Société

The Voice : Auditions à l’aveugle ou Tribunal aveugle ?

Pour une polémique assurée…

Samedi 3 février, les téléspectateurs du concours télévisé « The Voice » découvrent Mennel Ibtissem avec son interprétation de « Hallelujah ». La jeune femme de vingt-deux ans, un turban noué sur la tête, chante dans une version arabo-anglaise une chanson écrite par un compositeur juif. Tout un symbole.
Assise sur un petit banc, elle entonne la chanson, d’abord en anglais. Zazie buzze au bout de quelques notes, suivie par Obispo et Mika. Elle poursuit avec un couplet en arabe ; Florent Pagny se retourne. Mennel fait l’unanimité ; toute la salle est debout à la fin du morceau. C’est l’équipe de Mika que la jeune femme choisit d’intégrer. On la voit déjà en finale du concours.
Pourtant, après que des internautes ont retrouvé des messages teintés de complotisme postés par la candidate sur Twitter après les attentats de l’été 2016 en France, une violente polémique sur la légitimité de sa participation à l’émission éclate. Le 9 février, Mennel Ibtissem annonce dans une vidéo qu’elle se retire du concours.



VIDÉO : https://www.facebook.com/MennelOfficial/videos/1824330170953015/

 

… Surtout bien mélanger ce qui divise

« C’est devenu une routine, un attentat par semaine. Et toujours pour rester fidèle, le ‘terroriste‘ prend avec lui ses papiers d’identité. C’est vrai que quand on prépare un sale coup, on n’oublie surtout pas de prendre ses papiers #PrenezNousPourDesCons », écrit-elle le 15 juillet 2016, au lendemain de l’attentat de Nice sur la promenade des Anglais. Puis, le 26, après l’attentat de Saint-Etienne du Rouvray, elle poste : « Les vrais terroristes, c’est notre gouvernement. »
Sans hésitation aucune, ces propos sont condamnables ; ce n’est pas sur cela qu’il convient de s’interroger. En effet, c’est plutôt le traitement « spécial » qu’a reçu la jeune femme aux origines syriennes, qui porte un voile, et chante en arabe.
Une femme de confession musulmane qui tient des propos complotistes. La combinaison est parfaite pour déchaîner les passions.
Pourtant, avant même la découverte des Tweets de la jeune femme, certains internautes s’indignaient de la présence d’une femme voilée dans l’émission. Le débat qui a lieu aujourd’hui n’est donc pas cantonné aux propos complotistes de la jeune femme, mais est intimement lié à sa religion. Il cristallise toutes les tensions et les divisions autour de la question de l’Islam en France…
Ainsi, ce sont des paroles encore irréfléchies qui fusent, d’une interrogation quant à l’opportunité de chanter en arabe « par les temps qui courent » (Isabelle Morini-Bosc, chroniqueuse de TPMP), à la récupération de l’affaire par certains groupes politiques, qui lui prêtent des accointances directes avec les Islamistes.
Pourtant, il apparaît bien paradoxal que le port du voile mène à tant de polémiques, alors même que le principe de l’émission – durant la phase des auditions- est de sélectionner les candidats « à l’aveugle » ; le jury, dos à l’artiste, ne se retourne pour lui faire face que si sa voix lui plaît.

Faire taire ou dialoguer ?

Dans « Si tu écoutes, j’annule tout », le 13 février dernier, Guillaume Meurice appelle à « traiter toutes les conneries de manière équitable. » Là réside bien l’enjeu de ce débat. Il ajoute : « On a le droit de dire des conneries en France, mais pas quand on est musulman. » Est-ce qu’on est attentif à toutes les « conneries » que peuvent dire les Français non-musulmans ? Est-ce que les candidats à l’émission voient tous leurs profils scrutés de la même façon ?
Les personnalités françaises qui émirent des avis complotistes après le 11 septembre n’ont pas été radiées de la sphère publique, pas plus que celles qui tiennent quotidiennement des propos racistes, haineux, et révisionnistes.


On pourrait pourtant rétorquer à cela que ces Tweets ne collent pas à l’image familiale de l’émission, sensée se situer hors des débats houleux. Pourtant, c’est bien dans cette sphère-là que se situe un enjeu crucial. Le fait que Mennel sorte ainsi de l’aventure est bien significatif. Car les propos qu’elle a tenus, ce sont « ceux d’une fille de sa génération », nous dit Alban Elkaim dans un article pour le BondyBlog. Ce sont ceux d’une jeunesse qui se sent exclue.
Au lieu de faire taire sans essayer de comprendre ces voix que l’on n’aime guère écouter, il vaudrait mieux engager le dialogue. Au lieu d’offrir cette jeune fille d’un côté à ceux qui en font le symbole d’une France infestée par l’islamisme et de l’autre à ceux qui l’érigent en martyr, il vaudrait mieux en profiter pour lever certains tabous. Car il ne semble pas que ce soit avec ce type de décisions que l’on va apaiser le débat…

Juliette Jousset

 

Sources :

 

Crédits images :

  • Photo de Une : capture d’écran de l’émission « The Voice » diffusée le 3 février sur TF1, disponible en replay sur tf1.fr

Laisser un commentaire