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Le Penelopegate ou l’art du scandale en communication

C’est un scandale de plus révélé par l’historiquement irrévérencieux Canard Enchaîné, le mercredi 25 janvier, et dans lequel patauge François Fillon depuis une semaine : Pénélope Fillon, femme du candidat LR à la présidentielle, aurait gagné au moins 500 000€ (le chiffre monte) grâce à un emploi fictif d’assistante parlementaire et à une collaboration légère à La Revue des Deux Mondes.
Le lendemain, une enquête est ouverte par le Parquet Judiciaire pour « détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits », un intitulé peu saillant pour celui qui déclarait en 2012 « il y a une injustice sociale entre ceux qui travaillent dur pour peu et ceux qui ne travaillent pas et reçoivent de l’argent public ».
Entre effet boule de neige et jeux d’échos
Les échos sur l’affaire Pénélope Fillon, bien vite renommée « Penelope Gate », se sont immédiatement multipliés dans la sphère politique. Certains surfent sur la vague, tel Benoît Hamon qui propose d’interdire l’embauche de proches par les parlementaires. D’autres se prennent les pieds dans le tapis, comme Marine Le Pen, reprise sur le plateau de TF1 parce qu’elle est également mise en cause pour une affaire de travail fictif concernant des assistants du Front National au parlement européen, ou encore François de Rugy qui, voulant ironiser sur l’affaire en photographiant les fiches de paie de ses deux assistants parlementaires, a trahi l’inégalité de salaire entre son collaborateur et sa collaboratrice. Chaque réaction est le prétexte sinon d’un article, au moins d’un tweet.

#PenelopeGate
Car le tapage, mesure sonore du scandale, n’est pas seulement l’apanage des politiques, il suffit pour cela de suivre le fil rouge du hashtag #PenelopeGate. En plus des dernières mises à jour de l’affaire judiciaire, on y retrouve l’ironie mordante avec laquelle le Canard avait écrit son article.

Dans le cas spécifique du scandale, les réseaux sociaux permettent ainsi aux médias traditionnels et aux citoyens de doubler le discours informatif d’un discours de dérision. Comme les caricatures du XXème siècle, les images verbales et non-verbales autorisent une sorte de retournement de pouvoir qui, s’il est temporaire et symbolique, n’en est pas moins cathartique.
Communication de crise : l’émotion est-elle le bon filon ? 
Pendant que Twitter gazouille, le camp Fillon organise la défense : un scandale, selon l’étymologie grecque skándalon est une « pierre placée sur le chemin pour faire trébucher ». Or, à moins de deux mois des élections, les points de sondages perdus par François Fillon suite aux révélations du Canard Enchaîné pourraient être le début d’une chute fatale pour le candidat de droite.
La communication de crise du camp Fillon s’est faite en trois temps : sur les conseils d’Anne Méaux, conseillère en communication du candidat, François Fillon se présente tout d’abord au journal de 20h du 26 janvier. Mais l’exercice est dangereux. Malgré la volonté du candidat de faire face aux français en toute honnêteté, à la loupe du factchecking des internautes, le candidat commet des erreurs d’approximation qui desservent sa défense.
Ensuite, son équipe de communication orchestre la mise en scène du meeting de La Villette. Alors que François Fillon fait son entrée main dans la main avec femme, sa porte-parole lance une ovation reprise par les 15 000 personnes présentes. À la tribune, c’est l’émotion qui domine. Penelope Fillon, dressée en victime de la calomnie, réveille en son mari un personnage protecteur qui humanise un candidat parfois jugé trop austère : « Je la défendrai ; je l’aime et je la protégerai et je dis à tous ceux qui voudraient s’en prendre à elle qu’ils me trouveront en face ». À la dramatisation du discours répond l’engouement de la foule ; l’introduction du registre pathétique, inhabituel chez M. Fillon, est efficace chez ses partisans.
Enfin, suite à l’audition du couple par le parquet, un tweet depuis le compte du candidat assure que « tous deux ont pu établir des éléments utiles à la manifestation de la vérité ». La forme est intéressante : ce n’est pas un tweet brut, mais la capture d’écran du communiqué officiel. La mise à distance scripturale et énonciative rend le propos plus objectif.
 
Scandale et imaginaire politique
Avec la parution de nouvelles accusations via le Canard Enchaîné du mercredi 1er février, et la poursuite de l’enquête par le Parquet, la communication du camp Fillon, peu portée sur une argumentation de fait, bat de l’aile. Même s’il n’y a pas de mise en examen, le doute instillé par le scandale peut avoir fait perdre quelques électeurs cruciaux au parti Les Républicains.
Que le scandale soit fondé ou non, sa réception et son traitement sont révélateurs : plus proche de l’infotainement que du choc politique, l’affaire Fillon – dont le Penelope Gate n’est qu’un épisode – indigne mais n’étonne pas. L’imaginaire politique français tend dangereusement vers le cynisme : l’intégrité dans le milieu semble être devenu une chimère, et cette banalisation du mensonge et de l’impunité interroge les fondements républicains et démocratiques de l’État.
 
Mélanie Brisard
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Pour prolonger la lecture :
• Les précédents politiques du genre
• La perception de la presse étrangère 
• L’interview de Penelope Fillon pour le site de campagne de son mari, et en particulier sa réponse sur la place de femmes en France
 
Sources :
• Le Canard Enchaîné du 25 janvier et du 1er février 2017
• Une partie des réactions captées par le Figaro
• Le direct du journal Le Monde sur le sujet
• Sur les erreurs de défense de fait de Fillon  
• Le cas De Rugy analysé par le Point
• Résumé du meeting à la Villette par France TV Info
 
Crédits photos :
• L’affaire vue par Fair
• Captures d’écran du fil Twitter
• L’affaire vue par Frédéric Deligne
• L’affaire vu par Pascal Gros @GrosPascal