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Tous les coups sont-ils vraiment permis ?

M6 : « la petite chaîne qui monte ou la grande qui descend » ?
M6 va mal. Sans être catastrophiques, les audiences de la chaîne sont en berne et, le moins que l’on puisse dire, c’est que les stratégies de programmation manquent cruellement d’originalité pour sortir la 6 de ce marasme. Le nouveau directeur général des programmes, Frédéric de Vincelles, annonce d’emblée la couleur : « je ne viens pas faire une révolution » bien qu’il continue à développer et « chercher des idées nouvelles ». Dernière trouvaille en date : Tous les couples sont permis qui débarque en access-prime time et reprend la case qu’occupait le deuxième épisode des Reines du Shopping à 18h40. Le but est d’élire le couple le plus emblématique, le plus parfait, celui qui « est fait pour être ensemble ». Des candidates-juges aidées de leurs petits amis se donnent en spectacle et s’offrent aux notes de leurs concurrentes. Mais on ne peut parler de couple sans que des sujets comme la sexualité et les fantasmes ne soient abordés. Quid de la tonalité familiale de la chaîne et de l’horaire en question ? M6 s’engouffre dans le sillon de la TNT (de Vincelles est l’ancien directeur général de W9) et le premier casting de l’émission emprunte à la fois aux Ch’tis, à Tellement vrai ou encore à Confessions intimes. Tous les candidats viennent de Lille et de sa région et l’éventail des couples proposés se décline de l’exhib, à la majorette en passant par les kékés sportifs.

Un concept d’émission loin d’être novateur
Tous les couples sont permis se développe selon un format de candidat-juge connu de tous, recyclé à n’en plus pouvoir, à en dégouter le téléspectateur. Afin d’établir les vainqueurs, 5 critères, pour le moins surprenants, rentrent en compte pour le jugement final :

la première impression : quel couple est le mieux assorti physiquement
le secret du bonheur à deux
la déclaration d’amour (effectuée par l’homme)
le défi (rester complice face à une épreuve du quotidien)
le quizz (qui se connaît le mieux).

Voilà donc des passages obligés pour décréter la solidité d’un couple ou la sincérité des sentiments… Nous pouvons dresser des parallèles avec une émission phare de la chaîne qui a récemment été supprimée de la grille : Un dîner presque parfait. Mais, non content de reprendre des concepts déjà éprouvés, M6 pille son concurrent direct : TF1. Ainsi, à la manière de 4 mariages pour une lune de miel ou encore de Bienvenue au camping : les candidats ne sont plus uniquement acteurs et juges du programme, ils deviennent spectateurs et sont confrontés à la violence des remarques de leurs concurrents, gage d’un cocktail explosif. Le téléspectateur, lové dans son canapé, se délecte des réactions des couples et des réponses formulées à chaud suite aux insultes proférées et attend avec impatience les retrouvailles de fin de semaine, signes de règlements de compte. Mais rien ne se passe. Le nouveau programme de M6 qui prend donc place à une heure hautement concurrentielle où les enjeux liés aux revenus publicitaires sont conséquents ne convainc pas, pire ne surprend pas. Les candidats sont trop lisses, sans aspérité, archétypiques : on observe se mouvoir des quadras autonomes, des jeunes beaux autoproclamés Barbie et Ken, des retraités lubriques hyperactifs et un jeune couple fusionnel. Rien de bien moderne dans tout cela. M6 la chaîne jeune se la joue conformiste. Il n’y a qu’à voir l’image dépeinte de la femme pour s’en convaincre : mesquine, médisante, adepte de la méchanceté gratuite. Triste tableau. Mesdames, vous n’en sortez pas grandies. Le concept de l’émission a pourtant tout pour être subversif et politique à l’heure où l’on débat, dans notre société, de la place accordée à la cellule familiale, de ce qu’est un couple, de ce qu’est le mariage. Malheureusement, toute réflexion, tout regard critique semblent absents de ce divertissement.
Aller toujours plus loin dans l’intimité : le mythe de la transparence
Le voyeurisme est à son paroxysme avec cette émission. Ce n’est plus seulement leur cuisine ou leur dressing que les candidats ouvrent bien volontiers, mais leur chambre et par conséquent leur intimité. Ce lieu, inaccessible à l’accoutumée, du secret et du désir voit son verrou sauter. La lumière est faite sur tout, absolument tout : les photos de vacances sur une plage naturiste, les lieux les plus insolites où s’est déroulé « un câlin »… Tout est déballé sur la place publique : sentiments, confessions, déclarations d’amour. D’ailleurs, certains candidats, honteux au moment de se visionner, prient pour que les images défilent plus vite. C’est qu’il y a un paradoxe majeur dans Tous les couples sont permis : pourquoi vouloir mettre en lumière ce qui prend sa pleine puissance dans l’obscurité ? Cette volonté omnisciente n’annihile-t-elle pas ce qui fait la beauté intrinsèque du sentiment amoureux ? Le désir ne naît-il pas plutôt de ce qui est caché laissant ainsi pleinement s’exprimer l’imagination et l’entraperçu n’a-t-il pas un pouvoir évocateur bien supérieur à ce qui est entièrement donné à voir ? Une autre contradiction importante réside dans la mise en scène de la relation amoureuse des candidats. Ils jouent un rôle et poussent le curseur à son maximum quitte à devenir caricaturaux. Ce spectacle télévisuel ne fait pas dans la demi-mesure : on rejoue les déclarations d’amour (on reproche même au couple de sexagénaires sa théâtralité : mais de qui se moque-t-on ?) et les candidats ne délaissent jamais le registre de l’ostentation. Seules les apparences et les faux-semblants comptent. Il convient de donner à voir, de laisser entendre qu’on est heureux pour gagner le suffrage. Le paraître signe sa victoire définitive sur l’être… Quel comble pour une émission qui se propose d’élire le plus beau couple, n’est-ce pas plutôt le moment où l’on est le plus soi qui prime ?

Francis Métivier dans l’Obs note la fusion des deux derniers échelons de la pyramide de Maslow : le besoin de reconnaissance et celui d’épanouissement afin de parvenir à une reconnaissance publique. La conviction que l’on est bien avec son conjoint ne nous appartient plus uniquement, le regard des autres et leur consentement deviennent primordiaux car la décision finale leur revient. La sphère du privé se dissout dans celle du public : cela s’opère face à la caméra, dans l’ouverture la plus totale de son espace personnel. « Vivons heureux, vivons cachés » … L’adage a du plomb dans l’aile. L’émission s’achève avec la même conclusion pour tous les couples : « nous c’est nous et on est unique », « nous on a notre histoire, les autres ne peuvent pas comprendre ». Alors à quoi bon ? C’est sans doute pour cela que les téléspectateurs ne sont, pour l’instant, pas au rendez-vous. L’émission réunit environ 500 000 personnes de moins que les reines du shopping et sa charismatique Cristina.
Jules Pouriel
Sources :

leplus.nouvelobs.com
television.telerama.fr
effeuillage-la-revue.fr
Crédits images :
 
ozap.com
programme-tv.net
 
 

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Société

La radicalisation religieuse : l'expression d'un mal-être

Aujourd’hui, on est en droit de se demander quel peut bien être le lien entre, d’une part le fondamentalisme religieux et de l’autre, la discipline de la communication. Et pourtant, ne pourrait-on pas dire que ce fondamentalisme est un moyen d’expression et, en ce sens une tentative de communication ? Si l’on en suit la thèse d’Olivier Roy : en Occident, l’Islamisme politisé est un discours de protestation. « L’Islamisme est avant tout un mouvement socioculturel incarnant la protestation et la frustration d’une jeunesse qui n’est pas intégrée socialement et politiquement. » S’il y a discours, il y a donc tentative de communication. De toute évidence, cette tentative de prise de contact a échoué.
D’aucuns pensent que s’interroger sur les causes du terrorisme reviendrait à lui trouver des excuses et par conséquent à le légitimer. Le terrorisme est quelque chose qui fonctionne en réseaux et pour le combattre les interventions militaires ne suffiront jamais. Il faut faire autre chose, comme par exemple réfléchir à ses causes. Ainsi, il existe une autre école, celle qui cherche à mieux connaître son ennemi, pour mieux le combattre.
Déficit d’intégration, la provocation pour être entendu
Et si le point de départ d’un certain nombre de radicalisations n’était qu’un simple signal de détresse ? Rien de plus qu’un indice pour attirer l’attention et dénoncer quelque-chose qui fonctionne mal : l’intégration ? Et qui avec le temps, face à l’indifférence, aurait fini par enflammer les esprits de certains et se traduire en extrémisme radical, donnant ainsi du grain à moudre à la phobie anti-musulmane ? Toute la complexité de ce cercle vicieux est ici.
Les difficultés d’intégration d’une population seraient-elles la racine principale de la radicalisation islamique en Occident ? Ce message, ce cri d’alerte quant aux problèmes d’intégration n’a, de toute évidence, pas été reçu. En conséquence de cet échec communicationnel, les problèmes n’ont fait qu’empirer. Le fossé entre le monde musulman et le monde occidental s’est creusé, et ce jusqu’à atteindre des extrêmes comme celui que nous avons vécu du 7 au 9 janvier 2015.
En effet, selon Farhad Khosrokhavar, les djihadistes auteurs des attentats contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher sont des enfants d’immigrés, victimes de l’exclusion des cités dans lesquelles ils ont grandi, exclusion économique, géographique mais aussi et surtout sociale et mentale. Ces jeunes grandissent avec l’impression que l’ensemble de la société leur en veut, comme le développe le sociologue Abdelmalek Sayad. Et sont ainsi voués à des attitudes contradictoires. Enfants d’immigrés, ils ne sont pas pour autant immigrés eux-mêmes. Pourtant en France ils ne sont pas considérés comme de vrais Français. Et quand ils vont passer les vacances d’été dans le pays d’origine de leurs parents, ils ne sont pas non plus considérés comme de vrais nationaux. Enfants d’immigrés, ils sont beaucoup plus critiqués que leurs parents, ceux-ci pouvant se targuer d’être hors-jeu.
Face à une identité dénigrée, l’Islam comme quête de sens
Pour un certain nombre d’entre eux, l’Islam, vu comme un « retour aux sources » est alors devenu un facteur d’intégration social. À force d’entendre le reste du pays leur dire « Vous n’êtes pas des nôtres », ils ont fini par prendre le pli et répondre « Nous ne voulons pas être des vôtres. »
Ils ne seront jamais considérés comme pleinement Français, ils ne seront jamais considérés comme pleinement Maliens, ni pleinement Algériens etc… Alors il leur faut se construire une identité, ils seront musulmans pratiquants, et bien plus pratiquants que leurs aînés eux-mêmes. Or, comme le développe très bien le philosophe Charles Taylor, toute identité a besoin de reconnaissance. « Sur le plan personnel, on peut voir à quel point une identité originale a besoin d’une reconnaissance donnée ou retenue par des « autres donneurs de sens », à quel point elle y est vulnérable. […] La reconnaissance n’est pas simplement une politesse que l’on fait aux gens : c’est un besoin vital. »
Toute formulation identitaire a besoin d’une politique de reconnaissance égalitaire dans la sphère publique. Et c’est là tout le paradoxe. Depuis que nous sommes passés de la société holiste à la société organique, depuis que nous sommes entrés dans le monde moderne et laïc, la religion est devenue par définition quelque-chose de fondamentalement privé. Or, plus ces politiques de reconnaissances sont déficientes, et plus la question identitaire de ces communautés est reformulée, avec plus de retentissement que jamais.
Aujourd’hui, la croyance, ou les croyances, se muent en identités. La conscience religieuse a atteint des aspirations identitaires et en ce sens exige une reconnaissance dans l’espace public. L’appartenance religieuse, ainsi revendiquée, devient constitutive de sa singularité personnelle.
Dans le dernier film d’Abderrahmane Sissako, Timbuktu, une scène très frappante montre une jeune recrue djihadiste recommencer maintes et maintes fois une vidéo de propagande et échouer à démontrer de l’enthousiasme et de la conviction pour l’enregistrement, comme s’il ne croyait pas en ce qu’il était chargé de dire face caméra.

© Capture d’écran nytimes.com
Une des solutions, mais pas des moindres, serait donc de réintroduire plus de dialogue, voire même d’introduire un dialogue qui n’a jamais existé comme certains le dénoncent aujourd’hui. Cela pourrait paraître trivial et pourtant, il faudrait peut-être, au lieu de parler des Musulmans, commencer à parler avec eux ?
Marie Mougin
@mellemougin
Sources :
La Religion dans la démocratie – Marcel Gauchet (1998)
Tuez-les tous ! La guerre de religion à travers l’Histoire VIIème – XXIème siècle, Elie Barnavi – Anthony Rowley (2006)
La Culture générale à Sciences Po – Sedes (2010)
Chronique des idées contemporaines – Bréal (2012)
Questions politiques – Vuibert (2013)
L’Actualité au regard de l’Histoire, Jean-Noël Jeanneney (2013)
La Géopolitique – Pascal boniface (2014)
L’attentat contre Charlie Hebdo vu par Farhad Khosrokhavar – Bondy Blog
L’image de couverture est un screenshot du film Timbuktu.