DON DU SANG HOMOSEXUEL
Société

Le don solidaire ou l'indécision sanitaire

Le 4 novembre dernier, la ministre de la Santé, Marisol Touraine a annoncé une révision des contre-indications au don du sang. Dès le 1er juin 2016, tout homme ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes aura enfin la possibilité de devenir donneur à son tour … à condition qu’il ait respecté au préalable une période d’abstinence de douze mois. Face aux justifications médicales et à une communication ministérielle beaucoup trop évasives, la réforme est jugée encore trop culpabilisante, réaffirmant les stéréotypes homophobes. Un débat à mi-chemin entre égalité, solidarité et sécurité sanitaire.
Mauvais genre…
« Je m’appelle Steven Kuzan, j’ai 23 ans. Je suis aide-soignant par passion, je me considère comme combattant pour le bonheur et le bien être des gens. » Steven a le sang rare et l’esprit solidaire. Il y a quelques mois, il a lancé une pétition à l’adresse de Marisol Touraine, revendiquant l’autorisation des hommes homosexuels à donner leur sang. Il y a peu encore et selon un arrêté de 1983, le site de l’EFS recensait la contre-indication suivante : tout homme « ayant eu ou ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, quelle que soit l’ancienneté du rapport » ne peut être donneur. « Pourquoi ? Parce que je suis gay ! Gay donc drogué, malade ou contagieux ? NON ! Mais c’est ce que notre réglementation nous dit ! » ajoutait Steven dans sa lettre. Lui et quelques 180 000 autres signataires brandissent aujourd’hui leur détermination sur le site Change.org tandis que le ministère semble encore hésiter. En 2012, la future ministre de la Santé déclarait :
« Les homosexuels hommes devraient bientôt être autorisés à donner leur sang en France alors qu’ils en sont, jusqu’à présent, exclus en raison d’un risque, considéré comme accru, de contamination par le virus du sida. Le critère de l’orientation sexuelle n’est pas en soi un risque. En revanche, la multiplicité des relations et des partenaires constituent un facteur de risque, quels que soient l’orientation sexuelle et le genre de la personne ».
L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne a appuyé ce propos en 2014, en annonçant que l’exclusion des homosexuels provoquait « une évidente discrimination indirecte basée sur le genre et l’orientation sexuelle. » D’un côté se trouvait donc toute une communauté discriminée mais désireuse d’agir pour son prochain, et de l’autre, un établissement français du sang exsangue. L’équation semblait évidente…
… Et mauvais sang
Pourtant, trois ans après sa première déclaration, Marisol Touraine freine des quatre fers et annonce que si les hommes homosexuels pourront dorénavant donner leur sang, ils devront avoir au préalable respecté une période d’abstinence de douze mois. A ce retournement, on invoque des raisons médicales. Le Comité d’Éthique émet de sérieuses réserves, indiquant que le taux de contamination au VIH reste aujourd’hui élevé au sein de la communauté gay et à ce titre, le risque de transmission virale par transfusion l’est tout autant. Le professeur Benoît Valet, directeur général de la Santé, ajoute qu’il « n’y a pas encore à ce stade, de données suffisantes pour démontrer l’absence d’augmentation du risque transfusionnel du VIH pour un délai inférieur à douze mois. »
Et c’est là justement que le bât blesse. Le ministère, pour justifier ses tergiversations sanitaires, a usé des mêmes stéréotypes que Marisol Touraine disait justement vouloir désamorcer. L’homosexualité masculine est toujours perçue comme un facteur de risque. On renoue avec les discriminations faites à une orientation sexuelle particulière. La boucle est bouclée et le sang des internautes ne fait qu’un tour :

 
 
Bon sang ne saurait mentir !
Quant à la presse, elle ne fait pas non plus dans la demi-mesure. Il y a d’un côté ceux qui saluent l’avancée sociale, et de l’autre ceux qui dénoncent l’hypocrisie du ministère. C’est sans doute là toute la difficulté du sujet que de ne pas se laisser tenter par les raccourcis. Certes, la réforme impose une abstinence de douze mois en ce qui concerne le don de globules rouges, mais le don de plasma, lui, est autorisé aux mêmes conditions pour tous, sans distinction d’orientation sexuelle. Il ne s’agit donc peut-être pas tant d’une démarche homophobe que d’une tentative ratée de mettre fin à une discrimination permanente parmi les donneurs tout en maintenant le niveau de sécurité des receveurs.
Malgré tout, la communication autour de cette nouvelle réglementation semble beaucoup trop élusive. Trente-deux ans après la reconnaissance du SIDA et sa propension à toucher TOUT le monde, est-il encore possible d’affirmer que les rapports masculins constituent un plus grand risque que toute relation hétérosexuelle non protégée ? Car face au douze mois d’abstinence exigés des hommes homosexuels, quatre seulement sont demandés aux donneurs hétérosexuels après un changement de partenaire ou un rapport à risque.
En vérité, cette réforme n’est sans doute que l’ébauche d’un progrès, marquant la fin d’une exclusion permanente, mais ne sachant encore trop comment articuler « égalité » et « sécurité » de manière harmonieuse et sans contradictions.
Marie Philippon
Sources :
Steven Kuzan, « Oui au don du sang pour tous », change.org – https://www.change.org/p/oui-au-don-du-sang-pour-tous-stop-%C3%A0-l-interdiction-pour-les-homosexuels-marisoltouraine
Jean-Yves Nau, « Don du sang chez les gays: le difficile exercice de la démocratie sanitaire », Slate, le 04/11/2015 – http://www.slate.fr/story/109385/don-sang-homosexualite-sida-democratie-sanitaire
Maxime Bourdeau, « La période d’abstinence d’un an demandée aux homosexuels pour le don du sang critiquée (et détournée) sur Twitter » Le HuffPost, le 04/11/2015 – http://www.huffingtonpost.fr/2015/11/04/abstinence-un-an-homosexuels-don-du-sang-critiques-twitter_n_8471086.html
http://www.dondusang.net/
Crédit images :
Le Monde.fr, Aurel
Twitter, Sergio Coronado, @sergiocoronado, le 04/11/2015
Twitter, Piedminu, @piedminu, le 04/11/2015
RT Pierre, @Rouatp, le 04/11/201