Flops

La droite en débat, premier round

Après plusieurs bandes annonces attrayantes diffusées quotidiennement sur les chaînes TF1 et LCI, le premier débat de la primaire de la droite s’ouvrait enfin devant 5,638 millions de téléspectateurs le jeudi 13 octobre dernier à 20h45, pour plus de deux heures d’antenne. L’un des évènements majeurs de la vie politique française en cette fin d’année 2016 est ici imagé pour la première fois : ce premier débat rassemble les sept candidats à la primaire qui a pour but d’élire le représentant de la droite et du centre à l’élection présidentielle de l’année 2017. Seul objectif, donc : conquérir un électorat.
Plusieurs voix, une seule voie
Après une brève présentation digne d’un show télévisé prononcée par Gilles Bouleau, un générique dynamique et ambitieux sur fond de musique entraînante laisse apparaître un par un les visages des candidats à la primaire des 20 et 27 novembre prochains. Comme si l’on assistait à l’ouverture d’une émission de télé-réalité ou de jeu télévisé, les candidats sont présentés succinctement : alors que les couleurs patriotiques que sont le bleu, le blanc et le rouge jaillissent aux yeux des téléspectateurs, chacun voit son identité dans la campagne présidentielle résumée peu ou prou par la diffusion d’une phrase choc, prononcée auparavant lors de meetings politiques.
Le débat ne pourra commencer qu’après l’énonciation des règles à suivre durant celui-ci : le show est réglé au millimètre, presque de manière scolaire. Chaque candidat dispose du même temps de parole : une minute pour chaque réponse, trente secondes pour rebondir sur l’intervention d’un adversaire.
Après avoir précisé que l’emplacement des candidats ainsi que l’ordre de prise de parole avaient été tirés au sort, Gilles Bouleau introduit auprès du public ses deux voisins pour la soirée : Elizabeth Martichoux de RTL et Alexis Brézet du Figaro. Selon eux, les objectifs sont, pour les candidats, de « clarifier leurs propositions pour la France ». Ainsi, Isabelle Martichoux ouvre le bal avec cette question : « Pourquoi voulez-vous devenir Président ou Présidente de la République ? ».
Le classique et le moderne connectés
Parmi les sujets abordés lors de ce premier débat, l’originalité n’est pas au rendez-vous ; l’économie et le régalien, eux, si. Pour chaque candidat, il s’agit moins d’affaiblir ses rivaux que de gagner des points en exposant ses propositions : aucune annonce n’est réellement novatrice, l’objectif principal étant de faire connaître ses idées. Selon Alexandre Lemarié, journaliste au Monde, en charge du suivi de la droite et du centre, on parle plus de « round d’observation » que de débat.
Toutefois, le format du débat, lui, est novateur et se distingue par sa modernité. Là aussi, le modèle social de la pratique des médias s’impose : participation, interactivité et commentaires sont les bienvenus et l’importance des réseaux sociaux est ici soulignée. En effet, durant toute la durée du débat, les téléspectateurs ont pu réagir et adresser leurs questions grâce au hashtag #primaireledébat, ainsi que sur les pages Facebook TF1, RTL et LeFigaro. En outre, le plateau lui-même prend une forme inédite : rappelant plus celui du Maillon Faible que celui des précédents débats politiques, celui-ci donne à ce débat de la primaire un caractère moderne et innovant. La stratégie est claire : on attend des questions simples, émanant de tous et accessibles à tous, pour des réponses simples, claires et concises, également audibles par tous.
Quand l’habit fait le moine
Stratégie médiatique, certes, mais aussi stratégie de l’image. En effet, l’image est un élément fondamental de la communication : au-delà du discours, elle véhicule un message, qui diffère de candidat en candidat. Sept candidats, six couleurs : chacun de nos prétendants s’est choisi une apparence bien à lui, dans un effort de différenciation par la tenue vestimentaire, et plus particulièrement par la couleur de celle-ci.

Nicolas Sarkozy choisit de rester classique : cravate de couleur bleue marine, celle d’un ancien Président de la République, mais aussi celle de sa campagne de 2012. Couleur de la sagesse, écho d’un certain passé.
François Fillon porte une cravate violette, couleur de la vérité, de l’honnêteté, valeurs qu’il défendait déjà en 2007 avec L’Etat en faillite.
Alain Juppé opte pour le noir, une couleur qui rassemble par sa neutralité et sa sobriété.
Jean-François Copé, lui, fait le choix d’une cravate bleu ciel : il s’agit d’attirer le regard, de
rappeler sa présence et sa légitimité.
Tout comme la cravate de Jean-Frédéric Poisson, Nathalie Kosciusko-Morizet arbore une couleur non moins attirante : le rouge du pouvoir et de la conquête, s’éloignant des six costumes masculins.
Enfin, Bruno Le Maire, candidat du renouveau, choisit de se démarquer par l’absence de cravate, mettant ainsi en valeur le blanc immaculé de sa chemise et soulignant l’atout qu’il brandit le plus souvent : sa jeunesse. Alors, à chacun sa stratégie : se démarquer ou s’affirmer, se faire connaître ou se faire reconnaître, par l’image ou par la gestuelle chez un Juppé calme et serein ou un Sarkozy tendu et agité

 
Si ce débat a pu prendre les aspects d’un évènement de télé-réalité ou de show télévisé, les couleurs politiques ont su rester au garde à vous. Entre continuités et nouveautés, celui-là a su annoncer la forme inédite que prend la campagne présidentielle à venir. Certains en sortent renforcés, comme Jean-Frédéric Poisson qui a su apparaître aux yeux des Français comme un candidat légitime, d’autres moins, mais rien n’est joué : la suite aux prochains rounds, les 3 et 17 novembre prochains.
Diane Milelli
LinkedIn Diane Milelli
 
Sources :
– LeMonde.fr : «Bilan du débat de la primaire à droite, C’était un peu le round d’observation » par Alexandre Lemarié
–  LeMonde.fr : « Sept candidats, deux droites »
– Le Nouvel Obs : «Primaire de droite : les coulisses du premier débat sur TF1»
– Europe 1 : « Débat : l’analyse politique d’Antonin André »
Crédits photo :
– LCI, Primaire de la droite et du centre, revivre le débat en 2 minutes
–    L’express, Primaire à droite: le premier débat télévisé était-il raté?

Com & Société, Environnement

Sensibiliser les Américains au gaspillage ? Un défi pour « monsieur poubelle ! »

Vous êtes-vous déjà demandés combien pèseraient vos déchets ménagers mis bout à bout ? Eh bien Rob Greenfield, un militant écologiste en a fait l’expérience pour vous ! Pour sensibiliser les Américains au problème du gaspillage alimentaire aux États-Unis, cet environnementaliste décide de porter sur lui les ordures mensuelles d’un Américain moyen.
Son expérience étonnante s’ancre dans un contexte de prévention internationale, car le 16 octobre dernier avait lieu la Journée mondiale de l’alimentation : un timing parfait pour montrer à tous que le gaspillage est un problème majeur dans la société.
« Trash me » ou comment lutter contre le problème de surconsommation américain
En effet, la quantité d’ordures jetées aux États-Unis est incroyable : deux kilos par jour et par personne en moyenne, c’est-à-dire deux fois plus que les Français. Le calcul est vite fait : ce n’est pas moins de soixante kilos de détritus produits en un mois pour une seule personne ! Ce constat affolant ne semble pourtant pas être au centre des préoccupations des Américains, peut-être davantage obnubilés par la course à la présidentielle 2016. Aujourd’hui, les États-Unis sont « le premier producteur mondial de déchets, que ce soit les déchets ménagers, industriels ou toxiques » explique Dominique Lorrain, Directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), dans son livre Le Secteur des déchets aux États-Unis, I.
C’est pour cette raison que l’écologiste engagé a lancé son projet « Trash me ». Son objectif est clair : déclencher une prise de conscience. Affublé d’un costume contenant chacun de ses déchets, Rob Greenfield se promène dans les rues de New-York et joue sur une communication visuelle et insolite. Il remplit sa tenue d’emballages divers et variés (excepté les déchets organiques, on vous laisse deviner pourquoi), ce qui le fait gonfler de semaine en semaine altérant ainsi sa capacité à se déplacer. Au terme de son expérience, il aura tout de même accumulé environ quarante-cinq kilos de détritus
Pour Rob Greenfield, la meilleure façon de comprendre le mode de vie d’une majorité, c’est de l’adopter et d’en exposer les conséquences néfastes au grand jour.
Une action originale et décalée
Rob Greenfield utilise les lieux publics pour une visibilité optimale et cherche à renvoyer une image d’un Américain « comme les autres ». Pour cela, son opération s’appuie sur les réseaux sociaux et fait appel à une logique d’identification : il est le miroir qui reflète le fléau de la société moderne, à savoir la surconsommation.
Et si le décalé pouvait être recalé ?
Exhiber ce qu’on refuse de voir c’est aussi prendre le risque d’être perçu comme marginal et incompris par la société dans laquelle l’incitation à la consommation est omniprésente. En vérité, nous n’avons que très peu conscience de l’impact qu’ont tous les emballages accumulés au quotidien, sur notre environnement. C’est donc à la fois une cause difficile à défendre, ainsi qu’une réalité difficile à assumer.
Cependant, Rob Greenfield n’est pas le seul à tenter d’alerter l’opinion publique en jouant sur un visuel percutant. Le « Pétrole Mob » de Greenpeace où les militants français s’engluaient de pétrole pour dénoncer le phénomène de marée noire peu de temps après celle du golfe du Mexique en 2010, avait lui aussi marqué les esprits.

L’homme aux six millions de vues
A trente ans seulement, le défenseur de la planète convainc et suscite l’engouement des médias à chaque opération décalée. En 2015, on l’appelle le « Forest Gump de l’écologie » pour avoir parcouru des centaines de kilomètres à vélo le long de la côte californienne dans le but de prendre soin des paysages locaux ; et l’année suivante, il anime TEDxTeen intitulé « How to end the food waste fiasco. ». Toutes ses expériences et ses astuces pour tendre vers une consommation meilleure sont sur son blog : robgreenfield.tv.
A quelques jours de la Semaine Européenne de la Réduction des Déchets (SERD) qui aura lieu du 19 au 27 novembre 2016, l’expérience de Rob Greenfield s’est achevée à point nommé et soulève la question de l’accumulation des déchets ménagers dans le monde entier.
Vous l’aurez compris, Rob Greenfield ne passe pas inaperçu dans toutes ses entreprises plus folles les unes que les autres : à la fois proche de son public-cible mais aussi présent dans les médias, il semble se placer comme le défenseur moderne et avant-gardiste de la cause environnementale.
 
Steffi Noël
@Steffi Noël sur Twitter
 
Sources :
LORRAIN Dominique, « Le secteur des déchets aux Etats-Unis (1) », Flux, 43, (Rubrique « Entreprises de Réseaux »), janvier-mars 2001, p. 73-84.
« Rob Greenfield, l’homme-ordures de New York », Paris Match. Publié le 05/10/2016. Consulté le 15/10/2016.
« Rob Greenfield, le « forest gump » de l’écologie », Monsieur Mondialisation. Publié le 27 octobre 2015. Consulté le 14/10/2016.
– GENTILLE Denis « Trash me : la folle idée de Rob Greenfield pour lutter contre le gaspillage », Positivr.fr. Publié le 12 septembre 2016. Consulté le 14/10/2016.
RUIZ-GROSSMAN Sarah « This Guy Is Wearing Every Piece Of Garbage He Generates For A Month », The Huffington Post. Publié le 26/09/2016. Consulté le 16/10/2016.
Le site de Rob Greenfield
 
Crédits photos :
Bryan R. Smith, photographe pour ParisMatch

Société

Wajdi Mouawad, ou l’Art au service de la sensibilisation dans la communication

« Vous nous croyez en guerre alors que nous sommes en manque
Vous nous surveillez mais vous ne voyez rien
Vous nous écoutez mais vous n’entendez rien
Ni l’Alpha de nos peines, ni l’Oméga de nos haines »
– Ciels, Tome 4 de Le sang des promesses, Wajdi Mouawad.
 
Nous avons tous en tête le nombre de victimes du conflit syrien ; les estimations ne cessent de se multiplier – et de grossir — sur tous les médias d’information. Mais ils ont beau marteler des statistiques, des nombres impressionnants de victimes, des noms d’armes compliqués, ce ne sont que des mots, qui glissent sur le récepteur sans jamais vraiment l’accrocher. D’où peut-être l’utilisation par les médias de moyens de sensibilisation et de l’art comme moyen de communication.
Le défi incessant des campagnes de sensibilisation
Les médias, notamment la télévision, font en effet régulièrement le choix d’émailler leurs documentaires ou reportages de témoignages de victimes, qui ancrent les faits montrés dans le réel. Le récepteur se sent concerné – ce pourrait être lui, ce pourrait être son pays. Cette femme amputée, ce pourrait être sa mère, sa sœur, sa fille (impression d’autant plus renforcée aujourd’hui avec la menace terroriste qui tente de faire croire qu’elle peut frapper n’importe où, n’importe quand). Sans nécessairement le pousser à agir – il faut souvent plus que l’identification à une victime pour faire cela – , le pathos, dans l’art et les médias, est un moyen de faire prendre conscience.
Les campagnes de sensibilisation pour la sécurité routière jouent ainsi régulièrement sur un effet de choc, l’irruption de l’horreur dans des situations quotidiennes que nous avons tous vécu. Le but ? Heurter les cibles de la campagne, leur faire prendre conscience que les accidents n’arrivent pas qu’aux autres et montrer les dégâts causés par des accidents – des images réelles, qui rappellent que les accidents de la route ne gâchent jamais qu’une vie. Mais une fois le choc initial dépassé, que reste-t-il vraiment de ces campagnes ? Un sentiment d’injustice pour les victimes, de la rage pour ceux qui sont responsables des accidents, certes. Mais il est très rare qu’on se dise qu’un accident puisse nous arriver à nous. Le but initial de ce type de campagne n’est que rarement atteint, tout simplement parce qu’on ne retient finalement que le choc et non pas ce qu’il veut démontrer. Le moyen dépasse le but, en quelque sorte.

Un autre type de campagne sensibilisante serait celui jouant sur la culpabilisation. Les campagnes sur la propreté des villes prennent souvent le parti-pris de montrer les conséquences néfastes de petits gestes que chacun a déjà réalisé au moins une fois, parfois au risque de forcer le trait. Jeter un mégot de cigarette revient ainsi souvent dans ce genre de campagnes à polluer l’océan, à tuer un bébé tortue… Ce qui est sans doute vrai, mais ne peut avoir qu’un impact limité. Tout d’abord parce qu’on ne garde pas ces campagnes en tête comme celles jouant sur l’effet de choc (aussi parce qu’elles se concentrent sur des gestes plus anodins, répétés sans cesse et auxquels on ne fait pas forcément attention), ensuite parce que le récepteur a souvent tendance à se braquer face à elle. Il n’est pas le seul à faire ces gestes, pourquoi serait-il le premier à changer ses habitudes ? Est-ce que ce serait vraiment efficace ? Et comment savoir que le publicitaire à l’origine de cette campagne n’est pas lui-même coupable de pareils gestes d’inattention ?

Les campagnes de sensibilisation sont certes souvent plus efficaces que celles se voulant purement objectives et informelles, mais elles sont aussi victimes de leurs propres méthodes : en jouant sur les émotions des récepteurs, sur le pathos, elles se prêtent aussi à un rejet purement subjectif de ces derniers. Elles semblent donc arrivées dans une impasse.
La transcendance de la barrière de l’indifférence par l’Art – l’exemple de Wajdi Mouawad
En Avril 2016, Wajdi Mouawad, dramaturge et metteur en scène canadien d’origine libanaise, est nommé directeur du Théâtre de la Colline. Une victoire de prestige, qui n’est que la suite logique d’une carrière riche, et, à bien des égards, unique. Car Wajdi Mouawad a une histoire singulière. Multiculturelle. Né au Liban en 1968, puis obligé de quitter son pays alors qu’il n’est encore qu’un enfant pour fuir la guerre civile, il s’installe au Québec avec sa famille. Il apprend à parler le québécois avant l’arabe, et restera toujours marqué par cette guerre civile qui n’est pas vraiment la sienne et par la perte de ses origines.
Alors Mouawad écrit. Pas son histoire, non. Il ne mentionne presque jamais la guerre au Liban. Non, Mouawad écrit – ou tente d’écrire – l’universel. Il écrit la perte des origines, la perte du sens, la perte des repères. Le sang et la mort nés des racines de la guerre. Son premier cycle, Le sang des promesses, composé de quatre pièces (Littoral, Incendies, Forêts et Ciels), mêle intime et collectif. Ou plus exactement : comment la tragédie familiale peut être un reflet du drame historique, de la mort, des morts. Des oubliés. Du meurtre banalisé et ignoré.

Mouawad est un auteur engagé. Pour l’humain, pour la jeunesse qu’il estime sacrifiée. «A quoi tu sers alors si tu n’es pas capable de changer le monde ? » s’interroge l’un de ses personnages dans Littoral, la première pièce de Le sang des promesses. Il ne juge pas, non. Mais ses histoires ramènent l’indicible, le lointain – les massacres, les enfants-soldats – à une échelle plus humaine, plus intime, et, de ce fait, touchent. Son art est un moyen de véhiculer ses idées. L’émotion happe le spectateur, lui fait prendre conscience par le biais du pathos. Or, c’est par la prise de conscience que commence le changement, que l’action peut découler des mots. Mouawad utilise donc l’art comme moyen de communication pour véhiculer ses idées.
C’est également là qu’intervient le risque – et la crainte – de l’alarmisme, qui tend à faire douter les récepteurs de la véracité ou de l’honnêteté des campagnes de sensibilisation. Ce jeu sur les émotions n’est-il pas finalement une manipulation ?
Toutefois, refuser la sensibilisation dans la communication et les médias sous prétexte qu’elle manipule serait un raccourci relativement facile. Les chiffres, aussi objectifs qu’ils puissent paraître, peuvent aussi être manipulés. L’art comme moyen de communication a semble-t-il au moins le mérite de permettre au récepteur de s’identifier, au moins de comprendre la réalité d’une information, tout en proposant une démarche esthétisante qui en renforce l’impact. Et il permet aussi de croire, peut-être encore un peu, en l’humain – à l’image de Wajdi Mouawad qui, malgré l’ambiance toujours sombre de ses pièces, continue de manière presque irréaliste à espérer une réconciliation dans la famille et dans le monde.
 
Margaux Salliot
Sources:
l’Express
Wajdi Mouawad
savethechildren.org
Wikipedia
Site wordpress Jesuisencorevivant
suzou.net
faire-face.fr
20minutes
Crédits photo :
Campagne de sensibilisation de la sécurité routière avec la participation de Rodolphe. Campagne de sensibilisation à la propreté des villes « Vacances Propres ».
Extrait du film Incendies de Denis Villeneuve (2010) tiré de la pièce éponyme de Wajdi Mouawad.
 

Médias, Politique

Le cas Colin Kaepernick : intrusion du politique sur le terrain du divertissement

Le 26 août 2016, le nom de Colin Kaepernick, jusqu’alors connu des fans de football américain en sa qualité de joueur de l’équipe des San Francisco 49’ers, défraie la chronique lors de la diffusion dans le stade de San Diego de l’hymne national américain, The Star Spangled Banner. Selon l’usage, il est attendu des joueurs qu’ils soient debout, la main sur le cœur, durant ce moment solennel de recueillement et d’hommage à la patrie américaine, « the greatest nation on Earth » (la plus grande nation au monde). Seulement, Colin Kaepernick décide ce jour-là d’aller à l’encontre des attentes en mettant un genou à terre, et en baissant la tête.
L’image de ce joueur afro-américain agenouillé entouré de ses coéquipiers se tenant fièrement debout a tout de suite fait sensation auprès de l’opinion. Ce geste a engendré un mouvement parmi les sportifs américains, à commencer par l’équipe des 49’ers.  Plusieurs joueurs afro-américains ont rejoint Colin Kaepernick, posant désormais un genou à terre dès que l’hymne national retentit dans le stade.
Un geste frappant, mais loin d’être nouveau
“I am not going to stand up to show pride in a flag for a country that oppresses black people and people of color” (Je n’ai pas l’intention de me lever pour rendre hommage au drapeau d’un pays qui oppresse les Noirs et les personnes de couleur) Colin Kaepernick a-t-il déclaré. Le geste symbolique de Kaepernick s’inscrit dans un mouvement de lutte pour les droits civiques des Noirs américains, né ces dernières années, appelé #BlackLivesMatter (les vies noires comptent), né sur Twitter.
Le meurtre de Trayvon Martin en 2012, exemple parmi tant d’autres, témoigne de la tension qui règne entre Noirs américains et forces de l’ordre. Agé de 17 ans, Trayvon a été tué par George Zimmerman, responsable de la sécurité du quartier. Le seul crime du jeune homme aura été d’être noir, et de porter une capuche. Zimmerman, comme la majorité des policiers dans ce cas, a été acquitté.
#BlackLivesMatter prend le relais, dans une moindre mesure, du mythique mouvement pour les droits civiques des années 1960, 1970, qui avaient vu, de la même manière, des athlètes afro-américains montrer leur soutien à la cause noire aux Etats-Unis. En effet de Tommie Smith et John Carlos qui, en 1968, debout sur le podium aux Jeux Olympiques de Mexico, ont levé leurs poings couverts d’un gant noir vers le ciel. Colin Kaepernick se veut clairement l’héritier de telles figures du monde sportif qui ont osé lever le poing pour exprimer leur frustration et faire entendre les questions d’égalité dans le débat public.
L’incompatible rendu compatible : un touchdown politique ?
La lutte de l’athlète de haut niveau s’inscrit dans un contexte particulier, celui du milieu de l’ « entertainment » sportif, et sème plus précisément le chaos au sein de la Ligue Nationale de Football (NFL), une institution omnipotente aux Etats-Unis qui gère le domaine du football professionnel. La ligue sportive la plus puissante et influente du monde se voit secouée par ce qui est devenu le scandale du « Knee down » (genou à terre), ou encore du « Kneegate », en référence au scandale du Watergate, qui prête son suffixe à tous les scandales médiatiques depuis sa révélation au grand public en 1974.
L’environnement de Colin Kaepernick est entièrement dédié au divertissement. Tous les dimanches de mai à décembre, un match de football est diffusé, généralement sur NFL Network, la chaîne propre à l’institution. Les nombreux matchs diffusés sont évidemment entrecoupés de publicités, créneaux achetés à prix d’or par les annonceurs ; les joueurs ont également des sponsors qui leur donnent des millions de dollars en échange de la promotion qu’ils font de leurs produits.
La NFL organise également le Super Bowl, la finale de la saison, événement culturel le plus médiatisé aux Etats-Unis, qui a par exemple réuni en février dernier Beyoncé, Bruno Mars et Coldplay sur scène durant la mi-temps, et qui a été visionné par pas moins de 167 millions d’Américains.
La NFL devient alors le théâtre d’un combat civique pour l’égalité, du mouvement #BlackLivesMatter, à son insu. Colin Kaepernick a bouleversé les codes des médias américains.
Une stratégie efficace
Il est intéressant de noter que Colin Kaepernick, en menant une lutte d’ordre politique au sein d’un paysage médiatique dont le seul et unique objectif est de divertir, a donné une toute autre dimension à sa cause. Selon les normes établies dans notre société, l’acte politique se joue dans la rue, porté par des manifestations qui attirent les médias. L’acte politique se joue par exemple, pour dresser un parallèle avec un autre événement politique de cette année, sur la place de la République, lieu hautement symbolique, tant par son nom que par son emplacement, particulièrement depuis les attentats de 2015.
Pour aller plus loin, la parole politique est entendue sur un plateau de télévision, par le biais de l’intervention de responsables, de personnes engagées. Colin Kaepernick n’est pas un acteur politique, il fait partie du monde du divertissement, qui plus est du divertissement sportif. Il a pourtant fait pénétrer une question politico-sociale dans l’univers du football américain, et par extension dans un champ habituellement apolitique, ce qui a donné une visibilité, une portée tout à fait particulière au mouvement #BlackLivesMatter. Il est apparu aux yeux du téléspectateur lambda, il est apparu aux yeux du magnat de la publicité, ou encore d’un enfant qui regarde un match le dimanche. Colin Kaepernick a réussi à mettre la lutte pour l’égalité au cœur de tous les débats.
Les réactions vives qu’a suscitées cette intrusion du politique dans le domaine du divertissement ont été abondantes, dans les diverses émissions diffusées à la télévision, qu’elles traitent de politique ou de sport, mais aussi bien sûr sur les réseaux sociaux. Négatives ou positives, là n’est pas vraiment la question. La stratégie de Kaepernick a fonctionné, ainsi que l’a formulé le président Obama : « If nothing else, he’s generated more conversation about issues that have to be talked about » (En tout cas, il a généré un débat à propos de problèmes qu’il est nécessaire de traiter).
Mina RAMOS
@Mina_Celsa
 
Sources :
WEST Lindy, « Colin Kaepernick’s anthem protest is right : blanket rah-rah patriotism means nothing », The Guardian, 13/09/16, consulté le 19/10/16
HAUSER Christine, « Why Colin Kaepernick Didn’t Stand for the National Anthem », The New York Times, 27/08/16, consulté le 19/10/16
LIPSYTE Robert, « A jock spring », Slate.com, 30/08/16, consulté le 21/10/16
LEVIN Josh, « Colin Kaepernick’s Protest Is Working », Slate.com, 12/09/16, consulté le 21/10/16.
« Le football américain, sport national, business international », Les Echos, 05/02/16, consulté le 22/10/16
Crédits images :
Instagram, @kaepernick7
@ajplus
AP/Sipa
Ezra Shaw/Getty Images
 

Edito

FastNCurious fait sa rentrée, et au pas de course

Il y a quelques semaines à peine,  l’ancienne équipe FastN nous laissait les rênes du blog… et voilà qu’aujourd’hui nous lâchons les chevaux pour ce voyage Curious 2016-2017.
Au programme : des articles toujours plus incisifs et pertinents sur les processus de communication, le retour des conférences #BuzzOff dans lesquelles sont invités à jouter professeurs et professionnels de la communication, et la découverte de nouveaux sentiers au sein de la WebRadio du Celsa.
Avec ses 42 rédacteurs en lice cette année, FastNCurious vous promet une balade sans embûches au cœur de l’actualité de la communication.
Nous tenons particulièrement à remercier nos prédécesseurs pour leur confiance, leur patience, et leurs précieux conseils durant cette passation.
L’ensemble du bureau FastNCurious met le pied à l’étrier et se joint à nous pour souhaiter à tous nos lecteurs  une très bonne année en notre compagnie.
 
Le pôle présidentiel : Antoine Heuveline,  Irina Stasula & Charlotte Trodet.
Crédits image :
life.odbi.fr

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Société

Raptor Dissident VS Marion Seclin, violence rétrograde contre féminisme 2.0

De YouTube au petit écran, Marion Seclin s’est imposée comme porte-parole d’une jeunesse féministe, drôle et brillante. Sa présence sur France 2 dans l’émission AcTualiTy, programme abordant une « autre actualité » est un fait marquant de la rentrée télévisuelle de 2016, montrant l’impact qu’elle peut avoir sur les jeunes (et les moins jeunes espérons-le). Cependant, comme tout combat, elle est confrontée à un gros vilain monstre prêt à tout pour décrédibiliser son message…
D’abord présente sur YouTube et sur le webzine Madmoizelle, Marion Seclin s’est fait remarquer pour sa prise de position franche en faveur du féminisme : dans une de ses vidéos, elle explique qu’elle ne se considère elle-même comme féministe que depuis peu de temps, bien qu’elle fût déjà sensible à bien des idées apparentées à ce mouvement. Si le cœur de ses vidéos est désormais globalement le féminisme, cela ne l’empêche pas de traiter de sujets variés, allant du Mondial du tatouage aux concours de roller derby. On ne peut que constater qu’elle le fait avec un certain brio, associant humour et très souvent une profonde implication dans la lutte vers l’égalité. Certains passages de ses vidéos sont assez savoureux, notamment quand elle lit les tweets qu’elle reçoit via le hashtag #tesfeministemais et souligne la non pertinence de la grande majorité de ces « perles », pour la citer : oui les féministes peuvent être épilées ET engagées et, non, être féministe n’implique pas un rejet de la sexualité ou des relations avec les hommes, bien au contraire. Sa stratégie est clairement d’utiliser l’humour comme arme contre le sexisme : cette déconstruction en règle des grands clichés sur les féministes est un vent d’air frais qui vient dépoussiérer un combat de plus en plus mené par des jeunes gens aussi dynamiques et engagés qu’elle.
Le dinosaure de la haine

Le féminisme étant toujours aujourd’hui un sujet très sensible, nous découvrons sous ses vidéos des micros débats dans les commentaires, parfois assez violents. Cependant, la vidéo qui a le plus fait réagir et ce, non plus uniquement son public, mais aussi les autres YouTubeurs, a été celle sur le harcèlement de rue. Sujet brûlant s’il en est, échauffant aussi bien les sphères politiques que le grand public. Il n’est alors pas étonnant que quand elle se risque à aborder cette thématique, les réactions ne soient pas que positives. Et c’est ici qu’un dinosaure surgit, assoiffé du sang impie de féministes : le terrible et impitoyable Raptor Dissident. Si ce nom ne vous parle pas, ne vous inquiétez pas ; vous n’avez juste pas suffisamment fréquenté le forum on ne peut plus enrichissant du site jeuxvideo.com dont il était un membre actif. Sur la description de son compte YouTube, il se présente lui-même comme étant « tellement haut dans l’échelle de la haine que même en mettant des patates à des orphelins et en balayant des handicapés tu pourras à peine me rejoindre sur le podium des plus gros fils de pute que cette terre ait portée ». Bon. Il a le mérite d’être clair. Il s’attaque globalement à tout le monde, usant à outrance d’un vocabulaire que nous qualifierons de fleuri.
Chacune de ses vidéos génère des commentaires qui ont tendance à faire perdre foi en l’humanité : avalanche d’insultes, de réflexions homophobes, sexistes, racistes et même parfois tout cela à la fois (combo !). Comme on pouvait s’y attendre, il a donc répondu à la vidéo de Marion Seclin et ce d’une manière peu fine, dirons-nous. Il nous ressort tous les vieux clichés qui sentent bon le moisi : les féministes sont des hystériques, moches évidemment, qui sont narcissiques et ne réalisent pas que les hommes aussi ont des soucis. Comment alors lui expliquer gentiment qu’ici nous parlons de harcèlement de rue qui touche en immense majorité les femmes, jolies ou pas jolies, minijupe ou pas. Mais rappelons la définition de harcèlement de rue : « Le harcèlement de rue, ce sont les comportements adressés aux personnes dans les espaces publics et semi-publics, visant à les interpeler verbalement ou non, leur envoyant des messages intimidants, insistants, irrespectueux, humiliants, menaçants, insultants en raison de leur sexe, de leur genre ou de leur orientation sexuelle ». Tout est dit. Pourtant, selon lui, les hommes sont également victimes de harcèlement de rue puisqu’on leur vole leur téléphone ou qu’on les agresse. Nous avons donc ici affaire à une grosse confusion : il parle d’agression et non de harcèlement, et puis il semblerait aussi que les femmes sont également victimes de ce genre de crimes. Mais pour lui « se faire mater et violer » c’est la même chose que de « se faire casser la gueule et voler ». Sans commentaire. Et bien entendu il utilise l’argument selon lequel elle confondrait drague de rue et harcèlement. Mais le but ici n’est pas d’analyser point par point les manques de son « raisonnement ». En effet, ce qui est frappant, c’est de voir à quel point la haine qu’il génère est dangereuse pour son public majoritairement jeune. Il n’est alors pas surprenant que la vidéo ait été supprimée par YouTube, compte tenu du nombre de fois où elle a été signalée comme offensante : ce n’est d’ailleurs pas la seule vidéo du Raptor Dissident à avoir été supprimée… Suite à cela, il publie une vidéo où il dénonce un complot contre lui de la part d‘autres YouTubeurs comme Mathieu Sommet (Salut Les Geeks) ou encore Masculin Singulier. Mais ce qu’il oublie de dire c’est qu’on a le droit d’être énervé, le droit de dénoncer de façon parfois virulente mais que la haine n’est pas constructive ; la preuve, Bonjour Tristesse, chaîne où un autre Matthieu frappe avec force sur les politiques et leurs incohérences, est un succès et ses vidéos ne sont pas supprimées…
Faites l’humour pas la haine
La critique en soi n’est pas une mauvaise chose, elle peut être constructive ; la vidéo de Marion Seclin n’est effectivement pas parfaite et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle a ensuite publié une autre vidéo où elle répondait aux critiques. Cependant ici il est difficile de prendre au sérieux un discours où le mot « connasse » apparait toute les 30 secondes et où les souffrances morales des femmes sont amoindries. Contrairement à ce qu’affirme notre cher Raptor, le féminisme actuel lutte pour des causes qui sont loin d’être futiles : c’est tout un imaginaire et un inconscient sociétal qu’il faut déconstruire et l’humour est un moyen intelligent de le faire, bien plus puissant que la haine.
 
Laura Laarman
 
Sources :
Stopharcelementderue
YouTube Supprime Mes Vidéos – Raptor Vs Wild
Marion Seclin, Féminisme en declin – EMCM #7 – Raptor Dissident (Reupload)
Bonjour Tristesse
 
Crédits photos:
Thumbnails des vidéos de Marion Seclin et du Raptor Dissident.

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Société

L'intime au service des ambitions

Dimanche 9 octobre, coup d’envoi de la nouvelle émission de M6 à l’orée d’une course à la présidentielle déjà bien engagée. Karine Le Marchand à sa tête, nous voilà plongés dans l’intimité des politiques ou du moins dans ce qui leur plait de nous narrer pour attendrir et susciter l’empathie auprès du téléspectateur. Il n’est plus question de clivage gauche/droite, mais seulement d’hommes et femmes politiques avec des blessures et des fêlures: en somme une histoire de vie ! Une histoire de vie, ou un format médiatique spécialement affrété pour servir le story-telling de ces hommes et femmes politiques?
 

« Bienvenue presque chez vous »
Les canapés changent à chaque homme politique, tout comme le décor de l’appartement immédiatement introduit en début de séquence par l’animatrice à l’aide d’un « bienvenue presque chez vous ». Aussi toute l’ambiguïté de l’émission repose sur ce paradoxe: on feint la proximité et on invite le politique à se sentir comme à la maison, mais le discours est rôdé, l’intimité factice et la gêne certaine pour le téléspectateur pris dans le carcan du voyeurisme.
Et pour cause, il s’agit ici de narrer un parcours de vie en commençant bien sûr par l’enfance et la famille, deux thématiques efficaces lorsqu’il s’agit de mobiliser les leviers de l’émotion en feignant la confidence. Les différentes anecdotes, les témoignages de l’entourage et la projection de photos de famille, participent de la réussite émotionnelle du format qui invite à la projection et à l’identification du téléspectateur pour ces hommes et ces femmes aux parcours parfois compliqués, mais toujours attendrissants.
Pas de doute possible donc, nous sommes bien sur M6, l’émission du coaching psychanalysant : « Belle toute nue » vous apprend à aimer votre corps, « Déco » vous apprend à aimer votre intérieur, « Nouveau look pour une nouvelle vie » vous apprend à aimer votre image, et « Ambition intime » vous apprend à aimer les politiques. Karine Le Marchand apparaît ici comme la coach de l’amour: si les agriculteurs cherchent l’amour d’un ou d’une conjointe, les politiques recherchent celui de leurs électeurs. L’exercice de séduction ne se cache plus et tous les ressorts narratifs de l’émotion sont ainsi mobilisés pour remplir le contrat.
Aussi, l’opération séduction est double: les politiques en usent pour faire face à la défiance croissante des français ; tandis que l’animatrice qui est « nulle en politique, [ne sachant] même pas qui est Jaurès » (dépêche AFP), minaude devant ces hommes et femmes à coup de sourire mielleux et de rires retentissants. Corps et sourires trahissant le flirt mis en place dans la relation qu’elle instaure. Une attitude désolante où la femme semble réduite à sa condition d’objet de désir pour tenter de créer une intimité aléatoire avec son interlocuteur.
 
Ambitions intimes, la nouvelle télé-réalité politique ?
La question mérite d’être posée puisque le format est calqué sur l’émission phare de la chaîne, L’amour est dans le pré: on y retrouve la même voix off de la présentatrice pour chapitrer le portrait ou la playlist romantique et larmoyante comme pour dicter l’émotion au téléspectateur. Mais la chaîne pousse encore plus loin la ressemblance en faisant intervenir un ancien candidat agriculteur, Thierry, pour interpeller directement Bruno Le Maire: la séquence sert alors doublement l’homme politique, qui donne la parole à un agriculteur – profil majeur de son électorat – tout en le poussant à parler de son intimité avec sa femme, au sens le plus singulier du terme.
On parle donc de vie, de mort, de sexe dans cette émission, soit des aspects bien éloignés d’un programme politique mais qui rassemblent et cristallisent l’intérêt du téléspectateur pour une émission, somme toute, parfaitement produite.
 
Une production rythmée et une émission parfaitement marketée
On peut être agacé par l’exercice de mise en scène de nos politiques, mais on est tenu par une production et un montage rythmés qui donnent envie de voir la suite ; on est gêné par un trop plein d’émotions suggérées mais on s’étonne de l’être passablement à notre tour. Bref on regarde l’émission en entier sans forcément oser le dire.
Le format ne fait pas dans la nuance mais crée l’ambiguïté car ce n’est ni une émission politique où l’on parle de l’intime, ni une émission intime où l’on parle de politique. Or, le programme s’inscrit explicitement dans le débat démocratique en vue des prochaines présidentielles, preuve en est la signature qui clôture l’émission « je rappelle que ceux qui ne voteront pas ne pourront pas râler pendant 5 ans. Ça serait dommage! »
En définitive, c’est un format nouveau, à cheval entre la télé-réalité et la confession marketée parfaitement produit à destination d’un public non intéressé par les émissions politiques par ailleurs. Aussi agaçant que prenant, l’émission est controversée mais réussit le pari de faire parler d’elle en convoquant une narration jusqu’alors inédite dans le domaine de la politique.
Charlotte Bavay
linkedin
@charlottebavay
Crédits photo :
Pierre Olivier / M6
 

Société

Les tabloïds 2.0

Procès de stars, histoires rocambolesques et rarement fondées, morts tragiques, éthique discutable
et discutée… Le dimanche 24 juillet, Arte diffusait un excellent documentaire sur « la splendeur et
la décadence » d’un genre médiatique qui à sa grande époque faisait la pluie et le beau temps dans
le star system : la presse à scandale, ou tabloïd. Cette presse connaît de nos jours un déclin aussi
irrémédiable que paradoxal : parce qu’aujourd’hui la culture tabloïd est devenue la norme
culturelle, on n’a plus besoin des tabloïds. Anonymes, stars, médias, politiques – personne n’est
épargné. Retour sur un phénomène de société devenu fait social.
 
1,6 milliards de paparazzi
 
Dans son épilogue, le documentaire s’interroge sur le déclin de la presse à scandale, dont les ventes
ne cessent de diminuer. Les tabloïds britanniques, maîtres du genre, enregistrent une diminution de
leurs ventes de 10% en moyenne entre les mois de juin 2014 et 2015, d’après Press Gazette. Des
affaires où le manque total d’éthique des tabloïds était pointé du doigt ont certainement contribué à
leur déclin. Pour exemple, les écoutes pirates du portable de Milly Dowler, jeune fille sauvagement
assassinée en 2002, par le journal News Of The World dans le but de la localiser. Le tabloïd a
publié son dernier numéro peu après le scandale ­ révélé dix ans après les faits ­ et ses dirigeants
sont passés au tribunal.
Mais ce qui a définitivement enterré les tabloïds marque en même temps leur consécration :
aujourd’hui, tout le monde est son propre tabloïd, comme l’explique le documentaire :
« Célèbre ou non, voyeur et exhibitionniste à la fois, chacun devient son propre tabloïd, se prend
soi­même en photo et diffuse directement ses faits et gestes sur Internet. Plus besoin de fouiner
pour faire des révélations, tout est déjà là. Les tabloïds agonisent, vive la culture tabloïd ».
Avec les réseaux sociaux, le culte de l’image et le narcissisme atteignent leur paroxysme.
Instagram, Snapchat, Facebook… L’image de l’utilisateur est au centre de leur succès. Facebook
compte 1,6 milliard de paparazzi, en quelque sorte. Chacun devient son propre média, révèle une
part de sa vie privée. Dans cette société, si le rôle des tabloïds est largement déprécié leurs
méthodes sont devenues la norme. En effet, le mécanisme sur lequel fonctionnent les tabloïds est le
même que celui de ces réseaux : le faux. On montre une réalité augmentée, embellie tant dans le
choix du moment exposé que dans les moyens mis à disposition pour farder une image, tels que le
filtre sur Instagram.
Ce culte du faux ne pose pas de problème tant qu’il ne fait pas de mal. Seul souci, on commence à
remarquer le contraire. Dans les domaines politiques et médiatiques, le faux prend des formes bien
plus pernicieuses : le mensonge et l’hypocrisie au service d’un objectif économique ou idéologique.
Fausses nouvelles, détournement des faits pour présenter une « réalité » qui fait élire ou qui fait
vendre – la culture tabloïd a gagné, pour notre plus grand mal.
 
Bienvenue dans l’ère de « la post­vérité »
 
Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian, décrit dans un long article une époque où en
politique, le faux compte davantage que le vrai, l’émotion plus que la démonstration. Elle voit ainsi
en l’issue du Brexit le « premier vote majeur dans l’ère de la politique post­vérité ». Dans ce
système, la vérité factuelle ne compte plus. Le monde est trop complexe, chacun a sa vérité
subjective, son idéologie. Le débat d’idées n’est plus au cœur de la politique. Il ne s’agit plus de
convaincre mais de persuader, et les médias ont un rôle dans ce bouleversement.
 
Le Brexit : un point de bascule
 
Dans le débat qui a fait rage entre avocats du « Leave » et défenseurs du « Remain », deux
stratégies se sont affrontées. Les pro­Remain exposaient des faits, une vérité factuelle sur les
conséquences d’une sortie de l’Union Européenne pour le Royaume­Uni. Les pro­Brexit se
moquaient de cette approche qu’ils qualifiaient de « Project Fear » et préféraient insister sur la
distance entre les technocrates européens et un Royaume­Uni des laissés pour compte, dont les
intérêts ne priment jamais dans les négociations à Bruxelles. Les 51,9% de voix en faveur du
« Leave » ont prouvé que l’émotion l’emportait sur la démonstration, et qu’en politique la vérité
n’avait plus grand intérêt. En effet, peu après le résultat, les principaux défenseurs du « Leave » ont
révélé que les promesses gages de leur victoire n’étaient que des mensonges. Ce qu’il s’est passé au
Royaume­Uni atteste d’une montée globale du populisme dans le monde occidental, dont Donald
Trump constitue l’incarnation. Dans ce processus, les politiques ne sont pas seuls à avoir un rôle.
 
Le rôle des réseaux sociaux
 
Comme l’explique Katharine Viner, le mensonge en politique est loin d’être nouveau. Certains y
verraient même un pléonasme. Ce qui change, c’est la vitesse et l’intensité de la propagation des
faux arguments. Alors que les réseaux sociaux sont le mode privilégié de 12% des internautes
(28% pour les 18­24 ans) pour accéder à l’information, les algorithmes des plus fameux d’entre eux
(comme Facebook) présentent aux utilisateurs presque uniquement des contenus qu’ils sont
susceptibles d’apprécier, contribuant ainsi à réduire leur appréhension des choses, les protégeant
des points de vue divergents. Indirectement, les réseaux sociaux confirment leurs croyances aux
utilisateurs en les confinant dans un monde qui leur ressemble. Comment alors défaire une
croyance avec des faits ? Le combat n’est pas égal.
 
Les médias responsables du règne de la « post­vérité » ?
 
Dans un système où prime l’engagement par l’émotion, les médias d’information ont pour la plupart
cédé à la méthode des tabloïds en axant leurs contenus sur le sensationnalisme pour générer du
clic. La partielle perte de rigueur de certains titres journalistiques est donc due pour Katharine
Viner au business model des médias sur le web : leurs ressources dépendent de la valeur de leurs
espaces publicitaires pour les annonceurs, définie par un seul critère – l’audience, qu’il faut attirer à
tout prix.En outre, si le rapport désormais horizontal qui s’est instauré entre les médias et leur
audience avec les réseaux sociaux est très appréciable, il a ses mauvais côtés. Katharine Viner
parle du phénomène de « cascade d’information » : même dans le cas d’une information fausse ou
incomplète, l’internaute partage le contenu, qui est ensuite partagé par d’autres utilisateurs et ainsi
de suite jusqu’à devenir viral.
Par conséquent, si l’audience définit les stratégies éditoriales, elle peut aussi donner un poids
conséquent à certains contenus par le simple biais du partage. Lorsque l’on sait que 59% des
contenus sur les réseaux sociaux ne sont pas lus avant d’être partagés, on peut sérieusement
envisager la diffusion ultra­rapide d’informations erronées biaisées par une idéologie ou un objectif
économique comme une réalité déterminante dans la propagation de certaines pensées.
Les médias sont aujourd’hui tributaires de leurs lecteurs, et cela est une bonne chose s’ils ne cèdent
pas à la culture tabloïd sensationnaliste de la « non vérité », qui veut avant tout mobiliser les
émotions et les croyances. Mais l’indépendance et la qualité de travail nécessitent des ressources.
C’est sur ce nouveau contrat de lecture que repose la relation entre les journalistes et leur audience,
qui en s’abonnant doit avoir la sensation de rejoindre une équipe, de soutenir un projet, une
communauté. C’est peut-­être en ce sens que la campagne d’abonnement du Guardian
s’articule autour du verbe to support. S’abonner revient à effectuer un geste citoyen, à s’engager. Si
les médias dénoncent le règne de l’émotion sur celui du fait, ils semblent utiliser les mêmes
ficelles.
 
Clément Mellouet

Société

Le datajournalisme va-t-il sauver les médias d'information ?

Perte d’audience, concurrence accrue, baisse de confiance… Les médias d’information payants sont aujourd’hui confrontés à une crise. Depuis quelques années émerge une pratique journalistique qui semblerait pouvoir leur redonner leur dimension d’antan : le datajournalisme.
Le « journalisme de données » est une technique qui consiste à analyser un vaste ensemble de données complexes (des data) pour en extraire des informations pertinentes et les rendre intelligibles au grand public. Les sources sont fiables, les informations à la fois attrayantes et intéressantes. L’intérêt du datajournalisme pour les médias d’information est d’autant plus visible lorsqu’il permet de faire des gros coups, qui boostent l’audience – les « Panama Papers » en sont un exemple criant. Mais lorsqu’il a prétention à devenir hégémonique, à être seul détenteur du Vrai, le datajournalisme dévoile ses failles. Nate Silver, star du datajournalisme aux Etats-Unis, en a récemment fait les frais en prédisant un score de 2% pour Donald Trump aux primaires républicaines.
La « crise » des médias d’information payants
Si l’on parle d’ordinaire de « crise » des médias d’information, c’est pour désigner la presse quotidienne française dont les ventes ne cessent de diminuer. Il faut pourtant nuancer cette affirmation, le déclin de 8,6% des ventes papier en 2015 étant assez bien compensé par les abonnements sur format digital, qui ramènent la baisse générale à 1,4%. Cependant plusieurs facteurs montrent que les médias d’information – pas uniquement la presse – connaissent actuellement des difficultés.
Un secteur très concurrentiel
Les quotidiens d’informations font face à la concurrence des médias gratuits. La plupart d’entre eux est aujourd’hui passée au bimédia, avec une version du journal disponible en ligne. Mais face au rythme auquel court l’information sur Internet, les quotidiens donnent accès à une grande partie de leurs contenus gratuitement en comptant sur les revenus publicitaires de leurs sites. C’était sans compter sur les « bloqueurs de pub » – AdBlock en tête – qui ont permis aux internautes de ne plus subir l’omniprésence d’annonces autour de leurs articles. Face à cela, plusieurs quotidiens ont mené une « opération contre les bloqueurs de publicité » en mars dernier.
A la télévision et à la radio, la concurrence est surtout à l’oeuvre entre les médias eux-mêmes. On comptera bientôt pas moins de quatre chaînes d’information sur la TNT : BFM TV, ITélé, LCI (arrivée le 5 avril), et la chaîne info du service public à partir de la rentrée prochaine. De même, la case la plus importante en radio est la matinale, dont la mission principale est d’informer.
Une perte de confiance
La confiance des Français dans les médias ne cesse de s’effriter. C’est du moins ce que dénote le « Baromètre 2016 de confiance des Français dans les médias » réalisé par TNS Sofres sur un échantillon de 1061 personnes. On y découvre que le degré de crédibilité des médias est en chute libre : sur Internet, il s’élève à 31% (huit de moins que l’année passée), 50% pour la télévision (-7%), 51% pour la presse (-7%) et 55% pour la radio (-8%). De même, 64% des interrogés considèrent que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique, et 58% des pressions de l’argent.
Le constat est sans appel : les médias d’information pâtissent d’un déficit commercial et de confiance. C’est là que le datajournalisme entre en scène. Il va permettre à plusieurs médias d’informations de réaliser un coup d’ampleur mondiale, qui va alimenter leurs Unes pendant plusieurs jours.
Les « Panama Papers », la plus belle réussite du datajournalisme
Leur nom est un symbole à lui tout seul. Les « Panama Papers », en hommage aux « Pentagon Papers » du New York Times de 1971, sont une version 2.0 du journalisme d’investigation : un datajournalisme porté à une échelle mondiale. Ce sont en effet 370 journalistes issus de 109 médias internationaux qui ont épluché les quelques 11,5 millions de documents (2,6 téraoctets de données) de Mossack Fonseca, spécialiste de la création de sociétés écrans basé au Panama. Les rédactions, coordonnées par le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ), ont démontré que les data alliées à un travail collaboratif permettent aux médias de faire des gros coups.
 

 
Les médias d’information participants ont redoré leur blason. Associées à la rigueur journalistique, les data ont une utilité citoyenne. Elles permettent de dévoiler les abus des puissants au monde entier. Avec les « Panama Papers », les médias d’information sont du côté du peuple. Et ce dernier le leur rend bien. Pour preuve le bond des ventes papier du Monde, seul journal français ayant pris part à l’opération : +109% le premier jour de la publication des révélations, +56% le deuxième. Le trafic web n’était pas en reste, avec 6,4 millions de visites cette semaine-là dont un tiers sont passées par un contenu « Panama Papers ». L’émission Cash Investigation (sur France 2), affichait quant à elle 17,1% de part d’audience pour son numéro consacré au scandale. On pourrait croire que le datajournalisme est tellement efficace qu’il finira par tout remplacer.
Le cas Nate Silver, ou quand le datajournalisme se brûle les ailes
Nate Silver est une star du datajournalisme aux Etats-Unis. Il doit cette popularité à deux coups d’éclat. Son site spécialisé dans le journalisme de données, FiveThirtyEight, a prédit les résultats dans 49 des 50 Etats durant les élections présidentielles de 2008 et a réalisé un sans-faute en 2012. Auréolé de ces succès, le datajournaliste affirmait en juin 2015 que Donald Trump n’avait que 2% de chances de s’imposer aux primaires de son parti. Bien que sa méthode (basée sur l’analyse des sondages et de l’histoire du pays) semble sans failles, Nate Silver s’est vu contraint de réévaluer cette estimation à 13% en janvier 2016 et a été ensuite dépassé par les événements.
N’a-t-il pas droit à l’erreur ? C’est sans doute ce qu’il aurait pu plaider s’il n’avait pas tenu des propos visant à décrédibiliser le rôle des éditorialistes politiques. Quelle importance pourraient avoir leurs opinions, leurs ressentis face à l’exactitude mathématique du datajournalisme ? Aucune, si l’on en croit son article publié le 23 novembre 2015 sur FiveThirtyEight. Intitulé « Dear media, stop freaking out about Donal Trump’s polls », il y réfute les critiques de ceux qui « couvrent la politique pour vivre ».
Depuis les abandons de Ted Cruz et John Kasich, les adversaires de Nate Silver ne cessent de faire remarquer ses erreurs d’estimation, souvent avec mauvaise foi. Ils mettent le doigt sur les erreurs, passant sous silence les nombreux succès. Le datajournaliste a par ailleurs reconnu avoir utilisé une méthode moins rigoureuse qu’à son habitude pour effectuer ses analyses dans le cas de Donald Trump et a révisé sa copie.
Que retenir de tout cela ? Le datajournalisme est une évolution profitable au secteur de l’information, en quête de renouvellement et de regain d’attrait. Mais lorsqu’il traite de politique, il a une limite. Certes il permet d’analyser la part sociologique de l’Homme : les statistiques illustrent ou dévoilent un fait social qui, en tant que norme, peut servir à prédire quelques comportements. Mais il ne peut percevoir le pouls d’une nation, son caractère ambivalent et imprévisible, aux traductions fortes (l’émotion collective, le débat…). Jusqu’à preuve du contraire, l’âme d’un peuple ne transparaît pas dans des données informatiques, ni dans les sondages.
Clément Mellouet 
Sources: 
La Dépêche, Presse: les quotidiens se battent pour compenser le déclin du papier, 03/02/2016
Le Figaro, Opération contre les bloqueurs de publicité, 21/03/2016
TNS Sofres, Baromètre 2016 de confiance des français dans les médias
NationalArchives.com, Pentagon Papers
Five Thirty Eight
Five Thirty Eight, Dear Media, Stop Freaking Out About Donal Trump Polls, 23/10/2015
Crédits photos: 
Observatoire du Web Journalisme
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