Société

Pour TF1, c’est Naoëlle avant l’heure

 
La recette de Top Chef 2013: Des plats gourmands, des spoilers piquants pour une finale au goût amer
Si la dernière saison de Top Chef se composait de candidats moins charismatiques que Norbert Tarayre ou Jean Imbert, elle avait tout de même commencé sur des chapeaux de roues en surprenant son public chaque semaine avec des épreuves toujours plus inattendues. Mais malgré un sponsoring de marques telles que Paul ou Auchan qui avait du rendre jaloux TF1 et son programme Masterchef, et des audiences plus que satisfaisantes, la fin de saison a laissé un goût amer dans la bouche de plus d’un spectateur, un comble pour une émission culinaire qui se décrit comme « gourmande » par « ses chefs ». Le programme a été victime de plusieurs ratés : en premier lieu, la fuite du nom du vainqueur sur Twitter une semaine avant la finale qui a « spoilé » beaucoup de fidèles sans le vouloir, mais ensuite l’annonce en direct du vrai vainqueur de Top Chef, Naoëlle d’Hainaut, qui en a refroidit plus d’un.
C’est même la première fois que la victoire d’un candidat a été aussi contestée puisqu’une page Facebook a même été créée pour que les téléspectateurs puissent exprimer leur mécontentement et y déverser leur haine. Un mouvement sur les réseaux sociaux qui n’est pas passé inaperçu puisque la page a récolté en moins d’une semaine plus de 77 000 likes, pas étonnant puisque déjà, le soir de la finale, les tweets et commentaires fustigeant Naoëlle défilaient sur chacune de nos timeline. Ainsi, cette communauté anti-Naoëlle continue d’augmenter et ne compte pas s’arrêter là puisqu’elle appelle tous ses membres à boycotter le duel entre Jean, le vainqueur de Top Chef 2012, et Naoëlle, diffusé lundi sur la chaîne M6 qui pour le moment n’a fait aucune déclaration.
La haine du public envers Naoëlle d’Haignaut dépasse sa personne pour atteindre la chaine de télévision M6. Il ne s’agit plus d’un règlement de compte entre le grand public et un candidat mais d’une cabale contre la production: “SVP, ne regardez pas le duel entre Jean et Naoëlle lundi, c’est notre SEUL ET UNIQUE moyen de toucher la production et de faire passer notre message.” Ce qui est reproché à M6? Se faire de l’argent sur le dos des spectateurs, ne pas prendre en compte l’avis des téléspectateurs pour les délibérations et être manipulé par un complot entre chefs étoilés et la production.
Redéfinir les programmes culinaires, un défi qui ne concerne cette fois pas Jean et Norbert
Ce que cela veut aussi dire c’est que le type d’émissions qui confère au public une position passive ne correspond plus aux attentes des téléspectateurs. Fini le temps où l’on regardait des concours de beauté ou des matchs de foot sans intervenir dans les délibérations. Les armes du téléspectateurs sont désormais nombreuses: télécommande, smartphone, tablette, ordinateur, téléviseur connecté. Plus question de rester devant son poste sans rien dire !
Sans en un faire tout un plat, il s’agirait de savoir si cette polémique annonce la fin d’un certain modèle d’émission culinaire. Depuis quelques années, le public a eu le temps de se construire un savoir relatif autour de la cuisine et son milieu. Pendant des années, le téléspectateur a accepté de recevoir les conseils des chefs, les idées recettes… Il y avait les chefs étoilés puis le jury puis les candidats puis nous. Cette position passive touche peut-être à sa fin.
Le public ne goûte pas les plats mais il connaît par cœur ce que la télévision lui donne à connaître: le jargon de la cuisine, le florilège d’adjectifs qui rend un plat « gourmand », « croquant » ou « intelligent ». Avec cinq émissions quotidiennes par semaine (Un Dîner presque parfait), deux émissions culinaires annuelles (Top Chef et Master Chef), le public s’est doté d’une culture culinaire télévisuelle et non d’une culture culinaire : qui saurait nous répéter le nom des 56 variétés de tomates qui ont dérouté les candidats l’an dernier ? Qu’en est-il des fromages et des desserts ?
Le cas Naoëlle n’est peut-être qu’un prétexte pour se rebeller contre la production. N’oublions pas que le même pays s’amuse à envoyer des tomates à Naoëlle et porter Nabilla en triomphe pour ses nombreux talents. Le téléspectateur pensait connaître les valeurs et les qualités à avoir pour remporter le concours de Top Chef jusqu’à la victoire de Naoëlle où il s’est trouvé à la fois trompé et vexé. Il a appris que le gagnant de Top Chef peut être un robot antipathique qui découpe ses gousses d’ails avec l’agilité d’une gazelle et le coup de patte d’un guépard. Le public n’est pas content et le fait savoir. La télévision d’aujourd’hui n’est décidemment plus horizontale, il faut de l’interaction, du combat. Le public crie pour exister, pour que ses choix ne soient pas oubliés. L’année prochaine à la même heure, nous mettons notre main à couper que ce public pourra voter à propos de plats dont la saveur leur restera à jamais mystérieuse. D’ailleurs bien que la chaîne ne se soit toujours pas prononcée sur cette page Facebook anti-Naoëlle, elle a tout de même pris la décision que le duel qui ferait s’affronter Naoëlle et Jean ferait participer le public qui pourra voter pour le candidat de son choix sur la base du visuel de ses plats. Est-ce une remise en cause totale de ce genre de programmes culinaires ou seulement un moyen pour la chaîne de noyer le poisson et faire en sorte que Naoëlle ne gagne pas de nouveau si le public la déteste? Le temps seul nous le dira avec les prochaines saisons de Top Chef ou Masterchef.
 
Steven Clerima & Sabrina Azouz

Flops

Le buzz aveugle, c’est risqué. La preuve.

 
Le titre vous aura probablement aiguillés. Le sujet du jour est l’honnie vidéo virale « Ça sent le sapin », mise en ligne par Cuisinella le mercredi 12 Décembre.
Qu’y voyait-on ? Une fausse caméra cachée (enfin, si l’on ne se fie pas au message d’ouverture) dépeignant d’innocents quidams frappés sans crier gare par un sniper, en pleine rue. Les balles du tireur n’étaient que des paint balls, mais alors que les victimes criaient leurs grands dieux qu’elles n’étaient pas blessées, une équipe urgentiste venait les enlever. Quelques plans – et une séance d’électrochocs bien sentie – plus tard, elles étaient jetées dans un cercueil, livrées à une panique mollement jouée avant de bondir de leur prison soudainement déverrouillée. Tout ça pour se retrouver face à un poster clamant « N’attendez pas pour en profiter », les « piégeurs » surgissant pour applaudir une victime finalement assez amusée par la situation. Vous je ne sais pas, mais personnellement je n’aurais pas exactement souri.

Tout cela visait évidemment à générer un buzz instantané, et buzz il y eut. L’ennui fut qu’en quelques heures, Twitter se mit à bruisser de condamnations abondantes et variées. Les consommateurs potentiels dénonçaient l’aspect sordide du clip tandis que les professionnels sautaient sur l’occasion pour expliquer à quel point leur propre approche aurait été meilleure. Un fail de l’ordre du cas d’école, en somme, que l’on a immédiatement comparé à l’homme nu de La Redoute déjà mis à l’honneur sur FastNCurious.
L’opération était donc tout à fait désastreuse. Mais rien n’empêchait d’élaborer une communication de crise. Rien, sauf peut-être l’inexistence de Cuisinella sur les réseaux sociaux. La marque a opté pour la solution la plus radicale, et a tout bonnement rendu sa vidéo privée, sans grand effet comme en atteste le lien ci-dessus. Cette reculade vite ridiculisée était accompagnée d’un mea culpa guilleret dont le smiley final devait ajouter au tollé général. Reconnaissons cependant une certaine bravoure à la marque, qui a pris le risque le 20 Décembre d’être de nouveau mise en scène dans une vidéo. Il s’agissait cette fois-ci d’une interview d’Anne Leitzgen, PDG de la marque, par le blogueur Cédric Deniaud. La présidente y justifiait la mise en ligne de « Ça sent le sapin » sans beaucoup changer la ligne de défense déjà établie. Mais elle se démarquait en osant revenir sur un bad buzz qui était pourtant presque retombé, et en assurant que  la communication de Cuisinella n’en serait pas plus timorée en 2013.
Mais quelle fut la véritable erreur de Cuisinella et de son agence, Change ? Comme le communiqué le souligne, les publicités de la marque (presque uniquement télévisuelles jusqu’ici) avaient toujours affiché un goût certain pour le décalage. Lequel était parfois douteux, ici en ce qui concerne l’image de la Femme. Le plan global était également mûrement réfléchi : au clip coupable, inspiré selon Change par l’imaginaire des digital natives (entendons un mix de Call Of Duty, Dexter et The Walking Dead) devaient succéder deux autres, respectivement inspirés du SAV d’Omar et Fred et de Bref, avec le fameux « N’attendez pas pour en profiter » comme fil conducteur.
La marque comptait donc faire une entrée fracassante dans la communication digitale, touchant au gros des centres d’intérêts des internautes français et installant au passage un slogan qui aurait peut-être pu servir de base déclinable à l’avenir. La première faille dans cette logique était évidemment le risque pris. Il s’agissait ici de buzzer pour buzzer, sans disposer, comme nous l’avons vu, d’une présence virtuelle suffisante pour amortir l’impact d’un échec. En outre, aussi provocantes soient-elles, les publicités habituelles de Cuisinella montrent toujours… une cuisine, et se raccrochent à tout le moins à la thématique du couple pour évoquer la vie de famille. L’évidence dicte que toute marque communique en premier lieu sur des valeurs connues et familières. La tentation de les abandonner à l’occasion de ce saut numérique est compréhensible, puisque les cibles étaient ici les fameux digital natives. Et en particulier les vingt-trente ans, logiquement peu sensibles au thème de la famille. Mais voilà, le reste de la population dispose également d’une connexion Internet.
Second pied-bot : la perception des digital natives eux-mêmes. Certes, la violence et les scènes de pure terreur sont monnaie courante dans la majorité des fictions que nous consommons quotidiennement. Mais elles ne sont que cela. Des fictions. Les publics de Cuisinella ont précisément rugi parce que la « réalité » du clip annihilait le recul moral que chacun concède en regardant un film ou une série. La soudaineté de la scène a causé l’effet de surprise voulu, mais son contenu a donné la nausée.
Et de manière plus pragmatique, ces mêmes publics se sont certainement un peu sentis pris pour des cons. La caméra cachée est une recette efficace, mais elle a comme impératif de mettre immédiatement le spectateur dans la confidence. Or Cuisinella a menti sur la réalité du piège lui-même, trahi par un jeu d’acteur trop peu poussé – peut-être intentionnellement, justement pour ne pas aller trop loin dans le choquant.
A titre d’exemple, rappelons le « Push to add drama » de la TNT Belge, qui avait exploité presque exactement les mêmes voies en évitant chacun des écueils vus ici. Peut-être que tout cela manquait simplement de motardes en bikini.
 
Léo Fauvel
Sources :
Huffington Post
Le Plus – Le Nouvel Observateur, ici et là
BugsBuzz
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