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Le président Duterte, boucher des Philippines

Lundi 8 mai 2017, l’Organisation des Nations Unies (ONU) a officiellement lancé un avertissement au Président philippin, Rodrigo Duterte, condamnant ses représailles sanglantes lancées contre les trafiquants de drogue. Pas moins de 7000 personnes ont été victimes de cette politique depuis son commencement en juillet 2016. Cette prise de conscience à l’échelle internationale constitue un premier pas très attendu par des ONG telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch, qui n’ont cessé de souligner la violence des exactions commises au sein de la population philippine.
Duterte attire de plus en plus l’attention des médias à cause de sa guerre contre les drogues. Il a aujourd’hui sur la scène internationale l’image d’un dictateur fou, tant pour sa politique anti-stupéfiants, que pour ses relations avec les instances mondiales. Une facette de l’homme qui, si elle est indéniable, pourrait cependant en cacher une autre encore plus imprévisible.
La guerre des drogues, le prétexte à une démonstration de force
Rodrigo Duterte sait jouer de son image pour s’affirmer en personnage autoritaire et dissident. En effet, le Président n’hésite pas à s’asseoir ostensiblement sur les droits humains. Les premiers mois qui ont suivi son élection, il enclenchait une lutte anti-drogue violente par cette allocution à l’égard des citoyens : « Sentez-vous libre de nous appeler, nous la police, ou de le faire [tuer un criminel] vous-mêmes si vous êtes armés… vous avez mon soutien ». Le Président n’hésite donc pas à appeler au meurtre au sein de la population, jusqu’à proposer des mises à prix allant de 3 millions de pesos (57 000€) pour un dealer tué à 5 millions de pesos (95 000€) pour un chef de gang ou un grossiste.
En réponse aux inquiétudes des grands chefs d’Etats étrangers, le Président avait gratifié l’ONU d’un « Je les emmerde » en même temps qu’il envoyait « se faire foutre » l’Union Européenne. Sa politique violente « d’épuration » des drogués, comme il aime à l’appeler, a attiré l’attention des médias qui lui ont attribué le surnom « Shérif Duterte ».
Les actions anti-drogue servent au Président philippin à se forger une personnalité forte en faisant passer un message autoritaire et en instaurant un climat de peur. Rodrigo Duterte n’est pas le premier dans le monde asiatique à mettre le fléau des drogues au service de sa communication. On peut notamment citer l’Indonésie, pays qui n’a aucune indulgence envers les individus liés à la drogue. La lutte contre les problèmes de stupéfiants aux Philippines, bien qu’ils soient réels et dramatiques, est un prétexte à la mise en place de processus anti-démocratiques. En prétendant combattre la corruption, Duterte produit l’effet inverse. D’abord ses déclarations encouragent la formation de milices, responsables d’exécutions sommaires (environ 4 049 personnes depuis juillet 2016).
D’autre part, les policiers en fonction sont souvent payés pour tuer, allant parfois même jus- qu’à obtenir une rétribution d’organismes d’obsèques en échange de cadavres. Michael Siaron, une victime parmi d’autres, était chauffeur de cyclopousse. Toxicomane, il a été abattu en pleine rue en juillet 2015. La photographie de la jeune femme tenant son compagnon contre elle, est devenue le symbole de l’horreur que subissent les Philippins.

Celui qu’on nomme aussi The Punisher (ou « Le Punisseur ») a récemment reconnu la corruption qui régnait au sein des forces de l’ordre. Dans le respect de son état d’esprit, il a néanmoins certifié qu’il maintiendrait sa campagne anti-drogue dévastatrice jusqu’en 2022. Duterte manie d’ailleurs l’art de la mise en scène, annonçant la remise d’une médaille, forme de reconnaissance nationale, pour quiconque exécuterait des cibles ayant un lien avec la drogue; consommateur ou vendeur, dangereux ou inoffensif.
Une bataille d’interprétation
Avec l’appel lancé par l’ONU, les représentants de plusieurs pays dont le Canada, la France, le Brésil ou encore le Ghana demandent la mise en place d’enquêtes sur ces exécutions. Amnesty International dénonce aussi dans un rapport récent les incitations au meurtre, tandis que des centaines d’ONG invitent le Président Duterte à adopter des méthodes de lutte plus démocratiques, comme l’instauration de procès ou la suppression de la peine capitale, rétablie alors qu’elle était abolie depuis 2006.
Face à ces injonctions, le sénateur philippin Alan Cayetano, proche du président, remet en cause une « campagne des défenseurs des droits de l’homme et des médias pour déformer la politique anti-drogue du gouvernement », allant même jusqu’à affirmer qu’il n’y a pas eu de récentes vagues d’exécutions. Pour sa défense, le gouvernement philippin n’hésite pas à accuser les institutions internationales de vouloir empêcher la lutte anti-drogue.
La face insoupçonnée du « Punisher »
Les médias se concentrent à juste titre sur les massacres perpétrés aux Philippines. Pour autant, la guerre anti-drogue prend source dans un projet réformiste surprenant. Le but du Président est d’engager un progressisme social dans un pays qu’il sait très en retard en la matière. Ses réformes ne sont pas du goût de tous. La Conférence des évêques catholiques des Philippines critique sévèrement Duterte, officiellement pour les actions violentes qu’il mène, mais surtout parce qu’elle est une opposante farouche à son programme social. La vision sociale du Président vise étonnement à accorder le droit au divorce, à financer les plannings familiaux, et même à instaurer le mariage pour tous. En matière de réforme économique, le chantier envisagé n’est pas non plus des moindres, et repose sur l’idée d’industrialiser le pays.
Le projet de Duterte est de faire entrer les Philippines dans la modernité. Le Président est conscient que la corruption et le trafic de drogue gangrènent le pays et le plongent dans l’immobilisme. C’est pourquoi il considère que l’élimination de ce fléau est un préalable nécessaire à toute réforme en profondeur.
Si cet élan progressiste ne devrait pas être tant éludé par les médias internationaux, on leur pardonne de le faire passer au second plan, derrière le problème de la lutte anti-drogue. L’un dans l’autre, le jeu est loin d’en valoir la chandelle.
Déborah Malka
Crédits photos :
• Couverture et Michael Siaron : Noel Celis / AFP
Sources :
• BONNET François-Xavier, « Crimes et réformes, les multiples visages », Le Monde Diplo- matique, publié en mai 2017, consulté le 11/05/2017.
• CAILLART Théo, « Philippines : la chasse aux consommateurs et aux trafiquants de drogues et ouverte », Newsweed, publié le 04/08/2016, consulté le 11/05/2017
• GUIEN Thomas, « Rodrigo Duterte : un an déjà ! Le meilleur du pire de ses sorties », LCI, mis en ligne le 07/05/2017, consulté le 12/05/2017.
• SCHAEFFER Frédéric, « Cette nuit en Asie : aux Philippines la guerre sans fin du président Duterte contre la drogue », Les Echos, mis en ligne le 30/01/2017, consulté le 11/05/2017.
• THIBAULT Harold, « Aux Philippines, une pause dans la sanglante guerre contre la drogue », Le Monde, publié le 31/01/2017, consulté le 11/05/2017.
• VAULERIN Arnaud, « La macabre lutte anti-drogue de Duterte aux Philippines, Libération, mis en ligne le 19/07/2016, consulté le 12/05/2017.
• « Cette photo raconte l’horreur de la guerre contre la drogue aux Philippines », L’OBS, mis en ligne le 05/08/2016, consulté le 13/05/2017.
• « La lutte anti-drogue aux Philippines sur la sellette à l’ONU », VOA Afrique, mis en ligne le 08/05/2017, consulté le 11/05/2017.