Com & Société

Zappe-t-on encore aux US ?

 
L’éternel duel opposant la télévision à Internet n’a pas fini d’animer les débats. Aux Etats-Unis, une récente étude vient de confirmer ce qui a longtemps été prédit : le temps de visionnage de la télévision baisse au profit des autres supports numériques (smartphones, pc portables et tablettes)
Les Américains de 18 à 49 ans passent ainsi en moyenne 5h09 devant différents supports contre 4h31 pour le petit écran, une première !
 L’argument qui l’emporte est celui de la portabilité qu’offre ces nouveaux supports. L’image du « Couch potato » n’est plus d’actualité, désormais on choisit de consommer en mobilité. L’offre élargie et l’accessibilité grandissante aux tablettes y sont pour quelque chose. L’explosion des ventes de ces supports vient en effet confirmer ce changement de pratiques.
 Il n’y a pas si longtemps, la télévision représentait LE médium capable de fédérer autour d’un programme alors qu’Internet était considéré uniquement comme lieu de flânerie occasionnelle, de hasard et de buzz. La donne est en train de changer affirme cette étude. L’on pourrait être tenté d’affirmer sans nuance le déclin de la télévision, ceci dit, les programmes télé sont très souvent commentés à travers un second écran dans une démarche dite de second-screening ou de multitasking. Comprendre par-là, l’action combinée de regarder une émission tout en utilisant un deuxième terminal afin de partager sur les réseaux sociaux ce que l’on est en train de faire ou son avis sur ce qui est diffusé.
 Néanmoins, en réalité, le contenu télévisé n’est pas moins consommé, il est juste consommé en majeure partie, ailleurs : en ligne. La SVOD (Subscription Video on Demand) a fait des ravages, des plateformes de streaming vidéo telles que HULU ou Netflix gagnent de plus en plus de parts de marchés par rapport aux chaînes du câble. Un abonnement moins coûteux, la possibilité de visionner un contenu  à tout moment, des programmes de qualité qui peuvent se vanter d’avoir remporté un Emmy Award (House of Cards), autant d’avantages qui séduisent de plus en plus. Ainsi, le chiffre d’affaires de Netflix qui comptabilise 31 millions d’abonnés aurait bondi d’un quart en un an pour atteindre 1,1 milliard de dollars.

Netflix se réjouit et tente de renforcer sa position en tant qu’acteur dans le monde du cinéma notamment en s’alliant à la maison de production de Sony, puis en négociant un accès au câble. Ainsi, il viendrait se frotter de plus près à ses plus gros concurrents qui eux tentent d’effectuer le chemin inverse pour être là où leur public semble leur échapper, sur la toile.
 La SVOD sonne-t-elle le glas de la télévision traditionnelle ? Nombreux sont ceux qui le pense, toutefois, ce serait sans compter sur la réactivité des grands groupes télévisés, et l’énergie qu’ils mettent pour rester dans la course. S’adapter est le maître mot. S’adapter au progrès des supports technologiques, leur multiplication et à l’autonomie qu’ils offrent à chacun à travers Internet. Dans le cas échéant, ce sont les annonceurs qui risqueraient d’aller chercher le consommateur potentiel là où il sera le plus probable de se trouver.
 L’avantage pris par le numérique aux Etats-Unis vient corroborer des hypothèses émises il y a de cela quelques temps. Si ce pays semble être la référence en matière de tendances, un service tel que celui offert par Netflix ne saurait, pour le moment, trouver sa place en France, en témoigne la réticence qu’avait suscitée l’arrivée des nouvelles chaines de la TNT. De plus, les habitudes de consommation du médium TV ainsi que l’organisation des grands groupes médias ne sont pas les mêmes. Sans oublier les instances concernées telles que le CSA qui jouit d’une influence certaine pour tout ce qui se passe dans le paysage audiovisuel français.
 
Salma Bouazza
Sources :
Lesechos.fr
Lesechos.fr
Zdnet.fr

UN Women
Les Fast

La femme selon Google ?

 
Google serait-il sexiste ? C’est ce que semble sous-entendre la dernière campagne publicitaire de UN Women (Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes), réalisée par l’agence Memac Ogilvy & Mather Dubai.
 Les différentes affiches de la campagne mettent en scène quatre visages de femmes. Si ces dernières représentent visiblement les femmes des quatre coins du monde, elles ont en commun le fait d’être bâillonnées par le célèbre moteur de recherche.
 La campagne réalisée touche un point qui demeure sensible aujourd’hui, et ce d’une façon d’autant plus percutante qu’elle s’appuie sur des preuves. Ainsi, « les femmes ne devraient pas » se trouve complétée par : « avoir de droits » , « voter » ou « travailler. »

  À une époque où Internet est gage d’une liberté d’expression qui semble illimitée, on voit ici que la diffusion et le partage des idées peut également amener à cristalliser certaines représentations sociales, quitte à faire taire ceux et celles qui sont directement concernés.
Internet crée un lien entre tous, au-delà des différences ethniques et culturelles. On abolit les frontières, on fait valoir des valeurs, des opinions. Pour le meilleur et pour le pire, semble préciser UN Women.
 Cependant, peut-être faudrait-il éviter de condamner le géant américain d’emblée. Derrière les machines, ce sont bien des hommes (et des femmes) qui nourrissent le moteur de recherche. Google tient ici le rôle du méchant mais ne fait que refléter les requêtes les plus courantes.
 Alors, véritable dénonciation de la part de UN Women ou simple mise en lumière frustrante d’un cercle vicieux qui n’en finit (toujours) pas ?
 
Annabelle Fain
Sources :
Unwomen.org

Crédits photos : Memac Ogilvy & Mather Dubai

Flops

Scan mon sushi

 
Lors de l’explosion de la bulle Internet, durant ce temps obscur où les réseaux sociaux étaient en train de naître nous avions beaucoup parlé de fracture numérique. Ce terme désigne un clivage social entre ceux qui peuvent accéder à Internet et aux possibilités offertes par le réseau et ceux qui sont laissés sur la touche et qui ne peuvent jouir de ses innovations techniques.
L’avènement du Web 2.0 a coupé net le discours sur cette fracture numérique qui existe pourtant toujours. Or nous assistons actuellement à un second pan de la fracture jusqu’ici largement passé sous silence : celui des smartphones. Car depuis 2007, date de sortie du premier iPhone, de très nombreuses innovations ont augmenté le territoire des possibles de cet outil. Réalité augmentée, géolocalisation, QR codes… Autant de nouvelles techniques de communiquer vite investies par la publicité. Mais la banalisation de ces techniques ne doit pas faire oublier que les smartphones ne sont pas encore adoptés par la majorité de la population – 44% d’après une étude Mobile Marketing Association France,
Lors de mes multiples trajets pendulaires dans le métro parisien, j’ai été frappé par le nombre de publicités vantant les mérites d’un produit à l’aide de QR codes ou autres techniques nécessitant une connexion à Internet. Faisant moi-même parti de cette catégorie de population démunie de smartphones et délaissée par les créatifs je me suis demandé dans quelle mesure ces campagnes étaient efficaces. Est-il possible d’être touché par une publicité qui repose entièrement sur une technique que l’ensemble des consommateurs n’a pas ? Ces publicités majoritairement ciblées sur une partie de population non pas définie par l’age, le sexe, mais par l’outil technologique dont elle dispose sont elles efficaces ? En d’autres termes : la fracture numérique existe-t-elle en communication ?

Partons de cette brillante publicité de Sushi Shop qui a tapissé les murs du métro parisien. C’est une publicité simple mais très efficace visuellement. Sur une immense affiche, des sushis sont disposés de sorte à former un QR code hors-norme.  Le consommateur doit alors dégainer son smartphone pour scanner rapidement le code et commander ses sushis pour qu’ils soient livrés -si tout se passe bien- quand il arrive chez lui. Nous avons donc une publicité qui fait office de porte d’entrée vers l’univers de la marque : le consommateur doit être actif s’il veut profiter de l’ensemble de cette campagne.
Quel est l’objectif de cette publicité ? Il a été prouvé que les utilisateurs de smartphones scannent rarement les QR codes, d’autant plus que leur usage s’est largement banalisé. Les publicitaires de Sushi Shop ont donc eu la brillante idée d’innover dans deux dimensions : la taille, bien sûr , et le fait qu’il ne soit pas constitué de ces petits carrés noirs et blancs. Ces deux innovations permettent donc de capter l’attention des consommateurs. La curiosité l’emporte largement : est-ce qu’un tel QR code marche ? On dégaine donc son outil et on scanne. La publicité, en plus de promouvoir de manière évidente les sushis tente donc d’augmenter l’image de la marque grâce à son effort d’innovation. Ces sushis 2.0 ont donc le goût de la modernité, tout comme cette marque.
C’est finalement ce dernier objectif que tentent d’atteindre les publicitaires. Or, il ne nécessite pas de smartphones, il faut seulement être capable de reconnaître un QR code ce qui est maintenant le cas de la majorité des français. La même image de modernité se dégage de cette publicité pour les deux catégories de population.
La fracture numérique n’a alors absolument aucune importance puisque le QR code se fait symbole, indice de la modernité en tant que signe pictural. En effet, ces nouvelles techniques de communication sont désormais ancrées dans les mœurs et sont devenues au fil du temps des représentations de la modernité et de notre avancée technologique actuelle. Résolument modernes, ces publicités impactent l’ensemble des consommateurs davantage grâce à ce qu’elles représentent que grâce à ce qu’elles permettent de faire.
Cependant nous avons ici à faire à une publicité qui semble avoir compris cela. Pour rendre les choses encore plus évidentes, la marque a décliné sa publicité en réduisant la taille du QR code et en y ajoutant un texte explicatif.`

La fracture numérique liée aux smartphones et tablettes ne va qu’augmenter au fur et à mesure de l’investissement de ceux-ci dans les campagnes publicitaires, laissant beaucoup de consommateurs -moi le premier- sur le carreau.
 
Arthur Guillôme

com montebourg
Agora, Com & Société

Montebourg 2.0

 
Mardi 2 juillet de 18h à 19h, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement Productif, a tenu une conférence vidéo sur le thème « la localisation et la relocalisation d’activités industrielles en France » via Google Hangouts et retransmise sur Youtube. Avec cette communication politique d’un nouveau genre, initiée le 6 juin dernier par Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes et Porte-Parole du Gouvernement, Arnaud Montebourg entend donner aux citoyens les moyens d’ « interroger le pouvoir, ses choix, ses décisions ». Cette vidéo-conférence, organisée par le ministère mais réalisée dans les locaux de Cap Digital (grand pôle de compétitivité, pas un hasard donc) se veut donc comme le prolongement logique des compte-rendus de terrain que le ministre réalise régulièrement sur le terrain, comme cette semaine à Montpellier.
Un dispositif verrouillé
Ce que l’on retient de ce petit chat improvisé, c’est tout de même la prise de risque zéro du ministre. Les huit internautes qui ont pu interroger Arnaud Montebourg par webcams interposées avaient été soigneusement sélectionnés à l’avance par le cabinet du ministre. En outre, il s’agissait pour la plupart de jeunes entrepreneurs de starts-ups qui au bout du compte ont les moyens et la volonté de privilégier la fabrication française. D’ailleurs, les questions au ministre ne sont ni très pertinentes ni très cinglantes : le ministre peut donc développer à l’envie les différents pans de sa politique, vantant au passage les bienfaits de son logiciel Colbert 2.0, qui est censé aider les chefs d’entreprises français à relocaliser leur production. Aucun des intervenants ne lui pose des questions dérangeantes ou réellement profondes. Une communication qui n’a donc rien de symétrique, et qui s’apparente davantage à un exercice de légitimation de la politique de redressement productif du ministre Montebourg, qui brasse en effet beaucoup de dossiers (parfois avec du résultat) mais se voit réduit, contre son gré, à faire le moulin. Il en va de même pour les questions posées par tweets, via le hastag #MRPnum, que l’équipe sélectionne et écrit sur le paperboard en face du ministre.
Auj à 18h, débat numérique avec @montebourg, en direct sur http://t.co/jcRs4ePUsk Posez déjà vos questions #MRPnum pic.twitter.com/odjjR8qIdO
— Ministère RP (@redressement) July 2, 2013
Le tweet de présentation de la vidéo-conférence, via le compte du Ministère

@montebourg @redressement #MRPnum trouvez-vous normal de protéger nos artistes (protectionnisme) et pas notre industrie ? — Taf Séb (@Subtaf) June 30, 2013

Un exemple de question : pas de quoi effrayer Montebourg, qui connaît bien ses dossiers.
On peut remarquer que les chiffres et certains éléments de réponse à des questions sont également préparés à l’avance et écrit sur le paperboard ; ainsi Montebourg n’a qu’à tourner légèrement la tête pour lire ce qui y est inscrit. Un premier exercice bien cadré donc, mais légitimité dans sa forme par la contrainte technique. Dans l’avenir, le cabinet assure que le ministre souhaite réitérer l’action mais dialoguer cette fois-ci avec des internautes non sélectionnés. Toutefois cela apparaît techniquement plus complexe, car il faudrait alors valider la connexion de chaque internaute tout en conservant une certaine fluidité malgré le direct.
Plus proche des citoyens
Après la forme, penchons-nous un peu sur le fond. D’après Montebourg, sa démarche s’inscrit dans ce qu’il appelle un « colbertisme participatif ». « Colbertisme » en référence à Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV : celui-ci a en effet participé à la construction de l’État français tel que nous le connaissons aujourd’hui mais a aussi impulsé son industrialisation. « Participatif » évidemment pour désigner la volonté d’établir un lien de proximité entre dirigeants et citoyens. Montebourg introduit son « chat vidéo » en exprimant son « besoin de discuter avec la société toute entière ». Il a le souci d’expliquer sa politique de manière directe, sans passer par les médias tels que le journal de 20h ou la presse écrite qui jouissent encore d’importantes audiences mais qui laissent de côté de nombreux citoyens. Par ailleurs, la nouvelle génération de citoyens connectée au web 2.0 s’informe, communique et échange directement sur Internet via les réseaux sociaux. « Il m’a paru nécessaire d’aller sur le lieu où se rassemble le plus grand nombre de citoyens » explique-t-il. Un discours rassurant, une initiative participative qui marque l’intérêt de Montebourg pour la politique de proximité, lui qui fait chaque année sa traditionnelle ascension du Mont Beuvray dans son fief de Bourgogne. Cette année, Le Petit Journal s’était rendu sur les lieux pour railler le « ministre des Champs » et sa politique enracinée, qui joue du patois local et ironise gentiment sur l’attitude « parisienne » des journalistes présents. Sans remettre en cause la bonne foi d’Arnaud Montebourg ni même sa vocation à pérenniser la démocratie participative, on enfoncera des portes ouvertes en avançant que cet événement s’inscrit surtout dans une stratégie de construction d’une identité politique forte. Je vois davantage ici le futur candidat Montebourg en 2017, qui élabore soigneusement et patiemment une image d’homme politique enraciné et à l’écoute de tous les Français, dans la diversité de leurs conditions. Sans critiquer le volontarisme et les compétences du ministre Montebourg, force est de constater son habilité à échafauder soigneusement son écrin de « représentation » (que d’autres appelleraient un peu banalement « storytelling ») tout en jouant l’équilibriste avec le gouvernement (on connaît ses mauvais rapports avec le Premier Ministre) et sa politique (qu’il a critiquée plus ou moins ouvertement et qu’il digère sûrement difficilement).
Et Dailymotion ?
Finalement, ce qui a peut-être le plus retenu l’attention, c’est le choix de Youtube pour héberger la vidéo conférence. C’est qu’en avril dernier, le ministre du Redressement Productif avait déclenché la controverse en posant son veto au rachat de la plateforme française par le géant américain Yahoo. Selon le service presse, ce choix se justifie par des raisons purement techniques : « Depuis janvier, le ministre effectue des compte-rendus de mandat ministériel lors de déplacements en province. Il a voulu élargir l’audience au-delà des 300-400 personnes habituellement présentes à ces réunions, d’où l’idée du chat vidéo. (…) Il n’y avait pas de solution numérique en France équivalente à Google Hangouts, c’est pour ça que nous avons retenu Youtube. » Avant de quitter les lieux, Arnaud Montebourg n’hésite pas à lancer à l’équipe de Google : « Hé les gars ! Quand est-ce que vous payez vos impôts ? » Dommage que ce ne soit que pour la beauté du geste.
 
Laura Garnier

Flops

Pimp my visibility

 
Lorsque les marques ont investi Internet, elles ont du bouleverser leurs usages et s’adapter aux logiques de la Toile. Ce nouvel espace leur a fourni une visibilité sans précédent. Mais celle-ci doit être exploitée et constamment entretenue. Jusqu’ici, la visibilité dépendait de l’argent que les marques investissaient dans leurs campagnes. Désormais leur visibilité ne dépend plus d’elles seules : elles doivent comprendre et jouer avec des acteurs tiers, comme les moteurs de recherche qui sont devenus les principaux outils pour accéder au Saint Graal. Analyse.
Lorsqu’une marque se déploie sur Internet, elle doit être référencée. C’est le seul moyen pour qu’elle puisse atteindre ses clients. Plusieurs stratégies existent : les stratégies de buzz, qui ont pour but de créer le plus de bruit pour gagner en visibilité et le référencement naturel sur les réseaux. Là où le premier élément prend souvent place dans une campagne ponctuelle, le référencement permet d’avoir de la visibilité sur le long-court.
Le référencement naturel est né avec les moteurs de recherche. Il s’agit d’avoir un site suffisamment visible pour qu’il puisse être trouvé en première page de ces derniers. Sous l’impulsion de Google, leader du marché, les moteurs fonctionnent selon une logique de méritocratie. Lorsqu’un internaute recherche quelque chose, l’algorithme trouve les sites correspondants à ces mots clés. Il classe les sites selon leur popularité et le bruit qu’ils ont produit c’est-à-dire que plus un site aura été partagé et linké, plus il sera mis en avant dans les résultats de recherche.
Une méthode proche du buzz a été mise en place par les marques. Il s’agit de faire un maximum de bruit autour d’un sujet précis qui est celui du site que l’ont veut promouvoir. Par exemple, une marque alimentaire va faire de la création de contenu dans son domaine d’exercice et non sur un de ses produits.
Or, ces contenus doivent être facilement repris et linkés pour mieux s’afficher sur les moteurs de recherche. C’est dans ce contexte que l’on assiste actuellement à une mutation des méthodes d’écriture sur Internet. Sous l’emprise de la recherche de la visibilité, les marques s’emparent des méthodes journalistiques pour produire du contenu. Elles deviennent des médias à part entière, se déployant à 360 degrés, sur les réseaux sociaux, les sites Internet, les sites de vidéos… Tout cela pour créer un contenu partageable augmentant leur visibilité. Ce contenu portant les artifices du journalisme fait office de porte d’entrée vers un site.
Cette nouvelle stratégie, dans un premier temps propre aux marques, se diffuse largement au sein du journalisme. Les marques se font médias et les médias se font marques en adoptant leurs stratégies de référencement. C’est particulièrement visible sur les sites de pure-players, ces journaux gratuits disponibles exclusivement en ligne. En regardant la liste d’articles d’un site comme Slate, on remarque que les articles sont souvent écrits à l’infinitif (car on ne conjugue pas ses verbes quand on fait une recherche) et les titres prennent la forme d’une question et sont écrits en mots-clés. On évite les articles de fond, peu adaptés aux usages de lecture fondés sur la rapidité de la lecture. Les contenus écrits tendent clairement vers la simplification.
Pour le bien de la visibilité on assiste à une mutation des contenus qui s’emparent des règles de référencement et sont présentés d’une manière à attirer le plus de clics. Par un phénomène de contagion, cette tendance s’est ancrée dans les usages des marques et des médias. On peut donc se demander si l’ont n’assisterait pas à une baisse de la qualité des contenus disponibles sur Internet ?
 
Arthur Guillôme

Société

Arte : artifices ?

 
La chaîne franco-allemande Arte s’illustre en ce moment. D’abord, il y a quelques semaines en diffusant l’ambitieux documentaire  Une contre-histoire des Internets. Un objet qui allie le loufoque, respectueux de la déjantée culture web, et le très sérieux. Rarement avait on vu autant de grands hommes – et femmes -, pionniers et intellectuels des Internets, réunis en seulement 87 minutes. Réalisé par Jean Marc Manach et Julien Goetz, deux anciens d’OWNI, il a été plébiscité par l’ensemble des internautes et a évidemment figuré parmi les sujets les plus traités sur Twitter.
Mais qui dit documentaire sur Internet dit aussi… Internet. Arte ne s’est pas contentée de diffuser ce documentaire, à une heure précise, avec la traditionnelle idée d’un début et d’une fin précises. La temporalité des grilles télévisées n’est pas celle d’Internet. Il fallait les harmoniser, et plus encore, faire la jonction entre des publics et des usages très différents. Rappelons que si en 2007, 3 millions d’Américains n’avaient pas de télévision chez eux, ils sont aujourd’hui 5 millions. La moitié de ces individus a moins de 35 ans, or c’est la tranche d’âge la plus représentée sur Internet.

Arte a su faire preuve d’ingéniosité pour rassembler les publics et répondre aux diverses attentes, en déployant une stratégie de communication plus qu’attrayante. Elle a en effet exploité tous les fantasmes dont est chargé Internet : la participation, la transparence, l’immédiateté, etc. et a également fait un important travail de séduction en développant une interface impressionnante et fluide. Les internautes se voyaient par exemple proposés de partager leur « première fois sur le net ». Là encore, le vocabulaire, un peu provoquant, faisait un clin d’œil à la culture web, « libérée » des tabous, drôle et trash. A la manière du fameux phénomène de crowdfunding, où chacun peut donner un peu pour financer un projet, ils pouvaient « participer » à l’aventure en donnant de leur personne, ou bien, sur le modèle de Wikipédia, de leur savoir. Ici, Internet se présente comme une prolongation, une augmentation de la télévision : on y retrouve des contenus inédits qui n’ont pas été diffusés. Enfin, la chaîne a fait un geste notable : au lieu de ne proposer un revisionnage du documentaire limité à sept jours, elle a considérablement étendu cette durée : tout doit être accessible et libre sur Internet. Une belle communication donc, qui redore le blason d’une chaîne trop souvent considérée comme snob et inaccessible pour une grande frange de la population, notamment jeune.

L’expérience a été poussée encore plus loin pour le dernier grand projet d’Arte : Futur par Starck, qui avait pour simple ambition de « nous emmene[r] dans un voyage planétaire inédit à la rencontre des visionnaires qui imaginent le monde de demain. » Futuristique pour futuristique, autant adapter la forme au fond. Et à Arte de proposer un format de documentaire inédit. Le principe est simple. A l’heure où l’on ne parle que du potentiel du deuxième écran – cette tablette ou téléphone qui accompagne le téléspectateur un peu las d’être passif – Arte a décidé de faire plus que proposer un mot-dièse permettant de créer une « grande conversation » sur Twitter. Elle a repris le contrôle des écrans. A la télé, nous voyions le documentaire, avec des numéros en bas de l’écran rappelant les références pour les audioguides dans les musées. Sur notre ordinateur/tablette, nous disposions d’informations supplémentaires : qui est l’intervenant qui parle en ce moment, où le retrouver (site internet, compte twitter) et, coup de force de communication : des tweets tout-faits, citations choc de moins de 140 caractères que l’on n’avait même pas à recopier : un simple clic sur le bouton « tweeter » et nous en devenions auteurs.
Avenir de la télévision ou pas, complémentarité ou distraction, le débat fuse comme à son habitude. Quoiqu’il en soit, ces expériences étaient certes intéressantes, et on su séduire un public non télévisé. Entre des séries originales et des innovations de qualité, Arte change de visage. Reste à savoir s’il n’éloigne pas le public traditionnel.
Vous pouvez revoir les deux émissions sur les sites d’Arte qui leur sont consacrés :
http://lesinternets.arte.tv/
http://futur-par-starck.arte.tv/#home
 
Virginie Béjot

2
Société

Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités

Apple s’est lancée le 22 mai, face au congrès américain, dans un exercice périlleux : défendre ses choix en matière de fiscalité. Le constructeur est en effet régulièrement soupçonné d’optimisation fiscale, une pratique de plus en plus critiquée maintenant que les États, en pleine tourmente budgétaire, s’y intéressent. Dans la pratique, Apple a recours à plusieurs dispositifs lui permettant de payer un minimum d’impôts à l’étranger, grâce à des filiales en Irlande notamment. La société possède des liquidités colossales en dehors des frontières américaines, de l’ordre de 140 milliards de dollars, qu’elle se refuse à rapatrier sous peine d’en reverser plus d’un tiers sous forme d’impôts. Comble de l’absurdité du système, cela lui coûte moins cher d’emprunter de l’argent pour financer une opération de rachat d’actions que de rapatrier ces fonds.
Mais Apple n’est pas seule dans ce cas : Google, Amazon, Facebook comme d’autres ont recours à ces méthodes. Le problème est qu’en l’état, elles ne sont pas réellement illégales, elles profitent plutôt de failles dans la législation numérique, et notamment la législation internationale. Dès lors deux conceptions s’affrontent sur un plan moral : les géants de l’Internet arguent de la légalité des dispositifs mis en place, mais aussi de leur contribution déjà importante à l’économie, en impôts divers et par les emplois qu’elles créent. En face, les États constatent l’iniquité de la situation mais reprochent aussi à ces sociétés de ne pas respecter l’esprit de la loi.
On se situe donc au-delà du simple différend juridique puisque cette question engage une réflexion à la fois idéologique et morale.
C’est aussi un problème de communication. Ces différentes entreprises, en dépit des valeurs qui les distinguent, se veulent toute à la pointe de la technologie et font preuve de progressisme par ailleurs : Google offre à ses salariés des conditions de travail inégalées, avec de nombreuses commodités, tandis qu’Apple œuvre à réduire l’empreinte écologique de ses produits notamment par l’utilisation de métal et de verre, plus faciles à recycler que le plastique. De même, des efforts sont faits pour alléger le coût énergétique des installations chez Apple, comme chez Facebook ou Google.
Il y aurait ainsi une éthique à deux vitesses chez les géants du net. Jusqu’à il y a peu de temps, les pratiques fiscales des grandes compagnies demeuraient opaques mais surtout inconnues du grand public. On peut alors soupçonner que les pratiques de ces compagnies évoluent en fonction de l’image qu’elles renvoient au consommateur. De là on peut tirer un double constat : le soupçon d’une morale de façade est présent, morale orientée seulement dans le sens de la communication vers les consommateurs. Et surtout le pouvoir est, comme souvent, entre les mains des consommateurs. Le jour où ils exigeront plus de moralité dans les pratiques fiscales, les géants du net feront des efforts ; à l’image d’Apple dont l’image a été écornée par les multiples scandales touchant à ses fournisseurs asiatiques, au premier chef desquels se trouve Foxconn, et qui conduit aujourd’hui régulièrement des études évaluant les conditions de travail des ouvriers dans ses usines.
Il est malgré tout regrettable que de tels changements n’interviennent que sous la pression de l’image et des consommateurs. N’est-il pas ironique que Starbucks, qui ne vend plus que du café issu du commerce équitable,partenaire du label Max Havelaar, se voie aujourd’hui accusée d’évasion fiscale au Royaume-Uni ?
Ironique, oui.
Google, Amazon, Apple et Facebook totalisent à elles quatre plus de 250 milliards de dollars de chiffre d’affaires et un effectif de plus de 170 000 personnes, sans compter les différents sous-traitants qu’elles font vivre. À elles quatre, elles génèrent un chiffre d’affaires plus important que le PIB du Portugal ou de l’Irlande, équivalent à celui de la Finlande, et supérieur aux PIB du Luxembourg, de la Nouvelle-Zélande et de la Tunisie réunis.
Comme le disait l’oncle de Peter Parker au jeune homme qui s’apprêtait à devenir Spider Man : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».
Cinq fois le PIB du Luxembourg, c’est un grand pouvoir.
Oscar Dassetto

Société

L'Opinion : on change tout et on recommence

 
En 1996, le Monde Diplomatique lançait son site Internet, où l’on retrouvait, avec une esthétique très épurée, le contenu de ses articles papier. Depuis, toute la presse a épousé cette stratégie. Émotion, émulation, excitation d’un nouveau canal chargé d’un imaginaire fort en utopies : les années 2000 furent marquées par une fantastique idée du tout gratuit et du libre accès aux connaissances. Hélas, ce modèle, comme on le sait, s’est avéré peu rentable, a nui aux journalistes comme au journalisme tout court ; l’impératif du clic engendrant une course au « buzz » et au contenu vain et vaguement amusant, le LOL. Face à cette double crise dont on nous a déjà bien trop parlé, quelles alternatives ?
Certains décidèrent d’adapter le journalisme à cette nouvelle matière qu’est Internet, plutôt que d’opérer un simple transfert. Ils se saisirent des possibilités qu’il offrait : interactivité, objets dynamiques… C’est l’histoire de cette curieuse soucoupe que fut OWNI, un « pure player » (un média n’existant que sur Internet), avec un aspect graphique, fortement artistique et qui a été repris même dans les journaux papiers désormais. Un média qui prétendait à une information différente, en exploitant le mythe des données, supposées neutres et révélatrices de vérités. Le contenu n’en était pas moins intéressant, et l’on doit à cette initiative beaucoup d’innovations et une nouvelle conception de ce que peut être l’information à l’ère du Web. Seulement, OWNI a fermé cette année.
Quant aux autres grands titres, des déboires de Libération aux difficultés du Monde, en passant, si l’on fait un petit détour à l’international, par la fermeture de Newsweek, le modèle qui saurait concilier écrit et écran semble encore bien flou. Il y a bien le New York Times qui a adopté un “paywall”, un mur payant où l’on peut ne peut lire que le début des articles gratuitement – la page d’accueil se présentant comme une sorte de Une cliquable, assez surprenante. Mais n’importe qui n’est pas le New York Times, et il est peu probable que cette solution soit applicable à tous les médias.
Pourquoi ces échecs ?
Eh bien peut-être parce que les médias traditionnels ne se sont toujours pas saisis d’Internet. Ils l’interprètent encore comme un faible écho aux productions écrites. Certains prennent tout de même acte du fait que leurs lecteurs ont changé d’usage. Le Monde a récemment refondu sa page d’accueil, plus dynamique et mouvante, plus adaptée à la rapidité d’Internet tout en proposant en parallèle un temps propre à la réflexion avec des articles qui se rallongent dans son journal. On peut y trouver une carte qui permet de visualiser ce qui se passe dans le monde, ce qui serait impossible à réaliser sur papier.
L’Opinion tente d’aller encore plus loin. A l’heure où cet article est écrit (13 mai), on peut lire sur la page de présentation de ce tout nouveau journal : « ce média sera à la fois un site Internet, une application pour mobiles et tablettes, une chaîne vidéo et un journal papier. » Les sites d’information ont forgé un nouveau terme pour en parler : c’est un « média web-papier ».
Pour la première fois, les deux supports sont mis sur un pied d’égalité. Même, selon France Culture, c’est Internet qui prend le dessus : « son modèle économique est inédit, puisque pour la première fois, le papier n’est que l’extension d’un support web majoritairement payant. » Nicolas Beytout, créateur de ce nouvel ovni, souligne son caractère radicalement nouveau. L’Opinion sera présenté sous forme d’une grille radio : on donnera des rendez-vous à heures fixes aux lecteurs (une méthode qu’applique déjà le Huffington Post avec le 13h de Guy Birenbaum par exemple). On y trouvera des mini JT vidéo, où les journalistes se filmeront, et le journal à 22h pour les abonnés. Quant à la ligne éditoriale : « libérale, pro-business et pro-européenne », pour se démarquer.
Coup de com’ ou nouveau modèle économique viable ? Le magazine sortira en kiosque demain, distribué gratuitement. Ensuite, affaire à suivre…
 
Virginie Béjot
Sources :
Le Nouvel Economiste : L’aventure de l’Opinion, le nouveau journal de Nicolas Beytout
BFM TV : l’Opinion, nouveau site d’info pensé comme une grille de radio
France Culture : l’Opinion, nouveau modèle économique de la presse en ligne ?

Société

Et si Yahoo! avait racheté Dailymotion…

 

Aujourd’hui, le 6 mai 2013, la France est en deuil. Un an jour pour jour après l’élection de François Hollande, la page Wikipédia de Dailymotion a disparu. Et lui avec.
L’aigle, ou plutôt la Pygargue à tête blanche, a dévoré le coq gaulois. Voilà que la charmante petite église d’un village français que représentait (presque) le logo de Dailymotion se transforme, bien malgré nous, en gratte-ciel de Wall Street ! Le rachat de Dailymotion par Yahoo! signe la fin de la culture française chuchote-t-on.
Adieu les Matinales de RTL rediffusées avec la tendre voix de Stephane Bern , notre monarque radiophonique préféré ?
Adieu les interventions d’Alain Duhamel dans sa rubrique « Fait Politique » ?
Adieu l’humour français « démocratisé » dans les retransmissions des sketches de nos meilleurs (ou pas) humoristes ?
Adieu les témoignages pertinents de jeunes adolescents (ou pas) à propos de leur libido, comme dans cette vidéo publiée cette semaine « C’est marrant la vie presque puceau » ?

Mais heureusement, nous ne sommes plus « la risée mondiale de l’Internet », comme avait pu le déclarer Pierre Kosciusko-Morizet, le frère de Nathalie et le cofondateur de Price Minister, au moment où les négociations entre le gouvernement et Yahoo se révélaient un peu tendues. Grâce au rachat par le géant américain de la plateforme française de vidéos en ligne, il est désormais possible d’envisager la « croissance mondiale » de la start-up française (enfin, nord-américaine, ce qui pour beaucoup semble être la même chose). « La notion de “France” n’est plus économiquement pertinente. Les capitaux sont mondiaux aujourd’hui », revendiquait l’auto-entrepreneur avec un optimisme patriotique incroyable. Mais n’ayez crainte, Pierre Kosciusko-Morizet sera bientôt le prochain ministre du redressement productif, et remplacera Monsieur Montebourg, idéaliste socio-démocrate qui a foi en un dynamisme économique national anachronique.
A Bercy, comme dans la Rue de Vallois, on ne parle plus de « défense de l’exception culturelle ». La rhétorique de la croissance a fini par triompher. Désormais, Deezer reste le seul site tricolore qui s’est fait une place en dehors du web hexagonal. Arnaud Montebourg, après avoir figuré en première de couverture du Parisien pour défendre le « Made in France », ne pouvait que s’opposer au rachat de Dailymotion, vecteur majeur de l’influence culturelle et numérique française dans le monde. Mais il n’a visiblement pas été insensible à l’ambition de la charmante patronne américaine de Yahoo! Marissa Mayer qu’il a préférée à la préservation de « l’intérêt de la France ». Le rachat de Dailymotion par Yahoo! signe la défaite du « Made in France », avant qu’il n’ait pu atteindre sa maturité.
Yahoo! a rapidement changé le nom de l’entreprise française pour « Mouvement Quotidien », traduction littérale de Dailymotion pour séduire un public étranger sensible aux sonorités francophones. Chacun saura apprécier la portée humoristique de ce choix.
Rien de mieux pour illustrer ce rapport de force « politico-économico-numérique » que les fables du conteur français Jean de la Fontaine. Dans Le Renard et la Chèvre, le lecteur assiste à la défaite de cette dernière face à l’espièglerie du renard, qui répond à la chèvre bien embêtée :
« Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts :
Car pour moi, j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin. »
 
Margaux le Joubioux
Sources :
-France Culture : Dailymotion devrait rester Français…. Pour le moment
-Rue 89 : Pierre Kosciusko- Morizet : « Dailymotion va mourir »
-Le Figaro : Yahoo! repart à l’offensive et lorgne Dailymotion
-Les Fables Jean de La Fontaine

Dossiers et conférences

Qwant : la France à la conquête du web

 
Ce jeudi avec Edouard Deflandre, penchons-nous sur Qwant : nouveau bijou du web qui a la particularité d’être d’origine française. Si l’informatique n’a jamais réellement fait partie du patrimoine français, ce moteur de recherche pourrait bien permettre à l’Hexagone de rattraper son retard. Mais il semble difficile d’imposer, voire de créer un style Made in France sur ce marché complexe et largement américain.
Petit dernier de l’IT française (Information Technology), Qwant a produit à la fin de l’hiver ses premiers bourgeons. Il aura fallu deux ans à l’équipe de Jean-Manuel Rozan pour faire germer leur idée, dévoilant au public la version bêta de ce moteur de recherche nouvelle génération, alliant comme des pétales cinq champs de recherche associés aux couleurs des lettres du googlesque logo de Qwant : web (vert), live (orange), social (bleu), shopping (jaune) et media (rouge). Alors, Qwant représente-t-il le fleuron de l’industrie de l’information et de la technologie française, se pose-t-il en fleuret menaçant pointé vers les gigantesques séquoïas qui dominent la forêt du web, ou ne sera-t-il qu’un flirt éphémère entre la mode et le web voué à se faner lorsque l’hiver sera venu ? Quoi qu’il en soit, de rapport affectif en considérations stratégiques, la fleur Qwant génère un certain émoi dans la blogo-clairière depuis son éclosion.
Du social et du shopping
 
Ceux qui auront apprécié Inception se rappelleront sans doute de la métaphore de l’idée et de la graine : lorsque une idée prend racine, même le Round’Up Monsanto est impuissant à la désherber. C’est un peu pareil pour Qwant. Le moteur de recherche repose sur une idée en béton : le web s’est imposé comme la place publique globale et le plus grand centre commercial du monde, il faut donc adapter ses structures à ce constat. Éric Léandri et Jean-Manuel Rozan, bien conscients de cet état de fait, décident de construire un système dans lequel la part belle serait faite à ces deux mamelles du web des années 2010. Lorsqu’ on y pense, la question est incontournable : comment se fait-il que les moteurs de recherche ne permettent pas de s’informer directement dans les réseaux sociaux ? Tout le monde communique, Twitter est devenu la première source d’information d’un grand nombre d’internautes, et notamment des journalistes, friands d’information fraîche et fluide. Jean-Manuel Rozan déclare dans une interview que “Google nous cache des choses”, et soutient sa théorie, a priori fantasque, en avançant un argument de poids : le géant américain a (paraît-il !), des billes dans le marché des réseaux sociaux avec son poisseux Google+. Il rechignerait donc à publier, lors d’une recherche, les résultats provenant de ses concurrents Facebook et Twitter. Drôle d’idée, mais pourquoi pas ? Au printemps de la conspiration 2.0, plus rien ne nous étonne… L’autre pan de la montagne est l’e-commerce. La recherche de produits disponibles à la vente dans Google doit bien souvent s’accompagner du mot-clef “achat”, et les résultats sont insatisfaisants au point que les internautes se rendent directement sur eBay, PriceMinister, Amazon et consorts. Le business model de Google reposant sur les liens sponsorisés, on comprend bien qu’il est impossible au géant américain de se poser en comparateur équitable de produits et de services.

Alors mettons Qwant à l’épreuve de l’utilisation, et commençons par éprouver la concurrence : tapons “Cahuzac”, puisqu’il qui défraie la chronique ces jours-ci, dans Google. Résultat : les dix premières pages regorgent de liens vers des articles dans les médias et les blogs, et pas un seul provient des réseaux sociaux, pas une page de soutien au pauvre Jérôme, un appel à dons, une collecte charitable… On peut légitimement ajouter que l’internaute moyen ne se rend jamais en page 10 des résultats Google. On obtient des résultats similaires sur Bing. Côté Qwant, c’est bien différent : la modalité “Social” de recherche déploie les tweets éclairés d’Isabelle, Florian, Matthias, Valérie et “Mélenchon actus” sur le scandale fiscal,mieux, Cahuzac est en page d’acceuil de Qwant ! Le moteur dispose en effet, sous son champ de saisie, les recherches ou les liens les plus consultés, dont on notera qu’un certain nombre commencent par le musical, téléphonique et très social caractère “#”.
En ce qui concerne le shopping en ligne, on peut également se demander si Cahuzac est à vendre ! Et l’on découvre ainsi en première page dans la colonne jaune les oeuvres complètes de Louis Cahuzac, fameux clarinettiste français, compositeur de l’étrange “Arlequin”, disponible en un seul exemplaire sur Amazon.
L’interface et les fonctions
On l’aura compris, chez Qwant, l’innovation passe par l’interface, la mise en forme et la mise en relation comme vecteurs de production de sens et de valeur ajoutée : c’est l’optique de la cross-platform. Les recherches étant modales, il était indispensable que l’on puisse en moduler l’apparence. On peut ainsi y consulter les résultats de ses recherches en colonnes et scroller indéfiniment dans les tréfonds du web. On peut aussi opter pour la “mosaic”, un arrangement des résultats les plus pertinents en boîtes, ou enfin consulter uniquement les catégories “media” ou “people” pour trouver des images et des vidéos ou des profils d’utilisateurs sur les réseaux sociaux.
On trouve un allié utile à la recherche dans les champs d’affinage de chaque catégorie. On peut ainsi, en tapant “John” dans le champ principal, se concentrer sur John Wayne dans le web, John Travolta dans l’actualité, John Kennedy sur les réseaux sociaux et John Lennon sur les sites d’e-commerce, le tout sur la même page.
Qwant dispose d’un Qnowledge Graph, une rubrique encyclopédique (dont la source principale est Wikipédia) proposant des informations générales sur le sujet de la recherche, mais cette fonctionnalité ne constitue pas une innovation frappante : elle existe sur les moteurs concurrents.
Notons également que Qwant est équipé d’un player permettant de regarder des vidéos hébergées sur les grandes plateformes (YouTube, DailyMotion…) directement depuis le site, et de les partager sur les réseaux sociaux.
Ajoutons à cela la possibilité de mettre des liens en signet et les “hot trends” dont nous avons parlé précédemment et le tour est joué : l’expérience est inclusive et englobante.
La technique et la polémique
Dès les premières semaines, Qwant a été sévèrement attaqué par les blogs informatiques et technologiques pour la concordance presque parfaite de ses résultats avec ceux de Bing, le moteur de recherche de Microsoft. Devant ces accusations de plagiat pur et simple, la direction de Qwant dément et explique que son moteur fonctionne sur ses propres algorithmes d’indexation et qu’elle achète parfois des résultats d’images à Bing pour enrichir son contenu. Qwant ne repose cependant pas sur l’API de Bing (Application Programming Interface), programme payant sur une base régulière. L’accusation est donc fondée, mais reste quelque peu absurde dans la mesure où l’on ne peut reprocher à Qwant de produire dans sa colonne web des résultats semblables aux autres moteurs. Il serait plutôt inquiétant et obscur qu’on n’y trouve que des résultats différents.

Les algorithmes de Qwant sont les suivants : un crawler, Qwantify 1.0, programme qui explore le web automatiquement et collecte des données et des contenus, et un algorithme de ranking, yourank, qui produit un classement des sites et des pages selon leur poid, leur profondeur, le nombre de liens qui y renvoient…
En bref, Qwant propose, en plus des fonctionnalités qui en font l’originalité, le package complet des éléments de base qui composent l’architecture des moteurs de recherche, même si l’on peut légitimement supposer, les budgets investis étant inférieurs à ceux de la concurrence, qu’il faudra les améliorer et les développer.
Le business model
Un élément non négligeable de la constellation Qwant, c’est Pertimm. Actionnaire de Qwant, la société se spécialise dans la conception sur mesure de solutions de recherche (et donc d’indexation) pour les sites internet. La société compte parmi ses clients Meetic, les Pages Jaunes, Monoprix et elle a conçu – les détracteurs de Qwant à la critique facile apprécieront peut-être l’information – l’intranet de la NASA. Pas de quoi rougir donc pour une société qui met à la disposition des développeurs du moteur français, certains de ses savoir-faire (dont il est difficile de déterminer lesquels). Ainsi Pertimm, qui ne travaille pas dans le bénévolat, soutient Qwant parce qu’elle y voit probablement un potentiel acteur rentable du web de demain, le “3.0”. Alors le business model de Qwant en est encore, selon Jean-Manuel Rozan, à ses tâtonnements. On sait que la publicité y jouera le beau rôle dans les espaces que Qwant ouvre pour ses utilisateurs, notamment dans les signets et le player intégré au site, où devrions-nous dire LES players intégrés au site, puisqu’il s’agit (presque) à chaque fois d’une intégration de module YouTube, DailyMotion… Qwant ne dévoile donc pas encore toutes ses cartes, et les évolutions du web dans les années à venir produiront certainement des nouveaux moyens d’engranger des revenus, de nouvelles opportunités de monétiser l’expérience de navigation.
Pour en revenir au “made in France”, on peut affirmer que, si Qwant est fabriqué en France, il est développé en partenariat avec Pertimm, entreprise mondiale, et que les méthodes de travail et de management qui ont permis son existence sont typiquement américaines. Il est évident que dans les technologies de l’information et de la communication, nos amis d’outre-atlantique construisent les normes. On peut d’autre part saluer, ne serait-ce que pour la beauté du geste et l’originalité du projet, en attendant de voir s’il portera ou non ses fruits, l’initiative bien trempée de Jean-Manuel Rozan et d’Éric Léandri. Les deux aventuriers 3.0 font désormais face à la réaction du public, qui semble pour l’instant positive : 70% des utilisateurs de Qwant reviennent. Cela suffira-t-il a terme, à se faire une place face au quasi-monopole de Google sur la recherche en France (93%) et dans le monde (75%) ? Rien n’est moins sûr, mais la présence de Qwant dans 35 pays du monde et sa disponibilité en 15 langues différentes en font un « David » crédible face au « Goliath » américain. Quand à la polémique importante que Qwant a suscité dès ses débuts, on se demande si elle relève vraiment de la maladresse. Jean-Manuel Rozan répète à longueur d’interviews qu’une “bonne polémique vaut bien mieux qu’une mauvaise pub”… Il ne nous reste qu’à lui souhaiter qu’il ait raison, et à espérer qu’on étudiera un jour Qwant sur les bancs des grandes écoles de communication françaises, navarraises et d’ailleurs. Cocorico.
 
Edouard Deflandre