Bic for her - Pub
Agora, Com & Société

Women's Write

 
En 2011, Faith Popcorn prédit la « Fin du Genre » (« End of Gender » ou « En-Gen »). Les grandes tendances marketing seraient celles de la personnalisation, au-delà des structures établies autour de notre sexe. Cette prévision ne semble pas avoir été entendue par tous. Le « marketing genré » continue de se répandre autour de nous, provoquant surprise et indignation quand il touche des objets aussi triviaux que la brosse à dent, l’alimentaire ou bien le stylo. Dernier en date, la marque Bic développe au sein de sa gamme de « stylos à valeur ajoutée » un produit essentiellement destiné aux femmes, « Cristal for Her ». La description fait grincer : « corps coloré (rose et violet en présentation) plus fin pour une meilleure prise en main des femmes,  avec niveau d’encre visible et embout à la couleur de l’encre » (décidemment, on pourrait se tromper). De plus, quelques avantages environnementaux : « léger, conçu et fabriqué avec juste ce qu’il faut de matière première » (les études marketing prouvent la forte sensibilité des femmes à l’écologie). Selon le directeur marketing de BIC Europe, Alexis Vaganay, ce produit a été conçu dans l’idée d’éviter les stéréotypes constitutifs du marketing genré. Il précise ainsi : «Nous en sommes conscients (des préjugés véhiculés par les produits sexués) mais travaillons pour ne pas tomber dans cet « écueil ». C’est pour cela que nous basons nos développements produits sur des études et non sur l’idée que nous nous faisons de ce qui plairait aux femmes».
S’il s’agit bien d’une réponse à une demande féminine, comment expliquer la naissance d’une polémique endémique sur le site d’Amazon où les commentaires sarcastiques abondent dans chaque fiche produit des stylos Bic for Her ? Jezebel (blog féminin new-yorkais) le remarque déjà en 2011, mais l’affaire s’amplifie depuis quelques mois à peine. Ellen DeGeneres, contactée par Bic pour promouvoir cette nouvelle gamme, en tire une vidéo parodique et s’indigne ouvertement de la connotation sexiste du produit : « C’est pas trop tôt ! Toutes ces années passées à utiliser des stylos pour hommes ! (…) Ces vingt dernières années, les entreprises ont dépensé des millions pour fabriquer des pilules qui font pousser les cheveux et boostent la vie sexuelle des hommes…et maintenant, les femmes ont un stylo ! »
Cette réaction a été majoritairement partagée par les internautes sur Amazon.com, plusieurs tumblrs réunissant les meilleurs commentaires sont nés. Face à cette vague de critiques, l’attitude de Bic reste néanmoins caractéristique des difficultés que traversent les entreprises dans la gestion de crise sur internet. Silence complet de la part de la marque qui fait face à une polémique tardive et déployée sur un site marchand et non un réseau social. La fragilité de Bic face à la cohésion d’une communauté d’internautes semble remettre en question la vocation de la marque à répondre à une demande féminine.
Pourtant, il convient de s’interroger sur notre attitude de consommateur vis-à-vis du marketing genré. Comme le note Maura Judkis dans le Washington Post, le débat aurait-il eu lieu si Bic avait choisi de nommer autrement leur produit ? En le définissant rigoureusement comme un objet sexué, la marque s’est attirée les foudres d’une communauté de consommateurs modernes qui refusent de se voir segmentés dans leurs pratiques d’achat les plus communes. On ne peut qu’approuver l’ironie des critiques et se féliciter de la perception lucide d’une majorité d’acheteurs qui parvient à imposer une distance entre les méthodes de marketing et son propre jugement. Cependant, une certaine hypocrisie se dégage du procès dont Bic est la victime : qu’en est-il des produits qui exploitent de manière plus discrète les codes du marketing genré sans pour autant s’affirmer comme tels ? Peut on s’insurger contre un produit « dédié aux femmes » tout en continuant à consommer (et donc à approuver) tous ceux qui nous assignent à notre identité sexuelle (par leur code couleur bleu vs. rose ; leur discours force et rapidité vs. douceur et élégance) ? Bic aurait ainsi franchi une limite, créant une visibilité trop directe sur les pratiques communicationnelles adoptées pour promouvoir leur nouveau produit. La logique de vente apparaît trop bien au consommateur qui la refuse par principe, par souci d’éthique. L’image que Bic nous renvoie de la consommatrice est faussée et vieillie. Elle nie les tendances actuelles au renversement des clivages de genre qui dynamisent les dernières tendances marketing. La cible que Bic vise existe-t-elle encore ?
L’erreur de Bic, son attitude maladroite, mais aussi son silence radio depuis l’émergence de la polémique ne font que révéler les contradictions propre au caractère volatile du consommateur, tout autant que son pouvoir (critique et fédérateur) trop souvent sous estimé. Le bénéfice à tirer de cette affaire aura été de révéler cette force au grand jour.
 
Clémentine Malgras
Sources :
Bic for Her, publicité officielle
Bic Pen for Women, The Ellen Show
Article Slate
Article Forbes
Article Jezebel

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Société

Chanel n°5 : fragrance exclusivement féminine ?

 
Keira Knightley, Carole Bouquet, Nicole Kidman, Audrey Tautou, Catherine Deneuve… et Brad Pitt. Tous acteurs mais également égéries Chanel, certains mythiques et d’autres plus récents et matière à controverse. En effet, Chanel a récemment bouleversé les codes en choisissant un homme comme nouvelle image du parfum Chanel n°5, un produit s’adressant aux femmes.
Si certain(e)s se souviennent de la pub de l’acteur pour Levi’s dans les années 1990, qu’ils se préparent à être déçu(e)s. L’acteur Hollywoodien, cette fois, ne joue (presque) pas de son charme. Un look hobo, une barbe de plus de trois jours, une simple chemise et un air décontracté. L’acteur, les mains dans les poches, ne joue pas de son sex-appeal. Chanel ne fait pas vraiment dans l’élégance, ni dans le glamour parisien, cette fois-ci et préfère miser sur la sobriété dans un spot intitulé « There you are », d’une durée de 30 secondes et signé Joe Wright, réalisateur d’Orgueil et Préjugés. Tourné en noir et blanc et sans musique, Brad Pitt s’y lance dans une tirade s’adressant à la fragrance, le fameux Chanel n°5. « Ce n’est pas un voyage. Tous les voyages ont une fin et nous allons sans cesse. Le monde change et nous changeons avec lui. Les ambitions s’évanouissent, les rêves demeurent. Mais où que je sois. Tu es là. Ma chance, ma destinée. Un talisman (apparaît le parfum). Inévitable. » C’est le regard vide qu’il débite son texte, ou plutôt récite des vers sans avoir l’air d’y croire. Et vous, vous y croyez ?
On y croit s’il nous est impossible de rester insensible au charme de l’acteur qui, lorsqu’il récite son texte, pourrait nous faire croire qu’il s’adresse à une femme, ce qui nous ferait nous sentir d’autant plus concernées. On y croit moins si on se souvient des anciens films publicitaires de la marque, avec d’autres égéries telles Nicole Kidman ou Audrey Tautou, qui duraient en général deux minutes et qui rappelaient souvent des classiques du cinéma comme Moulin-Rouge. Dans ces publicités qui mettaient en scène la femme dans toute sa splendeur, on voyait généralement l’actrice adulée par un homme car elle portait le très célèbre parfum de la marque.
Aujourd’hui, même si la cible reste la femme, Chanel marque une rupture nette dans sa communication avec cette nouvelle campagne. Ainsi, la fragrance n’est plus représentée par la femme qui va le porter mais plutôt par l’homme que la femme veut séduire en portant le fameux parfum. C’est un coup médiatique énorme et risqué pour la marque d’avoir choisi un homme pour incarner un parfum pour femmes. Chanel ne cesse d’étonner par ses innovations même si elles ne plaisent pas à tous.
Très attendue depuis l’annonce en mai du choix de la marque, la publicité a déjà été visionnée presque 5 000 000 fois sur internet et environ 10 000 internautes aiment la nouvelle direction que prend Chanel contre presque 5 000 qui semblent contre le bouleversement des codes. Sont nombreux ceux qui n’aiment pas cette nouvelle simplicité, les amenant souvent à penser que Chanel a dû manquer de budget après avoir signé un (très) gros chèque à l’acteur américain : 10 millions de dollars de budget dont 7 millions pour le cachet de l’acteur.
Le spot a été rapidement parodié dans le Petit Journal de Canal +, par Yann Barthès et ses acolytes qui se sont demandés s’il était possible de faire une publicité Chanel en moins d’une minute. Ils ont relevé le défi en piochant des mots au hasard griffonnés sur des papiers pour ensuite les assembler et les réciter face caméra. Le résultat est ridicule mais fait rire, un peu comme la pub officielle. Les parodies, notamment celles de Conan O’Brien dans The Talk et celles d’humoristes dans l’émission Saturday Night Live, continuent de se multiplier malgré l’effort de la marque, qui a proposé très rapidement une alternative à la première publicité pour répondre aux critiques. Dans la deuxième partie, intitulée Wherever I go, on retrouve l’acteur, avec des femmes cette fois, dans un univers opposé, luxueux, aux tons dorés, qui nous rappelle étrangement les publicités de son principal rival, Dior, pour le parfum J’adore.
Mais même si les critiques sont nombreuses, la marque grâce à sa campagne innovante et sa révolution des codes semble être à l’origine d’un nouveau mouvement puisque le chanteur Jon Bon Jovi vient d’être choisi par Avon, une marque de cosmétiques, pour être le prochain visage du parfum Unplugged pour femmes : Unplugged for her. Et si Brad Pitt et Jon Bon Jovi n’étaient que les premiers parmi tant d’autres dans le futur ?
 
Sabrina Azouz
Sources :
20 minutes
Chanel.com
Ozap.com

Com & Société

Bodyform : la réponse en image

 
Personne n’avait jamais, jusqu’à présent, remis en cause ces publicités bien connues des produits hygiéniques pour femmes qui, soyons honnêtes, se ressemblent toutes. Les femmes ayant leurs règles et utilisant la serviette hygiénique de telle marque ou le tampon d’une autre, se retrouvent toujours harnachées d’un parachute dans un avion, prêtes à sauter, galopant sur un superbe étalon dans les dunes du désert de Gobi, ou faisant de la gymnastique dans les rues de New-York. Richard Neil, lui, l’a fait : il a dénoncé ces métaphores mensongères présentes dans les publicités, et ce non sans humour.
Dans un commentaire sur la page Facebook de Bodyform, l’équivalent de Nana en France, cet homme raconte sa fascination pour les publicités de la marque, qui ont forgé sa connaissance en la matière. Et, c’est avec un ton facétieux qu’il expose sa révélation : non, les menstruations ne sont pas des moments de bonheur intense pour la femme, ni pour l’homme précise-t-il. Cette publication a récolté en à peine 10 jours 90 000 likes. Apparemment, nombre d’internautes ont trouvé en lui un porte-parole digne de l’affront des publicités pour serviettes hygiéniques.
Personne n’avais jamais, jusqu’à présent, vu un sujet tel que l’hygiène féminine générer un phénomène viral. Bodyform l’a fait. En effet, loin d’ignorer cette publication décalée, la marque y a trouvé l’opportunité d’intégrer ses fans dans sa stratégie de communication. Ainsi, avec une réactivité incroyable, la marque a sorti une vidéo moins de dix jours après l’intervention du plaignant (devenu célèbre depuis), qui met en scène la présidente de Bodyform, jouée par une actrice piquante. Elle y explique, en s’adressant personnellement à Richard, les raisons des choix stratégiques de Bodyform, avec un ton sarcastique et une auto-dérision assumée. En jouant sur ses propres stéréotypes (le fameux liquide bleu n’a pas été oublié), la marque réussit un véritable exploit de community management . En effet, la vidéo est entièrement adaptée au commentaire de Richard, tant dans le contenu, qui reprend ses arguments, que dans la forme : le second degré domine. Et pour parler d’un sujet plutôt tabou comme les menstruations, Bodyform n’a pas hésité à en rajouter une couche, avec un humour ciblé au niveau de la ceinture…
Le buzz de cette vidéo est sans précédent pour Bodyform, qui stagnait à trois ou quatre likes par jour, et une plate-forme vidéo Youtube carrément vide. Plus de 2 millions de curieux se sont empressés de voir la réponse de la marque, en une journée seulement.
On pourrait croire que le sujet a longtemps été évité par les consommateurs car la vidéo a engendré plus de 13 000 commentaires, dans lesquels les internautes déballent leurs propres expériences. Les femmes étalent leurs déboires hormonaux tandis que les hommes s’étonnent de leur manque de culture à ce sujet. Mais la vidéo a aussi misé sur cette division de culture genrée : la solidarité féminine surgit forcément à propos de cette expérience que seules les femmes connaissent et, par ailleurs, le ton infantilisant de la CEO dans la vidéo s’adresse aux hommes exclusivement, et fait forcément réagir la virilité masculine.
Le succès de cette vidéo ne dépasse pas pour autant le record de pouces levés, battu il y a quelques semaines sur la page Facebook de Coca-Cola. En une dizaine de jours, le défi d’un internaute à la marque a récolté plus de 2 millions de likes, un véritable record sur Facebook. Coca-Cola n’a toujours pas réagi à cette opération virale, qu’il n’a pas sollicité, et ce mutisme pourrait laisser penser qu’il est dans l’embarras face au pari lancé.
A une publication d’un internaute qui ne se voulait pas sérieuse, Bodyform répond en ne se prenant pas au sérieux. Beaucoup de bruit pour si peu de sérieux. Tout porte à croire que le community manager de Bodyform a trouvé la recette idéale de communication dans cette « conversation personnelle ».
 
Marie-Hortense Vincent

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Activists "Femen" take part in a protest against Italian Prime Minister Silvio Berlusconi in Kiev
Archives

Jakadi montrez vos seins !

 
Début septembre, le mouvement féministe ukrainien Femen a ouvert un centre à Paris. Le principe de l’organisation consiste à faire défiler ses membres seins nus pour attirer l’attention sur des problèmes aussi divers que le racisme, la pornographie, la pauvreté, le sexisme, la liberté de la presse… Depuis 2008, Femen a bénéficié d’une couverture médiatique considérable, avec des retombées relativement positives. Cependant un malaise subsiste, d’où les nombreuses polémiques qui accompagnent chacun de leurs happenings.
Reconnaissons leur d’abord de nombreux mérites : en exposant leur délicat épiderme à des températures parfois glaciales, ces jeunes femmes ont su insuffler au mouvement féministe une nouvelle dynamique, et une modernisation plus que nécessaire. Les nombreux échecs de communication des associations plus anciennes (on repense au tollé général provoqué par la suppression du « mademoiselle » dans les documents administratifs) avaient eu des conséquences déplorables sur l’évolution des mentalités. Le stéréotype de la féministe agressive et prompte à l’émasculation systématique de tout symbole un tant soit peu phallique persiste (peut-être même plus encore aujourd’hui qu’il y a 30 ans). Avec pour conséquence l’émergence de toute une génération de femmes qui au mieux ne se reconnaissent pas dans ces revendications, au pire se déclarent – aberrant paradoxe – antiféministes. A ce titre, le feedback plutôt bienveillant que suscite l’action des Femen apparaît comme un exploit. En rendant le militantisme plus glamour, elles permettent une identification massive qui n’était pas forcément rendue possible par les actions éparses d’intellectuelles souvent peu charismatiques. C’est donc ironiquement en féminisant le féminisme qu’elles ont réussi à se faire entendre, mais c’est bien là que réside le problème.
Au cours de chacune de leurs manifestations, le corps est certes mis en valeur. Cependant, il est plus exposé en tant qu’objet de désir que somme naturelle des attributs féminins. Presque toutes les manifestantes sont jeunes, souvent belles et relativement minces. Pas de rides, pas de gras : l’acte militant se doit d’être esthétique. Mais du coup, le message revendiqué est subverti : consciemment ou non, les militantes font valoir leur sexualité plutôt que leur féminité. Quand certaines féministes manifestent affublées de fausses barbes pour dénoncer l’absurdité de la domination masculine dans certains domaines, les Femen adoptent un processus inverse. Elles soulignent non pas une absence d’attributs masculins comme obstacle dérisoire à l’égalité des sexes, mais au contraire une féminité outil d’émancipation car sexuellement désirable. Et si le succès de cette communication est fulgurant sur le court terme, les conséquences sur les valeurs défendues sont plus ambiguës. Ainsi, ce que les Femen gagnent en visibilité, elles risquent de le perdre en crédibilité. On assiste de plus en plus à une dynamique contre-productive : lors des happenings, les regards sont bien plus souvent rivés sur les seins que sur les banderoles (certaines photos de reportage se révèlent assez comiques de ce point de vue : voire l’image ci-dessus). En faisant (malgré elles ?) de la concupiscence généralisée la base de l’efficacité de leur organisation, elles utilisent les ressorts sexistes les plus archaïques du système contre lequel elles prétendent lutter.
Ce paradoxe formel se retrouve également sur le fond. Leurs campagnes ont certes le mérite d’avoir attiré l’attention de nombreux médias à travers le monde, mais posent néanmoins problème. Ici, il apparaît souvent que la communication prime sur l’information. De fait, chaque article évoquant le combat des Femen s’attache en moyenne davantage à décrire leur mode d’action qu’à détailler les causes défendues. C’est d’autant plus dommage que celles-ci sont légitimes et mériteraient de bénéficier beaucoup plus de l’engouement généralisé autour du mouvement. De plus, la diversité de leurs actions entraine fatalement quelques dérapages. Ainsi, pour protester contre la décision du tribunal dans l’affaire des Pussy Riot, des activistes ont scié par erreur une croix catholique, et non orthodoxe, dans le centre-ville de Kiev, suscitant une indignation généralisée. Preuve qu’une notoriété internationale ne fait pas tout, et que l’approximation n’a pas sa place au cœur d’une telle exposition médiatique.
Pour les associations ou les ONG, les campagnes de communication sont d’autant plus importantes et délicates que les retombées ne concernent pas l’image d’une marque ou d’un produit, mais bien l’évolution des mentalités de toute une société. Les erreurs de communication se payent donc cher dans la mesure où elles nuisent à la diffusion de revendications qui sont pourtant souvent fondamentalement justes. Savoir être percutant sans être racoleur, tout en privilégiant la diffusion de l’information : là résident les principaux défis de l’action militante aujourd’hui.
 
 Marine Siguier

Affiche des pigeons - mouvement de protestation des entrepreneurs contre la loi sur la fiscalité 2012
Société

Le roucoulement des pigeons : entre victimisation et légitimation

 
Nés le 28 septembre sur Facebook, les Pigeons, Mouvement de Défense des Entrepreneurs Français, n’ont eu besoin que de quelques jours, de quelques roucoulements médiatiques et de beaucoup de clics pour obtenir du gouvernement qu’il abandonne son projet de taxation de 60,5% des plus-values en cas de revente des parts d’une société. Le mouvement a été rapidement relayé dans la presse et sur le Web. Il a séduit début octobre 42 000 internautes sur Facebook et le hashtag #geonpi est passé en tête des plus utilisés en France sur Twitter, soulignant le succès médiatique de cette fronde 2.0. Une mobilisation rapide ainsi que de bons relais dans la presse (irrémédiablement liés) auront suffi à faire reculer le gouvernement.
La « Saison de la colère » ou la rhétorique légitimante
Malgré ce succès, on peut interroger la stratégie communicationnelle du mouvement, sur laquelle repose son envolée médiatique. Il semble que la rhétorique des pigeons était destinée à légitimer tant la révolte digitale de ses membres que leur rôle économique dans la société française. Cette fronde entrepreneuriale s’est déroulée dans une période de crise économique et sociale au cours de laquelle se sont déjà épanouis plusieurs mouvements sociaux tels Les Indignés. Leurs revendications, ainsi que la défense de leurs intérêts individuels (plus que collectifs…), restent donc solidaires de la tendance de l’époque. La reprise du slogan du mouvement Anonymous dans leur propre slogan, « We are Pigeons », participe également de cette recherche de légitimité, avec la volonté d’être identifiés à un mouvement de contestation.
Le plumage ne fait pas le pigeon
Mais la nature de cette rhétorique conserve une certaine ambivalence : pourquoi s’appeler les Pigeons, un terme qui, contrairement aux Indignés, n’a aucune connotation noble et citoyenne mais est associé à la naïveté et à la bêtise ? Choisir ce nominatif peut être compris comme une volonté de se défaire de toute fierté, que proclament les mouvements contestataires, pour jouer davantage sur l’humour et l’auto-dérision. Cette rhétorique est dans ce sens paradoxale : quand elle dévalorise, elle légitime. Son caractère subversif est très fort ici : la légitimation passe d’habitude par la dévalorisation de l’adversaire plutôt que de soi-même. La dévalorisation, qui aboutit dans ce contexte à une rhétorique de la victimisation, est destinée à légitimer les revendications des pigeons. La Présidente du Medef a évoqué dans un interview à L’Express le « racisme anti-entreprise » (bien qu’il n’y ait jamais eu ni diffamation, ni injure, ni discrimination), on parle dans la presse de « patrons-martyrs », ces entrepreneurs qui payent le coût de la crise économique pour les autres. Dans l’édition du Téléphone sonne consacrée au mouvement des Pigeons sur France Inter, on a pu entendre des termes comme « sanctionner », « fustigés », « condamnés ».

Le slogan « Ils ne se syndiquent pas. Ils ne manifestent pas. Ils ne menacent pas. Ils ne posent pas de bombes. Ils préfèrent créer de la richesse» (notez la belle allitération en « ss » du roucoulement du pigeon) témoigne bien de cette volonté de légitimer à la fois la révolte, dans les quatre premières phrases, et le rôle économique des entrepreneurs, dans une conclusion détachée visuellement et symboliquement des quatre négations. La rhétorique de légitimation devient ainsi un exercice de communication intimement lié à la reconnaissance d’une utilité sociale dans l’espace public. Les entrepreneurs souffrent en effet de la réputation qu’ils ont d’entretenir davantage une vision spéculative qu’une réelle volonté d’entrepreneuriat durable. Avec ce mouvement contestataire, les chefs d’entreprise ont eu l’occasion de démentir ces préjugés pour rappeler leur rôle majeur dans l’innovation et la création d’emplois en France. Les Pigeons se sont également défendus en invoquant la « réalité européenne », qui montre que l’imposition des plus-values en France (34,5% à la fin du quinquennat de Sarkozy) est une des plus élevées d’Europe et du monde (0% en Belgique et en Suisse, 26% en Allemagne, 22% en Angleterre). Jouer la carte européenne alors même que l’Union traverse une crise économique et politique qui remet en cause sa propre existence n’est pas inintéressant : dans ce mouvement fédérateur qu’insuffle l’Union Européenne, la comparaison avec la législation des autres pays membres donne une certaine légitimité aux revendications des Pigeons…ce qui donne en même temps une légitimité à la poursuite de la construction européenne !
En révisant son projet de loi, le gouvernement a reconnu la légitimité des revendications et la contribution à la richesse du pays du corps patronal français. Et quand Pierre Moscovici, Ministre des Finances et du Budget, déclare au JT de 20 heures de France 3 : « Il ne s’agit pas de reculer mais de bouger, quand ça va dans le bon sens et quand une revendication légitime s’exprime il faut l’entendre. C’est ce que nous avons fait. », il proclame et sacralise cette légitimité.
Du plomb dans l’aile
Mais celle ci pose plusieurs problèmes. Il semble étrange de constater que ce mouvement n’a pas été arrangé par les organisations patronales, comme le Medef par exemple. Cet intermédiaire lui aurait sans doute donné plus de légitimité que l’agence de communication digitale YOOPS, qui s’est chargée de la création du site « defensepigeons.org ». Cette forte mobilisation sur les réseaux sociaux qu’a suscitée le mouvement (72 282 internautes sur Facebook aujourd’hui) interroge alors la nature de cet engagement et donc sa légitimité : il semble plus facile de rassembler 72 000 personnes sur Facebook que dans la rue. Certes, Internet et la révolution numérique redonneraient le pouvoir de la démocratie directe aux citoyens internautes. Mais la possibilité d’un débat 2.0 annonce également l’appauvrissement de l’engagement citoyen, qui se réduit à quelques clics. A terme, cette “République des réseaux” serait un progrès quantitatif du débat démocratique mais sûrement pas qualitatif.
 
Margaux Le Joubioux
 
Sources :
Site du mouvement des Pigeons
Les entrepreneurs sont-ils à plaindre ? France Inter – Le téléphone sonne
Pourquoi est il si difficile de plumer le capital ? Du grain à moudre – France culture
La République des réseaux de J.Rognetta J.Jammot et F.Tardy.

Boutique Bonobo 1
Société

Entrez dans le lab test de la tribu Bonobo !

 
Les bonobos sont des singes très proches de l’homme (98,7% de notre ADN en commun) plutôt pacifiques, joyeux et très affectueux. Bien sûr, la réalité scientifique est plus complexe que cette description naïve et sommaire, mais cette image a suffi au groupe Beaumanoir (Cache-Cache, Patrice Bréal, Scottage et Morgan/La City) pour faire naître en 2006 leur petite dernière : la marque Bonobo, diminutif de Bonobo Jeans.
Avoir un esprit positif et communautaire, voilà ce qui a guidé la création de la marque. A l’image du féminin BE qui a créé sa ruche avec des bees, Bonobo a créé sa tribu et développe l’imaginaire de ce terme sur son site et les réseaux sociaux. C’est une marque qui cherche à valoriser le respect et l’harmonie entre les hommes et leur environnement.
Pour faire simple, l’esprit de Bonobo ressemble à celui de Levi’s made in France.
Pour joindre l’action à la parole, ce magasin est lié à 3 fondations (pour les bonobos, pour les démunis, et pour l’environnement), et propose des vêtements issus de l’agriculture biologique (au même prix que les autres, sinon on connaît la chanson). Côté digital, la marque mène plusieurs jeux et concours Facebook, notamment avec La route du rock (festival d’été à Saint Malo) et Le Tremplin des Vieilles Charrues (scène découverte du festival des Vieilles Charrues), étant partenaire de l’évènement. Elle prend ainsi sa part de brand content essentiellement dans la musique. Cette dernière apaise les peuples et chante l’amour, c’est bien connu, et colle donc parfaitement aux valeurs que la marque veut faire passer.
Pourquoi est ce que je vous parle de tout ça finalement ?
Parce que la marque a ouvert tout récemment son premier flagship (nom à la mode dans les revues de presse pour dire simplement magasin) en plein de centre de Paris, rue de Turbigo.  Le bébé fait 300 m² et son design a été confié à l’agence 1D&CO, du groupe Nomen. «Ce flagship se veut différenciant, qualificatif. C’est aussi un lieu animé pour notre communauté de clients», explique Xavier Prudhomme, directeur marketing de Bonobo. Il ajoute également que «Ce magasin est un laboratoire qui nous permettra de faire des tests». Et forcément, ça m’a donné envie d’aller tester !
A l’entrée du magasin se trouve un arbre de 6 mètres de haut fait d’un mélange de bois et de denim, pour incarner à la fois la mode et l’engagement “éco-responsable” de la marque. Je mets ce terme entre guillemets car sur ses branches ont été disposés six grands écrans plats interactifs (et tout le monde sait que c’est biodégradable, bien sûr).
Le magasin est réparti sur 3 étages : enfants, femmes, et hommes ? Pas du tout. Le sous-sol est très fashionnement appelé le lounge : il se compose d’un bar, de canapés douillets  et de cabines. C’est un espace réservé aux relooking et aux opérations spéciales. Les deux étages suivants sont mixtes. Fini la séparation des genres : fille, garçon, quelle importance ?! Voilà comment Bonobo met fin à des décennies de shopping solitaire lorsque votre moitié ou votre ami est obligé de changer d’étage pour aller voir ce qui l’intéresse. Plus sérieusement, ça fait surtout du bien de voir les normes traditionnelles des magasins de prêt à porter changer un peu.
Concernant la décoration, l’ambiance tape dans le style industriel, c’est branchouille et fashion, donc pas de surprise. Là où ça commence à devenir intéressant, c’est quand on regarde les objets mis en place pour la déco. On trouve des objets liés au monde de la mode et du vêtement (une vieille machine à coudre Singer, des fers à repasser que nos grand-mères ont a peine connus) et cela parait tout fait naturel pour le lieu, mais il y a également beaucoup d’objets culturels : des livres, des magazines, des vinyles, des tournes disques et mon préféré : un minitel ! Objet vintage officiellement depuis peu (officieusement depuis pas mal d’années), et je n’avais jamais eu l’occasion de voir cet objet dans une fonction totalement autre que son utilisation première.
Enfin, cerise sur le gâteau, un écran tactile de 46 pouces est disponible au milieu du rez-de-chaussée pour aller voir des lookbooks ou se faire livrer, mais cet outil sert surtout à diffuser un maximum de contenu, comme le blog de la marque ou de la musique.
Conclusion, quand on voit toute cette mise en place on se dit que le brand content et les outils interactifs ne sont pas prêts de nous quitter !
 
Justine Brisson

Les Fast

Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour Les Echos

 
Une fois remis de vos émotions après l’incroyable saut Redbull, vous aurez certainement observé les publications de BDDP Unlimited qui nous montre ses grandes capacités de relayage sur les réseaux sociaux depuis ce midi. Si vous faites partie des privilégiés et des futés qui suivent l’agence, vous pourrez admirer les prints de la nouvelle campagne Les Echos. Si les prints n’ont pas fait l’unanimité du côté de la rédaction, le spot TV ne manquera pas de vous faire sourire.

Plus qu’un joli concept créatif et qu’une exécution bien ficelée, cette campagne surprenante résulte surtout d’une stratégie disruptive, comme on l’attend de BDDP/TBWA. « Parce que Les Echos est la marque préférée des décideurs, l’agence a proposé de faire de la lutter contre l’indécision un véritable combat ». Cette analyse de la campagne apparaît sur le blog de Nicolas Bordas, le Président de TBWA, et semble plutôt claire quand on visionne le spot cependant peut-on en dire autant des prints ?
Cette campagne a été imaginée à l’occasion du lancement du nouveau site Les Echos et d’un relooking de sa version papier. Pour en savoir plus, l’article de Nicolas Bordas est aussi complet qu’un véritable communiqué de presse.
 
Marion Mons
Crédits photo & Sources :
©BDDP Unlimited – ©Les Echos
Et si l’indécision ne menait nulle part ? par Nicolas Bordas, 15 Octobre 2012
 

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Opération de lancement du jeux video Résident Evil 6 à Londres en 2012
Société

Une communication saignante

 
Le jeu video Resident Evil 6 a lancé il y a quelques semaines sa dernière campagne de communication à Londres. Par quels moyens ? vous demanderez-vous. Affichage, articles, essais du jeu, fête de lancement ? Que nenni ! Resident Evil a choisi une façon plus…trash de présenter son nouvel opus !
C’est en effet une boucherie humaine éphémère qui a ouvert à Londres les 28 et 29 septembre derniers. Une grande quantité de viande fraîche y était proposée : pieds, mains, tripes, corps entiers…. Quel que soit le morceau désiré, le boucher se faisait un plaisir de le découper devant vous ! Vous l’aimez comment, votre communication ?
Les morceaux proposés étaient en réalité de la viande animale, une sorte de jambon pour être exacte, assemblée par l’artiste Sharon Baker dans une « véritable œuvre culinaire » (Docnews). Il est certain que face à de telles réalisations, certains chefs de grandes émissions télévisées pourraient se remettre en main l’usage du couteau !
Les fans du jeu seront ravis, les âmes sensibles…peut-être un peu moins…
Un fait reste indéniable : c’est une campagne qui ne passe pas inaperçue !
Alors, génial coup médiatique ou communication avariée ?
L’usage d’images horrifiques n’est bien sûr pas une exception en communication, mais elles atteignent ici un degré de réalité jamais imaginé. Sous des abords communs pour une boucherie, le lieu attire les passants qui découvrent ensuite le contenu incongru des bacs réfrigérés. Une affiche des différents morceaux de l’être humain est même présentée, tout comme celles que l’on peut voir sur le porc ou le bœuf.
Mais au-delà de la vaste farce organisée par l’inspiration débordante des communicants de Resident Evil, dans un monde enflammé et troublé, où le trafic (illégal) d’organes humains a cours dans nombre de pays, serait-il si invraisemblable d’imaginer l’inimaginable ? Pourrait-on un jour se retrouver tellement déshumanisés qu’il ne nous paraîtrait plus choquant d’acheter des morceaux de nos semblables ? La communication de Resident Evil 6 n’est-elle pas, au fond, un reflet du pessimisme actuel, de cette ambiance de désenchantement et d’impuissance qui gagne nos sociétés ? Sous le couvert d’un coup médiatique détonant, amusant, décalé, ne pose-t-on pas les bases d’un questionnement sur nous-mêmes, sur ce qui fait notre humanité, sur ce qui est encore acceptable ou non ?
Peut-être les dirigeants de Resident Evil, en créant cet évènement, n’ont-ils pas eu l’once d’une telle réflexion ; peut-être (sans doute) n’ont-ils pris cela qu’au premier degré. Cela signifie-t-il pour autant que nous ne devrions pas l’avoir ?
Car, de fait, si les boucheries humaines telles que nous les a présentées Resident Evil n’existent pas, il est une réalité de carnage que nos sociétés laissent exécuter sans bouger ; il est des hommes, des femmes, des enfants, qui dans plus d’un conflit sont laissés à la fureur de véritables bouchers faisant bien pire que ce que nous ne pourrions jamais envisager.
Quoi qu’il en soit, Resident Evil a décidé de poursuivre dans sa veine mordante, puisque les bénéfices des ventes seront reversés à l’Association Limbless, qui vient en aide aux personnes amputées.
Vous en reprendrez bien un petit morceau ?
 
Julie Escurignan
Sources et compléments d’informations :
Article Doc News sur le sujet
Article Webzeen sur le sujet

Application Carrefour 2012
Les Fast

Quand l’application Carrefour va, tout va

 
Vous êtes à la gare, vous attendez encore et toujours votre train (jusque là, je pense que tout le monde voit à peu près de quoi je parle). Dans ce brouhaha, vous ne pensez qu’à rentrer chez vous, avec votre lit, votre pyjama et vos chaussons (là, j’admets, c’est une vision plus personnelle), mais vous savez qu’en rentrant vous allez devoir ressortir illico accomplir un besoin physiologique incontournable : faire les courses.
Heureusement, Carrefour est là.
Ô bien heureux sont les propriétaires de smartphones qui peuvent télécharger l’application adéquate, s’approcher de ce magnifique stand rétro-éclairé et commander leurs courses sur le chemin du retour. En prime, vous avez le droit a un petit code promo pour gagner 10 euros.
Cet étrange cube ne paraît pas mais il est d’une taille assez importante et propose un éventail de produits divers et variés (ça sent le partenariat derrière, mais là je m’avance).
Carrefour fait ici les choses en grand pour montrer aux gens comme il est simple de faire ses courses en lignes. Oui, en grand, car il est amusant de remarquer que cet espace, ce cube, semble être sorti tout droit d’un supermarché. Il recrée les normes que l’on attend d’un supermarché : on distingue des rayons et des étagères. Sauf qu’une fois arrivé devant le produit, on le scanne avec son téléphone (en fait, ce geste est le même que celui instauré par le service des scannettes dans les grandes surfaces, où le clients scanne ses articles seuls pour payer plus rapidement en sortie).
Tout ça pour dire qu’un supermarché dans un mobile, c’est possible, et ça marche tout aussi bien. On voit vers quoi les géants de l’agro-alimentaire veulent se tourner (et nous emmener).
 
Justine Brisson
Crédits photo : ©Carrefour

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Affiche du film Would you have sex with an arab - sortie en 2012
Société

Would you have sex with an arab ?

 
Si vous avez emprunté le métro ces dernières semaines, vous avez certainement été frappé par ces quelques mots qui ornent l’affiche du film de Yolande Zauberman « Would you have sex with an arab ? ». Au-delà du titre d’un film, il s’agit d’une véritable interpellation, d’une invitation à la réflexion. Et vous, est-ce que vous coucheriez avec un arabe ?
On dénote un certain malaise dans ces mots, un tabou, un interdit. La réalisatrice ne pose pas la question « avez-vous déjà couché avec un arabe ? » ou « vous est-il déjà arrivé d’entretenir une relation amoureuse avec un arabe ? ». Non, elle emploie le conditionnel « would you », « est-ce que vous le feriez ? » pour mettre en évidence une impossibilité, une improbabilité, en quelque sorte une barrière comme si le fait de faire l’amour avec un « arabe » tenait de l’extraordinaire. Cette question résonne un défi, comme une interrogation existentielle : si nous nous trouvions dans cette situation est-ce que nous dépasserions l’interdit ?
Aujourd’hui en Israël, un individu sur cinq est arabe. Un million cinq cent mille arabes vivent en communauté avec la société juive-israélienne, sans en être séparés par un mur. C’est dans ce contexte, où la formation de couples mixtes est presque considérée comme un crime, que Yolande Zauberman interroge de jeunes juifs de Tel-Aviv, mais aussi des arabes israéliens sur la possibilité d’un rapport sexuel avec un(e) arabe (et inversement un(e) juif(ve)). On se rend compte que le conflit israélo-palestinien est partout, qu’il s’immisce même dans la chambre à coucher qui est lieu de l’intime.
La finalité de la question n’est en fait plus de savoir si effectivement ces israélien(nne)s pourraient entretenir des rapports sexuels avec des arabes, mais plutôt d’interroger profondément la manière dont la question est perçue. On cherche à comprendre le sens de la question pour le récepteur : qu’associe-t-on au mot « arabe »  (et inversement au mot « juif »)? Il apparait clairement dans le film que souvent, dans la société israélienne, ces termes renvoient à l’idée de l’ «ennemi », de  « l’envahisseur », de l’ « autre ». Et pourtant, on ne fait pas l’amour à une représentation mais à une personne. On dématérialise ici l’humain, l’individu et on le renvoie à une idée, un imaginaire que l’on se fait de l’autre, qui dans ce contexte, apparait indissociable de l’identité. Une jeune juive israélienne exprime cette idée de manière triste mais quelque part touchante lorsqu’elle raconte son expérience « quand je l’ai fait, c’est comme si je faisais la paix avec un peuple. Je n’ai pas pu une seule seconde oublier qu’il était Palestinien. C’était purement politique, le coup le moins érotique de toute ma vie ».  La diversité des sens de cette question génère la diversité des réponses qui tient sur la manière dont les jeunes font l’expérience du conflit.
Il n’est pas anodin que ce film nous soit présenté ainsi de manière provocante, car au-delà de la situation au Moyen-Orient, il s’inscrit dans un contexte de tensions déjà existantes pour ceux qui veulent réfléchir en termes de séparation, entre « you » et « the arab ». Elle nous interroge sur notre représentation de l’autre, sur les barrières et les tabous qu’elle nous impose et son influence sur notre manière d’envisager le rapport avec l’autre de manière universelle.
 
Camélia Docquin