Agora, Com & Société

Ghost in town

 
Vous le savez, nos militaires sont au Mali. Le marché local de Bamako était plaisant, mais le reste était encore mieux, ils sont montés au Nord assez rapidement. L’AFP suivait attentivement leur travail. Les photos sont belles, pas de doutes là-dessus. Une a cependant attiré l’attention de tous les bien-pensants.

Ils sont arrivés en foule et trop heureux de pouvoir assouvir leur critique, ils ont souhaité donner une bonne leçon de morale en convoquant de très beaux parallèles entre le domaine du jeux-vidéo, la guerre et le code de conduite d’un soldat. Tout cela en levant haut la pancarte du politiquement correct. Aubaine incroyable et angle d’attaque inespéré : cette photo a su enflammer les débats sur la sphère internet.  Se tenant debout, les mains croisées, le soldat est entouré d’un halo de lumière traversant le nuage de poussière. À sa gauche, un canon de 155 apporte une ligne de fuite qui renforce la profondeur de l’image, tandis que quelques soldats  au second plan apportent le contexte du cliché. Il n’y a pas de doute, l’image semble irréelle, sortie tout droit de Photoshop ou composée par le dernier moteur 3D d’un FPS [1]. Cependant, la photographie n’est qu’une partie de la réalité, elle se focalise, recadre, transforme la scène en proposant un point de vue nécessairement subjectif.
Régis Debray, dans Vie et mort de l’image, analyse la puissance de l’image et son autorité : « La preuve par l’image annule les discours et les pouvoirs. Car l’effet de réalité, optimal sur l’écran vidéo est piégé. Car sans cause. Devant ces images en direct et en temps réel, je passe spontanément de l’autre côté de l’écran, dans le réel enregistré. L’image alors s’abolit comme image fabriquée, la présence pseudo-naturelle se nie comme représentation. Là est la mystification. » Ici se tient la justification de toutes les attaques contre ce militaire… Il est si facile de constater sans analyser. Cette volonté de lancer le bad-buzz, semble ici s’être habilement transformée en un soudain déficit de curiosité. Que se passait-il derrière le photographe ? Pourquoi ce foulard est-il porté ? Quelle est l’histoire de cet objet ? Ici la photographie devient unique, simple, facile. Tronquer ainsi la réalité amène cette impérieuse critique qui semble avoir assailli les grands médias. Le débat fut créé sur ce que l’on a vu, et non sur ce que l’on a su.
Recentrons-nous sur les faits. Un hélicoptère décolle derrière le photographe. Cependant le Mali semble être soumis à une poussière plus importante que dans mon 17m² selon Slate : (http://www.slateafrique.com/82443/mali-bamako-meteo-brume-poussi%C3%A8re). De là, des notions de physiques élémentaires nous amènent à croire que les particules sont soumises à des forces incroyables étant donnés les 4800 chevaux du EC725. Le foulard que porte le militaire français est inspiré du jeu Call Of Duty MWII, dans lequel un personnage, Ghost, porte ce foulard. Un foulard qui est un incontournable chez tous les soldats du monde entier, un look badass pour des jeunes recrues pas très à l’aise quand il s’agit de vider un chargeur de 5.56mm. (Disponible sur ebay : http://cgi.ebay.fr/BALACLAVA-MASK-SKULL-SKELETON-GHOST-CALL-OF-DUTY-MODERN-WARFARE-MW3-BLACK-OPS-/160798987312?pt=FR_Jeux_Vid%C3%A9o&hash=item25705dd430)
Le buzz est donc né rapidement, sans connaître, sans comprendre. Le centre de gestion de crise du ministère a vite réagi en annonçant punitions et « flicage ». Nul regard n’est objectif, nul regard n’est omniscient et personne ne peut connaître le contexte au premier coup d’œil. Le questionnement est légitime, la critique ne l’est pas. Un tel escamotage d’indignations a voulu supprimer la méta-photographie en se focalisant sur un élément loin de la situation. Le fossé entre la symbolique du foulard et la dure réalité d’un conflit armé est trop grand pour oser le parallèle. Une telle illusion épistémologique souligne une sorte d’hallucination contemplative du monde moderne qui se concentre sur le détail en oubliant l’objet lui-même. Finalement beaucoup de bruit pour pas grand chose.
Cet homme au centre de la photographie est un militaire, qui porte un fusil d’assaut, un objet destiné à tuer le plus efficacement possible, le canon à sa gauche a une puissance de 7 millions de joules, la scène se déroule sur un terrain d’opération extérieure, ceci est une guerre.
 
Emmanuel de Watrigant

[1] First Person Shooter : jeu en vue subjective.

Société

Voir la communication et mourir

Du 11 octobre au 31 décembre 2012, se tient à la Gaîté Lyrique l’exposition HELLO™, par le collectif H5. Le principe en est simple, et pourtant déroutant : une marque créée de toute pièce, HELLO™, avec pour but d’explorer les outils et les stratégies marketing des marques et surtout d’interroger sur leur influence.
Il ne s’agit pas de dénoncer la société de consommation, comme l’a déjà fait le collectif dans un court-métrage d’animation anxiogène et déroutant, mais bien de recréer un acteur fictif du système et d’observer son influence.

Tout commence avec un nom, « HELLO™ », et un logo : un aigle inoffensif, simpliste et coloré. Vient s’ajouter une musique, « Hello inc. » composée par le producteur français Alex Gopher et agrémentée de plusieurs remixes.
L’image de la marque en devient presque infantilisante, comprendre plus insinuante.
Dans les locaux de la Gaîté Lyrique, pourtant, le malaise s’accroît. Tout commence par une voix féminine qui susurre à l’oreille des visiteurs des slogans publicitaires, dans une salle bleuté, sombre, aux murs recouverts de plumes stylisées en feutrine.

Plus loin, étalée sur un pan de mur, la figure d’un aigle en gros plan, un prédateur celui-là, dont les yeux se meuvent et laissent, à dessein, la désagréable sensation d’être surveillé.

Une longue table dans le plus pur style « conseil d’administration » avec de hauts sièges, des blocs-notes, des bouteilles d’eau, le tout parfaitement blanc, sans identité, désincarné. Et au fond, projetée sur le mur, une présentation façon PowerPoint, plus vraie que nature, plus convaincante que jamais. C’est ça la magie du PowerPoint.

Ce n’est pas HELLO™ qui y est à l’honneur, sinon toutes les marques aujourd’hui tant la présentation PowerPoint est devenue universelle et partout identique.
Bref, tout ce qu’il faut pour du story-telling poussé à son comble et redoutablement efficace. Voilà bien le point névralgique : HELLO™ est incroyablement cohérente, efficace et ludique. C’est une marque dans toute la puissance de son image que l’on vous donne à voir, et que vous aurez envie d’aimer. Pourtant, que produit-elle, que fait-elle ? Nous n’en saurons rien.
L’aspect créatif et ludique se suffit à lui-même, et vous suffira. On ne peut s’empêcher de repenser au Meilleur des Mondes d’Huxley, à 1984 d’Orwell, à Nous Autres de Zamiatine, face à cette séduisante absurdité, exclusivement superficielle. Mais vous ne trouverez, en fait, aucune critique chez le collectif H5. Rien ne vous indiquera quoi penser, comment réagir. On ne vous donnera à voir que cette marque créative et sympathique. Une marque qui veut tellement se faire aimer qu’elle obtiendrait de vous n’importe quoi.
Un peu comme les sympathiques Angrys Birds qui servent d’égéries au mastodonte Google via son navigateur Chrome, comme l’inoffensif et graphique oiseau de Twitter, comme autant de mascottes auquel on se remet sans vraiment s’interroger.
C’est là qu’apparaît toute la perversité d’une image si alléchante, si bien travaillée, si cohérente, et pourtant si désincarnée.
Tout est magistralement résumé dans l’intitulé de l’exposition : « Le marketing est-il un jeu d’enfant ? »
Mais il est parfois tellement inquiétant de se l’imaginer comme un jeu dangereux. Comment se méfier de Coca-Cola quand ses campagnes de Noël parviennent brillamment à faire renaître chez nous un brin de magie, d’Apple quand on observe son image si léchée, si sobre, de Total quand on voit ses publicités pleines de vie et de sentiments, de Danone, si attachée à notre bien-être ?
Finalement, ce que H5 nous rappelle et qu’il est sain de garder à l’esprit pour le consommateur comme pour les marques, même s’il ne s’agit là que d’une évidence, c’est qu’on a trop souvent tendance à confondre ce qu’une marque donne à voir, et ce qu’est l’entreprise qui l’a construite.
Oscar Dassetto

Agora, Com & Société

Les Gérard

 
Il n’y a pas que Gérard Depardieu dans la vie, il y a aussi les Gérard. Ce lundi s’est en effet tenue la septième cérémonie des Gérard de la Télévision récompensant les plus mauvais programmes et animateurs de la télévision française. Cette parodie des Sept d’Or créé en 2007 par trois amis écrivains et journalistes décerne à chaque lauréat un énorme parpaing doré surmonté d’une plaque portant la catégorie de la récompense.
Des rédacteurs de FastNCurious se sont rendus à Bobino dans le 14ème arrondissement.
19h30
La file d’attente débouche sur la rue de la Gaité. Dans la foule, les invités n’ont pas l’air surpris d’être là mais plutôt habitués et détendus. Tout le monde semble se connaître, c’est un peu comme un spectacle de fin d’année où sont invités parents, amis et lointains proches.
19h45
Les animateurs sont présents à l’entrée, dans le courant d’air. On se serre la main, on se félicite, on se claque la bise. On est entre nous après tout. Les présentateurs jouent la carte de la proximité avec un public qu’ils connaissent bien et qu’ils ont, en grande majorité, eux-mêmes invité.
20h00
Nous pénétrons dans la salle Bobino aménagée façon Hollywood, des énormes spots lumineux de toutes les couleurs, un tapis rouge, un grand écran : ambiance 20th Century Fox. La plupart des sièges sont « réservés ». A qui ? Aux professionnels de la télévision, aux personnalités de la télévision et aux journalistes, plusieurs d’entre eux composent d’ailleurs le jury des Gérard. Ce soir, la télévision s’adresse à la télévision. Les autres sont des curieux. Les deux types à côté de nous ne tiennent plus en place : ils veulent voir du « people. »
20h (‘Gérard de la super soirée au El Crétino Circus’)
Stéphane Rose, chargé de la fausse veille médiatique en direct annonce la couleur et le ton très fin que prendra l’émission : « puisqu’on parle de « Qui veut épouser mon fils », je voudrais vous signaler le lancement en 2013 d’une émission dérivée : Qui veut fister mon époux ? »
20h45

La cérémonie débute. En fait, elle a débuté il y a quelques semaines lors de l’annonce, tant attendue, des catégories et des personnalités en lice.  On nous informe que Stéphane Rose animera un live-tweet qui est en fait un détournement alimenté de faux tweets d’Audrey Pulvar sur sa rupture avec Montebourg et son “kikou love” avec Booba et Matt Pokora.

21h00
Raphael Mezrahi (oui, il existe toujours !) apparaît sur scène en envoyé spécial abruti, à l’image de son passé. Il a ponctué la soirée de faux reportages en direct des grandes chaînes de télévision.

21h15
Arnaud Demanche et quelques comédiens parodient TF1 avec l’émission “Saw Lanta”: « Alors les rouges, en ce moment c’est pas facile … Pas de feu … Pas de nourriture … Armand qui a dû être évacué par hélicoptère après s’être transpercé la jambe avec un bambou … Patrick qui est mort de faim avant-hier… C’est pas la joie, hein ? » Les catégories contribuent certes au succès de la cérémoniemais les animateurs l’enrobent de sketchs, de parodies d’émissions et de fausses improvisations qui apportent de l’humour et du rythme à la soirée.
21h36
(« Gérard de la personnalité à qui on aurait bien aimé remettre un Gérard, mais voilà, trop tard »)
Comme bien souvent, Fred Royer et Arnaud Demanche rebondissent sur l’annonce du lauréat pour provoquer des éclats de rire : « Je suppose que Thierry Roland n’est pas dans la salle ? » Les trois amis sur scène prennent un malin plaisir à adopter une liberté de ton, rare pour un direct, mais que permet une chaîne comme Paris Première.
22h
(« Gérard de l’animateur embourgeoisé qui se regarde dans le miroir en repensant aux années où il avait des cheveux, des abdos, des idées l’envie de provoquer, de conquérir le monde (…) avant d’aller repasser sa cravate fluo pour son jeu du midi »)
Après la victoire de Naguy, Christophe Dechavanne, lauréable, orchestre une parodie de l’UMP en critiquant un trucage des votes. Il exige un recomptage des voix en direct en faisant participer le public qui salue son fair-play. Qualifiés chaque année de bobos gauchistes en quête de reconnaissance, les Gérard utilisent volontiers ce ton décalé pour anéantir les critiques qui finissent par tourner en rond.
22h20
Le « Gérard de l’émission où on t’explique que t’as tout à apprendre de pygmées de 1m40 qui ont des frisbees dans les lobes d’oreilles, des anneaux de pêche dans le nez, des plateaux de cantine dans les lèvres, des nichons en forme de bananes, plus une dent et la bite dans un tube en bambou » est décerné à « Rendez-vous en terre inconnue » de France 2.
Le sondage « TV Notes 2012 » du site Puremedias.com montre que les Gérard correspondent aux personnalités télé les plus appréciés des Français, il en va de même pour les émissions. Parmi les nominations aux Gérard 2012, nous avons repéré le meilleur magazine de société « Enquête exclusive » (M6), la meilleure émission événementielle « Rendez-vous en terre inconnue » (France 2), la meilleure série française « Bref » (Canal +), le meilleur présentateur du JT Laurent Delahousse (France 2). Les Gérard ne récompensent donc pas les plus mauvais de la télévision. Ils cherchent les piques d’audience et les chouchous du public. Plus que les nominés, c’est la qualité des catégories qui importe.
22h36
Christian Jeanpierre, commentateur phare de l’Equipe de France de fooball reçoit le « Gérard du GROS MALADE QUI HURLE COMME UN GROS MALADE QUAND THOMAS VOECKLER EFFECTUE UNE REMONTEE FANTASTIQUE DANS LE TOURMALET OU QUAND FRRRRRRRRRRRRANCK RIBERY MET LE BUT DU KOOOOOOOOOO !!! ».
22h40
Après la victoire d’Arthur pour le « Gérard de l’animateur qui fait de la scène, mais qui ferait mieux de se jeter dedans », nous commençons à comprendre que les auteurs utilisent les têtes à claques de la télévision, ceux que les gens adorent critiquer : Sébastien Follin, Jean-Marc Morandini, Audrey Pulvar, Eric Zemmour, Christophe Hondelatte.
 
23h
On sort de la salle, certains d’avoir passé une bonne soirée. Réintroduire un retour sur critique de la télévision, tel semble être l’objectif des Gérard. Tout le monde en mange pour son grade, Laurence Ferrari est élue plus mauvaise animatrice de l’année, Vincent Cerruti plus mauvais animateur, au grand dam du public qui réclamait la tête de “Morandini”. Les Gérard rappellent que la télé n’est que de la télé et qu’il ne faut pas trop se prendre au sérieux, au risque de repartir avec un joli parpaing.
 
Steven CLERIMA
Recommandations :
Article du Nouvel Obs
Palmarès TV Notes 2012, organisé par Puremedias
Article de Paris Première
 

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