Flops

Les fans pour vous servir

 
The Walking Dead doit une partie de son succès à la performance de ses cliffhangers (1), méticuleusement répartis à chaque épisode pour s’acheminer vers le midseason (2), qui constitue une réserve émotionnelle assez puissante pour perdurer jusqu’à la reprise de la série. 
Mais cette année, le savant engrenage se voit menacer par la rouille, après un élément narratif que certains n’hésitent pas à qualifier de meurtre. Que s’est-il donc passé pour qu’AMC se voit contraint d’expliquer à quelques 50 000 consommateurs d’apocalypse pourquoi il a « tué » leur personnage préféré ? 
La mort des personnages principaux est le lot d’un nombre croissant de séries télévisées, qui jouent ainsi avec les nerfs de leur audience – jusqu’alors dans un climat de relative complicité. Lorsque la midseason de Walking Dead paraît sur les écrans, révélant la mort de Beth, elle provoque la colère d’une vaste communauté de fans qui, aussitôt, promeuvent la pétition « Bring Beth back ». Sur change.org, cette pétition regroupe à ce jour 56 854 signataires passionnés qui strient la toile de commentaires mécontents.
Les critiques se situent généralement à deux niveaux, et révèlent une approche intéressante de ce qu’est devenu la consommation de divertissement pour beaucoup d’utilisateurs. En premier point, la frustration affective engendrée par la disparition d’un personnage devenu familier semble être désormais un motif légitime de réclamation, qu’on pourrait résumer à cet amer constat : « Ce n’était pas le produit  que j’attendais. » 
La seconde facette de ces critiques procède de cette tendance qu’a le web de donner le même temps de parole à l’amateur qu’au professionnel, et concerne directement, cette fois, la compétence des réalisateurs qui n’auraient pas exploité le potentiel scénaristique du personnage « tué ». Ce faisant, ils auraient lésé le consommateur en ce qui relèverait littéralement d’une faute professionnelle. 
C’est la naissance d’un autre type de fan service. De quoi s’agit-il ? Initialement, de clins d’oeil adressés par l’auteur d’une œuvre à ceux qui la suivent, afin de s’en attirer les bonnes grâces – procédé particulièrement employé dans l’univers des mangas, où il n’est pas rare de tomber sur un hors-série dévoilant les charmes d’une héroïne populaire…
Cette tactique devient désormais d’ordre préventif, voire impératif.
Le fan service réussi ou la tendance diplomate
Si AMC n’a pas encore répondu à ces accusations d’assassinat gratuit, d’autres producteurs se prêtent au jeu du fan service, avec plus ou moins d’élégance.
Au moment où Masashi Kishimoto relève le douloureux défi de clore une saga au succès mondial en heurtant le moins de fans possible, Gotham, nouvelle série de la FOX, se prête au jeu du fan service assumé. Véritable vitrine du genre, Gotham est aux amateurs de Marvel ce que le green-washing est aux images de marque, soit un gage de reconnaissance et, dans une certaine mesure, de prestige inattaquable.
D’autres encore entretiennent des liens plus discrets, mais tout aussi efficaces avec leur communauté – liens qui naviguent à loisir entre les clins d’oeil et les mesquineries soigneusement dosées. Sur la page Facebook d’American Horror Story, une série télévisée à la capicité de teasing redoutable, les community managers procèdent à une véritable analyse de terrain. Aussitôt un personnage est-il porté aux nues qu’un portrait en est publié sous un jour peu flatteur ; les plaisanteries devenues cultes au sein des amateurs sont rapidement intégrées au langage de la page officielle.
La palme du fan service revient peut-être à la série Supernatural, qui publie régulièrement des méta-épisodes sur le ton de l’humour, reprenant avantageusement les codes et les propos de la communauté de fans pour les intégrer à son scénario, clamant ainsi que ces derniers font partie de l’aventure.

La série-télévisée sanctionnée par ses clients
Quel message ces rapprochements entre production et consommateurs délivrent-ils ? Le brouillement volontaire de cette frontière n’est pas du goût de certaines productions, qui se réclament d’une certaine liberté artistique, ni de certains consommateurs qui estiment n’avoir aucune légitimité pour intervenir dans le processus d’élaboration d’un contenu culturel. 
Toute proportion gardée, il est difficile de donner tort à l’une ou l’autre des parties. Les fans se sont toujours emparés de l’objet culturel – livre, film, série télévisée – sans prendre massivement d’assaut ses auteurs pour exiger des prestations supplémentaires. Maintenant que les réseaux rassemblent et fédèrent les groupes d’intérêts, la force numéraire et économique des téléspectateurs est conscientisée, et s’envisage comme un contre-poids face à l’industrie culturelle.
Est-ce le devoir du producteur de se plier aux exigences du public, ou doit-il être intraitable, fidèle à sa vision artistique ? Jusqu’à quel point s’étend sa responsabilité auprès de sa communauté ?
D’aucuns répondraient simplement que la production est sanctionnée, en cas d’impair, par la simple absence de ses télé-spectateurs habituels et potentiels. Mais ce mécanisme de boycott peut-il s’appliquer de manière aussi idéalement systématique en ce qui concerne les séries télévisées, conçues pour fidéliser et créer un besoin de suivi ? Produit à la rencontre de l’art et du marketing, le format des séries télévisées engage et retient le consommateur tout en étant dégagé de toute responsabilité par le caractère artistique du produit lui-même, échappant du même coup à la plupart des obligations légales inhérentes à un produit commercial… Cet équilibre fragile est justement bouleversé par la « clientélisation » des fans, qui semblent ne plus hésiter à exiger le meilleur de leurs chaînes préférées. 
A l’exemple de Mass Effect 3, qui, sous l’impulsion de 67 000 signataires, s’est vu forcé de réécrire une fin pour son best-seller, les médias culturels doivent désormais craindre les réactions de leur public plus si dévoué.
Marguerite Imbert
Sources
Change.org
facebook.com
gamekult.com
Crédits photo
thewalkingdead.com
cuckaluhr.com
(1) Type de fin ouverte créant le suspens
(2) Période entre janvier et avril qui marque le retour de certaines séries, ou leur lancement.

Com & Société

Gamay more gamay gamay more

À l’étranger, le vin de Bordeaux, comme la haute couture française, est une institution prestigieuse et le nom de Bordeaux lui-même est mondialement connu. Et pour cause : la promotion à l’international est une spécialité bordelaise, assurée par le CIVB (le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux) et l’Union des grands crus de Bordeaux. Si en premier lieu elles contrôlent la qualité de la production, ces organisations visent également à promouvoir le Bordeaux et éduquer les consommateurs notamment à travers les quelques 80 manifestations annuelles mettant en relation producteurs et professionnels de la distribution et de la presse, une école du vin présente dans 11 pays ou encore les Fêtes bi-annuelles du vin à Bordeaux (dont le concept a été exporté à Hong-Kong, Québec, Bruxelles). Le Bordeaux a vocation à l’exportation. Par ailleurs la nouvelle campagne, « Vins de Bordeaux il y a tant à découvrir », sortie en octobre dernier sur 7 marchés, entend se démarquer d’une communication souvent plus traditionnelle. Qualifiée d’« ovni dans le monde du vin » (elle l’est moins dans le monde de la communication), la campagne a en tout cas eu un large impact sur la presse et les consommateurs.
La nécessité d’une communication plus esthétique et frappante a pu venir de l’état des ventes actuelles du Bordeaux, en baisse en termes de volume et de valeur sur tous les marchés. D’une part, la récolte de 2013 a été très faible, 30% en moins sur une année. D’autre part, la viticulture américaine progresse de plus en plus et concurrence les Bordeaux avec des vins de qualité semblable ou du moins s’en approchant et dans un style similaire, par exemple en Californie avec des Cabernet Sauvignon, des Merlot, etc. Quant au marché chinois, s’il est devenu le plus important acheteur de grands vins de Bordeaux grâce à sa richesse croissante et l’intérêt porté à la culture occidentale de luxe, les prix ont constamment augmenté depuis les millésimes exceptionnels de 2009 et 2010, à tel point que les Chinois semblent s’en détourner depuis deux ou trois années. Mais c’est aussi l’image même du Bordeaux que cette campagne de communication tente de transformer, souvent considéré comme uniquement un produit de luxe peu accessible, complexe par ses notions de terroirs et d’appellations (alors que les Américains et les Asiatiques ont davantage une culture du cépage et raisonnent en Gamay, Pinot, Chardonnay). La campagne ambitionne alors d’attirer l’amateur occasionnel et de nouveaux consommateurs sensibilisés à la variété des vins de Bordeaux, en particulier sur le segment des produits de moins de 55$.

La précédente campagne de Vins de Bordeaux, construite autour de photographies véhiculant les notions de partage et de convivialité, s’était heurtée à la loi Evin du 10 janvier 1991 qui encadre fortement la publicité des boissons alcoolisées et est un véritable frein à la créativité. Cette fois adaptée à la législation, la campagne repense la bouteille de Bordeaux en héroïne d’une série de visuels à l’esthétique 1920-1930. Diffusées sous forme d’affiches dans les métros parisiens, londoniens et new-yorkais, dans la presse, et uniquement online en Chine et au Japon, les illustrations suivent le fil conducteur fédérateur de la découverte (la diversité des vins de Bordeaux, des terroirs, des climats, des accords mets et vins) à travers des valeurs de savoir-faire, de tradition et de modernité. Elles traduisent ainsi l’émergence d’une nouvelle génération de producteurs innovants et respectueux de l’environnement. En tout, la campagne touche 7 marchés clés : la France, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les États-Unis, la Chine et le Japon et sera augmentée de nouveaux visuels en 2015 dans le but de créer une véritable saga autour de la forme si reconnaissable de la bouteille de Bordeaux.
Toutefois plusieurs caractéristiques de la campagne « Vins de Bordeaux il y a tant à découvrir » peuvent nuire à son efficacité, notamment en Chine et au Japon. Comme sa déclinaison qui reste invariablement identique sur les différents marchés. Même la signature « Vins de Bordeaux » est en français, peu importe le pays. Choix étonnant lorsque chaque pays possède ses propres codes de communication, fait appel à des imaginaires et des couleurs différents. Enfin ces infographies semblent être destinées à un public plutôt jeune et sensible à l’esthétique rétro, pourtant les 20-30 ans ne sont jamais vraiment la cible de telles campagnes. Une publicité pour du vin vise généralement un homme de plus de 40 ans. En effet, peu importe le marché, le vin est considéré comme un produit destiné à une clientèle aisée et connaisseuse. C’est précisément là que l’innovation dans la communication du vin bloque : cette cible moyenne empêche de pousser la créativité, et l’originalité de la campagne des Vins de Bordeaux n’est finalement que relative dans un milieu très traditionnel. Et pourtant le jeune consommateur, celui écarté des campagnes de communication, devrait être sensibilisé à ces vins de Bordeaux de moins de 55$, plus abordables et qui, point parfois rebutant dans un grand cru, peuvent être consommés dès leur sortie.
Marc Blanchi
Sources:
Bordeaux.com
Terredevins.com
Lepoint.fr
Crédits images:
isobel.com