Société

Du pareil au mème

Ci-dessus, l’enfant qu’on ne présente plus. A l’origine un bébé sur une plage, il a fait le tour de la toile et a été baptisé « Success Kid ». Les plus pessimistes l’ont surnommé « I Hate Sandcastles ». Quoi qu’il en soit son histoire ne s’arrête pas là. En février 2012 il devient la star d’une campagne de publicité de la marque britannique Virgin Media. Vous avez vu l’avant, voici l’après :

Récemment, Yomoni a lancé une campagne de publicité basée sur la rhétorique du mème, posant ainsi la question de la pertinence d’une telle stratégie, de plus en plus discutée et parfois préconisée dans le milieu du marketing.
Je suis bilingue web, viens on parle !
Le mème est « un anglicisme utilisé pour décrire un élément ou un phénomène repris et décliné en masse sur internet ». Il peut prendre la forme d’une vidéo, mais on le connait plus souvent sous celle d’une photo, reprise et détournée au moyen de phrases humoristiques surimposées. Il s’agit souvent d’images insolites ou drôles qui se prêtent à une multitude d’interprétations. Il ne tient alors qu’à l’internaute de faire preuve d’imagination, de créativité et d’humour. Ce dernier élément est essentiel au mème et constitue un des ressorts majeurs pour une campagne publicitaire. De plus en plus, les marques cherchent à établir une relation avec leurs publics plutôt que de vendre directement un produit. Passer par le rire ou le sourire est un moyen d’entrer en contact avec des publics potentiels ou déjà constitués. Le capital sympathie du mème est grand et favorable à la marque qui se le réapproprie.
Il est également pour la marque une manière de montrer patte blanche. Si elle s’adresse à un public plutôt jeune (les moins de 40 ans), l’utilisation du mème permet de lui fait comprendre qu’elle parle sa langue. En s’appropriant les codes de la culture web que ce public a en commun, la marque met en place les conditions d’une connivence qui ne peut que favoriser, ou même renforcer, le lien qu’elle entretient avec sa cible. En voici un exemple, qui repose sur l’utilisation du « Y U NO » Guy des Rage Comics, dont la popularité ne cesse d’augmenter.

Partage-moi…
Le mème dans une campagne d’affichage est l’irruption d’une rhétorique web dans un espace extérieur au web. C’est précisément cette hybridation qui constitue l’intérêt du phénomène : internet est en train de devenir le média le plus chronophage, reprendre ses codes semble être une évolution logique et évidente des discours publicitaires qui doivent s’adapter aux usages de leurs publics. Le mème permet de capter l’attention grâce à un effet de surprise double : le format d’une part – celui d’un panneau d’affichage dépasse largement celui d’un écran d’ordinateur et crée une impression de gigantisme amusante – et la présence encore rare des mèmes dans les espaces d’affichage. Sachant que la problématique principale pour les publicitaires est celle de capter et de retenir l’attention, les mèmes sont une réponse encore originale et pertinente.
Par ailleurs, le mème est un phénomène viral fondé sur la reprise et le détournement. En reprenant un même ou en créant un même, une campagne publicitaire incite à la reprise de son contenu et impulse une dynamique favorable à la marque. Celle-ci peut se reposer dessus pour créer le « buzz », une des façons les plus efficaces de faire parler de soi. Il s’agit de donner la parole à ses publics en les invitant à la réappropriation, tout en misant sur leur bienveillance du fait de la connivence instaurée.
De la pertinence de ce discours
En se reposant sur la réappropriation de son contenu par ses publics une marque s’expose cependant à l’éventualité d’un « bad buzz ». Il faut en effet accepter de perdre le contrôle sur le discours initial. Il faut également faire attention à ne pas faire du même pour du même (comme cela a été le cas pour Wonderful Pistachios… Faites-vous un avis :

 
Et de fait, les marques sont encore réticentes à l’utilisation des mèmes, surtout pour des campagnes d’affichage, en publicité. Pourtant, à en croire le nombre d’articles postés sur internet à ce sujet, le « memevertising » est une pratique qui prend de l’ampleur, surtout aux Etats-Unis pour l’instant, et qui commence à émerger en France.
Yomoni est un service de gestion d’épargne, exclusivement en ligne, qui s’est récemment fait connaître grâce à une campagne d’affichage dans le métro parisien, dont voici un échantillon :

Il s’agit d’une bonne illustration de la rhétorique du mème pour établir un premier contact (c’est la première campagne publicitaire du service) avec des cibles potentielles : humour, décalage, visuels, typographie, simplicité des messages. Par ailleurs, Yomoni fait ici preuve d’une très grande cohérence dans son discours. Etant un service exclusivement en ligne, l’utilisation d’un code du web apparaît comme naturelle et démontre ici son efficacité. Etant également un service de type nouveau, le recours à une campagne inhabituelle permet de démontrer par l’exemple son approche novatrice du monde de l’épargne.
Le même est une des évolutions que l’on peut observer dans le monde de la publicité. Il démontre la volonté de s’adapter aux usages des publics : le temps croissant passé sur internet et des phénomènes viraux qui démontrent l’appétit des internautes pour la réappropriation des contenus qui circulent. Cependant, les marques avancent avec précaution du fait de la difficulté de la mise en place d’une communication virale.
Sophie Miljkovic
Sources:
L’ADN, Yomoni, première campagne de communication. In : L’ADN. 18/01/2016
Bouilhot, Elodie, La réappropriation des mèmes internet dans la publicité est-elle légitime ? In Slideshare. Publié le 26/11/2014.
Cléry, Hugo, Quand la publicité récupère la culture internet. In : Blog du modérateur. 11/09/2012
Markowski, Jordan, The Best Examples of Meme Marketing. In : Sparksheet. 10/04/2013
Vaughan, Pamela, 10 Popular Memes Masquerading as Marketing Campaigns. In: Hubspot Blogs. 07/06/2012
Wikipedia, Mème internet
Crédits photo:
http://blog.hubspot.com/blog/tabid/6307/bid/33197/10-Popular-Memes-Masquerading-as-Marketing-Campaigns.aspx
https://www.yomoni.fr/blog/premi%C3%A8re-campagne-de-pub-pour-yomoni
http://knowyourmeme.com/memes/success-kid-i-hate-sandcastles

Archives

Jacques a dit : « Nan mais allo quoi » ?

 
Si vous êtes un être humain âgé de 3 à 133 ans, vous en avez forcément entendu parler. Pour les autres, voici la chose :

 C’est LA vidéo qui fait le buzz depuis plusieurs semaines, mettant en scène Nabila, personnage phare des Anges de la téléréalité, en pleine réflexion métaphysique. Ce n’est certes pas la première phrase aberrante et grammaticalement incorrecte lancée par un candidat du télécrochet. Ce qui est plus étonnant c’est la rapidité avec laquelle elle a été diffusée par un certain nombre de relais culturels, à la base assez éloignés les uns des autres, jusqu’à atterrir  dans la bouche de votre propre grand-père en plein déjeuner familial (véridique !). Genèse de la démocratisation d’une phrase culte.
 
Réflexivité de la culture beauf
Clarifions d’emblée la situation : les candidats de la téléréalité sont rarement des lumières, mais pas non plus bêtes à ce point. Dans Les Anges comme ailleurs, on force le trait des caractères, et notre Nabila se retrouve priée de faire des réflexions en adéquation avec son corps de bimbo. Vertigineuse mise en abyme où des gens un peu crétins doivent faire semblant de l’être encore plus pour satisfaire une audience qui veut se sentir intelligente. Ou l’application scrupuleuse de la théorie de la négativité mise au point par le pape de la téléréalité John de Mol : l’idée est de de montrer la lie de l’humanité pour flatter les bas instincts du spectateur.
Cependant si grâce à ce génial concept ces émissions sont massivement regardées elles restent taboues, la règle d’or étant de ne jamais en parler en société, du moins au premier degré. On se retrouve donc face à un phénomène assez paradoxal, à la fois très populaire et extrêmement confidentiel. Donc même si une grande partie de la France a été ravagée par la rupture de Samir et Aurélie, on évite quand même d’en parler dans le métro le matin.
Alors comment expliquer ce qui passe au travers du filtre social ? La « bogossitude » de Vendetta dans La Ferme Célébrités, le « ça va Senna ça va ! » d’Amélie dans Secret story, ou les ébats de Charles-Edouard et Loana dans la piscine du Loft pour les ancêtres sont désormais mythiques et font partie de l’imaginaire collectif. Ces références peuvent être évoquées ouvertement et comprises par énormément de personnes aux profils socioculturels pas forcément proches de celui du fan lambda. La téléréalité touche ainsi indirectement une nouvelle cible, et cette popularisation passe par un angle original : l’ironie. Elle permet d’instaurer une certaine distance avec ce qu’on regarde, autorise le divertissement sans passer par une adhésion, perçue comme humiliante. Ce qui explique que beaucoup y voient un moyen d’évoquer sans complexe les temps forts de certains épisodes dans l’espace public, notamment sur internet.
 
Le relais geek
La multiplication des références à la téléréalité sur le web et principalement dans les réseaux sociaux contribue à donner au genre ses lettres de noblesse. Le second degré, Saint Graal des communautés de l’internet, permet de revaloriser et de moderniser l’objet télévisuel. Dans le cas Nabila on a vu fleurir des parodies faisant référence à un certain nombre de codes culturels estampillés « geek » :
Version Hitler

Version Seigneur des anneaux

Nabila et Cloclo
 
Et pour finir, la parodie de parodie, ou la collision de deux cultures différentes : l’émission elle-même devient second degré en s’appropriant les codes de la contre-culture du net

Ces reprises et beaucoup d’autres se sont répandues de façon virale sur les réseaux sociaux, démocratisant massivement les aventures de Nabila et consorts, en y apposant le label « humour décalé ». Cette deuxième étape attire alors l’attention des médias de masse plus « traditionnels », et l’ « effet Nabila » se fait ressentir jusque dans des sphères très éloignées de la cible première de l’émission.
 
Passage au mainstream
Les médias de flux se mettent à parler eux aussi de cette histoire de shampoing. Mais de la même manière que la vidéo a été parodiée pour s’adapter aux valeurs du net,  elle est ici reformatée par le décryptage. Des émissions cataloguées plutôt bobo se proposent non pas (jamais ô grand jamais) de relayer telle quelle une émission populaire issue des limbes de la TNT, mais d’analyser un phénomène quasi-sociologique. L’honneur est sauf. C’est donc auréolés d’une crédibilité journalistique intacte qu’Audrey Pulvar, Alexandra Sublet, ou Yann Barthès se mettent eux aussi à utiliser leur main comme combiné pour tenter d’expliquer les raisons du buzz national.
La preuve en vidéo

C’est ainsi que la boucle est bouclée : le désormais célébrissime « Non mais allo quoi ? » repasse par la télévision qui l’a vu naitre, en empruntant cette fois les chaines les plus regardées, aux heures de grande écoute qui plus est. On n’est pas passé loin du JT de France 2. L’audience la moins connectée et donc généralement  la moins susceptible  d’être touchée par ces engouements éphémères est ici frappée de plein fouet.
Moralité : le dialogue entre les médias renforce le buzz. Chaque support s’approprie la vidéo en y injectant les valeurs qui lui sont propres, et mobilise ainsi sa communauté attitrée. On se retrouve donc face à une diversité des contenus médiatiques de plus en plus importante, où des évènements au départ condamnés à circuler au sein d’un cercle restreint d’initiés se retrouvent un bref moment sous le feu des projecteurs. Pour le meilleur et pour le pire.
 
Marine Siguier

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Com & Société

Keep calm and read this article

 
Vous avez forcément vu cette phrase un jour, sur un mug ou une photo de profil Facebook. Que ce soit l’original « Keep calm and carry on » ou un dérivé comme « Keep calm and eat chocolate »…
Keep calm and learn history
Et oui, même une affiche a une histoire, et celle-ci est plutôt insolite… Car il faut le rappeler, même si cette phrase fait actuellement fureur dans le monde, c’est du talent anglais dont nous parlons.
C’est en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale que le gouvernement britannique crée une affiche destinée à relever le moral de l’opinion publique du pays en cas d’invasion. « Keep calm and carry on », ou comment générer un buzz 70 ans après, à partir du pire scénario possible !
Néanmoins, seulement quelques exemplaires furent distribués, contrairement à ses consœurs de la même série, les fameuses « Your Courage, Your Cheerfulness, Your Resolution Will Bring Us Victory » (Votre courage, votre gaieté, votre résolution nous apporteront la victoire) et « Freedom Is In Peril, Defend It With All Your Might » (La liberté est en péril, défendez-la de toutes vos forces) qui furent diffusées massivement à travers le pays pour remotiver la population.
Si le concepteur de l’affiche reste anonyme, c’est bien le Ministère de l’Information qui est à l’origine du slogan… De quoi en prendre de la graine sur le plan communicationnel !
Cependant, cette affiche est restée inconnue durant toutes ces années… Jusqu’à aujourd’hui !
Keep calm and create a slogan
Il faudra attendre les années 2000 pour redécouvrir cette petite merveille au fond d’une boîte de livres achetée aux enchères par Stuart et Mary Manley, le couple propriétaire d’une libraire d’occasion du Northumberland, Barter Books.
C’est la naissance du Keep calm and carry on : ils encadrent l’affiche dans leur boutique et… Ce fut un succès puisque de très nombreuses copies furent commandées ! Car il faut le savoir, le Crown Copyright (©) sur les œuvres artistiques créées par le gouvernement britannique expire après 50 ans : l’image appartenait donc au domaine public !
Le buzz prend forme : la phrase est sur des vêtements, des tasses et autres objets dérivés, tel qu’un livre de citations de motivation. Et ça continue ! Des entreprises privées de différents pays réimpriment ce slogan à la mode ; la phrase devient la devise officieuse des infirmières britanniques, affichant cette dernière dans les salles de garde du personnel des hôpitaux, et elle apparaît même sur les murs de lieux aussi surprenants que l’unité de la stratégie du Premier ministre au 10 Downing Street, le bureau de Lord Chamberlain à Buckingham Palace ou encore l’ambassade américaine en Belgique.
Face à cet engouement, les détournements humoristiques ont commencé, avec notamment la couronne à l’envers et la mention « Now Panic and Freak Out » (Maintenant paniquez et flippez) ! Mais ce n’était que le début…
Keep calm and buzz on
Ainsi, c’est en 2012 que le buzz explose avec des parodies toutes plus originales les unes que les autres – et parfois même un peu tirées par les cheveux, on peut le dire !
Dans The Economist, un article explique la popularité de l’affiche en l’associant à l’idée qu’elle « exploite directement l’image mythique que le pays a de lui-même : courageux sans prétention, juste un peu guindé, buvant du thé pendant que les bombes tombent ».
Néanmoins, la résonance puissante de ce slogan à travers le monde réside bien dans ce contexte de crise globale qui lui a réellement donné une nouvelle vie et de la pertinence. Les commandes d’entreprises financières américaines et d’agences de publicité illustrent tout à fait cette appropriation du « Keep calm and carry on » devenu plus qu’une simple affiche : c’est une devise, un art de vivre, dans lequel chacun peut se retrouver.
Cependant, si des personnalités telles que Mark Coop, en ont fait un véritable produit de consommation – voir son site – il ne faut pas fermer les yeux sur la dimension incitative (à la consommation bien sûr !) des innombrables parodies : Keep calm and buy shoes ou encore Keep calm and go shopping…
Et ça marche ! Le marché en ligne Etsy par exemple, propose plus de 10 000 articles différents autour du slogan. Encore mieux, vous pouvez désormais créer votre propre « Keep calm and » ce que vous voulez, grâce au Keep Calm-o-matic !
La logique fonctionne, parce que ces petites phrases titillent nos envies de tous les jours et font référence aux mèmes de la culture populaire, du mariage royal à Batman, en passant par le jeu vidéo Mario ou encore Justin Bieber !
L’affiche et ses détournements sont dans tous les médias : même si le texte, l’icône, les couleurs ou la police sont modifiés, l’impact reste le même dans l’imaginaire collectif. Il s’est formé un véritable mouvement de rassemblement autour de cette nouvelle maxime, comme avec le groupe Flickr par exemple, qui présente de nombreuses variations sur le design.
A la fois symbole de la lutte contre la crise mais aussi conseil pour garder notre calme et tenir bon dans la vie quotidienne, le « Keep calm and carry on » semble symboliser le XXIème siècle, tant sur le plan idéologique que publicitaire.
 
Laura Lalvée
Le site officiel…
Quelques exemples de parodies…
Sources
New York Times
The Gardian
The Independant
BBC

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