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Agora, Com & Société

En guerre contre la troisième révolution industrielle

Baudelaire fustigeait le progrès : selon le poète, « cette idée grotesque » était le germe de la décadence, une funeste confusion de la matière et de l’esprit, ce qui finirait par avilir l’humanité au lieu de l’affranchir.
Du luddisme à la Silicon Valley
Bien avant l’arrivée des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), de la démocratisation d’internet et des smartphones, le sociologue Jacques Ellul parlait dès les années 1970 du basculement de la « société industrielle » vers ce qu’il appelait « la société technicienne ». Sa théorie : tout reposerait sur les réseaux d’information et non plus sur les circulations de marchandises. En somme : l’avènement de la société de communication, dont le plus grand promoteur est Jeremy Rifkin et sa notion de « Troisième Révolution industrielle », une nouvelle révolution qui se distinguerait par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
A chaque révolution sa contestation. La technophobie contemporaine serait-elle une nouvelle forme de luddisme ? Au début du 19ème siècle, l’Angleterre connaît la révolution industrielle : les machines paraissent menaçantes. Les luddistes sont des artisans qui se réunissent pour briser les machines des manufactures de l’industrie textile, vecteur de déshumanisation et symbole du capitalisme. Deux siècles plus tard, les GAFA sont le nouveau visage de la classe capitaliste.

Un néo-luddisme apparaît en conséquence : destructions de Google Car, vols de Google Glass, immobilisation des bus des salariés de Google et Yahoo. Depuis l’année dernière, les militants de The Counterforce protestent contre les GAFA et la gentrification de San Francisco dont ils sont accusés. Le propriétaire capitaliste exploitant le prolétariat est dépassé, bienvenue au technocapitaliste qui exploite nos données.
Machine à textile, informatique… La « nouvelle » technologie présente toujours le même package de maux : aliénation, totalitarisme, déshumanisation. Est-ce réellement le destin de la société ultra-connectée ? Quelle vision adopter pour la société de demain ? Le clivage entre technophiles, ambassadeurs d’un monde meilleur connecté et technophobes, à la vision dystopique et craignant sans cesse l’ombre du grand Big Brother, fait de la technologie un enjeu politique.
L’innovation : une longue histoire
L’ectoplasme des « nouvelles » technologies plane sur nos esprits depuis au moins l’antiquité. Platon critiquait la technique de l’écriture en la présentant comme une menace pour la réflexion philosophique et la mémoire : « ce qu’il y a de terrible, c’est la ressemblance qu’entretient l’écriture avec la peinture. De fait, les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants ; mais qu’on les interroge, ils restent figés et gardent le silence. Il en va de même pour les discours. On pourrait croire qu’ils parlent pour exprimer quelque réflexion ; mais, si on les interroge, c’est une seule chose qu’ils se contentent de signifier, toujours la même. » En somme, l’écriture allait emmener la société vers un crash intellectuel.
 
Quelques siècles après, heureusement pour nous, la société continue d’évoluer, notamment dans une ère où les innovations sont marketées comme des symboles révolutionnaires, créant un clivage : il est ainsi de coutume d’opposer les technophiles, les « modernity enjoyers », aux technophobes, radicaux et réac, qui voudraient quitter le monde désincarné des smartphones en brandissant un Nokia 3310.

 
 
 
Homo connecticus
 
Cette idée de déshumanisation sociétale est prégnante dans nos médias. De multiples exemples, comme Stromae récemment, véhiculent l’idée selon laquelle le monde virtuel nous éloigne les uns des autres et arrache les individus du monde « réel ». Le progrès apparaît alors pour certains comme « subi ». La dernière tendance : la digital detox, proposée par des thalassos et des spas pour permettre un sevrage technologique en coupant toute connexion numérique pour « revenir à l’essentiel ». Le WIFI, l’empoisonnement 2.0 ?
 
Dans cette vision, Technologos, un groupe militant, a forgé sur le modèle du tabagisme passif le concept de « technicisme passif ». Leur manifeste mentionne : « Quiconque, dans son travail, se retrouve obligé d’utiliser un ordinateur pour exécuter des tâches futiles subit de plein fouet l’idéologie technicienne, qu’il le veuille ou non ». Le renversement économique qu’impliquent les nouvelles technologies correspondrait au bouleversement de l’équilibre moral de la société. Mais selon la vision antique grecque, la stabilité de l’univers est LA valeur intouchable, l’élément sacro-saint à préserver pour sauver l’humanité du chaos.

 
 
Bête noire
 
Ce scepticisme à l’encontre de l’avancée technologique ne date pas d’aujourd’hui. En 1840, l’historien Jules Michelet utilisait pour la première fois le mot « machinisme », qu’il assimile à la misère ouvrière et à l’appauvrissement intellectuel des foules. Platon es-tu là ?
 
Ainsi, à travers les siècles, les « nouvelles » technologies, particulièrement les médias, ont toujours représenté des dangers immenses pour le bien-être des sociétés. Cinéma, téléphone, télévision, internet : à chaque mode de communication sa prophétie. Pourtant, les dangers s’avèrent toujours les mêmes : les gens ne vont plus lire, les gens ne vont plus se voir, les gens s’abrutissent… A croire que l’humanité est menacée depuis des siècles.
 
Pour François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine, « le progrès est idéologie ». Dans cette perspective, des journalistes ont comparé Apple à une religion, Google à un régime totalitaire. Le mythe orweillien de Big Brother n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui : la technologie serait un instrument de pouvoir, de surveillance et de contrôle social. Mais un outil de communication reste un outil. Comme le couteau, la dangerosité d’un outil repose sur l’usage qu’on en fait. En réalité, personne ne craint les nouvelles technologies. C’est leur impact sur la société que l’on fantasme.
 
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm

 
 
Sources :

Mythologie et intertextualité, Marc Eigeldinger
elimcmaking.com
gizmodo.com
technologos.fr
internetactu.blog.lemonde.fr
britannica.fr
Crédits photos

I Robot, Twentieth Century Fox
Tara Jacoby
Ex Machina, Universal Pictures

potiron kiri jambon cobranding fastncurious
Société

Le cobranding : une nouvelle pratique de marketing marital

Qui veut épouser ma marque?
« Stretcher » sa marque en lançant un produit cosigné semble être une pratique marketing largement adoptée par nos grandes industries pour innover à moindre frais. La créativité de nos marques n’a pour ainsi dire aucune limite. Toutefois le projet de cosignature comporte des risques non négligeables. Plus complexe qu’un lancement de produit classique, le cobranding, telle une forme de conjugalité marketing et industrielle, peut présenter des failles et conduire à un double échec pour les deux marques. Quelles seraient alors les vertus d’une telle pratique ? Du bonheur et beaucoup d’enfants ? Une guerre des roses ? Un divorce ?
D’un Philadelphia goût noisette labellisé Milka, d’une brique de soupe Liebig plaisir de potimarron au Kiri, jusqu’à la carte de crédit Best Western Platinium poinçonné de l’insigne Motor Harley Davidson Cycles, le cobranding, stratégie marketing qui consiste à lancer un produit sous deux marques, connait aujourd‘hui une réelle accélération. Dans l’industrie agroalimentaire, la pratique est déjà largement banalisée. Depuis les plats cosignés Gerblé et Fleury Michon aux produits snacking jusqu’aux solutions repas produites par Bonduelle et Andros, les industries de la grande distribution misent sur des alliances crédibles pour développer de nouveaux produits toujours plus originaux.
Les produits « cobrandés » fleurissent dans les supermarchés, alternant les rayons, investissant le territoire du frais, du yaourt, du biscuit, du plat préparé, sans modération. Les formes de cobranding se déclinent à l’envie. Certaines reposent sur une union d’ingrédients entre marques « ingredient branding » d’autre sur des associations avec des packaging et des jouets, chez Kellog’s notamment.
L’offre à succès Pasta Box de Fleury Michon lancée en 2011 avec La Vache qui rit -dont tout étudiant a forcément abusée – peut parfaitement illustrer les différents objectifs atteints, sur le long terme, par le cobranding. En effet cette stratégie a permis de mettre sur le marché un nouveau produit doublement élaboré sans avoir besoin de lancer un produit ex nihilo. Marier deux marques qui font référence dans leurs domaines doit aussi logiquement donner lieu à une augmentation du prix de vente. Eenfin on y voit l’avantage de la conquête d’un nouveau marché. L’offre Pasta Box de Fleury Michon a inspiré quantité d’autres associations notamment le développement plus osé d’une gamme de plats cuisinés dits plus « sains ». L’enjeu est double pour les marques. Quand Fleury Michon développe un Risotto de Saint Jacques aux « poireaux et lentilles » signés Gerblé, il s’attribue une caution plus diététique ; en contrepartie, Gerblé propose une offre plus gourmande.
Un cobranding consanguin?
Le cobranding n’est pas uniquement une synergie marketing. Il peut être une solution pour innover tout en évitant le risque d’étendre une marque sur un segment qu’elle n’aurait jamais investi seule. Néanmoins, les industriels ne font pas nécessairement le choix d’une association avec une marque extérieure. Certains magnats pratiquent le cobranding interne en mariant deux de leurs marques propres. : La marque de chocolat Milka notamment et ses tablettes aux incrustations d’OREO et de DAIM parmi tant d’autres. Cette stratégie de cobranding consanguin permet dans ce cas particulier de minimiser les risques et de maximiser la marge de profit de la marque en vendant un produit pour le prix de deux.

 
 
D’aimer ou de haïr, telle est la question
Choisir la marque avec laquelle s’associer n’est pas chose aisée. Certaines associations peuvent, comme certains mariages trop arrangés, conduire au désastre. A ce titre, l’importance de la définition du concept en amont de l’association est décisive. L’association de la marque de desserts Senoble avec Haribo pour une gamme de desserts, pour exemple, a mené à un échec marketing total tant les deux images de marques étaient incompatibles. En revanche, en s’associant avec la marque de jus de fruits Oasis, Haribo a retrouvé un créneau sur lequel il peut faire évoluer ses produits sans difficulté.

Quel que soit le cas de cobranding, le produit censé émaner de l’association est toujours élaboré par les deux marques qui détiennent chacun un droit de regard sur la fabrication. L’exemple des bâtonnets de surimi Fleury Michon au Kiri a permis d’atteindre une nouvelle cible de consommateurs, plus jeune, et d’élargir la notoriété des deux marques.
Certes le cobranding n’est pas une pratique aisée et une cohérence reste à élaborer en termes de choix de signature et de fabrication. Trouver la bonne association et faire un beau mariage procèdent, comme nous le rappelle un sens commun trop romantique, d’un coup de foudre inattendu. Comme le Doux Plaisir de Liebig et le Kiri, pour une belle union de marques, laissons ses chances à l’amour.
Johana Bolender
Sources :
Adrien Cahuzac in L’USINE NOUVELLE N°3394
« Le cobranding pour innover moins cher »
 
 
Credits photos :
Foodly.fr
Carrefour.fr
Dreamstime.com
 

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Flops

Les mains invisibles de la communication

Au printemps, un vent de fraîcheur agite les campagnes de com. Il est humain d’avoir un regain d’énergie lorsque le soleil caresse à nouveau les panneaux publicitaires, et dévoile leurs trésors d’inventivité aux yeux des passants… ou pas.

Qui n’a jamais eu envie d’exprimer son exaspération face à ce genre de campagnes, qui, au lieu de stimuler l’imagination, de faire rire d’un bon mot, somme toute de remplir leur rôle de séduction, se contentent de renouveler péniblement les clichés du genre ? Vous avez sans doute en tête un bon nombre d’exemples : ces flyers aux couleurs douteuses, ces logos qui semblent ne receler aucune signification, ces messages publicitaires mal photoshoppés.
Qui se cache derrière ces travaux douteux, cette communication de mauvaise qualité ?
Non, il n’est pas ici question d’une chasse aux sorcières. Ne tapez pas sur les petites mains.
Les stagiaires, une aubaine pour le secteur de la communication
Il y a deux ans, le Ministère de l’Education pointait du doigt le secteur de la communication, de la publicité et des médias. Selon son estimation, en agence de publicité, les effectifs se composent de 10 à 15% de stagiaires. 
Avancer des chiffres semblables est comme enfoncer des portes ouvertes ; cela semble définitivement inscrit sous la formule magique « C’est ça, l’entreprise. ». Il est déplorable que le stagiaire soit piégé de cette façon, entre l’enclume de l’obligation du stage (vanté comme étant le sésame de l’emploi) et le marteau de la rentabilité – cette fois tenu par l’entreprise elle-même, qui envisage rarement le stagiaire autrement que comme une source de profits fort bienvenue. Parfois enrobé d’un esprit « corporate » de bon aloi qui fait passer la pilule, souvent sur un mode décontracté grâce aux open-spaces aérés et au tutoiement, le travail accompli par le stagiaire s’échelonne la plupart du temps sur du 39h, et une rémunération minimale.
Qu’on se le dise, le stagiaire n’a pas le choix. Il est fort courant, dans le domaine de la com de tomber sur des offres de stage qui demandent un diplôme complet, plusieurs années d’expérience et si possible, une faible estime de soi. Alors quand une entreprise daigne tendre la main vers des jeunes étudiants pleins de bonne volonté, elle estime ne pas avoir beaucoup de comptes à rendre.
C’est ainsi que l’on se retrouve avec des stagiaires livrés à eux-mêmes, confectionnant des flyers pour des garages à l’écart du reste de l’équipe, ou encore rédigeant des rapports interminables sur les zones urbaines. Cela ne ressemble pas à un stage en communication ?
Mais on peut faire dire ce que l’on veut à ce mot, et les employeurs l’ont parfaitement compris. La communication peut, au sens large, correspondre à tout un tas de petites tâches ingrates. Certes, elles doivent être accomplies, mais de là à toutes les confier au stagiaire, il n’y a qu’un pas, franchi sans vergogne.
En outre, l’imprécision des missions de communication ouvre une brèche bien pratique pour l’employeur, qui peut ainsi demander à son stagiaire d’effectuer des tâches qui devraient être sous la responsabilité d’un professionnel.

Un professionnel, faut-il le préciser, dûment rémunéré pour ses 39 heures hebdomadaires.
La communication souffre de sa jeunesse….
…et ses jeunes aspirants en sont les premières victimes.
Il n’est pas rare d’entendre que le community management fait partie du job, sous prétexte que les réseaux sociaux seraient tout naturellement maîtrisés par la nouvelle génération. Oui, mais entre utiliser la toile comme client et passer de l’autre côté du miroir pour en comprendre les aspects techniques, il y a tout de même une marge.
Ces propos flirtent avec un certain mépris pour le métier de communiquant, assimilé peu ou prou à du charlatanisme et à des compétences limitées, relevant du pur bon sens.
Le manager, parfois de toute bonne foi, peut ainsi exiger de son stagiaire qu’il accomplisse des miracles, invente une notoriété à une marque. Seul et sans budget.
La communication est une science jeune, et à ce titre, elle est exploitée comme une excuse bien pratique. Le stagiaire en communication remplace le graphiste – après tout, il s’agit bien de communication visuelle ? Mais il est aussi community manager, il s’occupe des newsletters internes ; il organise des réunions ; il doit gérer des relations presse ; il se charge des événements…Et il est prié de le faire bien et vite, car une fois les idées sorties du chapeau, elles paraissent soudain relever de l’évidence.
Or, quelle est la première leçon qu’apprend un élève en communication ? Celle-ci ne résout pas tout.
Ce qu’on peut traduire ici par : le stagiaire en communication n’ayant pas achevé sa formation ne remplacera jamais un service entier.

L’encadrement est souvent dérisoire, et l’étudiant se retrouve dans la situation où c’est lui qui apporte à l’entreprise, sans rien en retour, courant après la carotte qu’on lui tend – souvent la réputation de l’entreprise, et l’inévitable course au remplissage du CV.
Le stagiaire s’aperçoit rapidement, en se jurant qu’on ne l’y reprendra plus, que la mention « doit être autonome » figurant dans l’offre de stage signifiait en réalité « capable de travailler comme un salarié sans en avoir les prétentions ».
Il serait temps d’adopter une vision plus progressiste du stage en communication : il s’agit d’un domaine où le sang neuf est primordial pour que l’entreprise soit « habitée » par sa génération, mais encore faudrait-il offrir à ces futurs -grands!- communicants l’opportunité d’apprendre des générations passées. On ne communique pas ex-nihilo, et, si la communication n’est pas une science dure, elle se nourrit pourtant d’expériences. C’est ce que le stage est supposé offrir à l’étudiant, qui, en retour, sous la tutelle d’un référent, accomplira ses premiers pas professionnels.
Marguerite Imbert

Crédits images :
collegecandy.com
brandandcelebrities.com
Source :
etudiant.lefigaro.fr

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Société

American Apparel, du scandale au paresseux

Le mois dernier, American Apparel a lancé sa dernière campagne de communication autour d’une nouvelle égérie. Cette fois ci, pas de jeune femme dénudée ni de peau dévoilée, mais une charmante femelle paresseux de 23 ans du nom de Buttercup. Originaire du Costa Rica, elle est la star du « Sanctuaire pour paresseux » tenu par Judy et Luis Avey-Arroyo. Lorsqu’en 1992 la petite paresseuse orpheline est déposée chez eux, le couple décide d’en prendre soin. Très vite, un deuxième paresseux esseulé les rejoint, et ils décident de faire de leur maison un refuge pour paresseux. Et c’est en 2015 que la consécration arrive pour Buttercup, qui avait déjà fait l’objet d’un buzz il y a quelques années (c’est bien elle que vous retrouvez sur ce gif ) : American Apparel souhaite en faire la mascotte de sa nouvelle campagne à l’occasion de la journée de la Terre (« Earth Day ») fêtée aux Etats Unis.
Après avoir fait un peu de teasing via la publication d’une photo de Buttercup accompagnée de la légende « Buttercup has a surprise ! Stay tuned. », et avec la mise en ligne le 9 avril dernier sur son compte Vine d’une vidéo de l’animal désormais célèbre et célébré, la marque a dévoilé un nouveau modèle de T-shirt.

Celui-ci, vendu 32$ dont 30% sont reversés au refuge costaricain, est l’occasion pour la marque de mettre en avant son engagement en faveur des artistes, des animaux sauvages, du coton bio et sans pesticide, et de manière générale pour la production éthique de ses produits… Et par là même de changer radicalement de stratégie de communication.

En effet, la marque n’est pas tant connue pour ses engagements éthiques que pour ses campagnes de communication provocantes et souvent scandaleuses (même si elle s’est souvent engagée, notamment pour la cause LGBT). Nous vous en avions déjà parlé ici . Censurée à plusieurs reprises dans certains pays, comme le Royaume Uni, American Apparel a souvent été accusée d’hypersexualisation de la femme, parfois même d’utiliser des images quasi pédopornographiques comme en août dernier, avec la campagne intitulée « Back to school ».

Ce changement (assez radical) d’orientation de la stratégie marketing d’American Apparel n’est pas difficile à expliquer. En effet, la marque a changé de PDG : abonnée au trash et à l’explicite sous la direction de Dov Charney, licencié en juin 2014 pour harcèlement sexuel et détournement de fonds, elle se réoriente sous l’impulsion de la nouvelle PDG, Paula Schneider. Celle-ci désire toujours voir la marque aussi provocatrice et séditieuse, mais sans qu’il soit nécessaire de montrer autant de peau dénudée. Elle explique que « Ça ne doit pas toujours être ouvertement sexuel. Il existe des façons de raconter notre histoire sans que ce soit offensant. C’est une marque qui sort des sentiers battus. Et elle continuera à sortir des sentiers battus. » Et la différence n’est pas difficile à voir :

Avant : une campagne menée par Dov Charney et Terry Richardson
Après : Buttercup prend la pose
Avec des poses aussi lascives que ses prédécesseurs, Buttercup assurerait ainsi le futur d’une marque dont les excès en matière de communication étaient le reflet des problèmes internes en matière de management et de finances. Espérons que ce tournant dans la communication d’American Apparel soit durable, parce qu’il n’est pas nécessaire de se montrer offensant pour vendre. La nouvelle PDG de la marque l’explique bien : « Il faut que ce soit un peu sexy. Nous vendons de la lingerie. Nous vendons des collants. Il faut juste être sûrs de ne pas aller trop loin. Cela devrait permettre de montrer des femmes libres, des gens libres ». Reste à voir comment American Apparel négociera ce virage…
Léa Lecocq
Sources :
lesinrocks.com
businessoffashion.com
ecrans.liberation.fr
madmoizelle.com
ticotimes.net
francetvinfo.fr
Crédits photo :
metrouk2.files.wordpress.com
style.lesinrocks.com
store.americanapparel.net
i.kinja-img.com
 
 

Société

#RoyalBaby It’s a girl !

L’Angleterre est en effervescence, l’Angleterre accueille une héritière, l’Angleterre pouponne. La future princesse, Charlotte Elizabeth Diana, quatrième dans l’ordre de succession au trône est née à Londres, le 2 mai à 8h34.
Cette naissance est orchestrée comme une véritable opération diplomatique, commerciale et médiatique. En effet, la famille royale s’illustre ici par la maîtrise quasi militaire d’un tempo médiatique rigoureux. Elle répond surtout au sentiment d’attente relayé sur les réseaux sociaux via le compte Kensington Palace, porte-parole officiel de la famille royale, et crée un buzz médiatique attendu : la naissance est l’événement qui a généré le plus de retweets et de favoris en 2015 (47 000 retweets pour la naissance, 45 000 favoris pour la sortie de la clinique).

Des enjeux qui dépassent la simple communication d’information : entre maintien de la sécurité et dopage de l’économie britannique
Le protocole d’annonce est clair et allie tradition et modernité : la famille proche est avertie de la naissance avant une annonce aux citoyens via une proclamation des médecins royaux placée sur un chevalet à Buckingham (ce chevalet a accueilli précédemment les proclamations des naissances de William et George). Aux réseaux sociaux, succède un message sonore : 62 coups de canons tirés depuis la Tour de Londres et 42 depuis Green Park, enfin le drapeau Union Jack sera hissé sur tous les bâtiments officiels.
 

 

En parallèle, la presse se prépare aux trois moments phares : hospitalisation, annonce de la naissance et sortie avec le nouveau-né. La mort de la princesse Diana a cependant introduit une rupture entre la presse et la famille royale. « Les gens ont peut-être une idée un peu obsolète de la meute de correspondants royaux. La réalité c’est que la presse britannique est devenue très respectueuse envers la famille royale, frileuse même, diront certains. » note Richard Palmer, correspondant royal pour le Daily Express.
Cet historique explique également la protection extrême de l’image du Prince George excepté lors de rares occasions. Le même sort attend la future petite princesse, après quelques instants de lumière éphémères, le rideau tombera.
 
L’annonce de cette naissance dépasse de simples enjeux d’information : cet évènement se veut également un important faire-valoir stratégique. En effet, elle promet un dopage de l’économie britannique, des marchés financiers et commerces divers. Si celle du petit Prince George a rapporté 247 millions de livres (344 millions d’euros) en vente de souvenirs, les prévisions cette année environnent les 70 millions de livres (97 millions d’euros). « Tout le monde voudra acheter les mêmes tenues que le bébé, ses jouets. Il y aura un impact long sur l’économie, surtout si c’est une fille, » remarque Joshua Bamfield sur le site Hello !. Des observateurs mentionnent également le lien entre le sexe de l’enfant et les indices boursiers, prouvé pour les naissances des princesses Anne (1950), Margaret (1930), Elizabeth (1926).
 
A Londres, l’effervescence gagne les foules, des célébrations s’organisent : baby shower royale au Park Lane Hotel, dégustation de champagne et pâtisseries au London Hilton ou croisière-conférence pour les bébés royaux sur la rivière Thames ?
Plus symboliquement, les enfants nés le 2 mai 2015 recevront, comme pour la naissance de George une pièce en argent sur laquelle figurera le portrait de la reine Elizabeth et la date du 2 mai. Ce symbole fait écho à la tradition anglaise consistant à déposer une pièce en argent dans la main du nouveau-né en gage de richesse et de bonheur.
Enfin, les bookmakers font des pronostics multiples sur le sexe, prénom, poids de l’enfant, sa date de naissance mais également le parent qui le portera en sortant de la clinique ou le lieu de sa première sortie officielle. Le prénom Charlotte était favori avec une cote de 3 contre 1, soit un gain de 3 livres pour 1 livre pariée.

Un lien symbolique entre le peuple et ses dirigeants assuré par une communication sans faute
Son prénom étant un hommage direct à la mère du Prince William, la naissance de la petite princesse nourrit la recherche d’une nouvelle Diana dans le cœur des anglais. Cependant, le journal The Guardian s’inquiète de ce lourd héritage pour les petites épaules de l’héritière : « Cet enfant serait non seulement le premier lien direct féminin avec le tsunami émotionnel que représentait Diana, elle aussi appartiendrait [dès sa naissance] au public ». Cette inquiétude laisse présager un avenir traqué et scruté par les médias.

A naissance royale, communication royale
Après une attente interminable sur les réseaux sociaux et aux abords de l’hôpital entre le 15 et le 30 avril, la naissance a été annoncée sur le compte Twitter @KensingtonPalace. De nombreuses célébrités ont félicité les parents, à l’instar de Barack et Michelle Obama : «Michelle et moi sommes ravis de féliciter le duc et la duchesse de Cambridge, sa majesté la reine et la famille royale, et tous les habitants du Royaume-Uni pour la naissance de la princesse royale», indique la Maison Blanche dans un communiqué.
 
A leur manière, les marques ont également célébré cette naissance sur les réseaux sociaux :

Une dizaine d’heures après l’accouchement et l’annonce de la naissance de l’enfant aux citoyens britanniques, le couple royal est apparu sur le perron de l’hôpital, accompagné de la petite princesse et du Prince George pour un premier bain de foule relayé par les médias du monde entier. Son prénom a été annoncé le 4 mai, plus de 48 heures après sa naissance, comme pour George (il a fallu attendre 7 jours pour connaître le nom de William et 1 mois pour celui de Charles).

Sur les plans marketing et médiatique, il apparait clair que tout est fait pour que les anglais adoptent et apprivoisent cette petite princesse comme, peut-être une future reine, 4ème dans l’ordre de succession, si son frère George n’a pas de fils. Pour finir, Welcome to Princess Charlotte Elizabeth Diana, and congratulations to her parents and family !
Clarisse De Petiville
Sources :
thisismoney.co.uk
theguardian.com
elle.fr
parismatch.com
vanityfair.fr I & II 
dailymail.co.uk
Crédits photos :
rtl.fr
lexpress.fr
huffingtonpost.fr
thestar.com
thestar.com
twitter.com
elleuk.com
francetvinfo.fr
ladn.eu
 
 

rumeurs fastncurious
Agora, Com & Société

Silence, ça circule !

Avant-propos : cet article a pour but d’établir un petit essai sur la rumeur et d’interroger le concept pour essayer d’en comprendre un peu plus le fonctionnement ainsi que les aboutissants.
Jean-Noël Kapferer définit la rumeur dans Rumeurs : le plus vieux média du monde comme « l’émergence et la circulation dans le corps social d’informations soit non encore confirmées publiquement par les sources officielles soit démenties par celles-ci. » Il ajoute qu’une définition arrêtée et définitive du phénomène « rumeur » est difficile voire impossible. En effet, la frontière entre rumeur, murmure et bruit est poreuse. Le concept est à prendre avec des pincettes. Avec Internet, il semble que la rumeur, en plus de devenir la normalité, au sens de ce que l’on rencontre tous les jours sans plus vraiment y prêter attention, soit devenue un outil de communication redoutable qui, s’il est mal géré, peut s’avérer désastreux. L’idée est ici de se pencher sur le concept de la rumeur comme origine et composante d’un certain type de communication.
La médiagénie de la rumeur
La rumeur entretient avec les médias une passionnelle histoire d’amour. Elle a besoin des médias pour circuler et être relayée par les individus, et les médias ont besoin de la rumeur pour exister en tant que tel, en tant que médiateur d’une information. Car la rumeur est en soi une information qui dit quelque chose et fait dire des choses.
Pourquoi se précipiter sur la rumeur quand on sait que celle-ci peut s’avérer fausse ? En effet, il semblerait que la rumeur fasse vendre et soit recherchée par les médias pour générer du flux ainsi que de l’audience. Relayer une rumeur c’est s’ancrer dans une communauté conversationnelle, celle du bouche-à-oreille et donc élargir sa cible, s’adresser à tout le monde. Qui n’a pas entendu parler de l’affaire du fils de Christiane Taubira, accusé de meurtre et jeté en prison ?

Tous les médias en ont parlé, cette rumeur a fait l’objet de nombreux débats au même titre que celle qui affirmait l’existence de vers de terre dans les burgers McDo ou encore la théorie du complot. Depuis toujours, les rumeurs sont nombreuses et vont bon train.
Jean-Noël Kapferer énonce que « la rumeur court parce-qu’elle a de la valeur ». La valeur de la rumeur augmente au fur et à mesure qu’elle est relayée. L’ethnologie peut ici venir éclairer la question de la rumeur. La Kula, étudiée par Malinowski, est cet échange circulaire entre les hommes d’un bien dont la valeur augmente à mesure qu’il passe de mains en mains. La rumeur fonctionne comme le système de la Kula. Celle-ci, pour exister, doit circuler et cela ne se peut sans les médias qui assurent et pérennisent l’échange entre les individus.
Des médias dédiés à la rumeur sont ainsi créés comme le site hoaxbuster.com. Ce site traque les canulars, « hoax » en anglais, et fait ainsi de la rumeur sa vache à lait mais aussi sa raison d’être. Le site génère de la conversation en instrumentalisant la rumeur ce qui contribue ainsi à entretenir sa notoriété. On peut également penser aux tabloïds qui titrent dans bien des cas sur des rumeurs pour attirer les regards et inciter à la vente. « Kate Middleton : enceinte d’une petite Diana ? La folle rumeur du jour ! » peut-on lire dans Public (février 2014).
La rumeur au service de la société ?
La rumeur entretient le lien social, l’échange, qui est à la base de la société. L’homme, cet animal échangiste tel que le conçoit Lévi-Strauss, incorpore cette grammaire de l’échange, les techniques de communication de façon inconsciente et devient ainsi cet animal social. La rumeur est cet infra-ordinaire défini par Georges Perec, c’est-à-dire ce qui est tellement intégré à nos habitudes que l’on ne prend plus la peine de le remarquer. De fait, la rumeur compose avec nos techniques de communication que nous avons incorporé sans plus y prêter garde.
Participer à la rumeur c’est participer au groupe. Réfuter la rumeur c’est constituer un autre groupe, un groupe antagoniste. La rumeur crée des communautés : celle qui y croient et celles qui s’en défient, les « sceptiques » d’un côté et les « crédules » ou « croyants » de l’autre. Elle organise la société. En parlant de rumeurs, les hommes lient entre eux les hauts principes de sociabilité.
De plus, partager une rumeur revient à exercer son pouvoir de parole, de conviction, de crédulité. Ce n’est pas seulement y adhérer purement et simplement par un « oui » c’est aussi investir sa croyance par un « oui j’y crois » ou « non je n’y crois pas ». Au fondement de la rumeur, il y a bien cette disposition toute particulière de l’être humain qu’est la croyance sans nécessité de voir pour y croire. Bien au contraire, la rumeur repose sur la confiance que se font les individus entre eux pour se croire les uns les autres. La rumeur peut-elle se comprendre comme un ciment de la société à part entière ?
Un contre-pouvoir
Jean-Noël Kapferer affirme que « les rumeurs gênent car elles sont une information que le pouvoir ne contrôle pas ». En effet, la rumeur est fuyante, elle échappe à quiconque tente de la saisir par une explication rationnelle. Elle est le lot de la foule, elle est appropriée par tout un chacun, déformable à souhait, modelable à l’infini. La rumeur est cet imaginaire collectif qui fréquente bien souvent les rivages du légendaire. « Face à la version officielle, il naît d’autres vérités : à chacun sa vérité » poursuit Kapferer. Chacun est susceptible de faire entendre sa parole : toute vérité, toute énonciation individuelle devient légitime sitôt qu’elle s’ancre dans le cercle décrit par la rumeur. C’est bien pour cela que la rumeur a autant de succès : tout le monde se sent capable et surtout légitime d’en parler. La rumeur devient un média à part entière qui s’inscrit dans une confrontation avec les médias dits « officiels » ; la rumeur est ce média contrer-institutionnel qui produit sa propre information.
Le démenti devient donc ce « rabat-joie » qui « désamorce l’imaginaire pour le plonger dans la banalité » nous dit Kapferer. Démentir une rumeur revient à forcer la porte de l’imaginaire en y introduisant la banalité du réel, sa platitude dont la rumeur venait ouvrir les horizons.
La rumeur serait ce mass média qui concerne tout le monde et apporte une information. Elle vient ouvrir les champs des possibles d’un réel souvent trop lisse. Elle est cette parole poétique qui remet en cause le discours normé, formé et informé par les autorités et les médias officiels.
Jeanne Canus-Lacoste
Crédits images
wikiart.com, Norman Rockwell
Sources
scienceshumaines.com
francetvinfo.fr
franceinter.fr
lemonde.fr
Jean-Noël Kapferer, Rumeurs : le plus vieux média du monde