Sherlock Homes
Flops

Ta mère la parano

Depuis la sortie de Mon Roi de Maïwenn au mois d’octobre, force est de constater l’apparition en masse d’une nouvelle espèce méconnue des psychologues du XXème siècle, et pourtant présente dans les médias. Elle est incarnée par le sombre Vincent Cassel: le pervers narcissique. Après la sortie du film, nombreux sont les articles qui sont apparus autour de ce sujet. Le pervers narcissique serait celui qui, vide de tout réel sentiment, s’attèle à posséder l’autre pour le détruire. Mais ce terme, théorisé tout d’abord par Paul-Claude Racamier, reste contesté par certains psychologues alors que la société semble l’avoir adopté, comme si sa définition était consensuelle et connue de tous. Plus largement les termes de psychologie sont le fruit d’analyses sauvages pouvant aller jusqu’à l’insulte.
Simpsyfication
Le pervers narcissique ne possède pas le monopole du terme hybride, né d’un mélange de psychologie et de l’usage social du terme. Le sociopathe est un autre exemple. Sherlock Holmes dans la série Sherlock se définit lui-même comme sociopathe et non pas psychopathe. Au fur et à mesure, ces termes vont envahir les médias, comme les séries et films qui à leur tour vont jouer un rôle dans la transmission et la vulgarisation de termes qui semblent être du ressort de la psychologie. Le lecteur ou spectateur semble déjà être au fait de ce que cela veut dire.
Après avoir demandé à plusieurs personnes ce qu’était un sociopathe, selon eux, voici la définition approximative que nous pourrions en donner : un sociopathe est un psychopathe dans une moindre mesure, capable de vivre en société. Pourtant, quand on consulte un dictionnaire spécialisé de psychologie, un psychopathe qui est capable de vivre en société est…un psychopathe. Il y a simplement plusieurs échelles dans la psychopathie qui font que certains sont plus ou moins aptes à se conformer à la vie en société.
L’avènement du « psy-quolibet »
Dans les faits, il n’a pas fallu attendre le développement de la culture psy –un terreau fertile pour les magasines féminin – pour entendre des termes de psychologie dans le vocabulaire commun. En effet, rappelez-vous, quand vous étiez jeunes à l’école primaire, au collège, lorsque vous aviez assuré qu’une camarade vous a frappé, cette dernière avait osé vous traiter de « mytho » : horreur!
Effectivement, dans le lexique argotique des jeunes, il semble qu’il existerait une section « psycho » : « mytho », « parano », « schizo » et même « hystérique » (au sujet de votre mère, mais ça viendra plus tard). Néanmoins, ces mots perdent leur véritable sens.
On aurait tendance à associer la schizophrénie au dédoublement de personnalité, alors que le schizophrène souffre plutôt d’hallucinations, d’une incapacité à distinguer la réalité de l’illusion. Le schizophrène n’est pas forcément Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Ces termes abrégés dès notre plus jeune âge sont des maladies graves, que l’on transforme en insulte.
Le fait que nous traitions quelqu’un de schizophrène et non pas de cancéreux, par exemple, peut trouver son origine dans l’histoire des sciences. En effet, la médecine s’est toujours attelée à expliquer des maladies visibles physiquement, qui atteignent le corps. Inversement, la psychologie s’efforce d’étudier des maladies finalement invisibles puisqu’elles relèvent de l’esprit. Ainsi, en étant plus abstraits se prêtent plus facilement à la vulgarisation et à une utilisation commune.

Des médias médiateurs
Mais les médias sont aussi à l’origine de la vulgarisation de termes de psychologie. Nous vivons aujourd’hui dans une société que nous pourrions qualifier de « freudienne ». La place que l’on accorde à la « psycho » est de plus en plus vaste. Il est fréquent de se réclamer de Freud et de se servir de ses concepts comme l’inconscient ou l’acte manqué. Ses théories, inspirées de mythes comme le complexe d’Œdipe sont aussi plus familières.
Enfin, les médias ont contribué à développer ces termes, à les répandre. Par exemple, le nom d’un tueur en série est toujours précédé d’un « psychopathe ». Les médias permettent donc aux lecteurs de comprendre ce tueur, et de comprendre que l’on est différent de lui. Comme si sa maladie nous rassurait en quelque sorte, et nous permettait de prendre nos distances vis-à-vis de ses actes : « il a fait ça parce qu’il est malade ».
Le vocabulaire psy semble donc être un pas de plus vers une catégorisation rationnelle rassurante. Il n’est pas rare que l’on invite des psys en tout genre pour discuter d’un sujet, fixer des termes et ainsi évincer ce flou qui nous met mal à l’aise. Nous plaquons des analyses de ce qui nous entoure sur ces termes qui à l’origine désignent des pathologies. Ils sont un moyen pour expliquer des comportements, des mentalités. Ces termes normalement assez extrêmes deviennent des caractérisations banales; jusqu’à la vulgarisation. Finalement si votre mari est dépressif c’est probablement parce qu’il refoule ses problèmes avec sa mère.
Colombe Courau
Sources :
Catherine Rochon, Mon Roi de Maïwenn, comment échapper aux pervers narcissiques ? Huffington Post, 21 octobre 2015.
Michel Delbrouck, Psychopathologie, Manuel à l’usage du médecin et du psychothérapeute, édition de boek, 2013, ISBN 978-2-8041-7602-0
Paul-Claude Racamier, Les Perversions narcissiques, édition Payot, 2012 ISBN : 978-2-228-90779-8
Crédits photo :
Série « Sherlock » (ajout texte par la rédactrice de cet article)