Société

La coiffure des femmes noires : Don’t worry be nappy ?

Depuis plusieurs années maintenant la coiffure nappy devient de plus en plus populaire chez les femmes noires. Le mot signifie en anglais «crépu ». Une légende veut qu’il soit la contraction de natural happy. Vraie ou fausse, elle montre en tout cas que cette tendance invite à s’émanciper des normes et être plus heureuse en assumant ses cheveux naturels.
 
Derrière une simple mode capillaire, il y a une histoire difficile.  Liée étroitement au racisme, elle a participée à discréditer le cheveu crépu dans l’esprit de générations de femmes noires habituées à se défriser. Les afros et d’autres coiffures au naturel sont portées par un nombre croissant de stars, et popularisées par des blogs et des chaînes youtube. Aujourd’hui le nappy attire de nouvelles adeptes dont les motivations vont de la quête de soi à la revendication politique.
Retour sur les enjeux sociétaux de cette tendance au naturel, et les aspects économiques d’un marché cosmétique florissant.
 
L’influence douloureuse des canons de beauté blancs
Dans les pays occidentaux comme dans de nombreux pays africains et caribéens, la majorité des femmes noires choisissent de défriser leur coiffure. C’est une tradition qui se perpétue de mères en filles. Pour cela elles utilisent des produits nocifs à base de soude. Ils endommagent le cuir chevelu et entraînent des pertes de cheveux. Derrière cette douleur physique que ces femmes endurent, il existe l’influence des proches, mais surtout les canons de beauté véhiculés par les sociétés occidentales.
Le cinéma et la publicité définissent de manière ordinaire des canons de beauté qui sont à l’origine des caractéristiques blanches, comme le cheveu lisse. Comme l’énonce la sociologue Juliette Smeralda, l’intériorisation se fait dès le plus jeune âge, notamment à travers les poupées Barbie, qui même noires, ont des cheveux et des traits caucasiens. Des jeunes filles en viennent à lisser leurs cheveux pour construire leur estime de soi et trouver une place dans la société. Leur différence physique et capillaire leur apparaît comme un défaut à corriger.

 
Une réponse bio pour s’affirmer individuellement
Le nappy est une réaction à ces aspects néfastes pour les femmes noires, et en premier lieu au danger sanitaire. Sa popularité récente coïncide depuis les années 2000 avec celle du bio dans le monde des cosmétiques. Le bannissement des produits chimiques est leur dénominateur commun. De plus, des femmes nappy sont à l’origine du mouvement « no poo » qui invite à boycotter shampooings et autres produits capillaires nocifs.
Parallèlement le nappy répond au mal-être des filles et femmes noires face aux canons de beauté blancs. La devise natural happy invite à l’émancipation, à l’acceptation et au respect de soi. Portant leurs cheveux en afros, en tresses ou en dreadlocks, les adeptes renoncent aux codes des femmes blanches pour affirmer leur différence, et s’accepter ainsi.
 
Une histoire du racisme
Le nappy n’est pas nouveau. Il est l’héritier du mouvement Black is Beautiful, né aux États-Unis dans les années 60, porté par les Black Panthers et d’autres groupes contestant l’hégémonie des codes blancs dans la société. Les dreadlocks du reggae et l’afro du disco ont prolongé le mouvement au début des années 70, avant que les tensions sociales ne l’éteignent médiatiquement, et que le défrisage reprenne ses droits. Héritage d’une société américaine où l’esclavagisme a marqué durablement les mentalités. Les femmes noires étaient alors forcées par les propriétaires blancs à s’aplatir les cheveux, porter des perruques ou à se défriser. Malgré l’abolition de l’esclavage, le défrisage a perduré, restant un moyen d’intégration et d’ascension sociales.
Depuis, la norme mono-culturelle du cheveu lisse a tant pris le pas que les cheveux crépus suscitent une certaine curiosité. Celle-ci touche parfois à l’incivilité. Aux États-Unis, des femmes noires se font toucher les cheveux à leur insu par des mains curieuses. Le documentaire You Can Touch My Hair, d’Antonia Opiah rapporte divers témoignages sur cette fascination, et la manière dont ces femmes la ressentent.

 
Une appropriation politique parfois extrême
Le nappy est devenu un outil de contestation politique, signifiant l’opposition au mono-culturalisme blanc. Les femmes noires, qui le portent comme Angela Davis dans les années 60, font de leur afro un message politique : « Je n’obéirai pas à vos codes » signifient-elles.
Comme tout mouvement politique, le nappy a son versant extrême, qui s’empare de la cause dans un activisme identitaire, et jette l’opprobre sur les femmes noires qui ne s’y conforment pas. Le défrisage est pour ces chantres du nappy un acte de déloyauté. Une position radicale qui suscite de vifs débats. La manière de se coiffer doit-elle refléter les opinions politiques d’une personne ? N’est-ce pas une liberté individuelle à disposer de son corps que les nappex (nappy extrémistes) renieraient ? Voilà aussi les enjeux qui travaillent ce mouvement.
 
La médiatisation au service de la transmission d’un savoir-faire
Politique ou personnel, le nappy est un mouvement en vogue qui a gagné en médiatisation. Le mouvement a ses figures de proue comme l’actrice Lupita Nyong’o ou Solange Knowles, chanteuse et sœur de Beyoncé. Depuis quelques années des internautes créent également des blogs ou des chaînes youtube pour enseigner les techniques de coiffures afro, nombreuses, comme le big chop (retour du cheveu défrisé au crépu naturel) ou le twist out (coiffure permettant de boucler son afro).
Il s’agit d’un savoir-faire que des décennies de défrisage ont effacé des mémoires familiales. Les tutoriels youtube et les salons consacrés offrent une chance de transmettre et de raviver cet art de la coiffure chez les femmes et les jeunes filles noires.

 
Le nappy soutenu par un marché fructueux
En faisant ainsi bouger les mentalités, le nappy bouscule le marché des cosmétiques. Les produits spécifiques aux cheveux crépus gagnent en demande, alors que les défrisants, jadis hégémoniques, perdent du poids. L’offre s’étoffe : emboitant le pas de petites entreprises spécialisées, les géants du secteur, comme DOP ou Garnier, vont vers cette nouvelle manne et développent leurs gammes de produits ethniques.
Suivi par le monde du cosmétique, le nappy gagne en arguments pour convaincre les femmes noires. Un succès qui n’a pas fini de prendre du volume.
Hubert Boët
 
Sources :
« Nappy hair : la revanche des femmes noires » par Lee Sandra Marie-Louise, Madame Figaro, rubrique Beauté, Cheveux, le 25 juillet 2014,
Documentaire You Can Touch My Hair d’Antonia Opiah (2013)
« Crépues et fières de l’être » par Frédéric Joignot, lemonde.fr, le 05 février 2015, rubrique Société
« Les femmes noires savent que le défrisage est dangereux, mais la pression est trop forte », M le mag, femmes à part, par Aurore Merchin, le 24 mai 2017
Crédits photos :
Image 1. 
 
Image 2.
Image 3. 
Image 4. Capture d’une vidéo youtube de « Beautiful Naturelle »
Image 5. ELle, Lupita Nyong’o