Capture d'écran du site bayrou.fr pour les présidentielles 2012
Archives

Jacques a dit qu’il fallait que la campagne soit “participative”

Ce n’est pas Jacques qui l’a dit, mais François – François Bayrou. Zoom sur son site de campagne plutôt… Etonnant.
A première vue, l’interface graphique ne semble pas des plus ergonomiques : si les cinq grandes rubriques apparaissent assez clairement en haut à droite de notre écran – « Actu », « Portrait », « Projet », « Méthode » et « Participez » –, on ne comprend pas très bien comment s’articule l’ensemble des éléments présents sur la page d’accueil du site.  Difficile d’un coup d’œil rapide de déceler la logique globale d’organisation, tant lesdits éléments sont nombreux et de nature diverse…
Le haut de l’espace est monopolisé par une bannière aux dimensions pour le moins imposantes : y défilent les photos des temps forts de l’actualité de campagne du candidat – ses dernières « initiatives »…
Vient ensuite un espace proprement dédié à l’actualité, dont on peut suivre « le fil », ou que l’on peut trier en fonction de thèmes. En termes de contenus, il s’agit à la fois de vidéos et d’articles plus classiques.
Si l’on continue à scroller, on arrive sur un espace nous proposant de « participer à changer la France » – rien que ça ! – en devenant « volontaire de campagne » – Quésako ? Les champs lexicaux de l’action et de l’interaction y sont abondamment développés – « prendre la parole et agir » ! –, et l’internaute est directement interpellé, comme le suggèrent les nombreuses apostrophes verbales – « Menez », « Proposez », « Devenez » ! Quand l’invitation se fait invective… Mais nous y reviendrons. Notons également à droite la présence d’une plateforme permettant de poster des messages de soutien. Si ce genre de dispositif apparaît de plus en plus courant sur internet, sa valeur symbolique est d’autant plus forte qu’il s’agit ici d’un site à caractère politique : François Bayrou laisse la possibilité au peuple de s’exprimer…
Il faut remarquer la manière étrange dont fait rupture l’espace qui suit – « Portrait ». Déjà, la couleur de fond change : du noir, nous passons au blanc. Si l’internaute ne perçoit pas nécessairement le changement de manière claire et consciente, il le ressent forcement : l’ambiance semble d’un coup plus solennelle. L’espace apparait comme une sorte d’îlot rassurant au milieu d’autres plus dynamiques, vantant l’action. D’ailleurs, le lexique employé est radicalement différent : « ses racines » et « ses combats » attirent immédiatement le regard et on retrouve des termes forts véhiculant des valeurs d’équilibre et de stabilité – « Les racines de François Bayrou sont pyrénéennes, terriennes et culturelles. L’éducation qu’il a reçue et les rencontres qui ont émaillé sa jeunesse ont forgé sa personnalité ». Ou l’art d’élever un mythe…
Les deux derniers espaces sont dédiés à « son projet » et à « l’agenda ». Ici, le discours et les dispositifs apparaissent plus classiques. On retrouve notamment les trois grands axes du projet du candidat, ainsi que ses positions concernant les thèmes « clés » de la campagne.
On comprend donc lorsqu’on arrive enfin en bas (parce que, point négatif, il faut beaucoup scroller) que la page d’accueil décline les cinq grandes rubriques présentées en haut à gauche. De manière habile, soit dit en passant : la diversité des éléments et des contenus, leur forme et leur lexique, tout cela participe à véhiculer une image dynamique autour des valeurs de l’action, de la coopération et de la prise d’initiative. Le tout tempéré par la rubrique « portrait », qui donne un ancrage au candidat.
Le paroxysme de ce parti pris « participatif » est cependant poussé très loin. La rubrique « Participez » (qui ressort en orange) porte un concept particulièrement innovant : le site propose aux internautes de se porter « volontaires » pour tout un tas d’actions allant de l’impression/diffusion des propositions de Bayrou sur l’Ecole au téléchargement de l’application iPhone Bayrou 2012, en passant par le partage de vidéos de campagne sur Youtube ou l’adhésion à sa page Facebook… Et pour chaque action accomplie, pour chaque prise d’initiative, l’internaute – qui est devenu un « volontaire » – gagne des badges ainsi que des points, ou « décibels , qui lui permettent d’ « augmenter la puissance de sa voix »… Tout un programme.
Que penser d’une telle manière d’aborder l’engagement politique ? Que gagne François Bayrou à en faire une sorte de jeu ? Présenter les choses de façon ludique appelle certes à la mobilisation et rend la politique plus abordable ; et à travers une telle stratégie de gamification, l’équipe Communication de Bayrou lui donne les moyens de toucher un public plus jeune, friand de jeux en tout genre, et surtout d’interactivité. Quand engagement se confond avec participation…
 
Élodie Dureu
Source et crédits photo : bayrou.fr

1
Miss Dior Cherie
Edito

Mais où est donc passé le Chérie ?

 
En ces derniers jours de soldes, alors que les Français se ruent dans les magasins les poches vides mais l’espoir bien vivant, une certaine curieuse s’aventure au rayon Dior Parfums. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle s’aperçut que le « chérie »  du « Miss Dior Chérie » était introuvable. Interloquée et agitée, elle se mit à chercher sur chaque étiquette, chaque flacon, chaque emballage. Pas un seul n’y a échappé, le « chérie » semble s’être fait la malle. Curieuse qu’elle est, la voilà qui interroge la représentante désireuse de venir en aide à sa cliente transformée en Sherlock Holmes (mais en un peu plus féminin quand même).
A coup de questions, elle apprend qu’en effet la marque Dior opère une fusion de ses deux marques et parfums « Miss Dior » et « Miss Dior Chérie ». La Chérie a grandit, elle est plus toute jeune maintenant et de fait elle ne s’adresse plus à la même cliente. Il semblerait que la cadette attirait une cible plus âgée que celle qu’elle visait avec ses arômes de bonbons et ses nœuds roses. Donc la marque Dior a choisi de réadapter son produit à cette cible en faisant disparaître à la fois les notes sucrées et le « Chérie » jugée trop gamin. Le parfum se fait plus riche en jasmin pour gagner en sensualité et en maturité alors que la gamme se recentre sur une ligne directrice empreinte de patchouli.
Prise de risque ou pas ? Il y a de quoi se poser la question. Tout d’abord, il est intéressant de souligner que la marque s’exprime très peu à ce sujet. L’eau de parfum fut la première à vivre un changement, courant 2011, qui aura déçu plus d’une admiratrice des ses essences édulcorées, et pourtant l’information fut peu relayée voire complètement tue. D’ici aout 2012, le « Chérie » aura totalement disparu et encore une fois personne n’en parle comme si la marque Dior tenait à ce que cela passe inaperçu. Y aurait-il là le désir de pouvoir faire marche arrière, ni vu ni connu, en cas de fausse route ? Enfin ceci est hypothétique, mais ce qui pose vraiment question c’est la pertinence de ce repositionnement délicat d’une gamme bien implantée. Si l’on en croit les études sur la projection de soi, les plus jeunes ont tendance à se voir plus vieux mais passé un certain âge on procède à une inversion. Ainsi une femme ayant la trentaine aura tendance à se voir environ dix ans plus jeune, et par la suite verra le phénomène augmenter avec les années. Sachant cela, est-il véritablement pertinent de vieillir le produit pour l’adapter à sa cible acheteuse ? Surtout si ce que celle-ci en aime est l’image de la jeune fille aux nœuds pastel qui danse sur la voix de Brigitte Bardot (« Moi je joue »).
Autre paradoxe, celui d’un repositionnement vers l’aînée quand tout le monde cherche à toucher des cibles plus jeunes et souvent sans succès. Dans le cas du luxe, il faut reconnaître que l’acheteur se doit d’avoir un portefeuille capable de suivre l’offre mais ne dit-on pas aussi que les jeunes filles jouent parfois un grand rôle de prescripteurs auprès de leurs mères ? Et si les mamans veulent jouer à l’adolescente inconsciente, ne faut-il pas justement garder ce filon là, si peu exploité ailleurs. Tant de questions, si peu de réponses.
Une petite dernière quand même pour la route : si « Miss Dior Chérie » devient « Miss Dior », que devient le « Miss Dior » actuel avec son look – il faut le dire – assez démodé ?

 
Marion Mons

12
nfl-dollars
Flops

Super Bol

Dans la nuit de dimanche à lundi, il y avait ceux qui dormaient, puis les autres — masochistes sur les bords — qui enchainaient les canettes de Red Bull pour ne pas sombrer devant le Super Bowl. Depuis quelques saisons, W9 diffuse cette grande messe du football américain — sport totalement confidentiel de ce côté-ci de l’Atlantique — mais qui rassemble pas loin de 150 millions de téléspectateurs chez les Américains, véritable miracle étant donné le morcellement du paysage audiovisuel états-unien.
La NFL — petit nom donné au football US (National Football League) — est le sport numéro Uno au royaume d’Obama, et dont la finale est surtout l’occasion de se marrer entre amis autour d’ailes de poulet et devant le meilleur de la pub mondiale. Ce que l’on sait moins c’est que cette joyeuse petite sauterie qui opposait les Giants made in New-York et les Patriots de Boston — doux ennemis de la Côte Est — aurait pu ne jamais avoir lieu.
Flashback en mars 2011. Le 25 au matin la NFL cesse toute activité. Les propriétaires se mettent en grève pour cause d’un désaccord sur le CBA — en VO, Collective Bargaining Agreement, en VF, l’accord syndical qui lie joueurs et propriétaires sur les conditions salariales et contractuelles de la ligue. Pour faire simple, quand les propriétaires se mettent en grève la saison s’arrête puisqu’ils sont aussi détenteurs des stades et employeurs de tous les soldats qui font tourner la League.
En NBA — la National Basketball Association — on a aussi vécu le même problème pendant l’été 2011. Début juin, les Dallas Mavericks sont sacrés champions, mais quelques semaines plus tard l’ambiance retombe assez sèchement. Même problème que chez les cousins du foot US, les joueurs et proprios ne trouvent pas d’accord sur la répartition des revenus tirés de la ligue — répartition définie par le CBA.
Alors en NBA comme en NFL, le « lockout » est décrété. Littéralement, les joueurs se trouvent « enfermés dehors ». Les entrainements et matches ne peuvent avoir lieu puisque les salles restent closes tant qu’un accord ne sera pas trouvé sur les répartitions de la juteuse manne financière qui découle du basket et du foot US.
Côté NFL, aucun matche n’a été annulé puisqu’un accord a pu être trouvé avant le début de la saison. Mais pour les amoureux de la gonfle orange, l’attente fut bien plus longue et préoccupante.
David Stern — le NBA Commissioner, en gros le patron de la Ligue — annonce le 28 octobre que les deux premières semaines de la saison (censée commencer début novembre) sont annulées étant donnée l’absence d’accord et l’affolante apathie qui entoure les débats. Finalement ce seront près de  deux mois de compétition qui seront supprimés. Le 26 novembre, après des centaines d’heures de réunion, l’intervention d’un médiateur envoyé par Washington et des millions de dollars envolés, un nouveau CBA a pu être signé. La saison commencera le jour de Noël, histoire de faire oublier aux fans les mois de chamailleries.
De juillet à fin novembre, les LeBron James et autres Chris Paul se sont étripés avec les propriétaires sur la répartition des gains que rapporte la ligue. Jusqu’ici les joueurs récupéraient 57% du gâteau et les proprios se partageaient le reste. Cependant il apparaissait assez clairement qu’un tel accord ne pouvait plus durer puisque les propriétaires clamaient perdre énormément d’argent. Les joueurs eux faisaient la sourde oreille avec une ligne de défense unique : sans eux, pas de spectacle ni de ligue.
Alors pendant 5 longs mois, les fans ont vu des joueurs multi-millionnaires batailler pour quelques 5 ou 6 misérables pourcentages — donc une bouchée de pain rapporté à leurs revenus qui s’élèvent pour les plus talentueux à 20 millions de dollars par saison. Les principaux sites de basket reprenaient tous en coeur le même refrain « Qu’ils nous rendent notre sport favori, et qu’ils arrêtent de pinailler pour si peu ». Ainsi nombreux étaient ceux à se dire littéralement dégoutés par l’attitude de leurs idoles, les plus virulents n’hésitant pas à appeler à un boycott en cas de reprise de la saison. Ainsi d’importantes pertes en termes d’audience étaient à prévoir lorsque le basket daignera reprendre.
Le mois dernier les chiffres des premières audiences sont tombés. Résultats accablants pour les fans excédés il y a quelques semaines de ça : la NBA et la NFL sont encore plus populaires post-lockout. Dans le LA Times, Helene Eliott a pu observer que les salles NBA étaient plus pleines cette année que l’année passée et que les audiences télé avaient elles-aussi augmenté — sur la même période.
Le Super Bowl a réalisé dimanche dernier les meilleures audiences de son histoire. Que ce soit en NFL ou en NBA, les fans semblent donc touchés d’une amnésie profonde quand on repense aux réactions ulcérées qui tapissaient Twitter et la rubrique commentaires d’ESPN.
Apparemment les fans viennent de donner le feu vert aux responsables des deux ligues majeures — NBA et NFL — pour se comporter comme ils l’entendent, en tout cas dans l’irrespect total du public — public qui fait d’ailleurs vivre tout ce beau monde. Les fans avaient pourtant là l’occasion de montrer qu’ils étaient — eux et eux seuls — ceux qui faisaient tourner ce cercle vertueux, véritable machine à billets vert. Mais apparemment le spectacle offert par le basketball et le football américain fait oublier toutes les péripéties. Ainsi ces chiffres actent une amnésie certaine du fan de sport qui avait enfin le pouvoir de réclamer son dû pour sa passion — essence indispensable du moteur rugissant de l’industrie sportive.
 
PAL

Black Mirror 1
Com & Société

Les écrans noirs du méchant Monsieur Brooker

Je sais que les temps sont durs pour nous autres sériephiles, mais je me permets quand même de vous conseiller la petite dernière de Charlie Brooker. Black Mirror, diffusée sur Channel 4 en décembre dernier a fait beaucoup de bruit  au Royaume-Uni. La mini-série en trois épisodes explore nos relations avec les nouvelles technologies, ce que nous en faisons et ce qu’elles font de nous. Avec ses allures de 1984, Black Mirror place le spectateur dans une situation dérangeante et l’invite à s’interroger sur ses propres pratiques. Tout un programme donc.
 
Trois petits tours et puis s’en va.
 
Black Mirror se décline en trois épisodes, chacun conçu autour d’une intrigue et d’un casting différents. Le premier épisode, « The National Anthem », donne tout de suite le ton. La princesse Susannah a été enlevée. Dans une vidéo, elle expose les revendications de son ravisseur: pour qu’elle soit libérée, le premier ministre doit s’engager à avoir un rapport sexuel avec un porc en direct à la télévision. Lorsque Downing Street prend connaissance de la vidéo, celle-ci est déjà sur Youtube, et est vite devenue un sujet « tendance » sur Twitter. A partir de ce moment-là, la machine médiatique s’emballe. Flash-infos, tables rondes d’experts, sondages, micro-trottoirs, le pays entier suit le déroulement des opérations. C’est une véritable structure panoptique que l’on voit s’installer devant nos yeux, s’appuyant sur des outils que nous utilisons tous les jours.
Les deux autres épisodes se situent davantage dans le registre de la science fiction.
Dans « Fifteen Million Merits », les personnages évoluent dans un univers plus futuriste, où ils sont sans cesse entourés d’écrans. Toute la journée, ils doivent pédaler sur des vélos afin de gagner les 15 000 000 points qui leur permettront de participer à Hot Shot, un concours de talent très nettement inspiré de X factor, dont il emprunte le décor et la mise en scène.  Le dernier épisode, « The Entire History of You », s’intéresse, lui, à la mémoire. Une petite puce logée derrière l’oreille des personnages enregistre chaque instant de leur vie. Tous leurs souvenirs sont stockés sur cette base de données, et ils peuvent à tout moment les visionner. Rien ne peut plus être oublié, tout est sauvegardé. Chaque instant peut être ralenti, agrandi afin d’analyser toutes les subtilités qui avaient d’abord échappé au personnage. La mémoire devient un poids dont il est impossible de se défaire.
 
Meet Brooker
 
Charlie Brooker est considéré comme un homme très drôle au Royaume-Uni, pour peu que l’on soit sensible à l’humour noir et grinçant qui est sa marque de fabrique. Cela fait plusieurs années qu’il prend un malin plaisir à tourner en dérision les médias et leurs pratiques. Sa chronique ponctuelle pour le quotidien anglais The Guardian, dans laquelle il offre son analyse satyrique de l’actualité, est l’un des meilleurs exemples du style Brooker. S’il n’est pas toujours tendre avec les médias, il est pourtant très présent dans le milieu, et surtout à la télévision. Ses émissions NewsWipe et Screenwipe, diffusées sur BBC4, et How TV ruined your life, une série en six épisodes, ont ainsi connu un certain succès et ont fini de lui tailler la réputation d’un gentil cynique.
Avec Black Mirror, Brooker change cependant de registre. Si on y reconnaît son goût pour l’irrationnel et le ridicule, le ton est nettement plus sombre qu’à l’accoutumée. Il s’attaque ici à un sujet qui semble le fasciner depuis toujours ; les nouvelles technologies et l’impact qu’elles ont sur nous. Son argument de départ, c’est que nous sommes tous accros aux gadgets, lui le premier. Nous vivons entourés d’écrans avec lesquels nous dialoguons en permanence et, comme le suggère le titre de la série (inspiré d’une chanson d’Arcade Fire), ces écrans nous renvoient une image confuse de la réalité. Dans une interview accordée au Guardian, il déclare avoir voulu explorer les effets secondaires de notre addiction à ces nouveaux outils et analyser la manière dont ils modifient notre humanité, la façon dont nous nous comprenons et rendons compte du monde qui nous entoure. Au fil des épisodes, les personnages ne sont pas libérés par le progrès, mais apparaissent au contraire comme pris au piège de tous les gadgets qu’ils ont intégrés dans leur vie. Les médias, les réseaux sociaux, tous ces écrans avec lesquels nous cohabitons, ont créé une structure de contrôle invisible qui influence nos comportements et nos réactions. Brooker place donc au centre de sa réflexion la question de l’intégrité et de l’éthique, en invitant le spectateur à se mettre à la place des personnages, en questionnant ses pratiques et en jouant avec ses peurs.
Si son penchant pour la caricature peut laisser perplexe, Black Mirror a en revanche le mérite de ne pas laisser indifférent. Lors de son lancement, la série a reçu des critiques dans l’ensemble assez positives, et beaucoup ont salué l’audace du projet. Peut-être Brooker en fait-il trop, mais c’est généralement aussi pour cela qu’on l’apprécie; pour son cynisme, et le plaisir malsain qu’il prend à bousculer nos certitudes.
 
Pauline Legrand
Crédits photo:
©Channel4
©Metro.co.uk

1
Publicité Lejaby 4
Société

Un sauvetage au balcon

Cette histoire est celle d’un conte de fées. Elle parle de femmes, de dentelle, de couture et d’amour. Elle possède son méchant sorcier, ses rebondissements et son preux chevalier. Son action se déroule, comme dans Roméo et Juliette, sur des balcons. Mais ces balcons sont français. Ils sont pleins de monde, et bien protégés par des devantures de qualité. Cette histoire est celle de Lejaby.
Lejaby, fabricant de lingerie made in France, dont l’usine d’Yssingeaux, sur le point d’être fermée, a été sauvée in extremis par un fournisseur de Louis Vuitton (groupe LVMH). Alors, sauvetage politique, sauvetage médiatique ou sauvetage héroïque ? A qui, ou à quoi, doit-on le sauvetage de l’usine d’Yssingeaux et de ses 93 employés ?
Dans cette affaire, il convient tout d’abord de saluer la vaillance des 93 courageux salariés qui ont lutté sans relâche pour sauver leur emploi et leur cadre de travail. Cela faisait près de 3 semaines qu’ils étaient engagés dans une bataille sans merci afin d’empêcher la fermeture de leur usine. Plus que des dizaines d’employés, c’est « tout un territoire » qui s’est soulevé « pour défendre l’emploi industriel » de la région. Dans cette contestation, les Lejaby (comme il est devenu coutume de les appeler maintenant) ont pu compter sur le relai d’alliés de poids : les médias.
De ce point de vue, le sauvetage « lejabyien » pourrait être qualifié de médiatique. En effet, depuis le tout début de cette histoire, les conteurs sont là, qui vous relatent chacun des épisodes de cette épopée. Presse, radio, télévision, internet, blogs, réseaux sociaux : tous relayent l’information et mobilisent la France. Cette histoire de femmes touche les cœurs. Elle émeut particulièrement les Françaises (et les Français, par un lien de cause à effet), premières consommatrices de lingerie en Europe. Pas de surprise, donc, à ce que l’histoire de Lejaby, avec ses sous-vêtements de qualité française adaptés au goût national, les séduise. Derrière une région, c’est un pays qui a focalisé son attention sur le destin d’un fleuron du savoir-faire français. Et derrière la question des emplois, c’est un enjeu politique qui a point.
Après toutes les promesses de sauvetage non tenues, un échec n’était pas envisageable. On ne raconte jamais les défaites d’un chevalier. Ce sont ses victoires qui restent dans la mémoire collective. Et ça, notre héros le sait. Il le sait d’autant plus qu’il n’a pas droit à l’erreur. Ce n’est plus seulement une question de donjon et de dragon, c’en est aussi une de tournoi. Il n’est plus le seul hardi chevalier en lice. D’autres accourent autour de lui dans l’espoir de lui rafler son titre. Il doit prouver à sa princesse et à ses sujets qu’il mérite leur admiration. Il doit convaincre les scribes de raconter son histoire.
Et vu de cet angle, le sauvetage de Lejaby s’apparente plus à une action politique qu’à un acte social. Le repreneur de l’usine d’Yssingeaux n’est-il pas un fournisseur du groupe LVMH, dont le patron est un proche du chevalier ? Le chevalier n’aurait-il pas usé de l’influence qu’il a sur ses vassaux pour sauver la princesse ? De ce fait, n’utiliserait-il pas une victoire obtenue sans honneur pour tenter d’éclipser ses concurrents ? Et que vaudrait un chevalier sans honneur ?
Mais tout ceci n’est qu’un conte. Nous ne vivons pas au temps des chevaliers, des valeurs et de l’honneur. Aujourd’hui, seuls comptent les résultats, ces derniers ont permis le sauvetage de 93 emplois. Même si un des derniers bastions du made in France délocalise en Tunisie. Dans cette réussite, 3 acteurs ont joué : les intrépides employés de l’usine d’Yssingeaux, les politiques et les médias. Ce sont eux qui sont la clé de voûte de cette victoire. Car, sans eux, qui aurait relayé le message des salariés, et leur aurait permis de se faire entendre ? Et qui aurait permis aux personnalités politiques de faire de cette « affaire Lejaby » un enjeu de la présidentielle en diffusant largement leur parole ? Les médias ont eu sans conteste un rôle décisif dans ce sauvetage. Cependant, on ne peut amoindrir la part importante jouée par les hommes politiques et la lutte des employés dans ce dossier. Ce sauvetage est donc clairement tripartite : politique, médiatique et héroïque. Ou, si on veut en attribuer tout le mérite aux seuls travailleurs (ce qui pourrait s’avérer légitime), on peut dire que les Lejaby ont fait usage, pour sauver leurs postes, d’un excellent plan de communication !
 
Julie Escurignan
Crédits photo : ©Lejaby
Sources :
Libelyon.fr
LesEchos.fr
LeParisien.fr

Extrait du Barbier de Sibérie un film sorti en 1998
Archives

Jacques a dit qu’il irait au bal danser

L’élection présidentielle approche à grands pas et au milieu des discours controversés et des petites phrases assassines, on retrouve depuis des mois les mêmes topos à propos de l’un des partis en lice. Oui, le Front National a changé, Marine le Pen n’est plus dans la tradition xénophobe de son père, ou plutôt, comme Stéphane Guillon le fait dire à une certaine Madame Dupuis (Libération, 24 Janvier 2012), « elle est peut-être légèrement fasciste, mais c’est un fascisme light ». S’adressant aux oubliés, Madame Le Pen grimpe dans les sondages. Sans oublier tous les débats, avis de la population et sondages d’opinion à l’appui de ces gros titres quotidiens.
En tout cas, que le Front National ait changé d’image ou pas grâce à sa meneuse, la technique communicationnelle marche : depuis des mois, on retrouve plusieurs fois par semaine le visage souriant de Marine Le Pen sur les unes des kiosques et les articles internet. Et qu’importe que ceux qui en parlent adhèrent ou non aux idées, défendent le parti ou le traînent dans la boue. Le fait est là, tout le monde en parle.
Mais il y a quelques jours, la candidate s’est engagée sur une route bien glissante. Marine Le Pen a en effet été cordialement invitée, Vendredi 27 Janvier 2012, à participer au bal de la Fédération des corporations pangermanistes, le Burschenschaften, dans le palais de Hofburg où réside le président autrichien. Quel mal y a-t-il à aller exécuter un ou deux pas de valse dans un pays voisin et ami me direz-vous ?
Il s’avère en fait que cette fédération est l’une des survivances s’étant mises au service du IIIe Reich Hitlérien lors de l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne, mais elle n’aurait pas abandonné cette idéologie à la suite de la défaite allemande. Les associations SOS Racisme et UEJF (Union des étudiants juifs de France) ont immédiatement attaqué Marine Le Pen sur cette participation à un « bal néonazi ». De nombreux articles se chargeront de lancer le débat à propos de ces fédérations et associations, historiens face aux journalistes, mais ici c’est bel et bien l’impact communicationnel pour la candidate qui m’importe.
Après presque un an de dur labeur à se détacher idéologiquement de son père et à supprimer toute trace dans son discours des idées trop extrémistes ayant si souvent été reprochées au parti, après une campagne orientée sur la nécessité d’« acheter français » plutôt que des débats plus contestables, la semaine dernière, la locomotive FN a changé de rails. Sa simple présence à un bal de cette nature, quand bien même il n’y aurait aucune adhésion de Mme Le Pen aux idées extrémistes des organisateurs de l’évènement (si extrémisme il y a), allait obligatoirement être relaté dans les journaux nationaux et être lié à un « retour aux sources ». Depuis quelques semaines déjà, les sondages l’avaient faite chuter quasiment au niveau de François Bayrou (ou Mr Bayrou l’avait rattrapée, selon les interprétations), et on pourrait se dire que cette stratégie communicationnelle était peut-être une bêtise à trois mois à peine du premier tour, période que tout le monde sait être décisive…
Mais était-ce réellement une « bêtise » de la part de la candidate ?
En effet, Marine Le Pen voyant ses sondages chuter n’aurait-elle pas plutôt envisagé une nouvelle communication axée sur son électorat de base, afin de les rassurer ? C’est en tout cas ce que semble suggérer, à la suite de ce fameux bal, son meeting à Perpignan Dimanche 29 Janvier. La candidate y a en effet prononcé un discours ponctué d’une gestuelle impressionnante sur les Français d’Algérie, sur « la sécurité et l’immigration » (les deux étant cités côte à côte dans son discours…), qui étaient des idées majeures lors des campagnes de son paternel. Et lorsqu’elle cherche à se justifier des accusations de SOS Racisme et de l’UEJF, les huées du public et son propre rire sont autant de signes communicationnels qui ne trompent pas : le parti d’extrême droite semble bien être revenu à une communication traditionnelle qui rassure, loin de la figure que Mme Le Pen a cherché à montrer depuis plus d’un an.
Ce retournement communicationnel va-t-il durer, et cela aura-t-il un effet négatif sur le campagne de Marine Le Pen ? L’avenir le dira, mais il semble que la stratégie de communication du parti s’éloigne quelque peu d’un « fascisme light ».
 
Héloïse Hamard
Crédits photo : ©Barbier de Sibérie – Film – 1998

Christophe Barbier contre les anonymous
Société

Quand Christophe Barbier voit rouge

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe parmi les addicts du streaming et du téléchargement compulsif : il y a quinze jours déjà, le grand, le tout puissant, le seul, l’unique Megaupload est mort. Nous ne faisons pas encore notre deuil, que les Anonymous nous vengent déjà. Bien drôle époque que nous vivons là ! On parle même de guerre digitale. Toujours est-il que « l’hack’tion » des Anonymous n’est pas du goût de tout le monde.
Lundi 23 janvier, sur I-Télé, Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L’Express, agressif et visiblement de mauvaise « humeur » s’en prenait en direct aux « corbeaux » du Net.
« C’est pas bien les lettres anonymes il faut avoir le courage d’apparaître au grand jour et de ne pas faire les coups en douce ! ».

L’humeur de Christophe Barbier – I Télé
L’homme à l’écharpe rouge s’amusait du slogan des Anonymous, désormais connu de tous* leur prêtant une toute autre mission : « nous qui voulons nous servir sans payer personne, ne pas rémunérer le travail d’autrui ». Menaçant de son doigt, comme on réprimande un enfant de 5 ans (attention pas beau pas bien !), Barbier ajoutait : « il faut dire à ces anonymes qu’ils ne sont pas des robins des bois, qu’ils ne sont pas là pour la liberté de la presse, la liberté de l’expression […] ils sont là simplement comme des voleurs. Anonymes, vous êtes des voleurs ! » Il semblerait que la présentatrice ait été plus perspicace : « Et bien il va falloir qu’on s’inquiète pour notre site internet ou le vôtre peut-être ». Mise en garde qui sonnait comme une prédiction ! Et l’inquisiteur (trop) confiant d’ajouter : « On est blindé ! pas de souci » ou comment s’enfoncer dans le ridicule. Quelques heures plus tard, le site de L’Express subissait les représailles de ce réquisitoire. Non pas par les Anonymous (semble-t-il) mais par une poignée de hackers fâchés d’avoir été la cible de cette chronique affligeante. Quand on n’a pas  « l’étoffe » d’un Christophe Barbier et qu’on préfère la cravate noire, cela ne plaît pas au directeur de l’Express. Pourtant la quête d’identité ne semble pas s’arrêter pour ce dernier qui prend un ton autrement plus condescendant (et imagine déjà une majorité parlementaire de pirates aux prochaines élections !) dans sa « Lettre aux Anonymous », qui ne s’est pas faite attendre: « Pas évident de distinguer les bons des méchants dans un univers d’anonymes […] Liberté de la presse, liberté d’expression : nous rejoignons bien entendu leur combat sur ce terrain ». ». Il semble qu’on retourne son éch… (pardon) sa veste ?

Lettre aux Anonymous, Christophe Barbier
Comment tolérer une telle asymétrie dans les propos du directeur d’un des médias les plus influents ? Il semblerait que l’homme se soit fourvoyé lors de son attaque envers les « Anonymes » pour finalement s’informer davantage et revenir sur ses paroles. Certes les Anonymous ne sont pas des anges, mais ils défendent bien la liberté d’expression et la liberté de la presse ; ce pourquoi ils se sont tout de suite désolidarisés de cette attaque contre L’Express.
Il est, très certainement, dommage que le directeur de L’Express ait fait un amalgame et ait assimilé de loyaux hacktivistes, défenseurs des révolutionnaires arabes, à des pirates informatiques de mauvais augure. Cette fausse note communicationnelle de Monsieur Barbier rappelle qu’un média se doit d’être sûr de ses informations et de ses sources, de prendre du recul, mais surtout qu’il doit être cohérent dans ses propos. Allez, 72 minutes de silence pour ce faux pas et on oublie ?
 
H.S.
 
* We are Anonymous. We are Legion. We do not forgive. We do not forget. Expect us (« Nous sommes Anonymes. Nous sommes Légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Redoutez-nous »)
Crédits photo : ©Reflets

Affiche censurée du film Les Infidèles avec Dujardin sortie début 2012
Edito

Quand l’ellipse se fait de moins en moins subtile…

 
Durant ces dernières semaines vous avez certainement eu le plaisir de vous retrouver face à une nouvelle tendance dans l’affichage que j’aime à surnommer « Parce que les publicitaires prennent leur pied ». En effet, je doute que les affiches du film Les Infidèles vous aient échappé, ou encore celles de Virgin pour son opération Love spéciale Saint Valentin (of course).
Par ces temps si froids, toutes ces jambes dénudées ont attiré mon regard (sans sous-entendu aucun). C’est d’abord l’ellipse qui m’a intéressée, le fait de montrer la partie pour le tout et d’exprimer ainsi bien plus qu’un banal message de publicité pour rasoir. Oui les jambes sont jolies, fines, épilées de près mais ce n’est pas tout. Elles sont coupées afin de laisser le reste du corps à l’imagination. L’esprit formule ainsi une image certainement bien plus crue que celle que l’on aurait pu afficher. Et pourtant cela est déjà en montrer trop il semblerait.

Dans le cas de Virgin, on reste dans du soft avec la présence à la fois d’une jeune fille et d’un jeune homme, à en juger par le teint et la tonicité de leurs peaux, ainsi que par une minceur souvent associée au bel âge. Le fait que les deux protagonistes pieds nus soient mis sur un pied d’égalité laisse penser à une relation amoureuse stable et respectueuse. Accrochés à leurs chevilles, ayant fait leur chemin le long de leurs jambes nues, reposent deux sous-vêtements, étrangement identiques. Nous avons là une première ellipse, au niveau des jambes coupées afin de ne pas heurter la bienséance, précisée par une seconde d’autant moins subtile. Dans l’espace qui sépare nos deux amoureux, le mot « Love » trouve sa place, racontant l’histoire de ces deux corps à la fois par ses multiples sens, par le choix d’une typographie féminine via sa couleur et masculine via son épaisseur imposante sans empattement.  Certains parlent de vulgarité, d’autres ne voient rien à redire mais il semblerait tout de même que ce type de visuel ne passe pas encore inaperçu malgré une certaine démocratisation de l’acte sexuel.

Pour Les Infidèles le verdict aura été plus tranché. Je n’ai pas besoin de vous expliquer ce que les féministes reprochent aux affiches… Il semblerait que nous n’ayons pas eu le plaisir de voir toutes les déclinaisons à ce jour car certaines ont été censurées avant même d’arriver dans les rues. A la différence de l’affiche de Virgin, nous avons là une très nette supériorité de l’homme sur la femme qui se retrouve, elle, réduite à un simple objet sexuel destiné à souligner le titre de « l’œuvre ». Comme si le nom du film n’était pas assez clair, les publicitaires ont jugé bon de le représenter, sans la moindre métaphore. On parlera encore sûrement d’un coup de buzz par provocation pure et simple mais si cela jouera peut-être en faveur du film qui verra ses entrées augmenter, ce ne sera pas forcément le cas d’un de ses acteurs principaux, Jean Dujardin. En effet, « The Artist » pourrait bien voir lui échapper son bel oscar en raison de toute cette affaire sordide (surtout aux yeux des américains).
Si l’ellipse n’est pas forcément l’une des meilleures techniques pour déjouer la censure, il en reste encore quelques unes qui pourraient bien faire le bonheur des publicitaires : une petite métonymie ? Qui sait…
En tout cas, je ne demande qu’à enrichir ma collection d’affiches « Parce que les publicitaires prennent leur pied » donc si vous en avez d’autres, envoyez !
 
Marion Mons
Crédits photo : ©Virgin – ©Mars Distribution/JD Prod

Signe de ralliement du PS pour les présidentielles 2012 fait par Jack Lang
Flops

Des ninjas au PS

La communication tient aujourd’hui un rôle majeur en politique, peut-être souvent, et malheureusement, le rôle le plus important. Nous sommes, depuis maintenant un certain temps, les spectateurs béats du combat pour la terre, non pas du Milieu, mais de l’Elysée. De ce fait, faire campagne revient aujourd’hui à prendre les armes, à entrer en guerre contre différents adversaires pour conquérir différents publics. Mais aujourd’hui comme tout le monde le sait, l’homme politicien se bat en grande majorité via les médias, de toutes les formes possibles. Il tire la lance face aux micros, croise le fer avec les caméras, luttant corps et âme pour répondre aux questions, aux réactions et aux attaques des opposants et des commentateurs. Plus rien n’est laissé au hasard. Pas le moindre geste, la moindre réflexion, le moindre lapsus.
Cette année 2012 va donc voir s’affronter jusqu’au mois d’avril les principaux prétendants à la présidence et leurs armées respectives sur le grand champs de bataille médiatique, semé d’embûches.
Ceci est l’histoire de l’échec d’un cri de guerre raté qui pourrait s’avérer dérangeant  dans ce contexte politique sanglant.
En tête des sondages, le candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande, est clairement rentré en campagne ces dernières semaines. Et quelle entrée ! S’il n’y a rien à redire quant à la communication « personnelle » de l’homme qui peu à peu se métamorphose, passant de simple candidat à personne sérieusement présidentiable, le problème vient du slogan et surtout de l’illustration médiatique de ce dernier, véritable fiasco sur le net que je vous invite (peut être une fois de plus) à regarder.

Cette vidéo, circulant partout sur la toile depuis bientôt deux semaines, est l’objet de nombre de critiques, attaques et moqueries. Il faut en effet admettre en toute objectivité qu’il ne s’agit pas d’une grande réussite visuelle et symbolique. Le slogan en lui-même peut laisser certains d’entre nous dubitatifs. Confectionné à la perfection sous contrôle de l’équipe de communication du candidat dirigée par Manuel Valls, cet octosyllabe scindé en deux hémistiches également rythmés (1 pied, 3 pieds) véhicule tout l’enthousiasme, l’envie et peut-être la naïveté présente dans le projet socialiste. Loin de l’éternelle « Force tranquille » de Tonton, il rallie à la fois la part d’utopie présente dans le « rêve français » – notion chère au candidat (cf interview dans le Cabinet des curiosités) –  ainsi qu’une impression déjà très critiquée de déjà vu, du fait de sa ressemblance chiraquienne (« Ensemble maintenant ») et de son héritage mitterrandien (« Ici et maintenant »).
Las Ketchup revival
L’idée d’ajouter au slogan une dimension symbolique en lui assignant un geste, était donc risquée. Elle s’est avérée désastreuse.
Yann Barthès a reçu dans son Petit Journal du mercredi 25 Janvier, Vincent Feltesse responsable de la campagne numérique du candidat socialiste. Ce dernier a défendu l’idée de « blague au sein de l’équipe numérique » en mettant en avant toute « l’autodérision » du projet. Sauf que voilà l’autodérision est très vite capable de se transformer  en énorme flop. Si l’on regarde d’un peu plus près la vidéo, on voit que le geste de double coupure n’est pas réalisé de la même manière par tous les candidats. Il y a ceux qui le fond de l’extérieur vers l’intérieur (Jack Lang, Manuel Valls) symbolisant l’idée de coupure radicale dans le rassemblement, ceux qui partent de l’intérieur et décalent leurs mains vers l’extérieur pour faire table rase du passé (Pierre Moscovici). Et, c’est bien là le plus drôle, ceux qui font des vas-et-viens entre les deux positions, peut-être pour montrer que c’est quand même assez dur de couper le cordon. Nous rentrons alors là dans la catastrophe visuelle, surtout quand on voit deux personnes sur le même plan faire deux gestes complètement différents. Comment ne pas penser à Las Ketchup et leur chorégraphie qui fit danser un temps, la France entière, ou encore pour les puristes à la position des Power Rangers avant de se battre ? Une nouvelle image ninja pour le parti socialiste ?
Si le ridicule ne tue pas, il peut décrédibiliser. Quand on sait que l’UMP a racheté le nom de domaine du site relié au slogan de François Hollande pour y publier un faux programme critiquant le projet socialiste, on se dit que le candidat du changement aurait sans doute autre chose à faire que d’essuyer les facéties et maladresses de son équipe de communication.
Ne pas encore se tirer une balle dans le pied : tel est sans doute l’objectif premier des socialistes dans cette campagne bien assez violente.
 
Ambroise

Photo tirée de The Book Of Mormon, comédie musicale de Broadway
Agora, Com & Société

My name is Jeff Decker I am a sculptor for Harley Davidson and… I'm a Mormon.

 
Aucun parti pris politique ni jugement sur la religion mormone n’est revendiqué.
 
L’image mormone dans les médias : entre parodies, caricatures, campagnes politique et publicitaire :
 
Bien qu’elle ne représente que 2% de la population, établie majoritairement dans l’Utah, la communauté mormone ne cesse d’être mise sur le devant de la scène. Les candidatures aux primaires républicaines de Mitt Romney et Jon Huntsman, la série télévisée Big Love et plus récemment une comédie musicale co-écrite par les auteurs de South Park n’ont de cesse de rendre les Mormons plus présents dans la sphère médiatique.
 
Meet the Mormons :
 
L’Eglise Fondamentaliste de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours prend naissance au XIXe siècle, sur le territoire américain même. Leur fondateur, Joseph Smith, aurait gravé sur des assiettes en or un texte en égyptien ancien, racontant comment Jésus serait revenu, il y a plus de 1 500 ans, prêcher la bonne foi aux américains. Ce testament aurait été déterré par Smith après que l’ange Moroni lui eût révélé l’endroit où il se cachait.
Beaucoup de choses ont été dites sur les Mormons. On leur reproche notamment d’être polygames, comme la série Big Love se plaît à le montrer. En effet, le personnage principal, Bob, entretient des liaisons officielles avec trois femmes différentes. Pourtant la pratique de la polygamie, auparavant revendiquée comme respectant la volonté divine, a été abandonnée dès 1890. Les Mormons se débattent avec ce stéréotype qui leur colle à la peau, c’est pourquoi Mitt Romney s’est bien appliqué à préciser qu’à soixante ans, il n’a connu qu’une femme, rencontrée au lycée et devenue mère de ses enfants.
Le rapport qu’entretiennent les américains avec la communauté mormone n’est pas nécessairement hostile, mais tient à fréquemment tourner en dérision leurs valeurs et croyances. Le fait que 10% des revenus de chacun des membres reviennent à l’Eglise et les appellations en vigueur au sein de leur hiérarchie les font aisément passer pour une organisation sectaire. Le président est nommé Prophète, et est secondé par deux Conseillers et douze Apôtres.
Selon un article paru dans The Economist, il paraît étrange que les Mormons peinent à se faire comprendre dans la société américaine puisqu’ils partagent le passé et les valeurs d’un héritage qui a profondément influencé l’esprit américain. Les Mormons aussi ont été pionniers, s’exilant à Great Salt Lake (actuel Utah) pour assurer leur liberté de culte. Le mormonisme est même la seule religion à être née sur le sol américain et à être, donc, influencée par les valeurs du continent. Ils se définissent comme patriotiques, dévoués au service public et croient en l’origine divine de la Constitution des Etats d’Amérique. Aucun désaccord sur ce plan. Les Mormons soutiennent l’entrepreunariat, l’audace et le libéralisme (l’autorité doit s’exercer au seul sein de la famille ou de la communauté) et estiment qu’il est de leur devoir de propager leurs idées par le biais de missions à l’étranger. Enfin ils valorisent le travail, le mariage et les familles nombreuses. Le cœur de leur philosophie s’enracine dans l’idéal du self-improvement, quoi de plus américain ? Ils jouissent même d’une excellente réputation en tant que citoyens modèles, il faut dire que lorsqu’on interdit la consommation de cigarettes, d’alcool et même de café, difficile de se laisser déborder par un tempérament de feu. Le work ethic mormon semble parfaitement adapté à la vie moderne. Harvard est principalement fréquenté par les trois M : les McKinsey, les militaires et les Mormons. Wall Street et la CIA en recrutent souvent. Pour finir, quand seulement 2% de la population est mormone, 3% des membres du Congrès sont mormons. Si US et mormons ont des valeurs communes, pourquoi l’éventualité de retrouver un membre de l’Eglise Fondamentaliste à la tête du pays laisse-t-elle aussi dubitatif ?
 
I’m Gabe, I’m a Mormon.
 
Le problème, c’est que le Mormonisme est le dernier né des religions et est particulièrement fermé, ce manque de communication et de racines ne convaint pas, pire il nourrit le scepticisme. C’est pourquoi l’année dernière, l’Eglise mormone a décidé de lancer une campagne vidéo pour revendiquer sa « normalité » et son enracinement dans la culture américaine – il s’agissait également de limiter le scandale qu’avait suscité le financement d’une campagne anti-gay par la communauté mormone. Une série de vidéos met en scène des jeunes surfeuses, des pères athlètes, des mères débordées mais souriantes et blogueuses, des maris qui font de la Harley Davidson… des personnes lambda qui nous paraissent, à nous européens, faites de carton pâte tant elles débordent de bons sentiments, mais qui n’en semblent pas moins correspondre à l’average American citizen. Ce speech finit par délivrer son message-cible, leitmotiv de la campagne : « and I’m a Mormon ».
 
Forget Hipsters, Get The Mormon Look[1] ?
 
Il est indéniable qu’en lançant cette campagne (très vite parodiée par des you-tubers concluant leur présentation par un « and I’m a Moron »[2]), l’Eglise Fondamentaliste cherche à donner un coup de frais à l’image que véhicule sa communauté, donnant ainsi la parole au mormon-rocker Brandon Flowers, chanteur des Killers. A cette occasion, The New York Times est entré en contact avec la jeune communauté mormone pour en apprendre plus sur ces teetotallers et leur manière de concilier la fougue de leur âge avec la rigueur de leur foi. Mini jupe, alcool, tatouage et barbe sont interdites – rassurez-vous, la fine moustache est autorisée et si votre peau ne supporte pas le passage de la lame vous pourrez bénéficier d’un laissez-pousser, « the beard card ».
 
Lola Kah
 
Sources :
Campagne « I’m a Mormon »
The Economist, When The Saints Come Marching in – Can a Mormon Get in The White House
New York Times, Young Mormons Find Ways To Be Hip
South Park, « All About The Mormons »
 

Crédits photo :
© The Book Of Mormon, comédie musicale de Broadway.
 

[1] « Get The Mormon Look » parodie le célèbre slogan de Rimmel, marque de cosmétiques anglaise : « Get The London Look ».
[2] Moron = bouffon.

1