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Société

Amnisties en série

 
La Russie fait encore parler d’elle et de ses prisonniers politiques. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de leurs arrestations, mais bien de leur libération. En effet, les noms de Maria Alekhina, Nadejda Tolokonnikova ou encore Mikhaïl Khodorkovski n’apparaissent pas dans les médias au sujet de leur remise en liberté. Quelle est donc la cause de ces sorties massives de prison d’anciens détenus militants médiatisés dans le monde entier ?
L’adoption d’une nouvelle loi d’amnistie
Mercredi 18 décembre, le Parlement russe a adopté une loi qui gracie les condamnés à moins de 5 ans de prison pour des délits mineurs, notamment financiers, mais aussi de l’ordre du trouble public. Le texte a été présenté le 9 décembre, avant d’être accepté lors de la dernière lecture par 446 députés de la Douma sur 450. Ainsi, sur les 700.000 prisonniers russes, 25.000 personnes pourraient bénéficier de cette carte de sortie de prison, notamment les mineurs et les personnes âgées, les mères d’enfants mineurs et les handicapés. Cette loi a été adoptée dans le cadre des vingt ans de la constitution russe, rédigée sur les cendres de l’Union Soviétique. Mais cet anniversaire n’est clairement pas la seule raison de l’adoption de ce texte inattendu pour un pays qui n’est pas connu pour sa tendresse envers les opposants et prisonniers.
Les motivations d’une loi qui étonne

Un tel revirement politique pourrait ressembler à un changement d’orientation d’un régime controversé, dirigé d’une main de fer par Vladimir Poutine, souvent parodié sur Internet en tant qu’homme surpuissant et faisant l’apologie de la force. Mais la mesure ne propose qu’une amnistie, et non une refonte des lois pénales pour limiter le nombre de ces prisonniers politiques. Ainsi, les opposants qui avaient manifesté le 6 mai 2012 lors de la réélection de ce même Vladimir Poutine ne seront pas tous libérés ; les plus virulents étant condamnés sous le chef d’accusation de « violence contre agent de police » et non de simple trouble. Quant à Mikhaïl Khodorkovsky, devenu un martyr, véritable figure de l’opposition pendant ses dix ans d’emprisonnement en Sibérie, il a quitté la Russie dès sa libération et a d’ores et déjà annoncé qu’il se tiendrait en retrait de la vie politique et ne tenterait aucune action en justice pour recouvrir ses anciens actifs dans le pétrole. Il s’agit donc plutôt de briser l’image du martyr, que ce soit pour lui ou pour les Pussy Riots, de calmer la communauté internationale qui s’était beaucoup mobilisée pour leur libération. Une fois sortis de prison, leur importance est moindre, à moins que comme l’ex-Pussy Riot Maria Alekhina, ils choisissent de s’engager pour le respect des droits de l’homme.
C’est bien cette cause qui réunit l’opinion internationale contre la politique de Vladimir Poutine, et il convient pour lui de calmer ces protestations étrangères, à quelques semaines des Jeux Olympiques d’Hiver de Sotchi, pour lesquels certains chefs d’état, comme François Hollande, ne désirent pas se déplacer. Le traitement des opposants mais aussi des homosexuels a été le sujet de nombreuses mobilisations contre le pays, qui font craindre un fiasco médiatique alors que les infrastructures ont coûté cher à la Russie (40 milliards d’euros, c’est un record absolu).

Récemment, c’est le cas des militants de Greenpeace qui cristallise les critiques contre la Russie. Les trente membres d’équipage de l’Arctic Sunrise qui avait été arraisonné en septembre après une opération sur une plateforme pétrolière ont été détenus de façon préventive pendant deux mois et n’ont toujours pas le droit de quitter la Russie. Contrairement à ce qu’a annoncé Greenpeace à l’annonce du vote de la loi, il n’est pas certain que ses membres puissent en bénéficier, car ils n’ont pas encore été jugés. Il faudra probablement attendre le procès, au cours duquel ils risquent une condamnation à sept ans de prison. Si cette loi est destinée à apaiser les esprits, son application pourrait donc connaître des variations polémiques.
Comme l’a dit Maria Alekhina à sa sortie de prison, cette loi est donc en grande partie une « opération de communication » du régime, qui s’adresse à la communauté internationale, mais peut-être aussi plus précisément à l’Ukraine. En effet, le pays est secoué par des manifestations pro-Union Européenne, rejetant un accord douanier avec la Russie, présentée comme un reste de l’empire soviétique qui voudrait conserver par la force sa domination historique. Il est donc bien urgent pour le pays de réagir sur le plan communicationnel, en vue des JO et de l’Ukraine. Libérer des personnalités dont l’arrestation a été médiatisée dans le monde entier comme les Pussy Riot permet d’exposer une nouvelle représentation du régime, dont certains se félicitent, comme ici le député UMP Lionnel Luca (@lionnelluca06).

La réaction du député UMP parait bien élogieuse au vu des réserves que peut soulever cette mesure. Si le texte peut suggérer un pas de la Russie vers un régime plus démocratique, la question du citoyen lambda, surtout si son éventuel procès est peu ou pas médiatisé, demeure encore en suspens. Les arrestations des opposants politiques seront-elles toujours aussi massives et violentes malgré cette loi d’amnistie?
 
Astrid Gay
Sources
Franceinfo
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