Flops

Ne nous soumets pas à la tentation

Inciter à croquer la pomme sur l’arbre d’à côté ne semble pas plaire à tout le monde. Au début du mois de février les réseaux de transports Transdev et Keolis ont retiré des publicités du site de rencontres adultérines, Gleeden, à l’arrière de leurs bus qui sillonnent plusieurs communes des Yvelines. Ce retrait fait suite à la pétition d’un groupe catholique conservateur qui a récolté plus de 20 000 signatures.
Les réseaux sociaux ne sont pas en reste. La campagne publicitaire a vu poindre des commentaires outragés dans plusieurs villes d’Ile-de-France.
« Incitation au non-respect du droit civil »
C’est en ces termes que le maire UMP Marc Robert a qualifié la campagne publicitaire de la marque. Les Associations Familiales Catholiques vont plus loin dans la contestation et assignent en justice la société éditrice Black Divine, l’accusant de promouvoir l’infidélité en violation de l’article 212 du Code Civil. Rappelons par ailleurs que l’infidélité n’est plus considérée comme un délit pénal depuis 1975.
Le site quant à lui crie à la censure et à « une atteinte à la liberté d’affichage ». Il explique par ailleurs que ses publicités ont été validées par le Jury de déontologie publicitaire et Média transports, une régie publicitaire des transports. En 2013, des plaintes de même nature ont déjà été déposées auprès de l’instance indépendante mais n’ont pas donné suite, étant qualifiées de « non fondées ».

Fidèle à sa communication sulfureuse
Gleeden, créé en 2009, s’appuie sur une communication sulfureuse et provocatrice. Il est d’ailleurs fait mention sur le site qu’une de ses missions est d’«aller à l’encontre de l’hypocrisie générale et [de] faire tomber le tabou de l’infidélité. » Ce qui ne convient pas à tout le monde. « Ces publicités posaient un certain nombre de problèmes à une partie de la population, notamment des catholiques pratiquants les plus attachés aux valeurs familiales », avance la municipalité de Versailles.
Outrage encore plus prononcé du fait des références bibliques utilisées par la marque pour construire sa communication publicitaire. Tout d‘abord, l’utilisation des termes constitutifs du nom de la marque « Gleeden » : « glee », jubilation en anglais, et « eden » signifiant le paradis terrestre, le lieu de délices. Puis la pomme croquée, qui est présente sur chaque affiche publicitaire, symbole iconique de la tentation dans laquelle est tombée Eve, le péché de chair.
Toutefois il n’y a aucune représentation, aucune exposition des corps. L’insolence des propos s’appuie, comme l’explique Olivier Aïm, maître de Conférences au Celsa, sur « une mauvaise foi » non feinte. Les messages publicitaires prennent la forme de maximes faussement sages, donnant l’illusion d’arrières pensées portant vers un désir défendu dont Gleeden s’octroie le rôle d’en soulever le voile. Il est ici question de « jouissance intellectuelle ». « Il s’agit de viser la tête du passant, pour réimprimer à chaque fois le choc cognitif d’une logique paradoxale. »

L’infidélité en public
Afin d’expliquer la manifestation physique contre les affiches de Gleeden, M. Aïm avançait par ici, la première hypothèse d’une saturation du modèle énonciatif. Les concurrents directs du site ainsi que des annonceurs divers réemploient la construction «  purement verbal » de son message publicitaire au profit de leur propre communication.
De plus, les messages publicitaires de la marque s’affichent aux yeux de tous : les abribus, les quais de métro, sur les arrières de bus. L’immoral fait alors son entrée dans l’espace public.
Fait plus marquant, samedi 31 janvier Gleeden, jouant toujours sur la provocation promotionnelle, a créé la surprise en dévoilant sa présence au Salon du Mariage. Les avis ont été très controversés. Pour les plus hostiles, il s’agit d’une intrusion dans un espace symbolique. Gleeden, en restant fidèle à ses utilisateurs, a trompé le Salon du Mariage, accomplissant ainsi un sacrilège.
Gleeden fera sans doute encore parler de lui. En attendant il est cocasse de noter que Versailles, l’une des villes qui a fait retirer ces affiches publicitaires, est également l’une des « villes qui trompent le plus », d’après le nombre d’inscrits. Elle se trouve en effet en cinquième position du classement.
Hélène Hudry
Sources :
lemonde.fr
fastncurious.fr
metronews.fr
gleedentemoignages.com
jdp-pub.org
Crédits photos :
rtl.fr
gentside.com
gleeden.com
 

Marc Dorcel fastncurious
Agora, Com & Société, Publicité

#SansLesMains : la création publicitaire au coeur du porno

Tandis que le porno dans la publicité fait couler beaucoup d’encre et déclenche de nombreuses critiques, la publicité du porno se révèle de plus en plus créative. Dernièrement, la campagne #SansLesMains de Marc Dorcel a fait le tour du web en raison de son inventivité.
Les yeux doux d’Anna Polina

Dans la vidéo de présentation, Anna Polina présente le dispositif mis en place sur une semaine pour faire la promotion de Xillimité, le site de VOD du géant français de la production de films pornographiques. Le visage de l’égérie de Marc Dorcel est déjà connu auprès du grand public en raison de ses multiples interventions en tant qu’actrice dans des reportages diffusés sur de grandes chaînes comme D8 ou encore dans des articles divers (sur le Bonbon, le Plus du Nouvel Obs). Anna Polina est la porte-parole présentable du milieu du X, la fille que l’on pourrait ramener à un déjeuner en famille.
Avec #SansLesMains, Marc Dorcel honore une nouvelle ère : celle de la visibilité du porno dans la sphère publique. Imaginé par l’agence Marcel du groupe Publicis, le principe est aussi simple que bonjour : maintenir les touches A, S, P et L du clavier enfoncées pour avoir un accès illimité à tout le catalogue de la marque, constitué d’un millier de films HD.
On retrouve alors le mythe de la viralité d’Internet dans son plus beau costume : le trafic sur Xillimité est multiplié par 27 et le nombre d’abonnés est 50 fois supérieur à la moyenne. Le #SansLesMains reste durant 7 heures en trending topic sur la twittosphère française, le tout sans achat d’espace publicitaire. En étant un des hashtags les plus cités, la campagne fait alors développer aux internautes des stratégies de contournement plus ou moins farfelues : des astuces techniques, informatiques ou encore le visionnage à quatre mains avec son/sa partenaire. Cela participe donc à la création d’une véritable communauté, avec des consommateurs impliqués dans la marque. Cette belle visibilité sur les réseaux sociaux couplée à la valorisation des contenus marquent alors une opération réussie pour le producteur.

Une stratégie qui fait ses preuves
En capitalisant sur la frustration, #SansLesMains joue non seulement sur la connivence, mais aussi sur le terrain de l’hédonisme. Accompagnée du sulfureux regard d’Anna Polina, la stratégie en dit long : nous savons ce que vous faites de nos contenus, c’est pourquoi le marketing ne repose pas sur la valorisation de la qualité des produits mais sur l’usage qui en est fait. En opposition aux publicités racoleuses et à peine françaises que l’on trouve incessamment lors de nos promenades virtuelles (sait-on jamais si vous cherchez un plan avec votre voisine MILF imaginaire), la création publicitaire des plus grosses boîtes cherche à monter en qualitatif.

Pour cela, un des leaders mondiaux du milieu a même fait appel à ses consommateurs. Il y a un an, Pornhub lançait son concours ouvert à tous pour trouver un nouveau directeur artistique : il fallait un visuel publicitaire sans nudité ni contenu NSFW pour communiquer dans les grands médias. Autrement dit, une campagne Pornhub G-rated : au contenu approprié pour tout public, sans violence, drogues ni sexualité, etc. La culture porn étant truffée de références, de codes et de métalangage, qui mieux que le consommateur lui-même pouvait être son vecteur ? Cette campagne participative porta ses fruits puisque les nombreuses participations firent le tour d’Internet en raison de leur caractère cocasse.

 
Les publicités de l’industrie porno : vecteur ou conséquence de la mainstreamisation ?
 
Alors que les critiques fusent depuis des dizaines d’années sur l’hypersexualisation des publicités, notamment pour les marques de vêtements (American Apparel en figure de proue), les boîtes porno cherchent alors à prendre le contre-pied en allant vers une perspective de désexualisation de leur communication. Dans cette idée, Pornhub a même participé à la journée nationale de l’arbre aux Etats Unis en proposant de planter un arbre à chaque centaine de vidéos vue (15 000 arbres ont été ainsi plantés).
 
Traditionnellement, le porno est un sujet tabou alors qu’en réalité, plus de 35 millions d’individus atterrissent sur Pornhub quotidiennement. Sur l’IFOP, « La grande enquête Marc Dorcel / IFOP 2009 » intitulée Sexe, Média et Société, une étude riche sur les pratiques de la population française, montre statistiquement une démocratisation de la consommation des contenus pornographiques. En raison de la facilitation technique que procure le web, l’accès à des contenus pornographiques gratuits est de plus en plus ouvert, créant ainsi de nouvelles cibles. Ainsi, visionner du contenu pornographique est devenu une partie intégrante des activités digitales des individus en âge d’avoir une sexualité. Par conséquent, les marques essaient de se réapproprier la culture digitale mais sont souvent vues aux yeux des consommateurs comme étant invasives. Reposant sur l’invitation et la complicité, la campagne de Marc Dorcel en France et la communication de Pornhub firent beaucoup d’échos grâce aux relais spontanés des consommateurs.
 
Par conséquent, le film X n’est plus exclusivement masculin. De nouvelles niches de consommation apparaissent, dont les femmes. La création publicitaire doit alors s’adapter à ces nouveaux publics émergents. La frontière devient poreuse entre le porno obscur et caché comme l’imaginaire l’envisageait jusqu’ici, et la réalité de la consommation. La pornographie fait alors son coming out pour vivre au grand jour en tant que produit de « consommation courante ».
 
 

Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources
Le brief pour le concours de Pornhub
Les visuels finalistes pour le concours Pornhub
L’enquête IFOP
Les chiffres sur les retombées de #SansLesMains
Sources photo
Marc Dorcel
Marc Dorcel – xillimite.com
pornhubcampaign.tumblr.com

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César 40ème édition Fanny Ardant
Société

Et les nommés sont…

Chaque année, 4381 professionnels du cinéma départagent 636 films. Ainsi, 21 César sont remis aux acteurs, producteurs et « petites mains » du cinéma pour récompenser les prestations les plus méritantes. Cependant, cette cérémonie-spectacle est de plus en plus associée à des polémiques et offre une vision inédite des acteurs, passant du statut de personnage à celui de personne. Par ses codes et sa mise en scène, la cérémonie redessine également les frontières d’un « cercle clos », en nous faisant pénétrer dans ce milieu fermé qu’est la grande famille du cinéma français.
C’est à Georges Cravenne, publicitaire et producteur de cinéma que l’on doit la création en 1974 de l’Académie des arts et techniques du cinéma.
Suite à cela, naît la première nuit des César, le 3 avril 1976 sous la présidence de l’acteur Jean Gabin. Son but est alors de concurrencer les Oscars, équivalent américain.
Qu’en est-il du choix de l’intitulé de la cérémonie ? L’appellation « César » a plusieurs origines parmi lesquelles l’hommage à Raimu, acteur et interprète de César dans la trilogie de Marcel Pagnol.
Une parfaite maîtrise du temps
Cette cérémonie s’inscrit dans une temporalité strictement planifiée, rythmée par un calendrier précis. Chaque édition est annoncée par une égérie. En 2015, Fanny Ardant succède à Romy Schneider (2011), Simone Signoret (2013) et Isabelle Adjani (2014). S’en suivent les déclarations médiatiques des nommés, puis la révélation du couple président – maître de cérémonie, séances photos. Enfin, le temps des « Révélations » et le déjeuner des nominés constituent la dernière étape de cet agenda.

Le Trophée des César : l’emblème de la victoire ou l’éclat symbolique du « bijoux » précieux ?
La fonction symbolique du légendaire César est d’incarner – selon l’expression de Riccioto Canudo – le mythe du « 7ème art ». En effet, si les trophées incarnent surtout « l’emblème de la victoire », ces objets semblent dépasser le simple statut de la récompense pour devenir des bijoux précieux, des objets d’art. En effet, les 21 trophées sont fabriqués en Normandie dans la fonderie d’art Bocquel. Ils répondent depuis 40 ans aux même critères définis par César Baldaccini : une « bûche industrielle » de 3,8 kilos, fabriquée en bronze, entrant dans la lignée de ses « compressions ».

L’envers du décors : une cérémonie de plus en plus critiquée
Au-delà d’un passé mythique, les César sont critiqués car ils exacerbent des problématiques telles que le manque de renouvellement des talents, l’existence d’un cinéma à deux vitesses, la frontière entre le microcosme glamour et esthétique et les intermittents du spectacle, la rémunération des acteurs et les polémiques liées au financement du cinéma français.
De plus, la sélection des films est souvent décrite comme trop prévisible ou incohérente par rapport aux succès en salle. « Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu », « Supercondriaque » et « Lucy », vainqueurs au box office ne figurent pas dans la sélection. Il y aurait donc un profil type César que dénonceraient de plus en plus de professionnels du milieu. Dans le palmarès des films, on remarque également l’absence de femmes dans la catégorie « meilleur réalisateur » : 39 hommes pour 1 femme, et 13 réalisatrices nommées pour un total de 183 réalisateurs.
Malgré ces critiques, le vote et le déroulement de la cérémonie restent impassibles : Alain Terzian, président de l’Académie a ainsi déclaré : « Il n’en est pas question. Par respect pour Georges Cravenne qui a créé la cérémonie il y a quarante ans, on ne touchera à rien. »
Ces problématiques favorisent un désamour des César et de nombreuses critiques comme celle de l’acteur Vincent Macaigne. « C’est compliqué les César! J’en pense ni du bien, ni du mal. Pour moi, c’est une sorte de gâteau à la crème. D’un côté, je suis pour qu’il y ait un maximum de publicité autour des films. (…) D’un autre côté, c’est un système qui s’autoalimente. »

Pour une lecture sémiologique des César : portée symbolique et dimension rituelle
D’un point de vue symbolique, cette cérémonie attire car elle installe les acteurs dans une situation inédite où le spectateur ne fantasme plus sur un personnage mais s’identifie à une personne « normale », rendue réelle car ancrée dans notre quotidien.
Les acteurs, habituellement regardés, se regardent mutuellement. L’acteur prend la place du spectateur, il regarde une scène qui se passe sous ses yeux, attend d’être appelé pour faire partie du spectacle. Proximité et distance s’entremêlent dans la mise en scène d’un monde proche (salle de cinéma, présence sur l’écran) mais néanmoins déconnecté du monde réel.
On peut cependant s’interroger sur l’apparente neutralité du rôle « nommé aux césar ». En effet, la cérémonie répond à des codes et rituels précis : elle donne lieu à des répétitions lors du déjeuner des nommés au Fouquet’s. Elle est hiérarchisée entre le président, le maître de cérémonie, les remettants, les nommés. Ainsi, le Président de la Cérémonie est le seul à pouvoir initier la cérémonie avec la phrase suivante : « Et je déclare ouverte la Cérémonie des César » : acte performatif par excellence qui initie la première étape du rituel.

Ainsi, chaque discours de remise de prix ou de remerciement a l’apparence d’un scénario performé. Cette année, un guide de « conseils en cas de victoire » a été remis, visant notamment à synthétiser les remerciements. Les organisateurs précisent : « Évitez que le souvenir de votre intervention ne vous laisse le goût amer d’une prestation décevante ».
Une vitrine publicitaire pour le cinéma français ?
L’acteur Jean Rochefort confie : «  J’ai reçu la première récompense le 3 avril 1976. Drôle d’ambiance. L’impression d’une réunion entre nous, mais avec des caméras qui nous épient. Une poignée d’intimes qui concentre les haines, les colères, les rancœurs que chaque corporation accumule. » La cérémonie s’apparenterait donc plus à une cérémonie d’autocongratulation assurant la promotion d’un cercle clos. A cet égard, l’académie regrette chaque année ses disparus avec une minute de silence et célèbre ses naissances par la remise du César du Meilleur Espoir. Cette récompense serait alors similaire à un rituel d’entrée, de (re)naissance au sein de la grande famille du cinéma. L’idée de transmission et de passation d’un patrimoine entre générations d’acteurs est également présente : chaque espoir est parrainé et chaque vainqueur reçoit son César de la part d’un autre acteur, assurant ainsi le lègue d’un héritage.
Au-delà de l’agréable spectacle que représente cette cérémonie, comment penser les César, autrement que comme une performance de codes et de rituels, assurant certes une longévité à la famille du cinéma français, mais ne semblant pas destinée à se tourner davantage vers le futur…
Clarisse de Petiville
Sources :
academie-cinema.org
cahiersducinema.com (1) ; (2) ; (3)
lanouvellerepublique.fr
culture.fr
parismatch.com
lefigaro.fr
Crédits photos :
culture.fr
blog.lenodal.com
rtl.fr
canalplus.fr

nipster hipster nazi fastncurious hitler
Société

"Nipsters" ou le relooking néo-nazi

“Nipster”. Le néologisme est lâché en janvier dernier par le quotidien allemand TAZ pour qualifier la tendance qui fait irruption chez les jeunes néo-nazis. “Nipster” pour “nazi” et “hipster”, pas évident tant l’association peut surprendre !
Jusque là marginal, le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur : boots militaires, crânes rasés, treillis et tatouages vindicatifs ont été mis au placard au profit de tote bags à message, baskets à lacets, pantalons serrés et casquettes/bonnets. On reconnaît sans peine l’attirail de la figure urbaine, ô combien plébiscitée, du hipster.

La photographie d’un rassemblement néo-nazi reprise par le quotidien TAZ, à l’origine du terme “nipster”
Pour faire face à l’interdiction des symboles manifestes du néo-nazisme et à la récurrence des arrestations policières mais aussi pour mobiliser de jeunes recrues et se forger une image plus soignée et moins radicale, les groupes néo-nazis (allemands principalement) se sont décidés à récupérer cette culture urbaine moderne. Oubliée la panoplie de skinhead, jugée – avec beaucoup de lucidité – assez peu discrète et rassurante.
Depuis, les journalistes raillent la tendance au travers de jeux de mots douteux tels que “Fachism Week” ou “Yolocaust”. C’est le magazine Rolling Stones qui produit en juin dernier un premier papier complet, sous le titre révélateur de “Heil Hipster” pour décortiquer le renouveau cosmétique de l’extrême droite allemande, ses enjeux et ses échos.

Détournements des internautes et journalistes face à ce mouvement.
A gauche : montage anonyme.
A droite :  extraits de la webcomic “Hipster Hitler” de JC et AKP
Fashion faux pas ou non, là n’est pas la question : le plus important reste de savoir quel effet ce rebranding a sur la diffusion de l’idéologie et son intégration par les publics.
Nouveau look pour une nouvelle vie ?
« Il faudrait enfin changer de priorités et s’adresser à un plus large public. Les marches funèbres et les cérémonies en mémoire de nos héros ne nous font pas gagner de nouveaux sympathisants, tout au plus quelques nostalgiques.” Voilà ce que pointait dans un récent rapport le portail web d’extrême droite Altermedia.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Puisque le révolutionnaire doit être dans le peuple comme un poisson dans l’eau, ainsi que le rappelait Mao, certains partisans de l’extrême-droite se sont convaincus qu’être plus proches dans le paraître du citoyen moyen faciliterait l’expansion de leur idéologie. Et le look “hipster”, c’est l’espoir d’une image « cool » et rassurante, aux antipodes de celle du peu engageant skinhead. Cette incarnation stylistique d’une rébellion soft est plus encline à mobiliser de nouvelles classes sociales telles que la petite-bourgeoisie ou la classe-moyenne supérieure. Le criminologue Nils Schuhmacher l’assure : “Ainsi, une plus grande portée de l’influence est atteinte ».
Patrick Schroeder, un néo-nazi allemand et trentenaire, est la figure de proue de cette vague “nipster”. Parfois qualifié par l’étrange oxymore de “gentil néo-nazi” dans la presse, il est connu comme le porte-parole du mouvement et aime à rappeler sa volonté de donner “un visage plus amical et plus branché” à la jeunesse d’extrême-droite. .
Cette mutation esthétique n’est pas sans laisser certains perplexes et d’autres complètement sceptiques quant à l’efficacité de cette stratégie. Ainsi, l’expert Nils Schuhmacher juge discutable la portée bénéfique de ce relooking qui occasionnerait une perte d’identité claire pour les anciens partisans. Selon lui, si “le skinhead comme figure hégémonique de la jeunesse de droite a abdiqué”, l’avenir du “nipster” en tant que successeur est encore incertain.
Politologues et spécialistes en conviennent de rappeler aux plus naïfs que “à bien des égards, le contenu n’a pas changé. Seul l’emballage change radicalement » (Thomas Pfeiffer, en charge des questions d’extrême droite à l’Université de Bochum). Et à la politologue allemande Birgit Jagush de renchérir : “l’idéologie de ces jeunes gens est contre les musulmans, antisémite et raciste ».
A la conquête du web
Cette récupération des codes hipsters ne se limite pas au style vestimentaire et chez les “nipsters”, l’amalgame est roi! La défense de la cause animale, l’intérêt pour la préservation de l’environnement ou encore le goût pour la cuisine végétarienne sont autant de points d’entrée pour apporter leur idéologie dans de nouveaux cercles. Les outils du parfait petit hipster – ou du jeune urbain plus généralement – sont réinvestis pour diffuser les discours : blogs, selfies, tumblrs, tweets, hastags…rien n’est laissé au hasard.
Les réseaux sociaux deviennent alors des armes redoutables puisqu’ils donnent de la visibilité à des contenus qui ne sont pas ce qu’ils paraissent au premier abord : sous le couvert de pop-culture anodine, on retrouve un invariable fond idéologique extrémiste. L’édulcoration de la forme des productions médiatiques, qui va de pair avec celle du look, facilite la confusion et le mélange des genres : en apparaissant moins radicales de visu, elles sont mieux véhiculées et davantage diffusées.
Patrick Schroeder présente ainsi, chaque semaine, une émission YouTube de deux heures sur sa chaîne FSN TV. Sous des apparences de show mainstream, le fond n’en demeure pas moins bassement raciste. Entre une discussion sur une série télé et la diffusion d’un morceau de rock néo-nazi, le jeune homme clame ses revendications extrémistes à coup de « si le Troisième Reich était si terrible, il aurait été renversé » ou “Obama est le président nègre de l’Amérique ». Ces apparitions médiatiques, qui donnent une image moins violente du mouvement (sur la forme, bien entendu) que d’autres manifestations, ont permis à Patrick Schroeder de devenir une figure appréciée de l’extrême droite.

On retrouve également plusieurs tumblr neo-nazis – à l’image de Kindstattgross – qui proposent un savant mélange d’images doctrinales : photographies historiques, illustrations street modernes et saynètes instagramées à grand coup de filtre artistique. Et puisque ces images ne délivrent pas forcément leur message idéologique directement, soudain règne la confusion. Le danger de ces contenus esthétisés et détachés de tout (con)texte est qu’ils risquent d’être malencontreusement récupérés par des personnes qui n’en perçoivent pas la portée “cachée”. Certains messages restent toutefois limpides : on retrouve sans peine des contenus fascisants et racistes – « Mixing the races? no more white faces », “I love being white”…

Capture d’une vidéo de cusiniers néo-nazis végétariens. Le slogan pour la défense de la cause animale
« Kein mensch ist illegal » (Tout le monde a le droit d’exister) est inscrit sur leur tee-shirt au dessus du visage d’Hitler.
Vous avez dit ironique ?
Le paroxysme du mélange des genres et le summum de la confusion est atteint avec Balaclava Kueche, une chaîne de cuisine végétarienne. On y retrouve deux jeunes neo-nazis, cagoules et tee-shirts à l’effigie du Führer fièrement arborés, en train de donner leurs astuces cuisine et de soutenir les messages d’extrême-droite. La cohérence dans tout ça ? On la cherche encore.
On peut également noter le Harlem-shake, rattaché au mouvement, qui culmine à plus de 100 000 vues sur Youtube et prône, entres autres messages provocateurs, le sexe non-protégé avec des nazis. On peut aussi signaler l’arrivée et l’expansion du hastag #nipster sur Instagram et sur Twitter.
Simone Rafael, la rédactrice en chef du portail internet Netz Gegen Nazis (réseau contre les nazi donc), juge cette évolution esthétique et médiatique très habile car elle permettrait d’attirer l’attention du public de façon subtile et douce. Plus de soft power pour une idéologie plus ravageuse, en somme.
Si l’on observe indéniablement (et heureusement) un manque de cohérence et d’organisation au sein de ce nouveau mouvement, il s’agit de rester prudent face à la réalité du besoin d’identification des jeunes, à l’amalgame gargantuesque causé par internet et les réseaux sociaux et à la récupération inopinée de discours pour ne pas donner de nouvelles voix à une idéologie qui n’a de changé que la forme.
Pour s’épargner une chute consensuelle à base de “rappelons que l’habit ne fait pas le moine”, nous reprendrons l’expression très juste de Felix Dumont : si le loup a cessé de se déguiser en agneau, c’est qu’“aujourd’hui, il se déguise en mouton.”
Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec
Sources :

liberation.fr
thisisego.com
lalibre.be
slate.fr
rollingstone.com
Crédits images
nipsterwear.com
hipsterhitler.com
lalibre.be

coexist street art fastncurious
Société

"Coexist", le street-art militant

Un slogan pacificateur et universel
En 2001, à l’occasion d’un concours organisé par le musée socio-politique d’art contemporain de Jérusalem (the Museum on the Seam) autour du dialogue et de la tolérance, le graphiste polonais Piotr Mlodozeniec invente le logo « Coexist ». Ce mot-slogan est formé par les symboles des trois religions monothéistes, respectivement, le croissant de l’Islam, l’étoile de David et la croix du christianisme, formant le C, X et T de « Coexist ». L’artiste ne dépose aucun droit sur cette création, la léguant ainsi au domaine public. En effet, il souhaite qu’elle puisse être diffusée dans le monde entier comme message de paix.
Les plus férus de musique n’auront pas manqué de remarquer que Bono et ses acolytes irlandais se sont appropriés ce symbole lors de leur Vertigo Tour en 2005.
Combo, le digne héritier parisien
Son aspiration trouvera du sens à travers l’œuvre du graffeur parisien Combo. A la suite des attentats qui ont visé Charlie Hebdo en janvier dernier, on peut voir fleurir sur les murs de la capitale l’apophtegme. Un de ses auteurs, Combo, un jeune artiste français de 28 ans « ne cherche pas à défendre la religion, mais les gens souffrant des préjugés concernant leur religion » confie-t-il à l’hebdomadaire Elle. On peut parfois apercevoir sa silhouette, vêtue d’une djellaba, dessinée aux côtés du slogan. Pourtant, le 30 janvier dernier, ce n’est pas ses dessins qui ont été pris pour cible mais bien le graffeur lui-même. Victime d’une violente agression après avoir refusé de retirer son affiche, il parvient à s’en tirer sans blessures graves et devient un symbole de la liberté d’expression.
Combo n’en est pourtant pas à son coup d’essai. En 2014, il effectue un voyage à Beyrouth où il initie une campagne de « Dji-art ». Le procédé est simple et déclinable à l’infini, il détourne les images utilisés par Daesh pour mieux renverser leur propagande. « Moins de Hamas, plus de Houmous » peut-on lire sur un mur de la capitale libanaise. Ancien publicitaire, il maitrise la rhétorique des catchphrases, les murs sont ses terrains d’expression engagée, car engagé il l’a toujours été.
Le 8 février, sur le plateau du Grand Journal, il lance une campagne d’affichage baptisée « Coexistons » et donne rendez-vous à l’Institut du Monde Arabe pour une distribution d’affiches destinées à être placardées sur les façades parisiennes. Les volontaires présents sont d’autres graffeurs mais aussi des communicants, des enseignants ou encore des étudiants. L’initiative est encouragée par le maitre des lieux, Jack Lang, et l’IMA revêt le premier « Coexist » de la matinée.

Combo fait aussi remarquer que depuis les attaques terroristes de janvier, ses messages ont une durée de vie raccourcie et sont effacés en quelques jours par la Mairie, alors qu’ils pouvaient subsister plus de deux ou trois mois auparavant.
Dernière création en date, réalisée le jour de la Saint-Valentin, deux personnages – un juif et un musulman – en train de s’embrasser. A côté on lit le tag “Love is blind. And religion can blind us.”
L’idée, encore une fois, est de faire réfléchir, ici autour de l’homosexualité et de la religion, de casser les stéréotypes. L’image est forte et n’est pas sans rappeler le « baiser fraternel » échangé entre Leonid Brejnev et Erich Honecker, dessiné sur le mur de Berlin par l’artiste russe Dimitri Vrubel.

Un phénomène amplifié par l’actualité
Paris n’est pas un cas isolé, le phénomène est repris par-delà les frontières. Le graffeur raconte qu’il a reçu des photos de Bordeaux, Chicago, Boston. Il suffit de télécharger le slogan et chacun peut alors lui aussi diffuser le message.
Lors des manifestations qui ont suivi les profanations de cimetières juifs dans le Bas-Rhin cette semaine, on retrouvait là aussi le fameux « Coexist » sur les banderoles.
Si ce crédo connait un tel succès, c’est parce qu’il tend à concerner la plupart des conflits géopolitiques actuels, à apaiser les tensions croissantes liées à la religion. L’action est symbolique et pacifique et l’on peut se demander dans quelle mesure elle parvient à éduquer les pensées, et à lutter contre les déchainements de violence commis au nom de la religion. Au-delà de ce message, le street-art, engagé par essence, représente un terrain d’expression virale et impactant, autour duquel la réflexion est toujours intéressante.
Thelma Cherpin
Sources :
elle.fr
observers.france24.com
lemonde.fr
Crédits photos :
observers.france24.com
culturebox.francetvinfo.fr
observers.france24.com

je suis charlie fastncurious
Agora, Com & Société

Dites moi pas que c'est pas vrai !

Le 7 janvier 2015. Une date qui fait froid dans le dos et échauffe les esprits. Ce n’est pas seulement la presse qui a été « punie » d’avoir blasphémé le prophète, c’est aussi et surtout les valeurs qu’elle représente et véhicule. Par conséquent, le #JeSuisCharlie résonne comme une prise de parole à la fois individuelle et collective qui revendique la liberté de l’expression sous toutes ses formes. Le slogan est entré en peu de temps dans la mémoire collective. A tel point que les marques l’ont récupéré.
Vous n’allez pas oser ?
Et si ! Elles l’ont fait ! Comment ont-elles pu ? Pourquoi les marques ont-elles arboré fièrement le slogan JeSuisCharlie pour en faire un logo ?
Le slogan #JeSuisCharlie reprend les codes publicitaires les plus basiques : une formule brève, percutante, qui concerne tout un chacun et implique toutes les mentalités. Une formule qui devient virale, se propage jusqu’à toucher tous les continents. Pourquoi se priver de l’opportunité de se donner bonne image, bonne conscience tout en saisissant une bonne occasion de s’en mettre plein les poches ? Les marques ont bien saisi la perspective pécuniaire qui leur était ouverte par les événements d’une actualité sanglante et émotionnelle. Avouez que vous aussi vous avez été stupéfait, choqué, interloqué, bref complètement atterré quand vous avez vu cette image :

 La marque a voulu montrer visuellement sa solidarité vis-à-vis des victimes et de leurs familles. Il s’agissait de faire sa bonne action tout en construisant une image de marque compatissante, solidaire et surtout engagée qui milite pour les droits et les libertés des citoyens du monde. Rien de tel pour attirer de la clientèle en masse !
De même, « jesuischarlie.net », boutique en ligne de goodies griffés JeSuisCharlie, a eu la vie courte. En effet, quelques heures seulement après sa création, le site a dû fermer face à l’indignation générale. Le concepteur et gérant du site a dû présenter ses excuses. L’homme affirme avoir voulu « aider le journal » financièrement.

Autre exemple : les sites de vente en ligne comme ebay ou encore leboncoin, mettent en place une stratégie de vente aux enchères des numéros de Charlie Hebdo. Certains exemplaires atteignent les 75 000 euros !

Indignation, excuses bidons et condamnation.
On l’a déjà vu dans les articles de Pauline Flamant et Marie Mougin, les réactions qui font suite aux attentats ont un caractère mondial qui s’exprime notamment via les rassemblements de masse et les réseaux sociaux. Or, suite à la récupération commerciale et marchande du « logo » JeSuisCharlie, pléthore de commentaires indignés ont inondé les réseaux pour exprimer leur mécontentement. Joachim Roncin, le directeur artistique de « The Stylist » qui a créé le logo déplore l’utilisation commerciale que l’on a pu faire de JeSuisCharlie.
La marque Les 3 Suisses a même été parodiée de manière à en montrer l’abjection, l’opportunisme et l’indécence voire l’immoralisme face aux événements.

Le Petit Journal a lui aussi dénoncé en vidéo cette récupération commerciale jugée inacceptable.

De tels commentaires et parodies sont plus que déplorables pour la marque dont l’e-réputation a été entachée au plus haut point. En effet, une opinion favorable est vitale pour une marque qui ambitionne ici de devenir un géant de la vente en ligne. Sans cela, la marque bât de l’aile et adieu les clients, les ventes et les recettes, on ferme la boutique ! Par conséquent, Les 3 Suisses ont essayé de prendre en compte les critiques pour ne pas négliger l’impact irrémédiable que celles-ci pouvaient avoir sur l’image de marque. Une communication de crise était essentielle pour calmer la foule. Et voici ce qu’a répondu la marque sur son compte Twitter et Facebook :
La marque a choisi de s’excuser platement en en disant le moins possible tout en donnant des justifications quelque peu vaseuses. Mais ces justifications sont-elles de bon aloi ?
Vous avez dit « newsjacking » ?
Le « newsjacking », ou marketing en temps réel, est cette tendance à surfer sur l’actualité pour la tourner à son avantage. C’est savoir et pouvoir s’approprier l’actualité pour soi afin de servir ses intérêts et créer le buzz. Aujourd’hui les marques savent très bien saisir l’air du temps et s’en jouer. Le cas des 3 Suisses est intéressant car il illustre bien de façon aussi bien positive que négative cette tendance. La marque avait su profiter de la bévue publicitaire de La Redoute en 2012 qui avait laissé échapper un arrière-plan quelque peu imprévu sur l’une de ses publicités. La marque Les 3 Suisses avait tiré profit de la situation en jouant la carte de l’humour.

 
Mais toute l’actualité n’est pas forcément bonne à utiliser dans une stratégie de communication. Et les attentats terroristes ne peuvent définitivement pas servir impunément la notoriété d’une marque. Comment le pourraient-ils quand on sait que JeSuisCharlie porte une identité qui n’a absolument rien à voir avec celle de la marque de vêtements ? L’identité de JeSuisCharlie est symbolique, elle représente une collectivité. Même si le cas est éminemment français, c’est la communauté la plus grande qui soit, celle des citoyens du monde, qui s’est sentie agressée par les terroristes islamistes. Or, en voulant fusionner son identité de marque à celle de JeSuisCharlie, la marque des 3 Suisses s’est mis à dos cette communauté créant ainsi un véritable bad buzz. Si #JeSuisCharlie peut se comprendre comme une image de marque devenue stéréotype à laquelle adhère un collectif, elle ne peut tout bonnement pas entrer dans une logique marchande. Déjà parce-que c’est contraindre une forme d’énonciation collective à faire l’objet d’un processus marchand. C’est donc entrer en collision avec le corps social. Ensuite, c’est profiter d’une situation scandaleuse et dramatique pour la tourner à son avantage, se réapproprier ce qui est vécu collectivement pour son propre bénéfice individuel, égoïste et égocentrique. Que les choses soient claires, mettre ça sur le compte de la charité financière ou de l’expression d’une forme de solidarité n’est définitivement pas une excuse valable.
Le mieux aurait été d’afficher le logo JeSuisCharlie, façon discrète de communier aux évènements à son échelle. L’heure n’était pas à la recherche à tout prix d’une forme d’originalité dans la douleur qui se traduirait par une mise en avant singulière de soi, mais à la discrétion, ce que Pierre Zaoui appelle « l’art de disparaître ». La discrétion ou la possibilité de faire l’expérience la plus authentique et donc la plus réelle du monde. L’occasion de participer anonymement aux évènements qui ont atteint et ébranlé la sphère publique.
Jeanne Canus-Lacoste
Sources :
leblogducommunicant2-0.com
konbini.com
latribune.fr
tempsreel.nouvelobs.fr
lesechos.fr
Crédits photo :
leparisien.fr
europe1.fr
Capture d’écran du site en ligne «jesuischarlie.net», finalement supprimé le 8 janvier 2015
Capture d’écran d’une vente aux enchères du dernier exemplaire de Charlie Hebdo sur eBay
lilavert.com
leblogducommunicant2-0.com
leplus.nouvelobs.com
les-perles-du-net.fr
ladepeche.fr

Flops

Tous les coups sont-ils vraiment permis ?

M6 : « la petite chaîne qui monte ou la grande qui descend » ?
M6 va mal. Sans être catastrophiques, les audiences de la chaîne sont en berne et, le moins que l’on puisse dire, c’est que les stratégies de programmation manquent cruellement d’originalité pour sortir la 6 de ce marasme. Le nouveau directeur général des programmes, Frédéric de Vincelles, annonce d’emblée la couleur : « je ne viens pas faire une révolution » bien qu’il continue à développer et « chercher des idées nouvelles ». Dernière trouvaille en date : Tous les couples sont permis qui débarque en access-prime time et reprend la case qu’occupait le deuxième épisode des Reines du Shopping à 18h40. Le but est d’élire le couple le plus emblématique, le plus parfait, celui qui « est fait pour être ensemble ». Des candidates-juges aidées de leurs petits amis se donnent en spectacle et s’offrent aux notes de leurs concurrentes. Mais on ne peut parler de couple sans que des sujets comme la sexualité et les fantasmes ne soient abordés. Quid de la tonalité familiale de la chaîne et de l’horaire en question ? M6 s’engouffre dans le sillon de la TNT (de Vincelles est l’ancien directeur général de W9) et le premier casting de l’émission emprunte à la fois aux Ch’tis, à Tellement vrai ou encore à Confessions intimes. Tous les candidats viennent de Lille et de sa région et l’éventail des couples proposés se décline de l’exhib, à la majorette en passant par les kékés sportifs.

Un concept d’émission loin d’être novateur
Tous les couples sont permis se développe selon un format de candidat-juge connu de tous, recyclé à n’en plus pouvoir, à en dégouter le téléspectateur. Afin d’établir les vainqueurs, 5 critères, pour le moins surprenants, rentrent en compte pour le jugement final :

la première impression : quel couple est le mieux assorti physiquement
le secret du bonheur à deux
la déclaration d’amour (effectuée par l’homme)
le défi (rester complice face à une épreuve du quotidien)
le quizz (qui se connaît le mieux).

Voilà donc des passages obligés pour décréter la solidité d’un couple ou la sincérité des sentiments… Nous pouvons dresser des parallèles avec une émission phare de la chaîne qui a récemment été supprimée de la grille : Un dîner presque parfait. Mais, non content de reprendre des concepts déjà éprouvés, M6 pille son concurrent direct : TF1. Ainsi, à la manière de 4 mariages pour une lune de miel ou encore de Bienvenue au camping : les candidats ne sont plus uniquement acteurs et juges du programme, ils deviennent spectateurs et sont confrontés à la violence des remarques de leurs concurrents, gage d’un cocktail explosif. Le téléspectateur, lové dans son canapé, se délecte des réactions des couples et des réponses formulées à chaud suite aux insultes proférées et attend avec impatience les retrouvailles de fin de semaine, signes de règlements de compte. Mais rien ne se passe. Le nouveau programme de M6 qui prend donc place à une heure hautement concurrentielle où les enjeux liés aux revenus publicitaires sont conséquents ne convainc pas, pire ne surprend pas. Les candidats sont trop lisses, sans aspérité, archétypiques : on observe se mouvoir des quadras autonomes, des jeunes beaux autoproclamés Barbie et Ken, des retraités lubriques hyperactifs et un jeune couple fusionnel. Rien de bien moderne dans tout cela. M6 la chaîne jeune se la joue conformiste. Il n’y a qu’à voir l’image dépeinte de la femme pour s’en convaincre : mesquine, médisante, adepte de la méchanceté gratuite. Triste tableau. Mesdames, vous n’en sortez pas grandies. Le concept de l’émission a pourtant tout pour être subversif et politique à l’heure où l’on débat, dans notre société, de la place accordée à la cellule familiale, de ce qu’est un couple, de ce qu’est le mariage. Malheureusement, toute réflexion, tout regard critique semblent absents de ce divertissement.
Aller toujours plus loin dans l’intimité : le mythe de la transparence
Le voyeurisme est à son paroxysme avec cette émission. Ce n’est plus seulement leur cuisine ou leur dressing que les candidats ouvrent bien volontiers, mais leur chambre et par conséquent leur intimité. Ce lieu, inaccessible à l’accoutumée, du secret et du désir voit son verrou sauter. La lumière est faite sur tout, absolument tout : les photos de vacances sur une plage naturiste, les lieux les plus insolites où s’est déroulé « un câlin »… Tout est déballé sur la place publique : sentiments, confessions, déclarations d’amour. D’ailleurs, certains candidats, honteux au moment de se visionner, prient pour que les images défilent plus vite. C’est qu’il y a un paradoxe majeur dans Tous les couples sont permis : pourquoi vouloir mettre en lumière ce qui prend sa pleine puissance dans l’obscurité ? Cette volonté omnisciente n’annihile-t-elle pas ce qui fait la beauté intrinsèque du sentiment amoureux ? Le désir ne naît-il pas plutôt de ce qui est caché laissant ainsi pleinement s’exprimer l’imagination et l’entraperçu n’a-t-il pas un pouvoir évocateur bien supérieur à ce qui est entièrement donné à voir ? Une autre contradiction importante réside dans la mise en scène de la relation amoureuse des candidats. Ils jouent un rôle et poussent le curseur à son maximum quitte à devenir caricaturaux. Ce spectacle télévisuel ne fait pas dans la demi-mesure : on rejoue les déclarations d’amour (on reproche même au couple de sexagénaires sa théâtralité : mais de qui se moque-t-on ?) et les candidats ne délaissent jamais le registre de l’ostentation. Seules les apparences et les faux-semblants comptent. Il convient de donner à voir, de laisser entendre qu’on est heureux pour gagner le suffrage. Le paraître signe sa victoire définitive sur l’être… Quel comble pour une émission qui se propose d’élire le plus beau couple, n’est-ce pas plutôt le moment où l’on est le plus soi qui prime ?

Francis Métivier dans l’Obs note la fusion des deux derniers échelons de la pyramide de Maslow : le besoin de reconnaissance et celui d’épanouissement afin de parvenir à une reconnaissance publique. La conviction que l’on est bien avec son conjoint ne nous appartient plus uniquement, le regard des autres et leur consentement deviennent primordiaux car la décision finale leur revient. La sphère du privé se dissout dans celle du public : cela s’opère face à la caméra, dans l’ouverture la plus totale de son espace personnel. « Vivons heureux, vivons cachés » … L’adage a du plomb dans l’aile. L’émission s’achève avec la même conclusion pour tous les couples : « nous c’est nous et on est unique », « nous on a notre histoire, les autres ne peuvent pas comprendre ». Alors à quoi bon ? C’est sans doute pour cela que les téléspectateurs ne sont, pour l’instant, pas au rendez-vous. L’émission réunit environ 500 000 personnes de moins que les reines du shopping et sa charismatique Cristina.
Jules Pouriel
Sources :

leplus.nouvelobs.com
television.telerama.fr
effeuillage-la-revue.fr
Crédits images :
 
ozap.com
programme-tv.net
 
 

timbuktu film
Société

La radicalisation religieuse : l'expression d'un mal-être

Aujourd’hui, on est en droit de se demander quel peut bien être le lien entre, d’une part le fondamentalisme religieux et de l’autre, la discipline de la communication. Et pourtant, ne pourrait-on pas dire que ce fondamentalisme est un moyen d’expression et, en ce sens une tentative de communication ? Si l’on en suit la thèse d’Olivier Roy : en Occident, l’Islamisme politisé est un discours de protestation. « L’Islamisme est avant tout un mouvement socioculturel incarnant la protestation et la frustration d’une jeunesse qui n’est pas intégrée socialement et politiquement. » S’il y a discours, il y a donc tentative de communication. De toute évidence, cette tentative de prise de contact a échoué.
D’aucuns pensent que s’interroger sur les causes du terrorisme reviendrait à lui trouver des excuses et par conséquent à le légitimer. Le terrorisme est quelque chose qui fonctionne en réseaux et pour le combattre les interventions militaires ne suffiront jamais. Il faut faire autre chose, comme par exemple réfléchir à ses causes. Ainsi, il existe une autre école, celle qui cherche à mieux connaître son ennemi, pour mieux le combattre.
Déficit d’intégration, la provocation pour être entendu
Et si le point de départ d’un certain nombre de radicalisations n’était qu’un simple signal de détresse ? Rien de plus qu’un indice pour attirer l’attention et dénoncer quelque-chose qui fonctionne mal : l’intégration ? Et qui avec le temps, face à l’indifférence, aurait fini par enflammer les esprits de certains et se traduire en extrémisme radical, donnant ainsi du grain à moudre à la phobie anti-musulmane ? Toute la complexité de ce cercle vicieux est ici.
Les difficultés d’intégration d’une population seraient-elles la racine principale de la radicalisation islamique en Occident ? Ce message, ce cri d’alerte quant aux problèmes d’intégration n’a, de toute évidence, pas été reçu. En conséquence de cet échec communicationnel, les problèmes n’ont fait qu’empirer. Le fossé entre le monde musulman et le monde occidental s’est creusé, et ce jusqu’à atteindre des extrêmes comme celui que nous avons vécu du 7 au 9 janvier 2015.
En effet, selon Farhad Khosrokhavar, les djihadistes auteurs des attentats contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher sont des enfants d’immigrés, victimes de l’exclusion des cités dans lesquelles ils ont grandi, exclusion économique, géographique mais aussi et surtout sociale et mentale. Ces jeunes grandissent avec l’impression que l’ensemble de la société leur en veut, comme le développe le sociologue Abdelmalek Sayad. Et sont ainsi voués à des attitudes contradictoires. Enfants d’immigrés, ils ne sont pas pour autant immigrés eux-mêmes. Pourtant en France ils ne sont pas considérés comme de vrais Français. Et quand ils vont passer les vacances d’été dans le pays d’origine de leurs parents, ils ne sont pas non plus considérés comme de vrais nationaux. Enfants d’immigrés, ils sont beaucoup plus critiqués que leurs parents, ceux-ci pouvant se targuer d’être hors-jeu.
Face à une identité dénigrée, l’Islam comme quête de sens
Pour un certain nombre d’entre eux, l’Islam, vu comme un « retour aux sources » est alors devenu un facteur d’intégration social. À force d’entendre le reste du pays leur dire « Vous n’êtes pas des nôtres », ils ont fini par prendre le pli et répondre « Nous ne voulons pas être des vôtres. »
Ils ne seront jamais considérés comme pleinement Français, ils ne seront jamais considérés comme pleinement Maliens, ni pleinement Algériens etc… Alors il leur faut se construire une identité, ils seront musulmans pratiquants, et bien plus pratiquants que leurs aînés eux-mêmes. Or, comme le développe très bien le philosophe Charles Taylor, toute identité a besoin de reconnaissance. « Sur le plan personnel, on peut voir à quel point une identité originale a besoin d’une reconnaissance donnée ou retenue par des « autres donneurs de sens », à quel point elle y est vulnérable. […] La reconnaissance n’est pas simplement une politesse que l’on fait aux gens : c’est un besoin vital. »
Toute formulation identitaire a besoin d’une politique de reconnaissance égalitaire dans la sphère publique. Et c’est là tout le paradoxe. Depuis que nous sommes passés de la société holiste à la société organique, depuis que nous sommes entrés dans le monde moderne et laïc, la religion est devenue par définition quelque-chose de fondamentalement privé. Or, plus ces politiques de reconnaissances sont déficientes, et plus la question identitaire de ces communautés est reformulée, avec plus de retentissement que jamais.
Aujourd’hui, la croyance, ou les croyances, se muent en identités. La conscience religieuse a atteint des aspirations identitaires et en ce sens exige une reconnaissance dans l’espace public. L’appartenance religieuse, ainsi revendiquée, devient constitutive de sa singularité personnelle.
Dans le dernier film d’Abderrahmane Sissako, Timbuktu, une scène très frappante montre une jeune recrue djihadiste recommencer maintes et maintes fois une vidéo de propagande et échouer à démontrer de l’enthousiasme et de la conviction pour l’enregistrement, comme s’il ne croyait pas en ce qu’il était chargé de dire face caméra.

© Capture d’écran nytimes.com
Une des solutions, mais pas des moindres, serait donc de réintroduire plus de dialogue, voire même d’introduire un dialogue qui n’a jamais existé comme certains le dénoncent aujourd’hui. Cela pourrait paraître trivial et pourtant, il faudrait peut-être, au lieu de parler des Musulmans, commencer à parler avec eux ?
Marie Mougin
@mellemougin
Sources :
La Religion dans la démocratie – Marcel Gauchet (1998)
Tuez-les tous ! La guerre de religion à travers l’Histoire VIIème – XXIème siècle, Elie Barnavi – Anthony Rowley (2006)
La Culture générale à Sciences Po – Sedes (2010)
Chronique des idées contemporaines – Bréal (2012)
Questions politiques – Vuibert (2013)
L’Actualité au regard de l’Histoire, Jean-Noël Jeanneney (2013)
La Géopolitique – Pascal boniface (2014)
L’attentat contre Charlie Hebdo vu par Farhad Khosrokhavar – Bondy Blog
L’image de couverture est un screenshot du film Timbuktu.

fanfiction
Société

50 nuances de fan-fictions

La prochaine sortie en salle de 50 Nuances de Grey provoque l’hystérie chez les ménagères et adolescentes pré-pubères. De nombreux teasers et photos du tournage circulent déjà sur les réseaux sociaux ; déchaînant ainsi les fans invétérés du fameux roman érotique de E.L James, dont le film est inspiré. Mais saviez-vous que cette trilogie est initialement une fan-fiction de la saga Twilight ? Et que sa première version fut premièrement auto-publiée sur le site de l’auteur, puis sur le site The Writers’ Coffee Shop ? Cet exemple démontre ainsi l’importance de ce phénomène qui remet en question notre façon de consommer la culture, mais aussi le statut même de l’écrivain. Zoom sur les « fan-fics » (comme on les appelle dans le jargon), récits amateurs qui vont parfois jusqu’à être publiés par des éditeurs de renom et qui deviennent des best-sellers internationaux, à l’instar de 50 nuances de Grey.
Le principe des fan-fictions

Les fan-fictions sont des textes écrits par des fans de livres, de films ou de célébrités tels que Harry Potter, Twilight ou encore Les One direction. Ces productions prolongent, transforment les récits initiaux et sont hébergées par des sites spécialisés comme Fanfiction, Quotv ou encore Kindle Worlds. On peut aisément y trouver des histoires mettant en scène une relation amoureuse entre Harry Potter et Goyle ou encore Bella et le père d’Edward. La boîte de Pandore s’est ouverte, place aux fantasmes !

Une pratique communautaire
On observe depuis un certain temps, l’avènement des sites participatifs de crowdfounding qui proposent à qui le souhaite de financer des projets collectifs et d’apporter, par une modeste contribution, sa pierre à l’édifice. Il semblerait que les fan-fictions s’inscrivent dans cette même dynamique. En effet, les lecteurs de « fan-fic » sont appelés à liker, à commenter et à partager l’œuvre mise en ligne. L’auteur peut ainsi avoir un feedback presque instantané sur sa production et adapter son œuvre aux demandes du public, s’il le souhaite – un système qui lui permet de mettre à l’épreuve son talent auprès de son cœur de cible.
De plus, ces sites d’hébergements rassemblent des communautés de fans qui partagent une passion commune, une passion qu’ils font perdurer. L’auteur sait donc à l’avance que le thème de son livre plaira, puisqu’il reprend l’univers chéri par ses lecteurs.
Un renouveau dans le travail d’écriture
Il existe deux grandes catégories de fan-fictions : le « one shot » et la « long story ». Le « one shot » tient en une page, consiste bien souvent en un passage érotique et se lit d’une traite. La « long story », quant à elle, est un récit plus construit pouvant faire jusqu’à 100 000 mots et plus. Elle développe des passages du roman peu explicités par l’auteur initial par exemple.
Le format « one shot » est tout particulièrement intriguant. A l’heure du « porno à gogo », cette forme de pornographie 2.0 nous apparait comme plus « romantique », car plus romancée. Elle met en scène des personnages fantasmés lors de nos lectures qui sont bien souvent des couples gays. Cela permet sans doute aux lectrices de se distancer, de se déculpabiliser en sachant qu’elles relatent des ébats sexuels d’hommes. Autre fait étrange, les fan-fictions sont majoritairement rédigées par la gente féminine puisque selon les statistiques de fanfiction.net, 78% de ses membres seraient des femmes.

Ces jeunes femmes des « générations y et z » n’auraient-elles pas créé une forme de pornographie féminine, relativement crue mais surtout laissant plus de place à la libre interprétation ?
L’explosion de l’écriture de fan-fictions rappelle le phénomène des blogueurs. Taxés d’amateurs, ils furent longtemps controversés quant à leur statut hybride, mi-journaliste, « mi-monsieur-tout-le-monde », puis peu à peu acceptés notamment grâce à la fleuraison de nombreuses versions web de nos célèbres quotidiens.
Preuve que cette tendance est déjà en passe d’être intégrée : Amazon a créé un site d’hébergement de fan-fictions. A quand la création d’un site lemondedegallimard.fr ?
Enfin, il est de notre devoir de nous demander si cette nouvelle pratique d’écriture n’est pas en train de faire émerger un nouveau genre littéraire car en septembre 2011 on pouvait accéder à 4 064 615 récits sur fanfiction.net.
Un éditeur au plus près des désirs des lecteurs
On connaît bien les catégories classiques de romans telles que le thriller, le roman historique, le fantastique ou la science-fiction qui nous permettent d’orienter nos choix de lectures. Cependant, ceci n’est pas comparable au système de personnalisation extrême mis en place par les sites d’hébergement de fan-fictions. Ces derniers permettent au lecteur de choisir la longueur du récit, les personnages mis en scène, le type de récit (humour, horreur), le degré d’érotisme ou de violence, la période durant laquelle se déroule l’histoire (ex: avant ou après la création de Poudlard pour les fan-fictions d’Harry Potter), la présence de couple de personnages ou non et la langue.
Le lecteur a donc la possibilité de trouver un produit culturel sur mesure, répondant exactement à ce qu’il recherche, ce qui laisse peu de place à la découverte et aux bonnes surprises que l’on peut éprouver lorsqu’on déniche un roman en brocante par exemple.
Mais nous le savons, notre génération sait trouver de l’information tout en optimisant son temps. C’est pourquoi cette solution proposée par l’éditeur est en totale adéquation avec la demande de beaucoup de lecteurs de la tranche 15-25 ans.

Par ailleurs, ces produits culturels sont gratuits. En effet, les auteurs de fan-fictions ne sont pas rémunérés. Les « success stories »  comme celle d’Anna Todd sont rares. Cette jeune femme de 25 ans fut l’auteur d’une fan-fiction relatant la vie d’un des membres du groupe One direction qui sera bientôt adaptée au cinéma.
Cependant, on peut aisément imaginer un nouveau modèle qui intégrerait les marques. Les auteurs, habitués à une certaine flexibilité, pourraient par exemple faire du placement de produit.
Un fantasme d’enfant gâté
Néanmoins, cette tendance comporte un aspect « caprice d’enfant gâté ». Ne sommes-nous pas capables d’accepter la fin d’une saga ?
Le parallèle avec le film Misery de Rob Reiner (1990) est assez fascinant. Ce film relate l’histoire d’un romancier à succès qui achève son dernier livre et est victime d’un accident de voiture en apportant le manuscrit à son éditeur. Sauvé de justesse par une fan de ses romans, il est cajolé par cette dernière durant sa convalescence. Elle le convainc alors de lire son dernier ouvrage mais elle est hélas déçue par la fin du roman et finit par séquestrer l’auteur, afin qu’il la modifie à son goût.
Il s’agit certes d’un scénario extrême mais il saisit parfaitement le cercle vicieux de ce genre de processus qui enferme le lecteur dans un appétit insatiable.

« Paul Sheldon used to write for a living.
Now he’s writing to stay alive. »
 S’il est indéniable que cette tendance explose, son évolution semble compromise. En effet, les fan-fictions ne peuvent se développer qu’autour de romans ayant un univers très fort et un style littéraire fort pauvre, car les auteurs-amateurs ne peuvent copier la patte de grands écrivains. Les fan-fics seront donc cantonnées à  des ouvrages mainstreams, souvent à destination d’un public d’adolescents. Cependant, celles-ci peuvent être une alternative permettant de promouvoir la lecture auprès des jeunes lecteurs, qui bien souvent la délaissent au profit des écrans.
Enfin, des enjeux légaux entravent également le développement de ce nouveau genre littéraire. Les « apprentis écrivains » ne détiennent pas les droits d’auteurs et ne peuvent donc pas, jusqu’à un certain point, exploiter les personnages et l’univers de l’auteur.
Le droit patrimonial les empêche de capter le lectorat acquis par l’auteur et d’en tirer profit. Le droit moral protège, quant à lui, le lien artistique entre l’œuvre et son auteur afin d’empêcher toutes nuisances à l’image de l’œuvre initialement produite. Mais les fan-fictions sauront-elles respecter ce mélange entre inspiration et plagiat afin de protéger au mieux ce nouveau mouvement littéraire ?
Clara Duval
Sources :
etude.fanfiction.free.fr
slate.fr
mag.monchval.com
Crédits photos :
leschroniquesculturelles.com
lesinrocks.com
m.leplus.nouvelobs.com
citelighter-cards.s3.amazonaws.com
journalzoical.files.wordpress.com
aki-hoshi.com
jeffkatz.typepad.com
static1.purepeople.com
folkr.fr

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erdogan liberté de la presse
Com & Société

Turquie – la liberté de presse, oui mais…

Turquie – la liberté de presse, oui mais…
Mercredi 14 janvier, les rescapés de Charlie Hebdo, l’hebdomadaire satirique français victime d’une attaque meurtrière dans sa salle de rédaction le 7 janvier, publiaient le premier numéro de l’après-attentat. Ce même jour, le quotidien turc Cumhuriyet publiait dans ses pages un carnet spécial de quatre pages, reprenant un condensé de l’édition de Charlie. Après coup, la Turquie apparaît comme le seul pays musulman à avoir publié les dessins de Charlie Hebdo, en particulier la caricature du Prophète, mais les choses ne sont pas si roses.
Charlie Hebdo : après le soutien, la censure
Connu pour son ton indépendant et très critique vis-à-vis du gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdoğan, le journal Cumhuriyet a vu les forces de l’ordre faire irruption dans les locaux de l’imprimerie, dans la nuit du 13 au 14 janvier, afin de contrôler la parution du lendemain. Se contentant de vérifier la Une et le supplément consacré à Charlie Hebdo, les policiers n’ont pas vu la caricature du Prophète représentant Mahomet la larme à l’œil, portant une pancarte « Je suis Charlie », que la rédaction avait pris soin de ne pas publier en Une ni dans le supplément, et ainsi n’ont pas saisi la parution. Pour trouver la caricature, qui s’est glissée en petit format, mais tout de même par deux fois dans le journal, il fallait aller à la page 5 et à la page 12. En l’absence d’informations complémentaires sur le déroulement du contrôle, nous pouvons supposer que les forces de l’ordre n’ont pas été autorisées à ouvrir le journal pour en contrôler les pages.

Dès le lendemain les représailles ne se sont pas fait attendre. Sur Facebook, une organisation appelée « Jeunesse musulmane » s’est insurgée et a appelé ses membres à organiser des descentes dans les bureaux du journal. Du côté des politiques, la condamnation a également fusé. Le premier ministre Ahmet Davutoğlu que l’on avait vu dans les rues de Paris auprès des autres chefs d’État lors de la Marche Républicaine du 11 janvier, a affirmé le jeudi 15 « Nous ne pouvons pas accepter les insultes faîtes au prophète » et « La publication de cette caricature est une grave provocation. […] La liberté de presse ne signifie pas la liberté d’insulter. », avant de s’envoler pour Bruxelles.

Condamnation également de la part du vice-premier ministre Yalçın Akdoğan « Ceux qui méprisent les valeurs sacrées des musulmans en publiant des dessins représentant prétendument notre prophète sont clairement coupables de provocation. » Ainsi que du maire d’Ankara, Melih Gökçek, pour qui Cumhuriyet dépeint « les musulmans comme agresseurs à échelle mondiale ». Lui-même affirme que les attentats de Paris sont le fait du Mossad, comme s’il était incapable de reconnaitre qu’il puisse exister une branche de croyants qui interprètent l’Islam de manière intégriste et l’utilisent de manière condamnable. Le gendarme des médias RTÜK, pour Radyo ve Televizyon Üst Kurulu, Haut Conseil de la radio et de la télévision, mais aussi bien de tous les organes de presse, a appelé la Justice à se saisir de cette affaire. Et elle lui a donné raison : « Les mots, écrits, dessins et publications qui dénigrent les valeurs religieuses et le prophète sont une insulte pour les croyants. » Résultat, les adresses URL de tous les sites Internet qui ont publié la Une du Charlie Hebdo du 14 janvier furent bloquées : Birgun.net, Internethaber.com, Thelira.com et T24.com. L’accès à ces sites est devenu impossible pour toute connexion Internet basée en Turquie.
La censure des médias, dans les us et coutumes turcs
De telles mesures ont amené d’autres médias, qui n’étaient pourtant pas menacés directement, à s’autocensurer. Ce fut le cas du quotidien Milliyet qui a retiré de son site, le même mercredi 14 janvier, un édito sur l’Islam. La journaliste Mehves Evin y écrivait entre autres : « Les musulmans conservateurs doivent sortir de leur mentalité du 13ème, ils doivent faire leur autocritique, entamer une réforme, afin de faire entrer l’islam dans le XXIème siècle. »
Toutefois, de telles pratiques ne sont ni nouvelles ni spécifiques aux attentats de Charlie Hebdo. Elles s’inscrivent plutôt dans une tradition de censure des médias de la part du gouvernement Erdoğan. Les médias turcs ont régulièrement des « interdictions de couverture » de la part du gouvernement. Comme le démontre l’épisode des manifestations de la place Taksim, pour la défense du parc Gezi, dont FastNCurious vous parlait ici.
Au mois de décembre dernier, une vague d’arrestations s’est abattue sur une trentaine de journalistes, dont Ekrem Dumanli, rédacteur en chef du quotidien national Zaman et Fetullah Gulen le président de la chaîne de télévision « Samanyolu TV », avec comme accusation de « former un gang pour attenter à la souveraineté de l’État ». Le RTUK a également pour fâcheuse habitude de menacer de poursuites judiciaires les médias numériques transnationaux tels que Facebook, Twitter et Youtube, pour la diffusion de contenus qui ne lui plaisent pas. En novembre dernier par exemple, Twitter a été bloqué sur le réseau national pendant deux semaines et Youtube pendant deux mois, pour propagation de contenus accusant le gouvernement Erdoğan et ses proches, en particulier son fils, de corruption. Selon un rapport rendu disponible par Facebook, le gouvernement turc, lui, a fait 1 893 demandes de retrait de contenus aux cours du premier semestre de 2014. Et le rapport de Twitter sur le même sujet, tombé il ce mardi 10 février, a démontré que la Turquie est en deuxième position dans le top des demandes de retrait, juste après les Etats-Unis.
Pour en revenir à Cumhuriyet, le journal a vu sept de ses journalistes se faire assassiner en l’espace de cinq ans, entre 1990 et 1995, par des islamistes radicaux. Mais de toutes manières, il n’y a pas à s’inquiéter puisque, comme le dit le président Erdoğan, la presse turque est la plus libre du monde. Sinon, le journal The Yon Gazetsi paper remplace l’actualité de ses colonnes par des recettes de cuisines. Sur le site Milliyet News, Ferit Tunc affirme que le journal continuera sa protestation jusqu’à ce qu’il y ait une vraie liberté de presse. Mais c’est la parole d’un journaliste contre celle d’un président.
Marie Mougin
@mellemgn
Sources :
Turkey Threatens to Block Social Media Over Released Documents – NYTimes.com
BBC News – Turkey: Local newspapers front page recipe protest
En Turquie, médias et Internet à nouveau censurés
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