LOUIS VUITTON
Publicité, Société

La célébrité : l'arme secrète des marques ?

L’utilisation d’une célébrité par les marques pour véhiculer l’image d’un produit ne date pas d’aujourd’hui. Cependant, l’explosion des réseaux sociaux crée de nouveaux enjeux. Les stars malgré leur besoin de protéger leur intimité n’ont pas su résister à l’appel de Facebook, Instagram et autre. Les marques et les marqueteurs l’ont bien compris en intégrant le fil conversationnel des stars sur les différentes plateformes pour se faire de la publicité.
De l’endorsement…

L’endorsement est un mot d’origine anglaise qui est issu du verbe to endorse (s’appuyer, approuver). Il désigne le partenariat entre une célébrité et une marque. Cette dernière décide d’utiliser l’image d’une célébrité pour véhiculer l’image d’un de leurs produits. Le cas le plus célèbre est la collaboration de longue date entre George Clooney et la marque de café Nespresso. Cela permet un transfert de notoriété entre la célébrité et le produit qu’il représente. Aujourd’hui, les célébrités apparaissent de plus en plus dans des publicités. En France, lors du premier semestre de 2015, 7,3% des publicités dans la presse font ainsi appel à des célébrités, surtout dans les secteurs de l’habillement, de la beauté et du luxe selon l’observatoire du Celebrity Marketing de Brands and Celebrities.
… au micro-endorsement
Le micro-endorsement est une pratique d’endorsement qui consiste à promouvoir l’image d’un produit en utilisant le compte personnel d’une célébrité comme un média. Cette promotion est faite de manière ponctuelle et ne correspond pas à un accord entre la star et la marque sur le moyen ou le long terme. Le micro-endorsement ne relève pas d’une logique publicitaire. Il a vocation à créer un territoire pour relayer des informations, événements entre la marque, une ou des célébrités et leurs fans. Cela permet de générer une conversation sur une marque entre une célébrité et sa communauté.
Avec l’explosion des réseaux sociaux, le micro-endorsement devient de plus en plus fréquent. Les marques vont se servir du fil conversationnel d’une célébrité, souvent sur Twitter ou Instagram pour promouvoir un de leurs produits. En effet, la star va « vanter » les bienfaits du produit auprès de ses followers sur ses différents comptes personnels. Ainsi, en 2013, Oprah Winfrey la célèbre animatrice et productrice américaine vante sur ses comptes Twitter et Instagram les mérites de la friteuse « Actrify » de la marque Seb, faisant 1,3 million de vues. L’animatrice précise toutefois ne pas avoir été payée par la marque.

Un autre exemple célèbre de micro-endorsement est le fameux selfie des Oscars. En effet, lors de la cérémonie de 2014, Ellen Degeneres, la maîtresse de cérémonie et animatrice américaine, décide de prendre un selfie avec d’autres personnalités connues telles que Meryl Streep, Angelina Jolie, Brad Pitt… Ce selfie pris par le Samsung Galaxy Note 3 a été partagé plus de 3 millions de fois sur les réseaux sociaux et a explosé le record du nombre de « retweets ». Le cliché prétendument spontané est en réalité un beau coup marketing de la part de Samsung. Ce dernier était le sponsor de l’événement et aurait déboursé 20 millions de dollars pour promouvoir ces produits sur le « red carpet ».

Une efficacité variable
On peut se poser des questions quant à la réelle efficacité des techniques d’endorsement et de micro-endorsement. La clé d’une bonne stratégie de micro-endorsement est l’ignorance du grand public. En effet, il ne faut pas que les followers des célébrités sachent qu’il y a un contrat – certes ponctuel mais un contrat quand même – entre la star et la marque. Le grand public ne doit pas se rendre compte que l’opinion positive – sincère ou pas – d’une star au sujet de tel ou tel produit est un coup marketing. Il ne faut pas briser la confiance du follower en la star sinon il ne considérera plus son avis. Un exemple récent est le lancement du dernier smartphone de Samsung, le « Samsung S6 Edge + » avec le concert de Mika à la piscine du Molitor. Samsung a demandé à une trentaine de célébrités de relayer l’événement avec le hashtag #NewEdgeNight permettant à leurs fans de voir le concert en live. Cependant, tout cela a été mal reçu par les fans qui n’ont pas compris que les stars qui relayaient l’événement n’y assistaient pas. Les internautes se sont sentis trahis et ont mal réagi en détournant et en s’amusant des messages postés par les célébrités.

Pour l’endorsement, c’est un peu différent. Le plus important est que l’image de la star ne soit pas en décalage avec celle du produit ou de la marque concernée. En effet, tout le monde se souvient de l’échec de la publicité LCL avec Gad Elmaleh. L’image de l’humoriste ne collant pas vraiment à celle de la marque.
Hawa Touré
Sources:
Catherine Heurtebise. « De l’endorsement au micro-endorsement » in Influencia, mis en ligne le 18/12/15. 
« Définition : Micro-endorsement » in Definitions-marketing, mis à jour le 19/12/15. 
« Endorsement (soutien) » in e-marketing.  
« Les célébrités, les marques et la publicité »
« Celebrity marketing », in Wikipédia. 
Carole Soussan. « Publicité et célébrités vont de mieux en mieux ensemble », in CBNEWS, mis en ligne le 20/10/15.  
Géraldine Russell. « Oscars : Samsung s’est payé un selfie à 20 millions de dollars », in LeFigaro, mis en ligne le 05/03/14. 
Crédits images : 
http://www.grazia.fr/people/interviews-et-decryptages/articles/celebrons-les-54-ans-de-george-clooney-en-gifs-759266
Instagram Poppy Delevingne
Instagram Oprah Winfrey
Twitter Ellen DeGeneres
Twitter Gonzague Dambricourt

YOUTUBE SCIENCE
Société

5 minutes dans la peau d'un scientifique

Étaler sa science sur YouTube ? Les vidéos à ce sujet ne cessent de se multiplier sur la plateforme, réalisées pour la plupart par de simples passionnés. L’idée séduit : pourquoi parler de science ne serait réservé qu’à un petit groupe de chercheurs enfermés dans leurs laboratoires ? Mais cette tendance soulève de nombreuses questions notamment quant à la crédibilité et à la légitimité de leurs explications.
Youtubeuse végétalienne vs politiques de santé publique
Lorsque Erin Janus veut nous prouver que les produits laitiers sont tout simplement « f**king scary » selon ses propres termes, elle n’y va pas par quatre chemins. La jeune femme, qui se décrit comme « une activiste et végétalienne passionnée », choisit alors de poster une vidéo sur YouTube nous expliquant en 5 minutes top chrono en quoi consommer des produits laitiers, dans les faits, contribue à « l’exploitation sexuelle et à l’épuisement émotionnel et physique » des vaches. Tout y est : brièveté, humour (noir), images dures et choquantes, sentiments… Enfin, Erin sort l’argument ultime. Un panel de captures d’écrans d’études scientifiques défile alors rapidement sous nos yeux. Les personnes consommant le plus de produits laitiers seraient les plus exposées aux fractures. Vous l’aurez donc compris, 3 produits laitiers par jour, les produits laitiers sont nos amis pour la vie (ça y est vous l’avez dans la tête, ne me remerciez pas), tout ça, ne serait que du blabla orchestré par un très puissant lobby, affirme la youtubeuse. En 5 minutes, Erin Janus, qui n’est a priori ni médecin, ni une grande spécialiste du sujet, a réussi à convaincre ou du moins à interpeller les consommateurs invétérés de fromage que nous sommes et à (presque) décrédibiliser toutes recommandations médicales à ce sujet, au nom d’un complot parfaitement organisé.
Dose de savoir dans un monde très occupé
Bien qu’elle n’ait aucune légitimité à évoquer les bienfaits ou les méfaits des produits laitiers sur notre santé, la vidéo d’Erin Janus aura immanquablement un impact beaucoup plus important que toutes les études scientifiques sur le sujet. En effet, même si la youtubeuse ne cite pas ses sources et qu’ils sont inconnus du grand public, certains travaux ont bel et bien démontré que les produits laitiers pourraient avoir un effet néfaste sur notre santé. C’est le cas, notamment, d’une étude réalisée en 2014 par des chercheurs suédois. Pour autant, ces derniers ne remettent pas en cause des années de politique de santé publique ; qu’Erin Janus, elle, écarte en 5 minutes. Ils appellent même à prendre leurs résultats avec beaucoup de précaution en attendant la validation par la communauté scientifique. Nous voilà donc confronté à deux temporalités distinctes : le temps long de la communauté scientifique afin qu’une étude acquiert de la légitimité, opposé à la brièveté de la vidéo sur YouTube qui s’empare d’un sujet en un temps éclair, comme le propose Erin « parce que tout le monde est très occupé en ce moment ». Et cela ne rate pas ! En effet, rien qu’en 2 semaines, sa vidéo a été visionnée plus de 249 000 fois, soit autant que la diffusion de Sciences et Avenir, le 2e magazine français spécialisé en sciences. Malgré l’absence de sources et de sérieux doutes sur sa légitimité, ce contenu a obtenu autant de visibilité qu’un article publié dans une revue scientifique reconnue, voire plus, étant donné que le mensuel est consulté, dans la majorité des cas, toujours par le même cercle d’abonnés, alors que la vidéo va toucher un public très varié, notamment grâce aux réseaux sociaux. Elle est même arrivée jusque moi qui suis ni végétarienne, ni végétalienne. D’où le paradoxe : sur des sujets qui nécessitent pourtant une véritable expertise, nous prêtons finalement plus l’oreille aux messages portés par des non-spécialistes, ces derniers étant de fait médiatisés, qu’à ceux de scientifiques, qui restent, au contraire, peu médiatisés ou seulement auprès d’un cercle très restreint. La preuve : essayez de citer le nom d’un seul chercheur un tant soit peu connu (Non, les frères Bogdanov, ça ne compte pas). Vous n’y arrivez pas ? Moi non plus. Pour pallier cette réalité, il existe aujourd’hui un véritable essai de médiation de la parole scientifique : on pensera, notamment, aux conférences TED. Pourtant, cette tentative n’en est qu’à ses débuts, puisque, pour reprendre l’exemple précédent, ces conférences sont encore loin d’être connues du grand public. « Attends TED, c’est le film avec l’ours en peluche graveleux ? »

 
Qui pour légitimer sur YouTube ?
Malgré tout, cela ne signifie pas qu’il soit impossible de livrer un contenu aussi rigoureux que ludique sur YouTube en 5 minutes top chrono. De nombreuses personnes, d’abord aux Etats-Unis et, très récemment, en France, ont d’ailleurs très bien compris l’opportunité que représente la plateforme en termes de vulgarisation scientifique. « Sur YouTube, on peut atteindre très rapidement une audience même sur les sujets de niche comme la science », fait valoir la plateforme. Docteurs en sciences ou le plus souvent de simples passionnés, ils veulent faire part de leurs connaissances au grand public. Cette forte médiatisation des youtubeurs pose la question de la crédibilité de leurs explications. Qui prend en charge la validation des contenus dans le cas des youtubeurs ? La plateforme elle-même ? Il est peu probable que ses employés soient à même de juger de la véracité ou non d’un exposé sur la relativité restreinte. YouTube laisse donc soin à la communauté de se saisir du sujet si les internautes se rendent compte que l’auteur de la vidéo dit des énormités. Encore faut-il s’en rendre compte, me direz-vous. Nous n’avons donc plus qu’à lire les commentaires et à espérer qu’un scientifique aguerri en valide le contenu. Ou que l’auteur de la vidéo soit aussi exigeant sur le contenu que ne l’est une Florence Porcel, créatrice de « La folle histoire de l’Univers », une chaîne YouTube spécialisée en astronomie : « Comme je ne suis pas spécialiste, je suis obligée de tout vérifier, chaque mot, chaque phrase ». Du fond du cœur, merci Florence ! Beaucoup encore, il nous reste à apprendre.
Héloïse Bacqué
Sources :
Sciences et Avenirs (AFP) : http://www.sciencesetavenir.fr/sciences/20150917.AFP9998/des-youtubeurs-depoussierent-les-sciences.html
OJD : http://www.ojd.com/Chiffres/La-Presse/La-Presse-Payante/Presse-Magazine
Les décodeurs, Le Monde.fr par Ania Nussbaum : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/02/12/faut-il-boire-du-lait_4574590_4355770.html
Crédits images :
Canoe.ca
Bizbash

OBAMA POLITIQUE PLEURER
Politique, Société

Pleure si t'es un homme (politique)

D’aucuns s’amuseraient à constater que nos hommes politiques aiment la transparence… Pas celle qui les oblige à répondre du nombre de zéro sur leurs factures, évidemment, mais désormais la mode est à l’émotion ; on laisse voir, on laisse transparaître. Beaucoup de choses se bousculent sur le visage de nos représentants : l’anxiété, la colère, le soulagement – on se souvient du long soupir de Xavier Bertrand après sa victoire aux Régionales, par exemple. Mais surtout, en politique, on pleure.
Aux larmes citoyens !
Lorsque l’on sait comment les utiliser, les larmes peuvent être un redoutable outil de communication, et Barack Obama est le maître incontesté du maniement lacrymal. Le 5 janvier 2016, alors qu’il présente son plan de contrôle des armes à feu et évoque les trop nombreuses victimes de fusillades, il essuie une larme, puis une autre … « Every time I think about those kids, it gets me mad / A chaque fois que je pense à ces enfants, ça me met en colère », avoue-t-il avant d’enchaîner finalement sur la nécessité de construire une société plus sûre. L’instant est bref, le symbole est fort, les médias s’emballent. Les heures suivantes, on s’évertue à analyser ce comportement. Après tout, Obama n’en est pas à son premier coup d’essai. Lors de sa réélection ou pendant un concert d’Aretha Franklin, on a souvent vu le président américain avec les yeux humides. Alors s’agit-il cette fois d’une manipulation ou d’un véritable élan de chagrin ? Sincere or not sincere, that’s the question. Mais qu’il s’agisse d’une manœuvre politique ou d’un sentiment authentique, les pleurs d’Obama sont efficaces, au point que Donald Trump lui-même déclare sur Fox News croire en la sincérité du président.
Une vieille tradition
En France aussi on pleure, et depuis longtemps. Sous la Révolution, les députés essuyaient des larmes de ferveur lorsqu’ils prêtaient serment à la Constitution. Pendant la Restauration, elles étaient dotées d’une valeur curative, voire expiatoire face aux crimes de la Terreur. Cependant, dans la seconde moitié du XIXème siècle, elles deviennent une caractéristique spécifiquement féminine et il est ordonné aux hommes de pouvoir de savoir se maîtriser en public. Pleurer devient une affaire privée et seul le deuil autorise un peu plus d’épanchement.
Aujourd’hui, bien que ces occasions restent très ponctuelles, il n’est pas si rare de voir une personnalité verser quelques larmes. Mais il est de bon ton de les verser comme il se doit, sans se laisser submerger. Ainsi, les sanglots de Ségolène Royal lors de la défaite de la gauche aux élections législatives de 1993, pudiquement filmés en contre-jour, ont-ils fortement marqué les esprits ?

 
A larmes égales ?
Pour bien communiquer, il faut donc bien pleurer, mais pas seulement. Il faut savoir choisir sa cause. Les larmes sont à double tranchant et peuvent facilement susciter rires ou agacement plutôt qu’empathie. Les joues mouillées d’un Poutine ému après sa réélection a eu moins d’impact que la voix vacillante de Laurent Fabius pendant la COP21 lorsqu’il déclarait : « J’ai une pensée particulière, enfin, pour tous ceux, ministres, négociateurs, militants, qui auraient voulu être là, en cette circonstance probablement historique, mais qui ont agi et lutté sans pouvoir connaître ce jour ». L’émotion du ministre devient l’expression de son engagement pour une cause collective. De la même façon, le visage défait de François Hollande lors des attentats de janvier, ou sa voix cassée lors de ceux de novembre traduisaient d’une manière impressionnante les sentiments d’horreur et de stupeur qui s’étaient emparés des Français.
Girls don’t cry
Malgré tout, l’exercice n’est pas aisé pour tout le monde. Le fait de pleurer étant profondément féminisé, le journal Le Monde remarque que les femmes politiques « doivent constamment balayer les critiques sexistes qui font rapidement des larmes féminines un aveu de faiblesse ». Une femme essuyant ses larmes ne bousculera pas tant les esprits que s’il s’était agi de l’un de ses homologues masculins. Celle-ci étant moins soumise au diktat de la maîtrise de soi, ses pleurs seront perçus – visuellement autant que symboliquement – comme moins spectaculaires. Pourtant, comme le remarque Yann Barthes dans le Petit Journal, les femmes sont plus enclines à pleurer pour « des causes assez profondes et humaines ».
Pleurer donc, n’est pas si rare en politique. Mais il s’agit d’un acte de communication non-verbal strictement codifié. La transparence des émotions est finement élaborée et si les larmes peuvent être authentiques, la manière de les mettre en scène – sans effusion – nécessite sans doute quelque entraînement.
Marie Philippon 
Sources :
« Les larmes politiques », Le Petit Journal du 06/01/16 – http://www.canalplus.fr/c-emissions/c-le-petit-journal/pid6515-le-petit-journal.html?vid=1348093
Fanny Arlandis, « Larmes politiques », Le Monde, 14/01/16 –  http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2016/01/14/larmes-politiques_4847620_823448.html
Emilie Laystary, « Duflot, Royal, Fillon : les larmes des hommes et femmes politiques », RTL, 17/07/2013 – http://www.rtl.fr/actu/politique/duflot-royal-fillon-les-larmes-des-hommes-et-femmes-politiques-7763204606
Crédit images :
Reuters
Nicolas Kamm / AFP

Société

Makers: pour changer le monde, il suffit de le faire

La semaine dernière se tenait à Las Vegas le Consumer Electronic Show (CES), le plus grand salon électronique du monde, qui fêtera l’année prochaine ses 50 ans. Si dans les années 90, les objets phares de l’événement étaient les téléphones portables ou les ordinateurs – comme le rappelle le Petit journal (« VU » du 8/01/2016) – cette année, ce sont bien les objets intelligents, notamment les imprimantes 3D, qui font sensation. Au-delà de l’avancée technologique – et on le verra, économique – considérable qu’ils représentent, ces objets font corps avec une toute jeune tendance, qui commence à beaucoup faire parler d’elle : la culture des makers.
Fab Labs, Hackerspaces et Makers fair
Non, ce n’est pas une partie de Kamoulox, mais bel et bien les maîtres mots d’une petite révolution qui dépasse, petit à petit, le champ des geeks. Pour un maker, l’innovation technologique à ce point sophistiquée qu’elle nous permet de créer nous-même nos objets à nos propres fins donne forcément lieu à une nouvelle manière de considérer la production, le savoir et le partage. Elle permet de passer du virtuel au réel, du « penser » au « faire ». C’est donc naturellement que se démocratise les Fab Labs ou autres Hackerspaces, lieux de rencontres entre bricoleurs et bidouilleurs 2.0, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe. On les trouve dans des lieux dédiés, comme à La Paillasse de Vitry-sur-Seine, mais aussi dans les universités et dans les entreprises. Ces dernières considèrent ces lieux comme de véritables leviers de performance car ils permettent de se rassembler, d’échanger, de se fédérer autour de la création: ils gagnent à devenir la composante d’une culture d’entreprise renouvelée.

En mettant en commun les machines, les makers mettent aussi en commun leur savoir-faire, leurs projets, et de là naît une communauté qui se veut alternative face à la société de production et de consommation de masse – qui s’essouffle un peu plus chaque jour. Le mouvement devient alors massif car il prône non seulement une économie collaborative mais aussi une économie de la connaissance: plus pérenne et plus fédératrice, elle crée du lien social. Une autre avancée numérique caractérise ces alternatives : l’open source. Il s’agit d’un logiciel ouvert à tous et dont l’originalité réside dans le fait que chacun peut y ajouter ses propres analyses, techniques, connaissances – de manière collaborative. Faire, agir sur notre quotidien n’a jamais été aussi simple, car les inventions et les objets sont désormais « ouverts, perfectibles et personnalisables à l’infini », comme Véronique Routin (directrice de la Fing) le rapporte à l’Obs.
Toujours dans la volonté de rendre le monde meilleur, plus pratique, plus respectueux de la planète, les makers seraient donc les acteurs avant-gardistes d’une révolution économique mais aussi sociale.

Bricoler avec ce qu’on a plutôt que de discuter de ce qu’on n’aura pas
Car ce n’est peut-être pas tout à fait dû au hasard si le mouvement des makers gagne à être de plus en plus reconnu. Dans une société dépassée par les normes industrielles (obsolescence programmée, standardisation…) d’une part, et par le sentiment collectif d’inaction des décideurs d’autre part sur les sujets d’avenir (comment produire plus efficacement, moins polluer…), il y a dans le mouvement des makers comme un message social et citoyen, qui dirait : « nous n’avons plus besoin de vous, nous pouvons subvenir à nos besoins sans vous, vivre mieux sans vous. »
L’exemple du projet récent de POC21 en est l’illustration la plus parlante.

POC21 Trailer: « The World We Need » from POC21 cc on Vimeo.

En août dernier et pendant cinq semaines, un collectif « d’éco-hackers » a pris possession du château de Millemont dans l’objectif de créer des solutions durables face au changement climatique, grâce à l’open source et à la création numérique. La vidéo trailer du projet propulsé notamment par OuiShare , « The world we need », ne cache pas son ambition : de toute évidence, il s’agit d’un pied de nez fait à l’Etat, aux décideurs qui « s’assoient et parlent » du climat, faisant référence à la COP21 qui aura lieu quelques mois plus tard. Quand on sait que l’accord signé à cette occasion est aujourd’hui qualifié de « réussite diplomatique », plus que d’une réussite écologique à proprement parler, on peut dire que le projet vise juste et place la société civile en tant qu’alternative concrète mais surtout efficace.
Ainsi, les makers donnent les outils pour s’émanciper d’un système à bout de souffle, qu’il soit politique ou financier. D’ailleurs, Le Monde souligne que les « banques n’ont pas encore pris le chemin des Fab Labs », et que les projets des makers s’auto-financent grâce à des solutions de crowdfunding. C’est tout un « éco-système » qui se crée en marge des normes pré-établies par les Etats ou les institutions – tout en étant soutenu par elles, à l’instar de Barack Obama.
À cet égard, le tout premier maker, Dale Dougherty (à l’origine du média Make) rappelle dans une conférence TED que cette émancipation passe aussi par la fierté et le sentiment d’accomplissement personnel d’une telle action collective de création à des fins utile, d’avoir un « monde autour de nous crée par nous ».
S’il est cependant légitime d’évoquer quelques doutes à l’idée que la culture maker révolutionnera à elle seule notre économie et notre industrie dès demain, la démocratisation du mouvement est indéniable (en témoigne la baisse des prix fulgurante des machines à impression 3D). Reste à savoir comment évoluera l’effet de mode face à un système économique certes instable, mais toujours puissant.
Faustine Faure
@FaustineFaure
Sources :
Tribune de Declan Cassidy, directeur de Makerclub, sur LinkedIn : « Why CES 2016 predicts the new era of makers »
France Culture, Le monde selon Xavier De la Porte, Makers: entre le faire et le penser
Le Monde, Fabrique moi un mouton, Frédéric Joignot, 04/04/2013
L’obs, Fab Lab, bidouille et partage: bienvenue dans le monde des makers, Nicole Pénicaut, 04/04/2014
Libération, qui sont les makers ? Lucile Morin, 12/10/2014
http://makermedia.com/
TED talk, Dale Dougherty, We are all makers, 2011
Maddyness, #POC21, l’accélérateur de solutions durables et open source ouvre ses portes, Anais Richardin, 13/08/2015
Crédits photos:
Co-work.fr
innovateli.com
peoplbrain.com
 
 

METRO BOULOT PHOTO
Société

Métro, boulot, photo

Ceux qui ont récemment pris la ligne 4 à Saint-Michel ont sûrement remarqué les portraits de Marilyn Monroe, Salvador Dalí et d’autres encore accrochés au-dessus des tourniquets. Il s’agit là d’une des nombreuses manifestations à l’initiative de la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens) sobrement intitulée « La RATP invite… ». Depuis octobre 2013, des photographies en grand, voire très grand format tapissent les murs de certains arrêts du métro parisien selon des thématiques constamment renouvelées. Et posent une question ancienne sous un angle inédit, celle du rapport entre l’art et le(s) public(s).
La tentation de l’art
La RATP met à disposition des espaces d’affichage sur son réseau ferroviaire pour y exposer des photographies. Elle s’associe à de grandes manifestations du monde de la photographie comme Photoquai, à de grands musées de photographie tels que le Musée du Jeu de Paume ou la Maison Européenne de la Photographie et à de grands noms : Guerogui Pinkhassov ou Bruce Gilden, tous deux membres de l’agence Magnum. Ces choix prestigieux permettent à l’entreprise de se positionner sur le terrain de la photographie d’art.
Elle va même plus loin en s’arrogeant un rôle de mécène. Les deux premières éditions de « La RATP invite… » se sont faites en partenariat avec Photoquai, dont le but est de présenter tous les deux ans 40 photographes du monde entier dont on estime qu’ils méritent d’être connus, et le festival Circulation(s), dont le but était de servir de tremplin à la jeune garde. En se faisant le relais de ces manifestations et en augmentant la visibilité des artistes, la RATP a affirmé sa volonté de servir la « cause » artistique, autrement dit de se faire mécène d’un nouveau genre.
Grâce à l’étendue de son réseau, son quasi-monopole en termes de transports urbains et à une régie publicitaire efficace, la RATP peut proposer un mécénat inédit à l’impact fort : la mise à disposition de lieux d’exposition au plus près du public. Les galeries souterraines du métro deviennent galeries d’art.
Nouvel espace pour une nouvelle vie ?
 

Ce qui se joue là est un rapport d’immédiateté dans lequel l’art va chercher le public et non l’inverse, comme dans un musée traditionnel. Il y a à la fois un phénomène de « descente de l’art dans les rues » et de sanctuarisation de nouveaux lieux publics. A cet égard, le choix de la photographie est extrêmement parlant. Isabelle Ockrent, directrice de la communication de la RATP au moment du partenariat avec Circulation(s), l’explique ainsi : « pourquoi la photo ? La photo c’est un art qu’on peut prendre à plusieurs niveaux, c’est un art populaire, c’est un art accessible et c’est aussi un art qu’on peut diffuser dans nos espaces ». La photographie serait donc la forme d’art qui se prêterait le mieux à l’hybridation des lieux d’exposition.
Par ailleurs, les galeries du métro se prêtent particulièrement bien à l’exercice. De longs couloirs où les gens peuvent déambuler, des cadres gigantesques, sobres ou même ornés, une culture de l’image ; le cadre ainsi décrit pourrait être celui d’une galerie d’art traditionnelle. Cet espace du quotidien de milliers de personnes présente ainsi les caractéristiques idéales pour créer un nouveau lieu d’exposition. Peut-être même est-ce le lieu ultime de démocratisation de l’art : accessible à tous, à tout moment, pour presque rien, ne demandant pas d’effectuer une démarche supplémentaire.
« Une image vaut mieux que mille mots » (c’est Confucius qui l’a dit !)
Il ne suffit pourtant pas de démocratiser pour rendre accessible. Le regard est une véritable problématique dans le métro. Le passant est habitué à la présence de publicités dans presque tous les lieux publics, il est dans le métro au plus près d’affiches aux formats énormes et au nombre conséquent. Tout en développant donc, chez les usagers une véritable culture de l’image, les publicités créent de la lassitude. On voit, plus qu’on ne regarde, les images qui tapissent les murs du métro. Dans ce contexte une image sans texte, dont le but est simplement d’être et non de servir, dans un cadre où on ne s’attend pas à la voir, constitue une respiration et pose une question. Xavier Canone, directeur du musée de la photographie de Charleroi, l’exprime ainsi : « il y a quelque chose là qui est non seulement de faire descendre des formes d’expression culturelle dans des lieux où tout le monde passe mais en plus d’avoir des photographies qui sont sans messages, des photographies sans mots ça oblige, je pense, à avoir une réflexion sur l’image. » S’exprimerait là une vocation d’éducation du regard de la part de la RATP.
Quand l’entreprise parle d’elle-même sans dire un mot

Les années 1980 ont vu l’ouverture de deux musées, dédiés respectivement aux télécommunications et à l’électricité, sous la houlette des deux grandes entreprises françaises France Télécom et EDF. Depuis, l’Espace Fondation EDF a accueilli un grand nombre d’expositions d’art. Plus récemment, la fondation Louis Vuitton a fait construire un musée extravagant dédié à l’art contemporain au Bois de Boulogne. En s’associant à la culture, les entreprises se construisent une image de bienfaiteurs de la société. D’une part, ils ne s’intéressent pas uniquement à l’argent, d’autre part, ils apportent la culture au plus grand nombre.
Une des dernières expositions met en lumière le rôle de moteur de la société que la RATP veut également prendre. Du 24 novembre au 7 décembre 2015, des photographies de Salvador Salgado ont envahi les murs du métro. Elles étaient tirées de la série Genesis pour laquelle le photographe a parcouru pendant 8 ans le monde à la recherche des plus belles manifestations de la nature. Le thème ainsi que les dates de l’exposition ont été choisi pour faire écho à la tenue de la COP 21 à Paris. La mobilisation de la société civile a été le phénomène marquant de cet événement et la RATP y a participé par le biais de son exposition.
La force de la communication de la RATP réside pourtant ailleurs. En effet, le nouveau lieu de culture et de mobilisation coïncide avec les espaces exploités par l’entreprise. Cette superposition des espaces est inédite et particulièrement puissante : ce qui est promu et le dispositif ne font qu’un. Symboliquement la RATP va même plus loin. En remplaçant les publicités par des photographies d’art elle affirme son indépendance vis à vis de considérations « bassement matérielles ».
La force de frappe de cette initiative est donc double : elle est peut-être le lieu d’une nouvelle muséologie tout en étant une démonstration par l’exemple de la puissance de l’entreprise RATP.
Sophie Miljkovic
Sources :
Le site de la RATP qui propose des fiches sur toutes les expositions traitées ci-dessus
Benjamin, Walter, « Petite histoire de la photographie », Études photographiques,1 Novembre 1996, [En ligne], mis en ligne le 18 novembre 2002, URL : http://etudesphotographiques.revues.org/99. consulté le 28 décembre 2015
Davallon Jean, « Le pouvoir sémiotique de l’espace. Vers une nouvelle conception de l’exposition ?», Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 38-44, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-38.htm
Rasse Paul, Girault Yves, « Introduction. Regard sur les arts, les sciences et les cultures en mouvement, à travers les débats qui agitent l’institution muséale…», Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 11-16, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-11.htm
Wolton Dominique, « Les musées. Trois questions. », Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 195-199, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-195.htm
Crédits photos :
La RATP (le nom du photographe n’apparaît pas)
La RATP une fois encore (aucune indication n’est donnée dans la vidéo)
La RATP, une dernière fois

Publicité, Société

Publicité et marketing : la parole aux enfants

De la figure attendrissante du petit garçon et de Maurice son poisson rouge dans la publicité de Nestlé, à celle où le fiston vente la simplicité de la nouvelle voiture électrique de Renault, on ne compte plus les publicités dans lesquelles l’enfant joue un rôle central. Cependant, le statut d’enfant-acteur dans la publicité évolue avec son époque. Ces derniers temps, il semble qu’une légère tendance se dessine : les « publicités expérimentales ». En mettant en scène des témoignages d’enfants, elles soulèvent en creux des questions de société. Des questions sur lesquelles les enfants sembleraient avoir leur mot à vendre… euh, à dire.
Une expérience sociale à caractère scientifique
Interroger les enfants sur l’expérience qu’ils ont d’un produit, l’idée n’est pas révolutionnaire. Il suffit pour le constater d’aller voir du côté de la célèbre marque de petites briques de construction Lego, qui se définit comme un « prestataire d’expériences de jeu » (« provider of play experiences »). Mais en 2014, Lego bouleverse le statut de l’enfant dans la publicité en lançant une campagne d’un nouveau genre : « l’expérience créative ». Cette expérimentation joue sur la mystique de l’épanouissement par le jeu, en nous dévoilant l’envers du décor : par-delà la brique, l’expérience du jeu.

Le principe est simple : plusieurs enfants, entre 6 et 11 ans, sont interviewés chacun leur tour sur leur expérience des Lego. L’expérience consiste alors à démontrer aux mamans que le rapport des enfants aux Lego dépasse toute la profondeur de l’imaginaire créé par l’enfant autour de la brique.
Le cadre de l’expérience et la manière dont elle est filmée révèlent la volonté de dépeindre le caractère sérieux, expérimental et presque scientifique de l’expérience : fond neutre, atmosphère lumineuse, peu de mouvement, plans caméras alternés entre le visage et le corps … Par ces procédés, la marque cherche à prendre le spectateur à témoin et à le persuader de l’authenticité et de la conformité de l’expérience, comme le faisaient les scientifiques au XVIIème siècle. Le spectateur est incité à dépasser la matérialité du jeu pour le voir comme une expérience personnelle constructive, en combattant les a priori des mères – et seulement des mères – jusqu’alors « prisonnières de la brique ».
Quand la publicité fait de la télé-réalité
Plus récemment, le concept d’expérience dans la publicité a franchi une nouvelle étape. Alors que dans le cas de Lego, l’enfant révélait au spectateur les dessous de son expérience de jeu dans une démarche plutôt scientifique, on voit désormais défiler sur nos écrans des publicités dans lesquelles ce ne sont plus des pratiques qui sont en jeu, mais une certaine conception de la société, un point de vue sur des problématiques actuelles. C’est le choix de la publicité aux 10 millions de vues sur YouTube de la marque d’hygiène féminine Always. Dans une interview, Laureen Greenfield, réalisatrice du spot publicitaire « Like a girl », récompensé aux 67ème Emmy Award dans la catégorie « Oustanding Commercial », définit clairement son projet comme une « expérience sociale », une appellation qui fait écho au principe originel de la télé-réalité.

A la volonté de donner une dimension scientifique à l’expérience s’ajoute la prétention de la publicité à devenir un vecteur de prise de conscience et d’évolution sociétale. En dénonçant les représentations de la femme comme une figure de faiblesse et de fragilité, la marque fait le pari de mettre encore plus à distance le produit matériel afin de souligner davantage les valeurs véhiculées par la marque et son engagement social. Dans la continuité de cette publicité, la période de Noël a notamment vu les Magasins U s’emparer à leur tour de la délicate question du genre en utilisant le même principe d’expérience sociale qui met à bas les stéréotypes sociétaux.

L’imaginaire de l’enfant dans les « publicités expérimentales »
Les propos de Monique Dagnaud, ex-directrice du CSA et actuelle directrice de recherche émérite au CNRS, apparaissent de nos jours difficilement contestables : « la publicité s’adresse directement à l’enfant, en fait un héros avec un comportement d’adulte, souvent plus impertinent et astucieux que ses parents ». Les spots publicitaires mettant en place de telles « expériences sociales » redéfinissent le statut de l’enfant dans la publicité. L’enfant est « surprenant de créativité » et de transcendance avec Lego, il prend conscience des stéréotypes sociétaux et en révèle les enjeux à ses parents avec Always, il éveille les mentalités et est vecteur d’évolution sociale avec les Magasins U.
Dans ces « publicités expérimentales », l’enfant ne joue plus seulement à l’adulte : il affirme son individualité et affiche des positions claires. De telles stratégies publicitaires font ressurgir l’imaginaire quelque peu oublié de l’enfant comme figure d’une innocence ponctuée de vérité.
Ces publicités ont majoritairement fait parler d’elles sur le contenu. Et c’est aussi cela leur force : pour atteindre leurs objectifs d’audience, elles réussissent à faire oublier leur nature commerciale en s’immisçant dans les conversations quotidiennes de fond.
A l’image de la publicité d’Always qui matérialise par des cubes les « cadres instituants » (Emmanüel Souchier) de la société pour mieux les détruire, il convient de mettre au jour les « cadres instituants » de ces publicités, qui, sous couvert d’une cause sociale de leur temps, utilisent la fibre émotionnelle et réveillent l’imaginaire de l’enfant comme figure de vérité, au service d’un objectif purement marketing.
Fiona Todeschini
@FionaTodeschini
Sources :
⁃ Lego – http://www.lego.com/fr-fr/aboutus/responsibility
⁃ Emmanuël Souchier (2012). La mémoire de l’oubli : éloge de l’aliénation Pour une poétique de « l’infra-ordinaire ». Communication & langages, 2012, pp 3-19 doi:10.4074/S0336150012002013
⁃ Emmy Awards – http://www.emmys.com/awards/nominees-winners/2015/outstanding-commercial
⁃ Interview Laureen Greenfield (« Like a girl ») – https://www.youtube.com/watch?v=u2wqxiq1nD8
⁃ CNRS – http://cems.ehess.fr/index.php?2639
Crédits images : 
– Capture d’écran de la vidéo LEGO – https://www.youtube.com/watch?v=pA_CZ7baFLw 

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Vous avez dit cliché ?
Société

Magazines de jouets : quand consumérisme rime avec sexisme

Début novembre, nous apprenions que l’enseigne espagnole Toy Planet décidait cette année de passer outre les stéréotypes de genres dans ses catalogues de jouets. Initiative progressiste ou simple « coup de com’ » à l’approche des fêtes de fin d’année ? Dans tous les cas, cette décision nous interpelle et nous amène à réfléchir sur la place du marketing genré dans les catalogues de jouets.
Une représentation en décalage avec la réalité
 
 
Ce n’est une surprise pour personne, mais Noël est la période la plus démonstrative du monde binaire et stéréotypé dans lequel baignent les magasins de jouets. Il n’y a qu’à tourner les pages de n’importe quel catalogue, c’est chaque année la même rengaine : une rubrique rose avec des jouets « pour filles », une autre bleue pour ceux des garçons. Outre les objets proposés – maquillage, dinettes, poupées pour les filles, jeux d’aventures, de logique ou super-héros pour les garçons – la différence se remarque aussi par les mises en scènes, les postures, et les symboles évoqués. Dans la partie masculine, les petits garçons auront plus tendance à être représentés en action, alors que les petites filles seront, en toute logique, passives. Mona Zegaï, sociologue ayant travaillé sur cette question, explique lors d’une interview au site Womenology un exemple de différenciation symbolique : « Le mot ‘eau’ par exemple renvoie au combat chez les garçons (pistolets à eau) ou à des milieux à maîtriser (aller sur l’eau, sous l’eau…) alors qu’elle renvoie surtout au travail domestique chez les filles (lave-linge…) ».
Cette segmentation marketing paraît bien loin des pratiques professionnelles observées dans la société selon la sociologue : « la population active comprend aujourd’hui à peu près autant d’hommes que de femmes, et pourtant dans les jouets, les femmes sont presque toujours représentées au foyer, elles n’ont pas souvent une activité professionnelle. » Les mises en scènes et les rôles sociaux montrés aux enfants dans ces magazines n’évolueraient donc pas du tout, contrairement à la réalité observée. Selon une étude de l’Insee, en France, le taux d’activité des femmes âgées de 25 à 49 ans était de 60% en 1975 contre 85% en 2012. Même si les inégalités, ces progrès méritent d’être soulignés.
Les représentations du genre en question
Si le phénomène est dénoncé depuis les années 1970, c’est en 1990 qu’il s’amplifie vraiment. Dans son étude pour le programme « Enfance & Cultures », Mona Zegaï cite les propos d’un cadre du groupe Ludendo (La Grande Récré) : « La petite fille elle voit sa maman en train de faire à manger, ça lui plaît, et donc il y a des jeux qui lui permettent de faire la cuisine, donc elle va vouloir une cuisine, elle va vouloir faire comme maman ! Les activités ménagères c’est pareil. » Les magazines de jouets contribuent donc, au même titre que les autres médias, à inculquer des repères binaires aux enfants et à leurs parents. Pourquoi continuer à poser ce regard biaisé d’adulte sur des produits destinés aux enfants ? Cela contribue-t-il à pérenniser les stéréotypes?

Quelles conséquences sur la construction chez l’enfant de son identité de genre? Dès sa naissance, l’enfant est influencé par son environnement social. Pour la chercheuse en psychologie Isabelle D. Chernay, qui a publié dans la revue Enfance un article sur la sexualisation du jouet par l’enfant, « les jeunes enfants décident si un jouet est destiné aux garçons ou aux filles en fonction de leurs convictions préexistantes sur les jouets qui sont aimés par les garçons et les filles. » Elle nuance cependant son propos par cette remarque : « En ce qui concerne leurs propres choix de jouets, les enfants ont tendance à raisonner en se basant sur la fonction du jouet et leurs propres aversions. » L’enfant en bas âge intègre donc les stéréotypes de genres des jouets qu’on lui propose, mais ne tiendra pas compte de cette binarité si le jouet lui plaît. Qu’en est-il de l’influence des stéréotypes véhiculée par les jouets sur les parents ? Un rapport du Sénat sur l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre filles et garçons datant de 2014 cite les propos de Michel Moggio, directeur général de la Fédération française des industries du Jouet et de la Puériculture (FJP) : « le premier critère d’achat reste toutefois pour les parents de ‘faire plaisir à l’enfant’ ». On peut également lire plus loin que l’importance accordée à des jouets non-sexistes serait relative au capital culturel des foyers : « Faire plaisir à l’enfant semble plus important dans les familles à ‘capital culturel’ modeste ».
La riposte : quand les marques de jouets pour enfants s’affranchissent des stéréotypes
Les anti-marketing genré existent bel et bien ! Leur volonté : limiter voire annuler les injonctions normatives dans leurs catalogues de jouets. En 2012, Toys’R’Us lance un magazine qui délaisse les codes de genres. L’exemple a été suivi la même année en France par les magasins U, suivi par d’autres enseignes comme Toy Planet. Ce sont ces initiatives qui inspireront le rapport du Sénat en 2014, qui se saisira de la question. Nous sommes certes loin d’une révolution, mais il s’agit d’un premier pas pour renverser la tendance. Comme l’on pouvait s’en douter, de nombreuses associations anti-gender et autres groupuscules réactionnaires ont fustigé ces évolutions, accusant les chaînes de magasins de bafouer les valeurs traditionnelles et appelant même au boycott.

Les quelques initiatives progressistes des dernières années montrent bien que les marques de jouets, conscientes de leur poids idéologique sur les enfants et les parents, peuvent communiquer des valeurs plus égalitaires et ne pas céder à la catégorisation primaire et stéréotypée de la société. Néanmoins, selon Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales qui intervient dans le rapport du Sénat, ces évolutions n’ont pas donné de suites significatrices sur la durée et leur influence sur l’industrie du jouet a été quasi-nulle. A quand des jouets pour faire des petits garçons de bons futurs papas ?
Mathilde Duperyon
Linkedin
Sources :
Mona Zegaï. « Les catalogues de jouets proposent un monde bien plus inégalitaire que la réalité » in Womenology, mis en ligne le 27/01/14 – Disponible sur : http://www.womenology.fr/reflexions/les-catalogues-de-jouets-proposent-un-monde-bien-plus-inegalitaire-que-la-realite/
Trezego. « Stéréotypes et jouets pour enfants : la situation dans les catalogues de Noël » – Disponible sur : http://api.rue89.nouvelobs.com/sites/news/files/assets/document/2013/12/trezego_etudecataloguesnoel2013.pdf
Yvelines Nicolas. « Jouets pour filles, jouets pour garçons, pourquoi ? » in Adequations, mis en ligne le 06/12/15 – Disponible sur : http://www.adequations.org/spip.php?article1911
Rapport d’information du Sénat n°183 (11/12/14) – Disponible sur : http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1831.pdf
Pierres-Yves Cabannes. « Trois décennies d’évolution du marché » in INSEEC – Disponible sur : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/HISTO14_f_D5_travail.pdf
Claire Levenson. « La suppression des distinctions fille-garçon dans les magasins Target relance le débat sur le genre » in Slate, mis en ligne le 18/08/15 – Disponible sur : http://www.slate.fr/story/105639/jouets-genre-distinctions-fille-garcon-magasins-target
Cherney Isabelle D., Harper Hilary J., Winter Jordan A., « Nouveaux jouets : ce que les enfants identifient comme “ jouets de garçons ” et “ jouets de filles ”. », Enfance 3/2006 (Vol. 58) , p. 266-282 – URL : www.cairn.info/revue-enfance-2006-3-page-266.htm.
Crédits images : 
– http://www.twenga.fr/
– Wikipédia
– Toy Planet

Norman Crunch
Société

Stars du web : mythes et mystères

Les 7 et 8 novembre 2015 se tenait Porte de Versailles la Vidéo City de Paris, premier festival en France autour de la création de vidéos. 25 000 visiteurs sont venus rencontrer leurs youtubeurs préférés pour partager leurs créations, obtenir autographes et selfies, et assister en live à des shows exclusifs. Mais alors que ces stars du web semblent tout partager avec leurs intimes millions d’abonnés, un tabou subsiste : leurs revenus. Et si la justice commence à s’attaquer à ce sombre secret, c’est que tout n’est peut-être pas si clean.

Célébrités du net ou d’ailleurs, même combat
Quand on est star, c’est toute une communauté qu’on inspire. Et plus on a de fans ou d’abonnés à inspirer, plus on est susceptible d’être contacté par des sponsors. En France, la condition afin de pouvoir utiliser sa notoriété pour promouvoir une marque est, s’il y a rémunération, de préciser ouvertement que la marque en question nous a payés pour que l’on en fasse la publicité. Tant que Gad Elmaleh utilise son image à la télévision pour promouvoir la banque LCL, il n’y a pas de problèmes. En revanche, ils arrivent quand la youtubeuse EnjoyPhoenix étale ses derniers achats chez H&M ou que l’humoriste Cyprien sort une vidéo intitulée « La Wii U » dans laquelle il nous présente la nouvelle console de jeux de Nintendo.
EnjoyPhoenix et Cyprien ont-ils été sponsorisés par H&M et Nintendo ? Rien dans la vidéo ni dans le descriptif de celle-ci ne le précise, mais nos deux youtubeurs ont l’air très, très satisfaits des produits présentés… « Et pour finir, ma conclusion sur la Wii U : c’est bien », nous dit Cyprien. Voici justement ce qui a attiré les foudres de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) : la publicité déguisée qui prolifère sur YouTube. En pensant se divertir, l’internaute regarde en réalité une vidéo-promotion, et se transforme en consommateur manipulé. La loi punit ce type de fraude de 300 000 euros d’amende et de deux ans de prison. Selon l’article 20 de la loi pour la confiance de l’économie, « Toute publicité (…) doit pouvoir être clairement identifiée comme telle ». Problème : comment distinguer le youtubeur secrètement sponsorisé de celui qui parle d’un produit en toute innocence ?
Le silence est d’or
Préciser qu’une vidéo est sponsorisée n’est avantageux ni pour l’annonceur ni pour le youtubeur. En effet, Youtube est avant tout une plateforme d’expression libre. L’arrivée des annonceurs sur cette plateforme signifie pour les internautes la mort de la liberté d’expression et surtout celle de la sincérité… Norman a été qualifié par certains de ses fans de « vendu » après avoir participé au défi de Crunch en 2013, Crunch sort Norman de sa chambre.

Kevin Tran, de la chaîne Youtube Le Rire Jaune, remarque en effet dans sa vidéo « L’Argent sur Youtube » le fait que faire du placement de produit dans une vidéo est très mal vu en France. Il explique intelligemment que tant que l’internaute n’a pas l’impression de se faire utiliser, le placement de produit doit être accepté car « ça fait partie du jeu » : les youtubeurs ont besoin d’argent, ne serait-ce que pour produire des vidéos de qualité. Kevin ne parle cependant pas de l’obligation de préciser que la vidéo contient un placement de produit et nous propose même une astuce pour pouvoir déterminer si la vidéo que nous regardons en contient un ou pas (si le youtubeur critique ne serait-ce qu’une fois le produit, ce n’est pas un placement de produit).
Ce qui prouve que préciser clairement que sa vidéo contient un placement de produit n’est pas considéré comme obligatoire par la communauté des youtubeurs. D’autre part, on remarque que les annonceurs interdisent à leurs intermédiaires de déclarer le montant de leur rémunération. Echapper aux impôts grâce aux failles du système YouTube ?

Les stars du net ont toujours le pouvoir
Cependant la marge de manœuvre des stars du net est encore totale. En effet, si rien ne les oblige à accepter les offres de sponsoring, elles sont également libres de n’accepter les offres que sous condition ou de les envoyer balader comme bon leur semble.
Ces questions épineuses ne touchant pas uniquement YouTube, prenons l’exemple du buzz récent d’une star d’Instagram. Essena O’Neills, 18 ans et 580 000 followers, a décidé de faire un pied-de-nez à ses nombreux sponsors en révélant ce qui se cache vraiment derrière ses photos : outre les problèmes liés au jeûne pour avoir un ventre plat et au mal-être dû à l’exhibition de son corps, des placements de produits rémunérés 2 000 dollars !

L’idée que les stars du web renvoient aux internautes est ainsi la suivante : ce ne sont pas les marques qui se servent de nous, mais nous qui nous servons des marques.
A l’heure du 2.0, fraude ou pas, ce sont les célébrités d’Internet qui ont encore le contrôle total de leurs actions. Mais dans le cas des youtubeurs, il est plus facile de refuser l’offre d’un sponsor quand on s’appelle Pewdiepie (première chaîne avec un revenu qui varie entre 4 et 7 millions de dollars par an) que quand on a un nombre d’abonnés plus modeste et que l’on ne crache pas sur quelques milliers d’euros. Le youtubeur lambda est donc tiraillé entre l’appât de l’argent facile et le désir de maintenir son image d’artiste libre et sincère, qui ne se sert pas de sa communauté de fans pour se faire de l’argent.
Et au-delà des belles intentions, Internet est bien trop vaste pour que la DGCCRF puisse condamner toutes les stars du web françaises qui auraient « oublié » de préciser que leur vidéo/photo contient un placement de produit.
Camille PILI
Linkedin
Sources :
« Pour montrer la réalité qui se cache derrières ses photos, cette célébrité Instagram édite ses photos « parfaites »  … C’est étonnant !  » in Espace buzz, mis en ligne le 05/11/15 – Disponible sur : http://www.espacebuzz.com/pour-montrer-la-realite-qui-se-cache-derriere-ses-photos-cette-celebrite-instagram-edite-ses-photos-parfaites-c-est-etonnant.html
Nathan Weber. « Une célébrité Instagram édite ses posts pour révéler la dure réalité qui se cache derrière ses photos « parfaites » … Edifiant ! » in Demotivateur, mis en ligne il y a un mois – Disponible sur :  http://www.demotivateur.fr/article-buzz/une-celebrite-instagram-edite-ses-posts-pour-reveler-la-dure-realite-qui-se-cache-derriere-ses-photos-parfaites-edifiant–3788
Kenny. « La répression des fraudes s’intéresse aux Youtubeurs » in Hitek, mis en ligne le 08/12/15 – Disponible sur : http://hitek.fr/actualite/repression-des-fraudes-youutbeurs_7813
Matthieu Delacharlery. « Des Youtubeurs dans le collimateur de la répression des fraudes » in METRONEWS, mis en ligne le 04/12/15 – Disponible sur : http://www.metronews.fr/high-tech/des-youtubeurs-dans-le-collimateur-de-la-repression-des-fraudes/mold!xA8EH5K4dOCA/
William Audureau. « La répression des fraudes s’intéresse à la publicité déguisée sur Youtube » in LE MONDE, mis en ligne le 21/12/15 – Disponible sur : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/04/la-repression-des-fraudes-s-interesse-a-la-publicite-deguisee-chez-les-youtubeurs_4824504_4408996.html
Kévin Ebelle. « La répression des fraudes : enquête sur les revenus opaques des Youtubeurs » in Toolito, mis en ligne le 08/12/15 – Disponible sur : http://www.toolito.com/geek/youtubeur-enquete-repression-fraudes/
Sandrine Etoa-Andegue. « Vidéo City Paris : enquête sur le business des Youtubeurs » in France Info, mis en ligne le 07/11/15 – Disponible sur : http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/video-city-paris-enquete-sur-le-business-des-youtubeurs-744003
Crédits images : 
– Video City
– Capture d’écran Youtube
– Capture d’écran Instagram

Société

Du gratuit dans nos vies

La gratuité, à quel prix ? 
Gratuité, « qui est fait, donné ou dont on peut profiter sans contrepartie pécuniaire » (Trésor de la langue française)
La notion de gratuité est aujourd’hui complexe. Difficile d’imaginer quelque chose sans prix. Le donateur et le bénéficiaire font toujours plus qu’il n’y paraît et le gratuit n’est en fait que le premier geste d’une chaîne d’opérations. Les promesses de gratuité sont nombreuses mais bien souvent fausses. Le web ne devait-il pas être un espace gratuit et ouvert à tous où la propriété n’aurait pas sa place et où l’information serait partagée sans contrepartie ? Si nous n’avons pas l’impression de donner quoi que ce soit lorsque nous accédons à un site, la contrepartie est ailleurs puisque les données que nous fournissons gratuitement sont revendues aux annonceurs. La nature est également un domaine où la notion de gratuité se heurte à des enjeux politiques et économiques qui transforment l’environnement en un bien profitable, l’air canadien se vend même à prix d’or … Il est donc difficile de légitimer la place de la gratuité dans un contexte où les mécanismes de la logique marchande sont appliqués à l’ensemble des sphères de la société. Le principe même de gratuité pose des problèmes éthiques. Le geste peut être associé à une forme de charité, le travail non rémunéré à de l’exploitation. L’argent est devenu, en plus d’un système d’échange, un moyen d’affranchissement et de lutte pour l’égalité. Alors même que la notion de marché fait partie de notre quotidien, l’idée d’un service gratuit nous semble étrange et soulève des débats virulents sur la nature humaine et le fonctionnement de nos sociétés.
Si la notion de gratuité est si complexe, c’est parce qu’elle porte en son sein la reconnaissance et la construction d’un lien entre les individus. L’échange non monétaire accorde une place centrale à l’autre. L’individu trouve dans le comportement de don une récompense, et sait que l’action est efficace seulement si les autres se comportent de la même façon. C’est ce sur quoi se fonde l’économie collaborative.
Boutique sans argent, magasin pour rien
On voit fleurir depuis quelque temps différentes pratiques d’économie collaborative à l’image des incroyables comestibles, potagers urbains où les récoltes sont mises à la disposition gratuite de tous, les repairs café où des réparateurs bénévoles aident à réparer certains objets, ou encore les donneries qui permettent aux individus de donner ou de prendre des objets gratuitement.
L’idée de monter une Boutique sans argent à Paris est née suite à la découverte du Magasin pour rien de Mulhouse, premier freeshop (officiel) de France. Tous les freeshop reposent sur un même principe : l’absence totale de transaction monétaire (même de monnaie alternative) ou de troc (on n’échange pas un objet contre un autre). La règle : on donne, on reçoit, rien n’est attendu de vous, vous n’attendez rien des autres. Théoriquement. Car si ce système fonctionne, c’est bel et bien parce que l’homme, consciemment ou inconsciemment, ne peut rester indifférent au don et ressent le besoin de donner en retour. La générosité est contagieuse. Alors oui, au Zigua-Zigua, on insiste sur le fait que ce n’est pas un échange, qu’aucune contrepartie n’est attendue, que c’est un don pur. Mais voilà, pouvoir prendre gratuitement, ça pousse à donner. Si dans un monde où l’argent est roi le manque génère une compétition dans laquelle « moins il y en a pour toi, plus il y en a pour moi », dans l’économie du don, la transmission est primordiale : « tu es gagnant, je suis gagnant, plus pour toi, c’est plus pour moi ». Les gens savent donc que leur don reviendra à eux un jour, sous une autre forme.
« Ce n’est pas du troc, c’est du don. Si vous n’avez rien à donner, vous pouvez tout de même faire un petit tour et peut-être trouverez vous votre bonheur… Tous les objets sont les bienvenus (vête-ments, livres, petits appareils électriques, accessoires, etc.), vérifiez simplement qu’ils soient en bon état, propres et transportables à la main. » (La Boutique sans argent.)
Après avoir développé plusieurs « zones de gratuités » dans différents évènements comme Le Festival des Utopies Concrètes ou le Free Market de Paname, l’association la Boutique sans argent a posé ses bagages dans le 12e arrondissement de Paris, au Zigua-Zigua. Un lieu idéal pour mener à bien leur projet : sortir le quartier de ses logiques égocentriques et consuméristes, créer un lieu à part, rempli de générosité et de partage, lutter contre l’exclusion sociale et économique, et créer une réelle communauté. Ces projets à première vue utopiques ont fait leurs preuves puisque le plus vieux freeshop à été créé au Canada en 1978 et qu’ils n’ont cessé de se développer depuis.
La Boutique sans argent, le magasin pour rien, deux structures qui prônent la décroissance. Mais dans quel but ? Questionner les dérives du système capitaliste, s’émanciper d’un pouvoir capitalisé, récupérer une autonomie d’action, et peut-être, prouver que la place accordée à l’argent n’est que le résultat d’une vieille idéologie, que l’essence des être humains est ailleurs.

Petites boutiques, grandes ambitions
Le projet de la Boutique sans argent s’inscrit plus précisément dans l’économie du don, dont le principe est de nouer des liens sociaux d’autant plus forts qu’ils sont construits sur le don désintéressé. Faire naître une importante reconnaissance vis à vis du donneur, qui va conduire la personne qui a reçu quelque chose à faire un don à son tour.
Dans A circle of gifts, Charles Eisenstein montre que la communauté est impossible dans une société monétisée, parce que la communauté est tissée de dons. Aujourd’hui, plus besoin d’un voisin maçon à qui demander service, puisqu’on a de l’argent pour payer un maçon. Nous n’avons plus besoin des personnes qui nous entourent, mais du savoir faire d’un tiers. Nous devenons donc rem-plaçables. Le Zigua-Zigua, en prenant en compte cette réflexion, va structurer son approche selon le modèle du « cercle de dons ». La boutique sans argent va mettre en place un programme de partage des savoirs et savoirs faire de chacun, et va, dans le même temps, favoriser la création d’une communauté plus forte. Cette communauté serait donc une solution à la fragilisation des liens sociaux. Nous devenons interdépendants à une échelle locale, et non plus dépendants d’inconnus ou d’institutions.
La volonté de recréer du lien social n’est pas la seule préoccupation de ces structures qui sont également impliquées dans la protection de l’environnement. Elles voient dans l’économie du don un moyen de réduire la production de déchet et de ralentir la croissance économique. En réduisant la croissance économique, on réduit les dégradations environnementales, et on protège les biens qu’il reste.
Ces structures veulent montrer qu’il est possible de développer un nouveau type de civilisation, où l’humain serait au coeur. Ces économies alternatives améliorent pour le moment à l’échelle d’un quartier la vie des habitants, s’impliquent pour la défense de l’environnement et remettent en question nos modes de fonctionnement. Trois principes : gratuité, réemploi, solidarité.
Victoire Coquet
Sources: 
Charles Eisenstein, préface au Moneyless Manifesto
Charles Eisenstein, A Circle Of Gifts
http://laboutiquesansargent.org
http://www.mcm-web.org
Crédits images :
http://laboutiquesansargent.org

Société

L'obsolescence : défaut de la conception ou conception du défaut ?

Depuis juillet dernier, l’obsolescence programmée est un délit puni d’amende et d’emprisonnement par la loi, ce qui est censé favoriser la réparabilité du produit et augmenter sa durée de garantie légale de conformité. Retour sur un crime avec préméditation, complice de la communication.
L’obsolescence programmée : késako ?
C’est Bernard London, agent immobilier new-yorkais, qui donne naissance au concept en 1932 dans son article intitulé L’obsolescence planifiée. Pour en finir avec la grande dépression. C’est une stratégie d’entreprise qui, en programmant l’obsolescence, pousse le consommateur à remplacer le produit en achetant de nouveau : celle-ci permet une augmentation de la demande, donc de la productivité, donc du profit et enfin de la concurrence, engendrant surconsommation et répercussions écologiques. Ainsi, la communication, à défaut d’information, étouffe la possibilité de l’achat responsable du consommateur-citoyen: les consommateurs échouent à faire un bon choix, ou du moins conscient.
L’obsolescence programmée a trois formes principales :
– Technique : composants conçus volontairement de manière fragile ou irremplaçable voire inamovible (des collants ou des ampoules).
– Ecologique : jeter un produit encore en fonctionnement au profit d’un produit plus écologique (la prime à la casse).
– Culturelle ou psychologique : discours visant à démoder le produit avant même qu’il ne fonctionne plus : elle est une construction sociale écologiquement non durable qui s’appuie sur la stimulation communicationnelle de désirs artificiels orchestrés par la stratégie publicitaire, industrielle et commerciale.
La communication, l’âme culturelle des objets techniques ?
La communication donne tout son sens à la technique comme l’illustre le concept de surhistoricité employé par le philosophe Gilbert Simondon : il désigne la surdétermination de l’objet par des motifs non techniques tels que la mode ou le symbole social qui habillent la technicité. C’est révélateur du rôle essentiel que joue la communication dans la détermination de l’âme culturelle du produit technique : la stratégie marketing,  les campagnes publicitaires, la création d’habitudes de consommation ou encore de besoins.
General Motors a ainsi permis à l’obsolescence culturelle de se diffuser : avec la Chevrolet, il applique pour la première fois le concept de mode aux automobiles (nouvelles couleurs ou nouveaux accessoires), enrichi par l’image et les valeurs que véhicule la publicité en plein essor. Il détrône ainsi le modèle de la Ford T d’abord uniforme, vendue en masse. Si aujourd’hui, par exemple, on voit encore des 2 Chevaux mais qu’on ne voit plus de Peugeot 305 c’est que le discours marketing est passé par là.
L’ingénieur : du créateur au destructeur ?
Au XXe siècle, General Electric communique sur la durée de vie volontairement amoindrie des ampoules électriques à travers une publicité sous forme de dessin animé où il vante les vertus de ce choix concernant la pérennisation de l’emploi. Mais à cette époque, on n’avait pas encore conscience des limites de notre planète puisqu’on la percevait comme une ressource inépuisable. C’est pourquoi, ce modèle économique et communicationnel s’est solidement ancré, à tel point que l’image de l’ingénieur se dédouble entre le créateur et le destructeur : le magazine des ingénieurs Design News décrivait les différents procédés techniques permettant de réduire la durée de vie des produits. Ainsi, les ingénieurs ont du revoir leur éthique et idéal face à cette conception de la surhistoricité du produit.
Halte aux discours euphorisants sur la croissance !
L’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) milite pour une législation responsable et un modèle économique qui fait sens puisqu’en effet, les chiffres ne laissent pas de place au doute : 40% des appareils électroménagers sont remplacés alors qu’ils fonctionnent encore et la durée de fonctionnement potentiel d’un téléphone portable hors batterie est de 10 ans alors que leur délai moyen de renouvellement en France est de 18 mois. Ceci est symptomatique de notre système économique qui repose sur l’idée de croissance linéaire par le renouvellement illimité des biens, renouvellement artificiellement dynamisé par l’obsolescence programmée qui s’est vue comme LE remède miracle à l’essoufflement de la croissance. C’est pourquoi ce modèle est dénoncé par Serge Latouche – penseur de la décroissance et du localisme – comme absurde, voulant « croitre pour croitre ».
D’une culture du jetable à une culture du durable ?
L’obsolescence programmée ne fait qu’accentuer les écarts du pouvoir d’achat : les produits peu durables de qualité moindre, moins chers, sont accessibles aux plus démunis, mais devant en racheter plus régulièrement, ils perdent leur pouvoir d’achat sur le long terme face à ceux qui ont les moyens d’accès aux produits durables souvent plus chers. Le produit incarnant le plus cette transition d’une culture du jetable à une culture du durable est la cup étant une excellente alternative économique, écologique, hygiénique et temporelle aux tampons et serviettes.
C’est pourquoi le développement de nouvelles économies alternatives prend alors tout son sens : l’économie de la fonctionnalité pourrait être le remède à l’obsolescence programmée. Dans ce modèle, l’usage prime sur la propriété de l’objet donc le producteur, autant que le consommateur, a intérêt à ce que le produit dure. Cela permettra aussi de concevoir de nouveaux types d’emplois dans la réparation, les services ou le développement durable. 
Mais si en théorie cette loi rend possible la riposte, Nicolas Godfroy de l’UFC – Que choisir signale la difficulté de prouver l’obsolescence programmée dans les faits et met donc en doute les répercussions concrètes de cette dernière : la loi n’aurait qu’une faible portée bien que l’obsolescence programmée ait désormais un statut juridique. En fait, pour lui, cette loi est plutôt un moyen d’agir en aval pour les associations qu’une véritable protection des consommateurs en amont. Il faudra sûrement des mesures complémentaires pour donner corps au pouvoir d’action sur les processus en amont, tel qu’un affichage obligatoire de la durée de vie des produits. Affaire à suivre.
Allison Leroux
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Sources :
Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques. 1958
Serge Latouche, Survivre au développement. 2004
Prêt à jeter ou l’Obsolescence Programmée. diffusé sur Arte et disponible sur YouTube
Sensibiliser les citoyens par des campagnes de communication sur le site de HOP
Combattre l’obsolescence programmée par Fabienne Chauvière sur France Info
La lutte contre l’obsolescence programmée par Camille Dulong sur O Communication
Alternatives à l’obsolescence programmée sur obsolescenceprogrammee.fr
De l’obsolescence programmée du consommateur… et des entreprises par Julien Pouget sur L’Usine Digitale
Obsolescence programmée : Apple (re)fait le coup de la panne par Frédéric Bordage sur Terra Eco
iDiots : un film d’animation avec des robots sur l’obsolescence programmée et la dépendance au mobile par Benoît Chamontin sur geeksandco.com
Obsolescence programmée : la preuve impossible ? par Amid Faljaoui sur Trends.be
L’instauration d’un délit d’obsolescence programmée, un coup d’épée dans l’eau ? par Xavier Berne sur Nextimpact
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