation du modèle social suédois dans l’industrie textile des pays asiatiques et africains ». Cela lui permettait de présenter l’image d’une entreprise responsable et touchée en sa chair par le drame survenue dans l’usine cambodgienne.
Avec l’émission du Aftenpost un nouveau scandale éclabousse la firme suite aux accusations d’une des participantes. Au lieu de faire preuve de transparence, la marque a préféré réitérer dans un communiqué son engagement pour « la mode éthique » et son appartenance au programme Better Factories Cambodia program de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
La communication responsable : un atout pour les marques
A travers ces faits d’actualités, c’est le problème de la responsabilité sociale de l’entreprise qui est soulevée. Celles-ci ne peuvent plus se cacher derrière le succès de leurs ventes. Il en va de leur image et de leur réputation. Les médias sociaux se sont ajoutés à la pression que pouvaient avoir les ONG sur les pratiques de ces grands groupes du textile. Ils constituent un levier d’envergure alors que les enjeux de réputation sont devenus fondamentaux. Il est de plus en plus difficile pour les marques de cacher leurs pratiques alors que des réputations peuvent se défaire en quelques tweets.

L’attitude négationniste de certaines marques comme H&M sont incohérentes et suicidaires notamment lorsque la marque suédoise a lancé sa campagne « conscious » qui promeut une « mode éthique » . Les consommateurs ne sont pas dupes et la marque risque lourd en terme d’image en utilisant l’argument éthique à des fins uniquement marchandes sans le respecter dans son fonctionnement interne. Plus récemment, dans le domaine de l’agro-alimentaire, MacDonald a dévoilé dans une vidéo les ingrédients contenus dans ses frites mettant en avant l’importance de la transparence quant à la fabrication de ses produits.
La prise de conscience de ces enjeux ne semble pas encore très effective dans le domaine de la fabrication textile. Même si des accords internationaux ont été signés par les grands noms du textile (C&A, Benetton, Marks & Spencer, H&M…) les engageant à un comportement responsable, notamment à garantir un salaire minimum décent, ceux ci manquent de force coercitive et semblent ne pas avoir les effets escomptés.
Alice Rivoire 
Sources :
lemonde.fr
challenges.fr
france24.com
youphil.com
Crédits photos :
ecouterre.com
sympatico.ca
france24.com
madame.lefigaro.fr

Publicité Benefit
Société

Benefit, Too Faced, the Balm, Buly… : le rétro-marketing des cosmétiques

Le 1er avril 2014, Paris a vu renaître la boutique Buly (anciennement Bully) rue Bonaparte, près des quais de Seine. Ramdane Touhami, touche-à-tout du monde de la mode et de la parfumerie (qui a notamment créé une marque de parfum, deux marques de vêtements et a révolutionné l’univers de la bougie chez Cire Trudon) et son épouse Victoire de Taillac, blogueuse beauté de référence, ont fait renaître de ses cendres la très ancienne officine apothicaire du parfumeur parisien phare du XIXe siècle : Jean-Vincent Bully. Son travail en cosmétique et en parfumerie avait à l’époque fait de la France le centre de l’Europe en matière de beauté.
Selon ces (nouveaux) créateurs, l’objectif est avant tout de faire de très bons produits à l’aide des secrets de beauté traditionnels du monde entier : de la poudre de Yunohana japonaise à l’huile de fruit d’açai d’Amazonie, tout y est pour satisfaire les besoins du client qui cherche l’efficacité des produits cosmétiques contemporains mais sans parabens, phenoxyetanol ou silicone, et fidèles aux recettes anciennes. Ce phénomène est ainsi conforme à la tendance du marché qui promeut le retour à davantage de « naturel » dans les produits. Mais Buly se distingue surtout par un marketing vintage extrêmement pointilleux : des noms de produits surannés (pommade concrète, eau rectifiée, opiat dentaire) sur des flacons en porcelaine pastels et décorés de scènes bucoliques, aux tubes en aluminium dont le packaging, minutieux jusqu’aux bouchons, nous fait penser à nos (arrières) grands-mères, en passant par les étiquettes calligraphiées des flacons de parfum : tout semble venir droit du siècle d’or de la beauté en Europe. Et malgré le grand écart qui semble apparaître entre la commercialisation de produits exotiques mais d’origine naturelle, et le marketing très « chic à la française », on retrouve une certaine unité dans la démarche de la marque : la recherche absolue de l’authentique.

Et même la boutique semble d’époque ! Pourtant, il y a encore quelques mois, elle n’était qu’une galerie d’art aux murs et au sol entièrement vierges. Chaque détail du magasin a été minutieusement « marketé » vers une tendance haut de gamme : robinet en bec de cygne anglais chiné chez un collectionneur, grands comptoirs recouverts d’un marbre rare, pierres de Toscane au sol, meubles élaborés comme au XVIIIe, portraits de beautés anciennes prêtés par la famille de Taillac ornant les murs… Tout est fait pour que le client soit plongé dans l’authenticité de l’univers du haut de gamme cosmétique et chic à la française.

Cosmétiques et vintage : une grande histoire d’amour
Le marketing vintage – ou rétro-marketing – n’est pourtant pas nouveau dans le secteur des cosmétiques. De nombreuses enseignes, telles que Too Faced, Benefit ou the Balm en ont fait un argument de vente, et même une part essentielle de leur identité de marque.
Palettes de fards à paupière Too Faced

Une partie de la gamme de produits The Balm
Si la nostalgie est clairement devenue un facteur marketing puissant, c’est qu’en période d’incertitude, elle renvoie le consommateur à des valeurs sûres. Buly choisit de s’inscrire dans la grande tradition de la parfumerie française du XIXe, alors que ses concurrents tournés vers le grand public font le choix de s’inspirer des années 50 et 60, des Trente Glorieuses, perçues comme une ère de prospérité et de bonheur. Dans un monde où l’inquiétude domine, la marque et son produit deviennent les symboles d’une époque plus rassurante. En outre, l’esthétique publicitaire et marketing de ces années est d’autant plus vendeuse aujourd’hui qu’elle est positivement connotée : très vite sont convoquées des figures emblématiques de la beauté et de la mode telles que Marylin Monroe ou Brigitte Bardot. On retrouve également ce type de représentations dans des séries telles que Mad Men, dont le dress code inspire de nouveau (les créateurs de Louis Vuitton autant que Mattel et la Barbie Mad Men). Ces codes esthétiques donnent à voir des couleurs pastels réconfortantes ou des couleurs vives symboles de joie et de bonne humeur – à l’exact opposé de la période « grise » que nous connaissons actuellement. Toujours au service de l’identité de la marque, le « rétro-marketing » est également mobilisé lors d’actions ponctuelles : Bourjois a ainsi réédité à l’occasion de son 150e anniversaire en 2013 sa mythique poudre de riz de java, s’ancrant à la fois dans cette tendance du marketing de l’authentique et réaffirmant dans le même temps sa légitimité dans le monde des cosmétiques.

Il reste cependant un élément important à souligner: comme l’explique Dominique Lévy-Saragossi, directrice générale d’Ipsos marketing France, « il y d’ailleurs une chose amusante : nous sommes nostalgiques d’une époque qui avait les yeux braqués sur nous. ». En effet, si nous nous tournons aujourd’hui vers les publicités et le marketing des Trente Glorieuses (au-delà même des cosmétiques : il suffit de voir que Perrier a rediffusé ses publicités les plus connues plus de 25 ans après leur création), il ne faut pas oublier que la publicité de l’époque s’efforçait alors d’imaginer le téléphone de l’an 2000, la voiture de l’an 2000, voire la ménagère de l’an 2000 ! Du futurisme publicitaire d’antan au rétro-marketing actuel, ou quand la communication retourne vers le futur…
Léa Lecocq
@: Léa Lecocq
Sources :
Le Supplément de Canal +
ispsos.fr
gestion.he-arc.ch
buly1803.com
next.liberation.fr
obsession.nouvelobs.com
Crédits images :
benefitcosmetics.com
d210vlyat54t3c.cloudfront.net
referentiel.nouvelobs.com
generationcosmethique.com
missbudgetbeauty.co.uk
bourjois.fr

JMLP Jean Marie Le Pen
Flops

Keep calm and…

Vendredi 9 janvier, lors des prises d’otages dans un supermarché casher ainsi que dans une imprimerie de la ville de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) par des terroristes islamistes, Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du FN a fait publier sur son compte Twitter ce message : « Keep calm and vote Le Pen ».
On assiste ainsi à un très bel exemple de récupération politique des événements qui se sont déroulés il y a déjà deux semaines. Ce tweet a d’ailleurs provoqué un véritable tollé sur la Toile.
Mais pourquoi ces propos font-ils au juste polémique ?
Selon Libération, l’intéressé aurait déclaré : «Ainsi il y aurait des manifestations républicaines et maintenant des convenances républicaines qui font qu’on ne pourrait pas parler d’élections pendant une prise d’otages. Ce fait divers est un fait social qui aura des conséquences politiques. Ce que l’on nous reproche, c’est d’avoir raison avant tout le monde. Nous n’allons pas nous taire aujourd’hui pour laisser certains jouer les parangons des vertus républicaines en défilant dans la rue.»
On pourrait en effet ne pas s’en offusquer il pratique la liberté d’expression. N’est-ce pas d’ailleurs un des enjeux majeurs au centre des événements de ces dernières semaines ?

A propos du message…
Plusieurs raisons peuvent expliquer la majeure partie du rejet de ce type de message. Il y a tout d’abord, comme l’explique le philosophe Xavier Landes sur Slate, « un temps pour le recueillement, la compassion, le soutien sans condition et un autre pour l’analyse critique ».
Egalement dans deux ans reprend la campagne pour les élections présidentielles. Jean-Marie Le Pen a donc ainsi sauté sur l’occasion, sur un moment où des vies humaines étaient en jeu, profitant de cette période de terreur, de désarroi et de colère pour communiquer son message. Un message qui se veut une réponse aux sentiments et à la situation de la population française, surfant ainsi sur une idéologie divulguée à demi-mot.
Aussi le message diffusé sur le compte de Jean-Marie Le Pen reprend celui d’une célèbre affiche de 1939, « Keep Calm and Carry On », qui aurait dû être publiée par le gouvernement britannique afin de rassurer la population en cas d’invasion ennemie… L’équipe de communication de Jean-Marie Le Pen avait-elle conscience du contexte d’énonciation dans lequel cette affiche aurait dû servir ? Il faut toutefois ajouter qu’elle n’est pas la seule à avoir réutilisé ce message. Il a en effet beaucoup été repris pour différents usages commerciaux. Or, il s’agit ici d’un contexte politique et idéologique grave. Les terroristes s’en sont pris à la liberté d’expression, à l’autorité incarnée par des policiers ainsi qu’à une partie de la population de confession juive. Ils incarnent une idéologie à la violence évidente, une véritable menace pour les valeurs et les principes qui se veulent défendus par la France. Ainsi dans le cas présent, l’équipe de communication de Le Pen a publié, non l’affiche, mais le tweet. Elle a donné ainsi l’impression d’avoir accompli ce que le gouvernement britannique n’a pas fait durant la Seconde Guerre Mondial, en cas d’invasion. Invasion. Le mot est lâché et peut être n’est-il pas si anodin.
Dire que ce message a été diffusé en prenant consciemment en compte cette référence historique serait trop hâtif. Or il paraît évident que ce message joue sur les peurs et les amalgames qui voudraient établir un lien entre terroristes islamistes, musulmans et immigration, d’autant lorsque l’on connaît la politique que défend le parti d’extrême droite.
Il ne faut toutefois pas être naïf : connaissant le personnage de Jean-Marie Le Pen, et se douter qu’il y a sûrement eu une volonté de polémiquer en usant d’un discours simplifiant les événements à son avantage.
Il faut pouvoir entendre tous les avis, toutes les opinions car elles sont le reflet d’une partie de la société et nous devons les prendre en considération. Cependant entendre, écouter ne veut pas forcément dire approuver. La liberté d’expression est également un moyen de lutter contre certaines idéologies extrémistes et de montrer tout la bêtise et l’absurdité qui peuvent en découler.
Hélène Hudry
Sources :
liberation.fr
huffingtonpost.fr
slate.fr
Crédits photos :
liberation.fr
francetvinfo.fr

internet of things
Flops

Les objets connectés peuvent nous tuer

Une vie de plus en plus connectée
L’internet des objets (Internet of things en anglais) est une dénomination qui semble surprenante, mystérieuse, qui sort du quotidien parce qu’on ne l’entend pas si souvent que cela. Et pourtant, elle recouvre l’ensemble des objets courants connectés à Internet, objets que l’on ne remarque même plus tant leur présence est banalisée : ils sont devenus infra-ordinaires. On parle ici des voitures, des balances, ou encore des pacemakers, bref, pas seulement des ordinateurs ou des téléphones portables. En somme, dès qu’il y a échange d’informations et de données, dès qu’il y a communication entre les mondes virtuel et physique, on a affaire à l’Internet des objets. A l’origine, ces objets connectés étaient conçus pour faciliter la vie de tous les jours (domotique, e-santé), pour apporter plus de sécurité comme l’expliquait le chercheur britannique Kevin Ashton qui a développé ce concept. Le CES (Consumer Electronics Show), organisé à Las Vegas début janvier, a d’ailleurs présenté ceux qui feront nos beaux jours à l’avenir. Ces objets, parce qu’ils occupent une place grandissante dans notre vie de tous les jours, témoignent bien de notre techno-dépendance. Ils nous ouvrent le champ des possibles, nous offrent la chance d’être relié au reste du monde, nous font économiser du temps et des ressources.

Vol des données personnelles, attaques à distance : désaveu de la confidentialité
Mais cet aspect pratique ne saurait éclipser les dérives et les dangers qui pèsent sur les utilisateurs. L’année 2013 a marqué un véritable tournant dans la manière dont nous percevions Internet et les nouvelles technologies avec l’affaire Snowden et les révélations concernant Prism, le programme de surveillance de la NSA. Nous sommes surveillés, nos données n’ont plus rien de personnel et nous le savons, elles sont devenues les proies de nombreux acteurs, privés et publics, qui cherchent à mieux identifier leurs cibles et leurs attentes (état de santé, état civil, recherches effectuées sur Internet, coordonnées). Cela a d’ailleurs lancé une fameuse plaisanterie, pour le moins glaçante, de James Lewis : un expert du CSIS (Center for Strategic and International Studies) à Washington : « lorsque vous composez un numéro de téléphone, sachez qu’il y a au moins sept personnes au bout du fil ». En France, les autorités ont conscience de ce problème et l’Observatoire des libertés et du numérique met en garde les utilisateurs, mais nous sommes en droit de nous interroger sur les moyens dont nous disposons afin de limiter notre exposition. L’appareil législatif est encore bien faible, et ce malgré quelques chartes signées (qui commencent à être dépassées) notamment concernant le Droit à l’oubli numérique-2010. L’Europe et le Parlement se sont positionnés l’année dernière, suite aux révélations concernant la NSA, en faveur d’un « droit à l’effacement des données ». Le paradoxe entre croissance économique et respect des libertés fondamentales, qu’on ne parvient pas à dépasser et à résoudre, ralentit toujours les discussions.

 
Rapport alarmant d’Europol : l’heure du crime par Internet a-t-elle sonné ?
Mais la surveillance et l’intrusion puis la vente de nos données privées sont-ils les seuls maux que nous sommes amenés à craindre ? La menace d’un crime par Internet plane sur nous. Et il ne s’agit pas d’un scénario catastrophe tiré d’un mauvais film de science-fiction. En effet, on mentionnait précédemment les pacemakers et l’e-santé, or, en juillet 2013, Barnaby Jack, un hacker néo-zélandais, a déclaré être dans la possibilité de se connecter à un pacemaker, d’en modifier le fonctionnement pour tuer son porteur tout en restant à 90 mètres de la scène de crime. Il devait en apporter la preuve à l’occasion de la Black Hat USA 2013, une conférence organisée sur le thème de la sécurité informatique. Il fut retrouvé mort peu de temps avant l’événement. Cette peur est bien réelle comme nous le révèle l’affaire Dick Cheney rendue publique par l’émission américain 60 Minutes. Nous sommes alors en 2007 et le Vice-Président américain subit une intervention pour ne pas que son pacemaker puisse être piraté à distance par d’autres dispositifs de communication. Il craint d’être assassiné à distance par des terroristes.
Peut-on vraiment tuer grâce à l’Internet des objets ? La menace est en tout cas prise au sérieux puisqu’un rapport d’Europol paru l’année dernière, The Internet Organised Crime Threat Assessment, revient sur ce risque que l’organisation de police juge « préoccupant ». Le document rappelle les risques d’extorsion, de chantages et note qu’ « avec la multiplication des objets connectés à Internet, nous devons nous attendre à la multiplication croissante d’attaques ». Mais ce n’est pas tout puisqu’il est aussi question « de blessures physiques voire la mort ».
Jules Pouriel
 
 
 
Sources :
Courrier International, 8 janvier 2015
Options, Surveillances, pouvoir dire « non », juin 2014
connectedobject.com
 
Crédits images :
 
France info
Amazon
Socialproma

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Sexe faible, vous dites ?

La fin d’une ère sexiste et le début d’une égalité des sexes dans la publicité ?

Combien de fois a-t-on pu entendre des critiques virulentes sur l’image de la femme véhiculée par la publicité ? Combien de mouvements féministes crient au sexisme, au machisme et dénoncent l’instrumentalisation du corps devenu objet de celles qu’on appelle le « sexe faible » ? Il est à vrai dire impossible de le savoir. Il serait bien trop long de les dénombrer. En revanche, cela prendrait nettement moins de temps de compter les plaintes clamant une atteinte à l’image de l’homme dans la publicité : celles-ci sont quasi nulles.
Et pourtant, dans le monde publicitaire, l’homme semble aujourd’hui en prendre pour son grade, tandis que l’image de la femme paraît, elle, s’être nettement améliorée au fil des années. Le slogan « pour elle un Moulinex, pour lui un bon petit plat » de cette publicité vous semble le plus courant ? Et pourtant, il paraît loin de nous le temps où l’on représentait l’homme comme le maître de maison virile qui n’a qu’à mettre les pieds sous la table en attendant que son repas préparé avec amour par sa gentille femme ne soit posé devant lui. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée, et, au regard de la pub, la formule « sexe faible » semble ne plus rimer à rien. Ou du moins, c’est ce que l’on pourrait croire. Prenons le temps de poser notre regard sur quelques publicités d’aujourd’hui et amusons-nous à y inverser les sexes…

Hommes, soyez soumis à vos femmes !

On est ici bien loin de l’homme dominant et fort.
Il est nu, sans défense et ses muscles n’y peuvent rien face à des femmes en surnombre.

Cette pub va plus loin encore : au placard la femme soumise à l’homme, elle le tient ici en laisse.
Les hommes sont animalisés et dominés par une seule et unique femme.

Homme, sois beau et tais-toi !

L’homme est ici l’objet qui vient attirer le regard. Ce ne sont plus les formes féminines généreuses qui font vendre : aujourd’hui, c’est l’homme qui devient un appât.
L’homme est beau, l’homme est musclé, on lui ferait vendre n’importe quoi… Même du thon !

Mais… derrière chaque homme faible se cache une femme
Hommes nus soumis à des femmes en surnombre, hommes réduits à l’état d’animal et traînés en laisse, hommes à la plastique de rêve qui ne servent qu’à exposer leurs muscles huilés… Voilà bien des images qui feraient hurler plus d’une association féministe si les sexes y étaient inversés. Et pourtant, rien ne se fait entendre du côté de la gente masculine. Est-ce parce que cette dernière se sent responsable des années de sexisme publicitaire ? Ou est-ce plutôt parce que cela fait tout simplement… Rire ? L’image d’une femme nue tenue en laisse choque, révolte, mais celle de l’homme fait sourire. C’est que, finalement, on ne croit pas à cette image, cette image n’effraie personne et surtout pas les hommes. Sur ces affiches publicitaires, c’est une réelle inversion des rôles qui est mise en scène. On ne crée pas une nouvelle forme de sexisme qui aurait ses propres codes et qui renverrait à la domination de la femme sur l’homme, on transpose tout simplement des stéréotypes sexistes féminins sur un autre sujet. Ainsi, lorsque l’homme est considéré comme faible, il est féminisé. C’est une femme qui se cache derrière l’homme faible car l’homme faible n’est finalement pas réellement homme.

Une nouvelle forme de sexisme ?
Ces publicités, plus que de prôner une avancée du féminisme et de l’égalité des sexes, ne font que renforcer cet imaginaire de l’homme dominant la femme. Si ces publicités fonctionnent, accrochent le regard et marquent les esprits, ça n’est pas parce qu’elles provoquent, comme le font habituellement les pubs sexistes envers les femmes, mais parce qu’elles font rire en référant à ce que l’imaginaire collectif considère comme étant « le sexe faible ». Lorsque l’on voit une publicité telle que celle que nous voyons juste en dessous, peu de personnes échapperont à l’idée qui se cache derrière l’image : ça n’est pas la place de l’homme d’être considéré ainsi, c’est habituellement celle de la femme. C’est en effet la femme qui est le plus souvent victime de harcèlement sexuel et la publicité joue sur cette inversion des rôles, ce qui provoque le rire.
Il serait faux de dire que ce spot publicitaire se moque des mouvements féministes, mais il serait également faux de dire qu’il dénonce réellement un harcèlement typiquement masculin. Cette publicité revendique bien l’existence d’un sexisme, elle admet la réalité du harcèlement sexuel, mais, en nous montrant un homme qui en est victime, elle nous dit bien « ceci n’existe pas » ou du moins, « ceci est rare, vous pouvez en rire, ce n’est pas une réalité condamnable ».

La réussite par l’humour
La publicité, en une simple image et une courte phrase, doit réussir à capter l’attention d’un passant, d’un téléspectateur zappeur, ou d’un lecteur publiphobe. La tâche est fastidieuse. Quelle meilleure façon alors que d’utiliser l’humour ? Mieux encore, quelle meilleure façon que de faire rire en faisant référence à une réalité connue par tous ? Si l’humour et la référence commune sont la clé de la réussite pour un publicitaire, les féministes devraient peut être également l’envisager de la sorte ?… Mieux vaudrait-il peut être rire de ces affiches sexistes où la femme est instrumentalisée ? Du moins, une chose est sure : l’égalité des sexes ne sera avérée que le jour où l’on rira autant d’une publicité sexiste s’attaquant à l’homme que d’une publicité sexiste s’attaquant à la femme…
Et puis… Honnêtement, cette publicité ne vous fait pas rire, vous ?

Valentine Cuzin
Sources :
topito.com
madame.lefigaro.fr
advertisingtimes.fr
igvm-iefh.belgium.be
image-de-lhomme-dans-la-publicite.blogvie.com
users.skynet.be

Crédits photo : 
advertisingtimes.fr (1) et (2)
vivelapub.fr
youtube.com
le-tigre.net
cafoutch.net
lematin.ch

je suis charlie fastncurious
Société

Je suis Charlie : Chronique d'un évènement historique

Historicité à deux mesures
Pour devenir historique, un évènement est en permanence le jeu d’une confrontation entre l’ancien et le nouveau. Il doit entrer dans une certaine continuité avec le passé, ce qui lui vaut d’être parsemé de références historiques. Mais il doit aussi faire preuve de rupture, pour se démarquer et avoir une place légitime dans le processus d’historicité.
Je Suis Charlie ne déroge pas à la règle avec, d’une part des références historiques à la philosophie des Lumières, à l’esprit Voltairien et aux références picturales classiques; et d’autre part la nouveauté des réseaux sociaux, qui ont fondamentalement participé à la construction de l’évènement historique, par leur logique de viralité. Ainsi, les livres d’histoire se devront de traiter cette double historicité: celle relative à l’analyse factuelle de ces attentats; et celle attenante au rôle des réseaux sociaux dans le rassemblement populaire qui en a découlé.
S’informer plus vite pour comprendre moins: les réseaux sociaux
Pour Nicolas Vanderbiest, doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication et social media analyst pour des entreprises « Twitter est un réseau social par excellence en cas de crise. » Une théorie qui s’est confirmé les 7, 8 et 9 janvier derniers. Pendant ces trois jours, Twitter est pratiquement devenu un moteur de recherche à part entière. Nombre de personnes se sont informées sur les attentats et les avancées de la traque policière préférant Twitter aux sites d’informations plus traditionnels ou agrégateurs d’actu’ tel que Google Actualités. Le point commun entre un site d’informations et Google Actu est qu’ils recensent tous deux des articles écrits par des journalistes, nécessitant ainsi un minimum de temps de travail. Or pendant ces trois jours, du temps que la traque n’était pas terminée, du temps que ces terroristes couraient toujours dans la nature, la France ne pouvait attendre les premiers articles d’analyse et s’est alors plongée dans l’information en continu de Twitter.
Il convient également de dire que cette frénésie qui s’apparentait à une « dictature de l’instant » a été alimentée par les médias traditionnels: en effet, pour TF1 et France 2, le temps s’était aussi arrêté. Les deux grandes chaînes avaient en effet cassé leur grille de programmation pour se consacrer à des après-midi entiers d’antenne, concurrençant ainsi directement les chaînes « tout info ».
Cependant, les informations qui fluent sur Twitter ne sont pas que celles des journalistes, mais aussi celles de citoyens peu emprunts à la vérification de leurs dires. Et pourtant beaucoup de ces contenus sont retweetés en chaine, répandant rumeurs et intox sur la Toile. Quoi de mieux pour donner du grain à moudre aux théories conspirationnistes qui, plus de deux semaines après ces évènements tragiques, fleurissent sur la Toile ?
Je Suis Charlie: slogan et hashtag
Mais, pour devenir un véritable moteur de recherche qui soit un portail d’entrée sur l’actu en continu de l’avancement de l’enquête, de l’énumération des victimes, du recueil des témoignages et des suites de la traque, Twitter avait besoin d’un mot-clé où tout puisse être recensé. #JesuisCharlie est le hashtag qui s’est imposé. Ce hashtag permet de faire converger toutes les informations et de donner un point d’entrée dans l’évènement. Mais il permet aussi de centraliser tout le mouvement de soutien et de mobilisation contre cette barbarie, en reprenant le visuel de Joachim Roncin. #JesuisCharlie n’est alors que la traduction textuelle, adaptée au codage Twitter, du visuel « Je suis Charlie », crée par le directeur artistique du magazine gratuit Stylist.

Avec le slogan « Je Suis Charlie », nous sommes dans une solidarité en toute retenue. Le message est extrêmement sobre et neutre n’affichant aucun signe d’appartenance, si ce n’est la typographie du journal « Charlie » et le code couleur noir et blanc porteur de la symbolique du deuil. Et c’est ainsi que tout un chacun peut se l’approprier, sans exception.
La simplicité et la brièveté du message entrent également en jeu dans la faculté de ces trois mots à devenir aussi viraux. En reprenant les codes du slogan publicitaire, son impact est beaucoup plus fort que tous les discours d’émotion et d’éloge. L’emploi de la première personne du singulier se veut à la fois fondamentalement individuel – car porter ce message signifie s’identifier personnellement – ; mais amène paradoxalement à un sentiment d’appartenance collective. Je suis Charlie est véritablement rentré dans la mythologie iconique de l’évènement, jusqu’à couvrir plusieurs sens : un slogan crié dans les rues, une image reprise par des millions des personnes et un mot-clé de référence pour la recherche d’informations.
Le Crayon guidant le peuple
L’iconicité ne s’arrête pas ici. Parmi toutes les photos prises lors de la Marche Républicaine, on aurait pu s’attendre à une rivalité amateurs/photographes, quant à celui qui captera « la » photo, celle qui rentrera dans les livres d’Histoire. Pourtant, le consensus s’est rapidement fait autour de celle du photographe indépendant Martin Argyroglo.

Le cliché s’est imposé comme une évidence puisqu’ il recèle une multitude de référents picturaux, dont les plus cités se retrouvent dans les tableaux de Delacroix et de Géricault, respectivement La Liberté guidant le peuple et Le Radeau de la Méduse. Le rapprochement établi avec ces classiques de la peinture romantique de la première moitié du XIXème siècle, accentue encore davantage l’historicité de l’évènement.
Ainsi, la photo d’Argyroglo reprend les mêmes ressorts de l’esthétique et de la scénarisation que ceux du tableau de Delacroix avec cette idée de révolution impulsée par un peuple uni autour de valeurs communes (la liberté d’expression en tête). L’assimilation au Radeau de la Méduse est plus subtile mais la photographie convoque en nous l’image d’un peuple qui flageole. La combinaison des deux nous donne donc un peuple qui est à la dérive, mais qui face à un ennemi commun, s’uni et s’élève ensemble pour résister.
En définitive, un slogan de ralliement, un visuel fort, des références historiques, sont autant d’éléments qui contribuent à la fabrication d’une matérialité de l’émotion inscrite dans un processus de mémoire collective au service de l’Histoire (celle avec un grand H).
Marie Mougin
@mellemgn
Sources: 
MUST READ
Analyse de #jesuischarlie sur les réseaux sociaux – Reputatio Lab
Les images “iconiques” du 11 janvier, un monument involontaire? –  L’image sociale
GO FURTHER
Guillaume Meurice renonce à sa chronique dans « La Nouvelle Edition » de Canal+ après le refus de diffuser un dessin de Charb – Huffington Post
Pourquoi les Anonymous «sont Charlie» – France Culture Plus #politique
Penser l’école après Charlie – France Culture Plus Babel Oueb
Témoignages
« C’est Charlie, venez vite, ils sont tous morts » – Le Monde
Luz à propos de la une de «Charlie Hebdo» : « C’était mon dernier jus » – Libération
« Il a appelé BFM et leur a demandé de changer leur bandeau » – L’Observatoire des médias
Riss de « Charlie Hebdo » sur France 2 : la peur d’être « achevé » – Nouvel Obs le Plus
A Dammartin-en-Goële, huit heures sous un évier, les frères Kouachi à côté – Libération
L’islam et les valeurs occidentales
Du Coran et de la liberté de penser – La Vie des idées
De la peur à l’intolérance– La Vie des idées
Du religieux au politique : la philosophie islamique– La Vie des idées
L’islam peut-il être français ? –La Vie des idées
L’attentat contre Charlie Hebdo vu par Farhad Khosrokhavar – Bondy Blog
Olivier Roy : « La peur d’une communauté qui n’existe pas » – Le Monde
réseaux sociaux
#JesuisCharlie, #JesuisFlic, #JesuisNico : ce que nous ont appris les réseaux sociaux – Nouvel Obs le Plus
Etre ou ne pas être Charlie : les hashtags en chiffres – Libération
Attentats: comment la Gendarmerie a crevé l’écran sur Twitter – L Express
 vues de l’étranger
Drawing the prophet: Islam’s hidden history of Muhammad images – The Guardian the Observer
I Am Not Charlie Hebdo – New-York Times
Beware of curtailing freedom of expression in the name of #CharlieHebdo – World News Publishing Focus by WAN-IFRA
Polis – Citizen terrorism: the Paris killings and networked media
Polis – The right response to Charlie Hebdo: fear and humanity
Polis – Charlie Hebdo and the Other Within (guest blog)
 Crédits photos:
 Marche Républicaine
Martin Argyroglo
 
 
 

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actricenoire
Agora, Com & Société

Not classically beautiful

Scandal, série de la chaîne ABC, lancée en 2012 : c’est la première fois qu’on voit une héroïne noire dans une série télévisée depuis les années 1970.
Entre politique de quotas et stéréotypes, la représentation des minorités ethniques dans les séries américaines dispose d’une influence culturelle certaine en raison de l’exportation massive de ces séries dans les pays occidentaux. Les politiques de quotas poussent à croire à une diversité dans la fiction télévisée, mais elles constituent plutôt une illusion que le facteur d’un changement social.
Sans réel équivalent français, ce qu’on appelle le « tokenism » est la pratique qui pousse à inclure un peu d’une minorité ethnique ou sociale dans un groupe, sans pour autant les mettre sur un pied d’égalité en termes de crédibilité ou de pouvoir. Exemple de tokenism : mettre à l’écran un noir pour qu’il représente, voire qu’il parle au nom de tous les autres noirs. Ou lors d’un congrès scientifique, mettre une femme dans une conférence pour qu’elle représente toutes les femmes de ce champ. Dans la fiction française, on peut parler de tokenism quand on rencontre un arabe qui joue « le banlieusard des cités », en somme « le beur de service » par excellence. La politique de quotas donne alors lieu à une représentation superficielle des minorités dans le monde de la fiction.
Ce changement socio-moral est pourtant essentiel. Les séries, comme le cinéma, en particulier grand public, permettent de créer une vision particulière, de produire un langage avec de nouvelles représentations. Les séries permettent aux publics de s’immerger dans des univers qui semblent reproduire la société, avec ses normes, ses aléas et ses relations humaines. Mais s’agit-il seulement de divertissement lorsqu’on sait qu’elles disposent d’un impact considérable sur les représentations sociales ? Ainsi, les fictions télévisées les remettent en cause, tel que dans Girls de Lena Dunham qui propose des figures féminines plus réalistes, ou les cristallisent, comme en France dans Scènes de Ménage où l’humour repose entre autres sur les stéréotypes genrés. Elles ne sont pas à considérer comme un miroir sociétal, mais comme un dispositif qui montre les manières de voir, et donc qui peut réellement changer les représentations et les stéréotypes, notamment ethniques.

Shonda Rhimes : le progressisme en vogue 
Shonda Rhimes est réalisatrice, productrice et scénariste de télévision. A l’origine de Grey’s Anatomy, de Private Practice, du thriller politique Scandal, elle s’adresse au grand public en bousculant les normes. Dans ses histoires : des personnages homosexuels, des femmes fortes et des minorités ethniques, sans les pointer du doigt en tant que tel. Zéro tokenism dans les fictions de Rhimes. Dans sa dernière série, How to Get Away with Murder, lancée en septembre 2014 sur ABC, l’héroïne est une grande avocate, interprétée par Viola Davis. C’est une femme noire, sans en faire une particularité : pas de pathos, de pauvre fille issue du Bronx ni de lutte acharnée pour l’ascension sociale. Shonda Rhimes, à travers ses personnages, revendique alors une modernité saisissante qui jure encore malheureusement avec le reste du paysage audiovisuel américain.
Dans How to Get Away with Murder, une scène bouleversante : Viola Davis se démaquille et enlève perruque, maquillage, faux cils, comme pour enlever son armure, pour se mettre à nue devant le miroir, face à elle-même. Ni apprêtée, ni métisse, la peau foncée percute l’écran de par sa rareté. Alessandra Stanley, critique du New York Times, ne voit pas la mise à nue d’une femme, mais seulement celle d’une « noire ». Dans sa critique de la série, elle a été accusée de perpétuer le stéréotype de la « femme noire en colère ». En effet, elle commence son article par « When Shonda Rhimes writes her autobiography, it should be called “How to Get Away With Being an Angry Black Woman.”», (Si Shonda Rhimes devait écrire son autobiographie, cela s’appellerait « Comment s’en sortir en étant une femme noire en colère »).

Rhimes n’a pourtant pas ressorti le stéréotype de la femme noire en colère. Elle compose son personnage en estimant qu’il n’y a pas de choses qu’un personnage noir doit faire ou ne doit pas faire à la télévision, comme si le fait de faire exister un personnage noir devait justifier des comportements précis. Un déterminisme racial. Le personnage de Viola Davis est fort, mais aurait-on parlé de angry white woman si elle avait eu un physique occidentalisé ? La journaliste poursuit. Puisque Viola Davis a la peau plus foncée que Kerry Washington, l’héroïne de Scandal, elle est décrite par Alessandra Stanley comme « classically not beautiful » (pas une beauté classique). Euphémisme. En utilisant ces termes, elle diffuse alors l’idée d’une hégémonie de la beauté occidentale et blanche. Elle pointe directement du doigt la couleur de peau du personnage, qui n’a alors pas de lien, ni avec la narration du récit ni avec la trajectoire personnelle du personnage.
En balayant du revers de la main les standards sociaux, Shonda Rhimes et ses personnages connaissent un incroyable succès auprès du grand public américain. Elle fait partie des personnes les plus influentes du monde selon le classement du Time. Toute la programmation du jeudi soir de ABC est dédié à ses créations. Chacune de ses séries constitue un record d’audience, jusqu’à dépasser Game of Thrones. Cela montre quand même une appétence du grand public pour de nouveaux personnages, dont la couleur de peau, le sexe ou l’orientation sexuelle ne sont plus qu’une caractéristique parmi d’autres.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
lesinrocks.com
nytimes.com
publiceditor.blogs.nytimes.com
slate.com
Crédits photos :
ABC Studios
Frederick M. Brown

ruinart
Société

Quand alcool rime avec art

Dom Perignon & Jeff Koons, Ruinart & Georgia Russel, Louis Roederer & Philippe Starck sont autant d’exemples de collaborations entre marques d’alcool et artistes. Ces associations suivent l’exemple du Château Mouton Rothschild qui confie dès 1945 à un artiste, le soin de customiser sa célèbre étiquette. Se succéderont ainsi, Dali, Chagall, Picasso, Niki de Saint Phalle, Pierre Soulages et Jean Cocteau entre autres, pour perpétuer la renommée artistique de la marque.
  
 

Un ressort de plus en plus souvent utilisé par les marques d’alcool
L’association entre artistes, designers et marques d’alcool est une stratégie de plus en plus utilisée. Ces partenariats diversifient les activités de la marque et tentent de cibler de nouveaux consommateurs via le monde de l’art. L’objectif est également de parvenir à contourner les mesures de la Loi Evin du 10 janvier 1991, limitant la publicité pour boissons alcoolisées à un discours purement informatif.
 
Dans cette perspective, co-branding et « celebrity marketing » modifient le packaging du produit ou des accessoires qui lui sont reliés – en témoigne par exemple le sabre à champagne revisité par Ross Lovegrove pour G.H. Mumm – et lui donnent ainsi une nouvelle identité. Cet argument esthétique permet à la marque de se rapprocher du consommateur.

 
 
Par des investissements dans le monde de la musique, les marques deviennent des mécènes soutenant de jeunes artistes prometteurs, et plus globalement la création artistique. Si cette activité s’apparente à du sponsoring, force est de constater qu’elle est aujourd’hui la bienvenue car elle pallie au déficit des aides publiques. Par le biais de ces activités, et en s’abstenant d’afficher clairement son nom, l’ADN de la marque est très présent lors de ces manifestations (couleurs, symboles, goodies, consommations), le but premier étant l’association entre les deux entités.
Ainsi, le Pression Live de Kronenbourg ou la Green Room de Heineken et les plateformes dédiées incarnent parfaitement cette tendance. En effet, Pression Live et Kronenbourg sont totalement dissociés d’un point de vue juridique, respectant ainsi les contraintes de la Loi Evin. Il existe cependant d’autres liens stratégiques : Pression Live assure la promotion des événements au cours desquels les produits Kronenbourg sont majoritairement présents avec une programmation musicale établie selon le profil type du consommateur Kronenbourg.

 
Ces actions jouent sur l’argument de l’éphémère, du précieux par des concerts uniques, une production en édition limitée, sur une période donnée, à un prix plus élevé que d’habitude. Les coffrets réalisés par Jeff Koons pour les cuvées rose vintage 2003 et vintage 2004 de Dom Pérignon, inspirés d’une de ses sculptures « Balloon Venus » sont limitées à 650 exemplaires dans le monde, dont 30 en France, vendus 18 000 euros pièce.

Au-delà du gain en termes de visibilité, quels sont les avantages de ces partenariats ?
Les marques se positionnent en amont des tendances, comme découvreuses de jeunes artistes. Le produit devient une création artistique chargée en émotion dont l’aspect négatif lié à l’alcool est éludé au profit de ses attributs artistiques. Par cette collaboration, il entre dans le patrimoine de la marque et devient une œuvre d’art accessible aux consommateurs. Les fans de l’artiste constituent une communauté que l’entreprise transforme en consommateurs.
 
De plus, les aspects de communication ne se limitent pas au design de la bouteille : chaque collaboration donne naissance à une communication 360° et à des opportunités de branding autour du travail de l’artiste, de ses inspirations, de son œuvre, de son envie de collaborer avec la marque. Une histoire s’écrit et est racontée aux consommateurs.
Le site Ruinart raconte sa relation avec Georgia Russel, artiste plasticienne écossaise, autour des Crayères et du Grand Livre consignant les performances fondatrices de la maison Ruinart depuis 1729 qui ont inspiré l’artiste. S’ajoutent à cette communication, des événements organisés autour des projets. Ainsi, ses œuvres ont été présentées dans de nombreuses foires d’art contemporain, dont Ruinart est partenaire (Art Basel Miami Beach, Art Basel Hong-Kong, Masterpiece London).

 
 
 
 
 
Comme le souligne Olivier de Cointet, consultant auprès de marques de luxe et fondateur de Pluris : « Les créateurs sont devenus des médias. Les maisons qui collaborent avec eux s’achètent leur audience. Regardez les cas de Jeff Koons et Karl Lagerfeld, leurs collaborations ont permis à Dom Pérignon de toucher un public international. Pour les plus petites maisons, « s’offrir un artiste », quelle que soit sa notoriété, c’est aussi le moyen d’intégrer le cercle des marques de luxe.»
 
Au-delà de ce récit proposé aux consommateurs et aux médias, le choix de l’artiste répond à un besoin stratégique qui dépend directement des objectifs commerciaux de l’entreprise.
La marque de cognac Hennessy a donc choisi de collaborer avec le rappeur Nas pour toucher le marché américain. Selon son président Bernard Peillon : « Le cognac incarne l’anti-establishment, l’anti-scotch. Et la communauté afro-américaine, avec l’émergence du rap, s’est appropriée Hennessy. C’est d’ailleurs la marque la plus citée dans les paroles de hip-hop. D’où cette collaboration avec Nas. »
 
Ainsi, par la musique ou par l’art, la marque entre en contact avec le public d’une manière différente, plus originale. Cette nouvelle facette rend la marque plus attractive aux yeux des consommateurs. Le seul risque demeure l’effacement du produit au profit de son emballage ou de son mode distribution original. Valoriser le contenu d’un produit devenu une œuvre d’art signée semble en effet s’apparenter à une opération complexe.
 
Quelles sont les réactions associées à ces événements ?
Dans le monde musical, si les consommateurs rejettent la publicité, ils acceptent l’association entre marques et manifestations culturelles en raison de la gratuité des concerts qu’elle entraîne.
Les festivaliers rejettent la communication Heineken mais sont de plus en plus nombreux à participer aux événements Green Room. En effet, 65,2% des festivaliers pensent que les marques permettent une meilleure expérience du festival.
Pourtant, les effets de cette présence sont nuancés : en effet selon une étude Green Room, seulement 31% des festivaliers se déclarent plus sensibles aux marques après leur présence sur un festival.
 
Ainsi, ces partenariats répondent à des exigences plus stratégiques et commerciales que réellement artistiques. Ils ont pour but principal une hausse des ventes et de la reconnaissance de la marque par le public. A terme, on peut se demander si une bouteille de designer n’en chasse pas une autre en emportant avec elle l’acte d’achat de nouveaux consommateurs ?
Le véritable enjeu demeurant l’évaluation de la visibilité de ces actions et leurs répercussions en termes d’achat et d’image de marque.
Clarisse de Petiville
@: Clarisse de Petiville
 
Sources :
e-marketing.fr
guycouturier-mcmanagement.com
lemonde.fr
slideshare.net/constancegros
toutelaculture.com
greenroomsession.fr
 
Crédits photo :
ftape.com
designboom.com
ruinart.com
particuledeluxe.com
whitewallmag.com
greenroomsession.fr
danstapub.com
observer.com
chateau-mouton-rothschild.com
brasseries-kronenbourg.com

Société

Copwatching : la surveillance de la surveillance

Scènes d’interventions gendarmesques musclées, de policiers tabassant sans vergogne ceux qu’ils interpellent ou d’affrontements verbaux entre forces de l’ordre et citoyens… Elles sont devenues légion sur le net et prolifèrent sous l’étendard du “copwatching”. Comprenez : “la surveillance des flics”.

Ce mouvement militant, auto-qualifié “observatoire citoyen des pratiques policières”, institue des bénévoles lambda – les copwtachers – au rang de surveillants des surveillants dans le but de dénoncer et médiatiser les éventuels dérapages des autorités policières.
Cette mission citoyenne passe principalement par la collecte puis la diffusion d’images – photographies ou vidéos – de policiers dans l’exercice de leur fonction, afin de détenir des preuves accablantes en cas de bavures, vices de procédures ou violences. Cette démarche encourage également la demande d’enquêtes, le dépôt de plaintes et les pétitions, recoupant ainsi un débat social de plus large envergure : celui du rôle et de la nature d’une police “idéale et démocratique”.
L’idée générale qui justifierait le copwatching est “que la population et les médias ont un rôle de surveillance vis-à-vis de la police, qui doit sans cesse leur rendre des comptes” (Michaël Meyer, sociologue spécialiste des relations entre police et médias).

Le copwatching est officiellement né en 1991 aux Etats-Unis à Berkeley après la diffusion d’une vidéo amateur montrant le passage à tabac d’un citoyen noir par des policiers blancs. Ce réseau d’associations s’est depuis étendu à d’autres pays (France, Canada et Royaume-Uni principalement) et prend aujourd’hui une ampleur inédite grâce à l’essor des nouveaux supports et techniques médiatiques.
Le citoyen journaliste

Dans la pratique du copwatching, le citoyen ordinaire joue de son droit à filmer/photographier légalement les policiers et gendarmes en exercice pour devenir un agent de dénonciation et d’information. Armé de son smartphone ou appareil photo, le voilà transformé en un reporter d’investigation à l’ère 2.0., capable de mettre à mal les dérives xénophobes, racistes, liberticides, sexistes ou dégradantes des forces de l’ordre.
Bien que le copwatching ait d’abord été la capture spontanée par un témoin d’une scène d’intervention policière, soit une pratique ponctuelle et isolée, c’est la formation en termes de réseau et de plateforme participative qui prévaut désormais. L’objectif est de centraliser des informations, des témoignages ou des images relatives à l’action policière et de constituer une large base de données.
Et si les copwatchers traquent quelque chose, c’est davantage un idéal de justice et d’éthique que les brigades policières en elles-mêmes.
Le surveillant surveillé
Via le copwatching, les policiers, acteurs de la surveillance et voyeurs de la population, se retrouvent dans la position d’être vus et surveillés à leur tour. Quand les observateurs deviennent potentiellement observés, les rapports de hiérarchie et d’autorité se brouillent et s’inversent. Si la surveillance ne provient plus uniquement d’un rapport hiérarchique en top-down, elle s’exerce désormais horizontalement en tout temps et en tout lieu.
L’autorité policière, à travers cette pratique médiatique, se voit alors érodée par l’autorité iconique : la photo ou vidéo devient une ressource stratégique pour son détenteur, qui jouit du pouvoir condamnant de l’image “réelle” et peut faire pression contre une figure sociale perçue jusque là comme intouchable.

L’image au sens large se positionne ainsi comme enjeu au coeur d’une confrontation médiatique. Au travers du copwatching, la bévue la plus anodine comme la dérive la plus violente est susceptible de devenir un événement médiatisé et public. Le policier agit désormais en envisageant la possibilité d’une remédiation de son intervention par les médias et de l’élargissement de la visibilité de ses actions à un public absent physiquement (la hiérarchie directe, les associations militantes, les protagonistes politiques…). Cette anticipation d’images potentiellement dégradantes induit un changement dans le déroulement pratique des opérations : elle incite le policier à un légalisme strict et une approche plus drastique des procédures à suivre.
Les dégâts collatéraux
Cette pratique médiatique engagée questionne nécessairement le rapport entre force publique, médias et perception sociale.
L’un des problèmes à souligner, concernant ce type d’images amateurs, est l’interprétation et l’unicité du point de vue proposé qui y sont convoqués : le copwatcher donne à voir une scène telle qu’il l’a perçu (vision plus ou moins proche de la scène, son plus ou moins audible…). La scène filmée ou photographiée est observable telle quelle par les internautes mais peine à s’inscrire dans un contexte d’action plus large. Si nous prenons en compte le fait que le copwatcher se met bien souvent à filmer quand la situation dégénère de manière visible, on comprend que tous les éléments précédents le “dérapage”, déclencheurs ou non, sont tronqués.
Cette inexistence du hors-champ induit donc une vision purement descriptive des faits qui demanderait à être enrichie par des données complémentaires. Le point de vue unilatéral du témoin de la scène est rarement accompagné de celui de la “victime” et du policier “fautif”, ce qui nous prive de clés de compréhension. Puisque qu’il s’agit d’un regard isolé, porté sur un événement précis à un moment donné, nous pouvons comprendre dès lors le danger qu’il y a à se limiter au strict champ visuel de l’image.
De plus, la performance du policier dans la rue se voit transformée (par sa captation et sa diffusion) en image médiatique qui va ensuite induire une perception sociale du policier dépréciée. Le copwatching en tant que représentation médiatique de la police se dresse à l’encontre d’autres imaginaires policiers aux récits et aux “personnages” déjà forgés : les fins experts des Enquètes impossibles, les bons flics défendant la veuve et l’orphelin des séries américaines à l’ancienne, les policiers sans foi ni loi des films de mafieux…
A ces représentations établies vient s’ajouter la vision véhiculée par le copwatching : celle d’une police violente et injuste. Le danger est de tomber dans l’amalgame et la généralisation : rappelons qu’il s’agit là d’une des multiples représentations médiatiques policières.
Enfin, si la pratique du copwatching s’inscrit dans une volonté de dissuader et réguler les dérives policières, elle peut s’apparenter dans ses formes les plus radicales à un mouvement anarcho-libertaire, purement contestaire face à l’establishement. Cette dérive du mouvement vers une brigade anti-flics a notamment abouti à des dépôts de plaintes par le Ministère de l’intérieur en France, à l’encontre de sites jugés diffamatoires envers les autorités. D’autres dérapages, comme la publication de photographies personnelles ou d’informations privées (adresse, numéro de téléphone…) de policiers soupçonnés d’”abus de pouvoir”, sont régulièrement recensés et rappellent les limites à respecter.
Face à cette pratique médiatique ambivalente, l’indispensable est donc de rester extrêmement prudent et de s’interdire tout jugement précipité. Car, si la frontière est mince entre le bon flic et le mauvais flic, elle l’est tout autant entre le justicier bénévole et le diffamateur malveillant.
Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec
Sources :
ethnographiques.org
copwatch.fr
amnesty.org
boursorama.com
youtube.com
Crédits photos :
https://libcom.org/library/why-copwatch-doesnt-work-arturo
http://www.newyorker.com/magazine/2014/09/01/cop-watch
http://cqfd-journal.org/Tout-flic-flique-flippe
https://www.google.fr/search?tbm=isch&oq=&gs_l=&q=copwatching