Société

#OPCHARLIEHEBDO : Quand l'expédition punitive se conjugue au temps des réseaux

« La liberté d’expression et d’opinion est une chose non négociable, s’attaquer à elle, c’est s’attaquer à la démocratie. Attendez vous à une réaction massive et frontale de notre part car le combat pour la défense de ces libertés est la base même de notre mouvement. »
Voici la réaction du mouvement Anonymous suite à l’attentat terroriste perpétré dans les locaux du journal satyrique Charlie Hebdo, le 7 janvier. Le tweet, posté via un compte baptisé @OpCharlieHebdo, renvoyait vers une version plus longue du message, hébergée sur pastebin. Le format de 140 caractères du petit oiseau bleu paraît quelque peu étriqué pour le message des hackers les plus célèbres du net. Dans un premier temps, le mouvement présente ses condoléances aux familles des victimes et condamne la tuerie des frères Kouachi, qualifiant leur acte « d’assaut inhumain. » Ils se déclarent « écoeurés, choqués » et estiment qu’il est de leur devoir de réagir. S’ensuit leur formule légendaire :
« Nous sommes légion.
Nous n’oublierons pas.
Nous ne pardonnerons pas.
Redoutez-nous!  »
Ce message a été massivement retweeté. Il vise, implicitement, l’ensemble de la communauté djihadiste présente en ligne : sites d’organisations, comptes sur les réseaux sociaux notamment. Il constitue une véritable déclaration de guerre, c’est bel et bien un affrontement entre deux mondes, entre deux cultures latéralement différentes. L’étendue de bits et d’octets qui peuplent internet se travestit sans problème en terrain de guerre. Le mythe d’un média « worldwide » s’effrite. Force est de constater que ces pratiques enracinent encore plus profondément Internet et ses usages dans des logiques territoriales, d’opposition binaire entre le monde qui est occidental, et celui qui ne l’est pas.
Quel mode opératoire pour une expédition punitive virtuelle ?
Deux jours après l’attentat terroriste, les hacktivistes du collectif Anonymous ont mis leur menace à exécution. Plusieurs milliers de sites internet, des comptes facebook, twitter relatifs à la mouvance djihadistes ont été bloqués. Ils publient une vidéo sur le channel Youtube belge du collectif qui a été depuis supprimée. Elle est toutefois visible sur le site du telegraph. Les extraits s’adressent à Al-Qaida et aux membres de l’Etat islamique, en Syrie et en Irak : « Nous allons surveiller toutes vos activités sur le Net, nous fermerons vos comptes sur tous les réseaux sociaux. Vous n’imposerez pas votre charia dans nos démocraties.»

Le quartier général des membres du collectif se distille sur des centaines de canaux de chats IRC (un des protocoles de communication utilisables sur Internet) baptisés « Anonops ». La participation nécessite une connexion VPN (Virtual Private Network), ainsi que le navigateur Tor (The onion router) pour garantir l’anonymat des échanges.

Les hackers listent les cibles sur un document partagé en annexe. Les adresses des sites internet et réseaux sociaux d’organisations et de sociétés désignés par le collectif comme appartenant aux djihadistes sont identifiées et des attaques sont lancées (défacements ou attaques de déni de service la plupart du temps.) Selon un des hackers francophones, Sonic, quelques heures seulement après le début de l’opération #OpCharlieHebdo, les activistes islamistes ont contre-attaqué avec «une telle maîtrise et une telle rapidité qui prouvent que nous combattons des professionnels».
Une opération au succès mitigé
Face à cette stratégie d’attaque (et de communication, il faut le dire) bien ficelée, les experts en sécurité informatique restent dubitatifs. Dans la presse française, c’est la voix du blogueur Bluetouff, alias Olivier Laurelli qui s’est fait entendre via l’AFP. Selon lui, “Les Anonymous ont une organisation très transversale. Tout le monde peut se proclamer Anonymous.” A cela il ajoute : “C’est pas en lançant des dénis de service que l’on va régler quoi que ce soit.” L’expert remet en question l’utilité des actions menées par le collectif de hackers. S’agit-il de marquer les esprits de manière ponctuelle ou d’endiguer durablement le fléau djihadiste ?
Une autre ombre subsiste sur le beau tableau des Anonymous. “A partir du moment où on attaque les réseaux où les jihadistes communiquent entre eux, on interfère dans le travail des enquêteurs ”, a prévenu Olivier Laurelli. En publiant sur pastebin l’identité de terroristes présumés et en attaquant leurs sites, le collectif ralentirait le travail des policiers et rendrait disponible des informations dangereuses aux yeux des internautes civils, ou même d’autres djihadistes. C’est donc une prise de parole en demi-teinte de la part du collectif. Alors qu’ils œuvrent pour délivrer un message univoque et fédérateur, leurs actions révèlent en fait des intentions parfois mal coordonnées. Ils souhaitent faire avancer le combat contre le terrorisme mais entravent l’appareil d’état. Le discours mériterait de s’éclaircir s’il veut gagner en crédibilité.
La faute ne leur revient pas entièrement, dans la mesure où Internet est un média polyphonique par nature. Les comptes s’auto-proclamant « Anonymous » pullulent sur la toile, sur l’ensemble des réseaux sociaux. Le site web opcharliehebdo.com n’avait aucun lien avec le collectif, à l’origine de la supercherie, une agence de marketing spécialisée dans le « viral », rantic.com. Il est donc compliqué d’accéder à une information centralisée, et surtout, compliqué de croire à l’utopie communautaire qui anime ce mouvement, même en étant profondément attaché aux valeurs fondatrices d’internet. Rien ne nous garantit que certains des hackers faisant partie du mouvement Anonymous ont un passé de grey hat, voire de black hat.
Des hackers éthiques, mais pas trop.
Enfin, il reste un doute que seul le temps pourra éclaircir. Si l’on s’attarde sur le message publié sur twitter et pastebin, les éléments de langage propres aux messages du collectif Anonymous sont sensiblement identiques à ceux des gouvernements occidentaux : liberté d’expression et démocratie reviennent systématiquement dans leur discours. Le collectif s’est donc fait entendre de manière profondément consensuelle en réaction à l’attentat, mais le sera-t-il quand les gouvernements français et européens auront à renfoncer leurs dispositifs sécuritaires en réponse à la menace terroriste ?
Si l’on prend le projet de loi antiterroriste datant de septembre 2014, qualifié de liberticide par ses détracteurs, il est permis d’en douter. Le texte de loi prévoyait de renforcer les sanctions à l’encontre des initiateurs d’«attaques informatiques», qui seraient à présent jugés sous le régime de la bande organisée. Des peines de gardes à vue plus longues sont prévues, ainsi que des méthodes d’enquête plus poussées et des peines plus lourdes. De trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende, les peines iraient désormais jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 500.000 euros d’amende. La compatibilité entre l’idéologie libertarienne du mouvement et la politique sécuritaire de l’état semble assez faible.
Comme dit plus haut, le mouvement Anonymous épouse parfaitement l’idée de « l’utopie communautaire ». Ce terme évoqué par Patrice Flichy dans l’Imaginaire d’Internet décrit la culture des hackers qui refusent l’informatique centralisée, et voient dans Internet « un dispositif à mettre entre les mains de tous, capable de bâtir non seulement de nouveaux collèges invisibles, mais aussi une nouvelle société » (p.86).
Ils sont profondément habités par une idéologie qu’on peut qualifier de cyber-libertarienne. Leurs combats: défense de la vie privée, de la cryptographie, de l’accès libre à l’information. Ils incarnent avant tout une forme de « contre-démocratie » car ils n’hésitent pas à contourner la loi pour arriver à leurs fins, et se méfient du rôle de l’État en tant que régulateur. Ils se font justice eux-même. En somme, le collectif Anonymous incarne un mythe supplémentaire dans l’imaginaire d’internet, une communauté qui incarne l’esprit de partage, de société civile idéale.
Karina Issaouni
Sources:
Telegraph.co.uk
Patrice Flichy, L’imaginaire d’Internet, 2001, éditions La Découverte.
Letemps.ch
20minutes.fr
Nouvel obs.com
Pastebin
Crédits images
ibtimes.co.uk
wegecon.de/
letemps.ch

Com & Société

Anonymous, hackers éthiques?

Depuis les attentats de la semaine dernière, de nombreuses cyber-attaques ont été réalisées à l’encontre de sites Internet français comme cela a été le cas pour le Mémorial de Caen, le CHU de Strasbourg, le Palais des Papes d’Avignon, l’académie de Créteil, la cathédrale de Nantes… Sur la page d’accueil du site Internet du Mémorial de Caen, un message était écrit : « J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah. J’atteste que Muhammed est le messager de Allah » sur fond noir avec une police rouge. Hier, le média Le Monde a été piraté via son compte Twitter et son site Internet. Grâce aux mécanismes de sécurité, ils ont réussi à empêcher la diffusion de leur propagande. Cette opération de hacking est nommée « l’#opFrance », elle est revendiquée par des hackers du groupe Etat Islamique (EI). Elle a été lancée le 15 janvier afin de faire l’apologie de Djihad. Ce groupe utilise des failles connues et des sites peu sécurisés afin de faire du bruit, de multiplier les cibles et ainsi d’augmenter les retombées médiatiques.

En représailles le groupe Anonymous s’est engagé dans « une guerre » et réalise actuellement de nombreuses contre-attaques à l’encontre de sites, pages Facebook ou comptes Twitter faisant l’apologie de la haine, du terrorisme et du Djihad. Dans une vidéo postée, ils annoncent leur volonté de riposter contre l’attentat terroriste de Charlie Hebdo.

La liberté d’expression a été meurtrie. Charlie-Hebdo, une figure historique du journalisme satirique, a été pris pour cible par des lâches. Attaquer la liberté d’expression, c’est attaquer Anonymous. Nous ne le permettons pas. Toutes entreprises et organisations en lien avec ces attaques terroristes doivent s’attendre à une réaction massive d’Anonymous. Nous vous traquons. »
Ils ont ainsi lancé une campagne de sensibilisation dans le but de recenser tous les sites faisant l’apologie du terrorisme, du Djihadisme… mais aussi pour augmenter leur visibilité, leurs valeurs samedi 17 janvier 2015et le nombre de leurs membres. Ils ont ainsi créé des outils collaboratifs, plateformes disponibles à tous. Ils ont lancé de nombreuses attaques contre ces sites, ou comptes Facebook leur ressemblant.
Cette campagne de défacement (Le défacement est un mot technique désignant la modification, la suppression d’une page internet sans l’accord préalable de l’auteur) !lancée tant par le groupe de l’Etat islamique que les Anonymous est sans précédent comme l’explique Gérôme Billois. (Expert du cercle européen de la sécurité informatique).
En créant ses propres contenus médiatiques Anonymous a réussi à s’introduire dans notre société et s’est transformé en un vrai mythe contemporain. Figure de contestation, opposition aux pouvoirs autoritaires, représente la liberté d’expression… L’association est devenue un emblème de la lutte contre l’oppression. Le masque d’Anonymous est devenu un symbole, un artefact présent dans chaque manifestation : il a investi l’espace public dans le monde entier. C’est donc sans faillir à son image qu’Anonymus s’engage dans cette lutte. (Vous pouvez aller voir ici la déclaration d’indépendance du cyberespace par Anonymous)

Cet événement de cyber-attaque est ainsi pris très au sérieux par les acteurs privés comme le gouvernement. Cela rappelle bien évidemment l’attaque contre la société Sony Pictures. A ce moment-là, Barack Obama avait parlé de « cybervandalisme. ». C’est la première fois de son histoire que l’armée française active sa cellule de crise.
Prochainement, Manuel Valls va proposer des mesures, il oscillera entre la neutralité du net, son verrouillage pour empêcher les cyberjihadistes de nuire et la protection de la vie privée. Nous devrions être attentifs à la légitimation des mesures d’exceptions dans la lutte antiterroriste.
*Un hacker est une personne qui montre une passion pour la compréhension du fonctionnement intime des systèmes, ordinateurs et réseaux informatiques en particulier.
Alexandra Montaron
@AlexandraMontar
 
Sources – Pour aller plus loin : 
Camille GICQUEL, « Anonymous, la fabrique d’un mythe contemporain » (Ancienne étudiante du CELSA)
Pekka Himanen, l’auteur de « L’Ethique du Hacker, »
Une contre histoire de l’Internet à voir ici
Anastassia Tsoukala La légitimation des mesures d’exception dans la lutte antiterroriste en Europe
Francetvinfo.fr
zataz.com
http://tempsreel.nouvelobs.com/charlie-hebdo/20150113.OBS9841/anonymous-et-hackers-islamistes-s-affrontent-au-nom-de-charlie-hebdo.html
lesechos.fr
slate.fr
lesechos.fr
lemonde.fr
lemonde.fr
Crédits images:
Anonymous
Zataz 

Flops

Instafail

 
#BoycottInstagram. Voici le hashtag qui figurait en tête des tendances mondiales sur Twitter, les 16 et 17 décembre derniers, après que l’application de partage de photographies ait annoncé ses nouvelles conditions d’utilisation.
Le réseau social à succès avait déclaré qu’il s’octroyait le droit d’utiliser les photographies des utilisateurs à des fins publicitaires sans qu’ils ne soient avertis, encore moins rémunérés. Procédé déjà utilisé par Facebook, maison mère d’Instagram, depuis début 2012. On se souvient du scandale qui avait suivi la révélation par le bloggeur Chris Walter de la modification des conditions d’utilisation. En 2009, il avait dénoncé sur son site consumerist.com le droit de propriété de Facebook sur les contenus publiés et avait réussi à soulever un véritable débat sur la protection de la vie privée sur le net. Devant les réactions outrées des usagers, Facebook avait choisi de reculer dans un premier temps, avant que ces changements soient finalement rétablis.
Cependant, dans les coulisses d’Instagram, la leçon du tollé Facebook ne semble pas avoir été retenue. C’est donc une semaine avant les fêtes de Noël et de la Saint-Sylvestre, et donc avant le tsunami de clichés joliment filtrés de mets et de décorations, qu’ont été dévoilées les nouvelles règles de confidentialité. Si les conditions d’utilisation sont, avouons-le, rarement lues, quelques courageux internautes ont parcouru avec attention la nouvelle charte avant de la dénoncer sur Facebook et Twitter.
Le hashtag #BoycottInstagram a suscité la curiosité des utilisateurs lambda face au mouvement de protestation naissant. C’est notamment à l’initiative des « hacktivistes » d’Anonymous que la vague de désinscription a frappé les cotes du réseau social. Dans une vidéo postée sur Youtube, le groupe appelle au boycott du réseau et au sabotage, en publiant notamment des images « troll », inutilisables pour des fins publicitaires.
Selon le site AppData.com, le réseau Instagram aurait été en perte de vitesse, avec 22% d’utilisateurs connectés quotidiens en moins dans la semaine suivant le 16 décembre.
Comme pour Facebook en 2009, la direction s’est empressée de désamorcer la bombe. Dès le 17 décembre, un post explicatif du co-fondateur Kevin Systrom était disponible sur le blog d’Instagram.
Intitulé « Merci, nous vous écoutons », il y précise qu’il ne s’agit pas de vente de photographies mais de la possible utilisation des clichés non-privés pour la promotion du réseau. Exactement comme Facebook. C’est à l’utilisateur de gérer la confidentialité de ses données.
Malgré le communiqué, la nouvelle clause de confidentialité a été un coup pour Instagram, bien que le réseau ne veuille rien laisser paraître.
Les réactions des utilisateurs laissent tout de même apparaître un paradoxe dans la publication de contenus personnels sur les réseaux sociaux. Les conditions d’utilisation et de confidentialité sont acceptées, leurs applications beaucoup moins.
Il est néanmoins légitime et justifié de s’interroger sur le devenir de nos contenus une fois postés.
 
Khady So
Sources :
Consumerist.com
Crédits photo : © Instagram

Christophe Barbier contre les anonymous
Société

Quand Christophe Barbier voit rouge

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe parmi les addicts du streaming et du téléchargement compulsif : il y a quinze jours déjà, le grand, le tout puissant, le seul, l’unique Megaupload est mort. Nous ne faisons pas encore notre deuil, que les Anonymous nous vengent déjà. Bien drôle époque que nous vivons là ! On parle même de guerre digitale. Toujours est-il que « l’hack’tion » des Anonymous n’est pas du goût de tout le monde.
Lundi 23 janvier, sur I-Télé, Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L’Express, agressif et visiblement de mauvaise « humeur » s’en prenait en direct aux « corbeaux » du Net.
« C’est pas bien les lettres anonymes il faut avoir le courage d’apparaître au grand jour et de ne pas faire les coups en douce ! ».

L’humeur de Christophe Barbier – I Télé
L’homme à l’écharpe rouge s’amusait du slogan des Anonymous, désormais connu de tous* leur prêtant une toute autre mission : « nous qui voulons nous servir sans payer personne, ne pas rémunérer le travail d’autrui ». Menaçant de son doigt, comme on réprimande un enfant de 5 ans (attention pas beau pas bien !), Barbier ajoutait : « il faut dire à ces anonymes qu’ils ne sont pas des robins des bois, qu’ils ne sont pas là pour la liberté de la presse, la liberté de l’expression […] ils sont là simplement comme des voleurs. Anonymes, vous êtes des voleurs ! » Il semblerait que la présentatrice ait été plus perspicace : « Et bien il va falloir qu’on s’inquiète pour notre site internet ou le vôtre peut-être ». Mise en garde qui sonnait comme une prédiction ! Et l’inquisiteur (trop) confiant d’ajouter : « On est blindé ! pas de souci » ou comment s’enfoncer dans le ridicule. Quelques heures plus tard, le site de L’Express subissait les représailles de ce réquisitoire. Non pas par les Anonymous (semble-t-il) mais par une poignée de hackers fâchés d’avoir été la cible de cette chronique affligeante. Quand on n’a pas  « l’étoffe » d’un Christophe Barbier et qu’on préfère la cravate noire, cela ne plaît pas au directeur de l’Express. Pourtant la quête d’identité ne semble pas s’arrêter pour ce dernier qui prend un ton autrement plus condescendant (et imagine déjà une majorité parlementaire de pirates aux prochaines élections !) dans sa « Lettre aux Anonymous », qui ne s’est pas faite attendre: « Pas évident de distinguer les bons des méchants dans un univers d’anonymes […] Liberté de la presse, liberté d’expression : nous rejoignons bien entendu leur combat sur ce terrain ». ». Il semble qu’on retourne son éch… (pardon) sa veste ?

Lettre aux Anonymous, Christophe Barbier
Comment tolérer une telle asymétrie dans les propos du directeur d’un des médias les plus influents ? Il semblerait que l’homme se soit fourvoyé lors de son attaque envers les « Anonymes » pour finalement s’informer davantage et revenir sur ses paroles. Certes les Anonymous ne sont pas des anges, mais ils défendent bien la liberté d’expression et la liberté de la presse ; ce pourquoi ils se sont tout de suite désolidarisés de cette attaque contre L’Express.
Il est, très certainement, dommage que le directeur de L’Express ait fait un amalgame et ait assimilé de loyaux hacktivistes, défenseurs des révolutionnaires arabes, à des pirates informatiques de mauvais augure. Cette fausse note communicationnelle de Monsieur Barbier rappelle qu’un média se doit d’être sûr de ses informations et de ses sources, de prendre du recul, mais surtout qu’il doit être cohérent dans ses propos. Allez, 72 minutes de silence pour ce faux pas et on oublie ?
 
H.S.
 
* We are Anonymous. We are Legion. We do not forgive. We do not forget. Expect us (« Nous sommes Anonymes. Nous sommes Légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Redoutez-nous »)
Crédits photo : ©Reflets

Personnages formant le personnage du logo anonymous
Société

We are Anonymous.

Depuis la fermeture du site Megaupload par le FBI le 19 janvier dernier, on ne finit plus d’entendre de ce groupe d’hacktivistes : Anonymous. Project Chanology, Operation Payback, Operation Blackout : qui sont ces défenseurs de l’Internet libre?
Avec le succès de ses dernières opérations, notamment le piratage du site internet du ministère de la défense syrien en Août 2011, Anonymous est devenu un véritable état d’esprit. Anonymous n’est pas le nom du collectif à proprement parlé, le terme renvoie à un concept partagé par ses membres. Ses manifestants se représentent par un homme en costume cravate noir, sans tête. Sans visage donc sans identité, un anonyme, quelqu’un comme vous et moi.
Ce choix du logo n’est certainement pas dû au hasard, comme en témoigne l’organisation du groupe. En effet, Anonymous est un collectif, il n’y a pas de leader. C’est un regroupement d’internautes anonymes qui défendent les mêmes valeurs. Comme sur l’image, chacun est libre de participer ; ceux qui ne le souhaitent pas se tiennent en retrait. En fait, la plupart des anonymes sont de simples utilisateurs ; seulement un faible pourcentage de hackeurs « professionnels » contribue régulièrement aux opérations spéciales. Le fonctionnement est simple : un anonyme propose une intervention, et s’il y a suffisamment d’internautes qui souhaitent participer, l’opération est lancée, sinon l’idée est abandonnée. Le nombre d’hacktivistes varie selon les opérations, certaines en impliquent une douzaine, d’autres plusieurs milliers. La portée de l’attaque est d’autant plus forte que les participants sont nombreux.
L’anonyme est en costume-cravate noir, qui n’est pas sans rappeler l’uniforme des Men In Black, ce groupe de personnages présents dans le collectif américain dont le but serait de protéger l’humanité contre les attaques extra-terrestres. Les anonymes affirment être des défenseurs qui se battent contre les congressistes qui adoptent les lois attaquant les droits des internautes, comme celle de la SOPA (Stop Online Piracy Act). Ce projet de loi vise à élargir les capacités d’application du droit d’auteur et des ayants droit pour lutter contre sa violation en ligne et les contrefaçons. Récemment, Anonymous a piraté les sites internet des grands groupes signataires du SOPA.
La protection des données sur Internet est l’une des valeurs revendiquées par le groupe d’hacktivistes, c’est pourquoi les actions sont organisées de manière à ce qu’il soit presque impossible de déterminer les personnes à l’origine des attaques et leur provenance. En fait, les anonymes ne sont qu’une ombre qui plane sur la toile. C’est le message porté par leur slogan : « We are Anonymous. We are legion. We do not forgive. We do net forget. Expect us » (Nous sommes Anonymous. Nous sommes une legion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Préparez-vous). Cependant, le site Paypal, victime d’un hack d’Anonymous a déclaré avoir livré au FBI 1 000 adresses IP permettant d’identifier des internautes ayant soutenu l’attaque.
Les Anonymes apparaissent parfois sous le masque de Guy Fawkes, l’un des protagonistes de « Conspiration des poudres », dont l’action avait pour but de protester contre la politique du roi en matière de religion, jugée intolérante, en faisant exploser le palais de Westminster. Guy Fawkes a notamment inspiré Alan Moore et David Lloyd, les créateurs de la bande dessinée « V for Vendetta ». Cependant, Anonymous est contre l’utilisation de la violence dans ses interventions.
La principale critique envers l’action de cette communauté est celle du couvert d’anonymat et les dérives que cela entraîne. Suite à la fermeture de Megaupload par exemple, Anonymous a décidé de lancer l’opération Blackout dont la communication a été plus que confuse. En effet, plusieurs vidéos ont annoncé le blocage des sites de Facebook, Twitter et Youtube. Il s’agissait en fait de faux ; puisqu’Anonymous est contre l’attaque des médias qu’il considère comme le moyen d’expression des Internautes. L’information a été par la suite reprise par de nombreux sites d’information. Même si le collectif jouit d’un soutien de la part des internautes, l’absence de leadership au sein de ce collectif rend parfois le message des Anonymes obscur, et il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre les actions d’Anonymous et les attaques violentes d’hackeurs qui se revendiquent de la communauté. En tout cas, devant une telle popularité, il serait peut-être temps qu’Anonymous sorte enfin de son anonymat.
 
C.D.

Logo Anonymous
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Jacques a déclaré la guerre de l’internet

En vérité, plus que Jacques, c’est l’oncle Sam qui l’a dit la semaine dernière en fermant par l’intermédiaire du FBI l’un des sites de partage de fichiers les plus populaires du moment: Megaupload et son équivalent streaming, Megavidéo mais également 17 autres sites. Pour resituer un peu le contexte, cette décision s’inscrit dans le débat de deux lois américaines, PIPA et SOPA, assez controversées puisque  même la Maison Blanche a  annoncé qu’elle ne soutiendrait pas « une législation qui réduit la liberté d’expression, augmente les risques pour la sécurité cybernétique et sape le dynamisme et le caractère innovant de l’Internet mondial » [1].  Ce serait donc là que se situe le cœur du problème: la violation d’une liberté reconnue comme fondamentale par de nombreux pays du monde et pour laquelle certains se battent tous les jours, la liberté d’expression. On ne serait donc plus libre de communiquer de contenus comme bon nous semble.
Cette décision a évidemment provoqué un tollé parmi la communauté internaute et en particulier dans la communauté hacker. Ainsi, des membres du collectif Anonymous ont immédiatement riposté par un déni de service en rendant hors-service des sites tels que celui du ministère de la justice américain, d’Universal ou encore Hadopi qui visent à restreindre la liberté sur internet au nom de la protection du droit d’auteur. D’autres sites participatifs, tels que Wikipédia, WordPress ou Reporters sans frontières ont également réagi par une sorte de grève à cette tentative de putsh sur la toile.
La question à se poser alors est de savoir quel camp défend quoi ? En vérité, les enjeux de cette guerre du net sont bien entendu économiques. D’un côté les Etats qui interdisent de manière générale le partage gratuit d’informations ou de fichiers au nom du droit des auteurs à être rémunérés pour leur travail, et c’est bien la moindre des choses. De l’autre, il y a d’une part l’ensemble des protagonistes cités dans le paragraphe précédent, Anonymous, les sites participatifs qui se voient contraint en quelque sorte à une publication contrôlée ; et d’autre part sans doute, de nombreux internautes dont vous faites peut être parti qui ne voient pas d’un très bon œil le fait d’être privé de leurs séries télé préférées ou plus généralement de ne plus avoir accès gratuitement et en illimité à des contenus culturels.
Si l’on considère la question objectivement, l’extension de la loi au monde virtuel (une zone relative de non-droit il faut le reconnaître) n’est pas si choquante que ça. Une forme de censure y existe déjà au nom par exemple de la lutte contre la violence ou la pédophilie, allez faire un tour sur les conditions d’utilisation de Facebook. Cependant, la censure de contenu au nom de la protection du droit d’auteur est plus problématique. En effet, cela revient à dire que je n’ai pas le droit de dire, faire suivre, partager quelque chose sans en mentionner l’auteur initial et pour ce qui est des films par exemple, sans le rémunérer. Le problème ici se situe dans le fonctionnement même du web qui peut se décrire comme un média participatif auquel tout le monde contribue et où il est, de fait, souvent difficile d’établir la paternité d’un contenu sur la toile ou d’en limiter la diffusion. Pour illustrer mon propos, si on s’en tient à ce type de raisonnement dans la régulation en ligne, Facebook ou Twitter pourraient très facilement être suspendus alors même qu’ils sont tous les deux des réseaux sociaux incontournables.
En vérité, il faut effectivement trouver un moyen de protéger le droit d’auteur (chacun a droit à  la reconnaissance de son travail). Pour autant, il me semble que la répression pure et dure n’est pas le moyen le plus adapté à l’heure actuelle : il s’agit davantage d’un retour en arrière qui entrave et bloque la communication parce qu’elle bloque la diffusion, l’échange et le partage de contenus. Comme je l’ai dit plus haut, le web est participatif et encourage  l’émulation intellectuelle, la contribution de tous peut donc être requise. Si on considère la question du partage de films ou de musique par exemple, cela pourrait passer par une sorte de redevance culturelle, à l’image de la redevance télévisuelle, reversée aux auteurs de musique, films… En somme, un système participatif jusqu’au bout ainsi qu’on me l’a suggéré récemment (oui, je ne revendique pas la paternité de cette suggestion et, finalement, peut être que tout commence ici !)
 

Justine Jadaud

[1] Plus d’infos sur PIPA et SOPA

Crédits photo : ©Anonymous – ©Wikipedia

Société

Facebook : un colosse sous la mitraille

 
Rappelez-vous le 5 novembre dernier. Nombre d’entre-nous frissonnions, mi-incrédules, mi-fascinés, devant nos écrans dans l’attente d’une hypothétique apocalypse numérique. Un type portant un masque de Guy Fawkes avait annoncé la mort de Facebook pour ce jour.
Rien ne se passa et l’on parle beaucoup désormais de franc-tireur ou d’extrémiste isolé. L’homme avait été rapidement démenti, il est vrai, par d’autres membres du collectif Anonymous. Néanmoins, certaines de ses critiques, comme « tout ce que vous faîtes sur Facebook reste sur Facebook, indépendamment de vos paramètres de vos confidentialité », ne peuvent être ignorées et sont d’ailleurs reprises par des activistes bien plus sérieux.
Max Schrems, par exemple, l’étudiant devenu célèbre pour avoir déposé 22 plaintes contre Facebook, les a faites siennes. Il a lancé avec des amis le site Europe-v-Facebook.org, où sont exprimés ses griefs. Il y reproche notamment à l’entreprise de Marc Zuckerberg son manque de transparence quant à l’utilisation des données des utilisateurs, et l’impossibilité pour eux de vraiment choisir ce qui est divulgué les concernant.
Le monde politique s’intéresse également à la question. Facebook devrait être prochainement attaqué en justice par les autorités allemandes à cause de sa fonction de reconnaissance faciale, et la Commission Européenne vient d’être saisie sur la conformité du réseau au droit européen.
Aux Etats-Unis, on est en avance. Un accord devrait être conclu dans les prochaines semaines avec la Federal Trade Commission, rendant impossible pour Facebook de changer le degré de publicité des données sans l’accord des utilisateurs. Il devra également se soumettre à des audits réguliers sur la vie privée pendant 20 ans.
Ce pas en arrière n’est en vérité pas le premier. En 2007 déjà, Zuckerberg avait dû revoir à la baisse ses ambitions pour Beacon, un système rendant publique la consommation de chacun sur le web. Sous la pression de milliers d’internautes, Beacon était passé de l’opt-in à l’opt-out. Autrement dit, l’accord préalable de l’utilisateur était devenu obligatoire.
L’intérêt d’un tel dispositif est immense, Zuckerberg l’explique bien : « La référence de quelqu’un en qui ils ont confiance influence plus les gens que le meilleur message télévisé. C’est le Saint Graal de la publicité. » Beacon était un calice, que Facebook a craint de boire jusqu’à la lie.
En effet, le site de social networking existe et génère du profit en donnant à voir à des entreprises les échanges des utilisateurs dans le cadre de communication qu’elle fournit, et en accordant à ces entreprises des espaces, dans ce même cadre, pour proposer des publicités aux membres qui les intéressent. Si les utilisateurs se défient du réseau, ils le fréquenteront moins, y produiront moins de contenu, donneront moins d’informations sur eux et y seront donc moins exposés à la publicité et moins bien. La reculade se comprend aisément.
Derrière elle, moins visible, est la contradiction, ou asymétrie, inhérente à Facebook, entre la nécessité de bonnes relations avec les usagers et la tentation omniprésente d’aller contre leur besoin de vie privée, défendue désormais par les institutions politiques.
Ainsi, au-delà des risques terroristes ou judiciaires, toujours plus ou moins maîtrisables, est celui majeur de la fuite des utilisateurs. L’ambitieux Google + ou l’alternatif Diaspora ne demandent qu’à accueillir des masses de migrants numériques indignés. Impensable diront certains. Il fut un temps où Myspace dépassait Facebook de quelques têtes leur répondra-t-on.
 
Romain Pédron

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