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Société

La radicalisation religieuse : l'expression d'un mal-être

Aujourd’hui, on est en droit de se demander quel peut bien être le lien entre, d’une part le fondamentalisme religieux et de l’autre, la discipline de la communication. Et pourtant, ne pourrait-on pas dire que ce fondamentalisme est un moyen d’expression et, en ce sens une tentative de communication ? Si l’on en suit la thèse d’Olivier Roy : en Occident, l’Islamisme politisé est un discours de protestation. « L’Islamisme est avant tout un mouvement socioculturel incarnant la protestation et la frustration d’une jeunesse qui n’est pas intégrée socialement et politiquement. » S’il y a discours, il y a donc tentative de communication. De toute évidence, cette tentative de prise de contact a échoué.
D’aucuns pensent que s’interroger sur les causes du terrorisme reviendrait à lui trouver des excuses et par conséquent à le légitimer. Le terrorisme est quelque chose qui fonctionne en réseaux et pour le combattre les interventions militaires ne suffiront jamais. Il faut faire autre chose, comme par exemple réfléchir à ses causes. Ainsi, il existe une autre école, celle qui cherche à mieux connaître son ennemi, pour mieux le combattre.
Déficit d’intégration, la provocation pour être entendu
Et si le point de départ d’un certain nombre de radicalisations n’était qu’un simple signal de détresse ? Rien de plus qu’un indice pour attirer l’attention et dénoncer quelque-chose qui fonctionne mal : l’intégration ? Et qui avec le temps, face à l’indifférence, aurait fini par enflammer les esprits de certains et se traduire en extrémisme radical, donnant ainsi du grain à moudre à la phobie anti-musulmane ? Toute la complexité de ce cercle vicieux est ici.
Les difficultés d’intégration d’une population seraient-elles la racine principale de la radicalisation islamique en Occident ? Ce message, ce cri d’alerte quant aux problèmes d’intégration n’a, de toute évidence, pas été reçu. En conséquence de cet échec communicationnel, les problèmes n’ont fait qu’empirer. Le fossé entre le monde musulman et le monde occidental s’est creusé, et ce jusqu’à atteindre des extrêmes comme celui que nous avons vécu du 7 au 9 janvier 2015.
En effet, selon Farhad Khosrokhavar, les djihadistes auteurs des attentats contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher sont des enfants d’immigrés, victimes de l’exclusion des cités dans lesquelles ils ont grandi, exclusion économique, géographique mais aussi et surtout sociale et mentale. Ces jeunes grandissent avec l’impression que l’ensemble de la société leur en veut, comme le développe le sociologue Abdelmalek Sayad. Et sont ainsi voués à des attitudes contradictoires. Enfants d’immigrés, ils ne sont pas pour autant immigrés eux-mêmes. Pourtant en France ils ne sont pas considérés comme de vrais Français. Et quand ils vont passer les vacances d’été dans le pays d’origine de leurs parents, ils ne sont pas non plus considérés comme de vrais nationaux. Enfants d’immigrés, ils sont beaucoup plus critiqués que leurs parents, ceux-ci pouvant se targuer d’être hors-jeu.
Face à une identité dénigrée, l’Islam comme quête de sens
Pour un certain nombre d’entre eux, l’Islam, vu comme un « retour aux sources » est alors devenu un facteur d’intégration social. À force d’entendre le reste du pays leur dire « Vous n’êtes pas des nôtres », ils ont fini par prendre le pli et répondre « Nous ne voulons pas être des vôtres. »
Ils ne seront jamais considérés comme pleinement Français, ils ne seront jamais considérés comme pleinement Maliens, ni pleinement Algériens etc… Alors il leur faut se construire une identité, ils seront musulmans pratiquants, et bien plus pratiquants que leurs aînés eux-mêmes. Or, comme le développe très bien le philosophe Charles Taylor, toute identité a besoin de reconnaissance. « Sur le plan personnel, on peut voir à quel point une identité originale a besoin d’une reconnaissance donnée ou retenue par des « autres donneurs de sens », à quel point elle y est vulnérable. […] La reconnaissance n’est pas simplement une politesse que l’on fait aux gens : c’est un besoin vital. »
Toute formulation identitaire a besoin d’une politique de reconnaissance égalitaire dans la sphère publique. Et c’est là tout le paradoxe. Depuis que nous sommes passés de la société holiste à la société organique, depuis que nous sommes entrés dans le monde moderne et laïc, la religion est devenue par définition quelque-chose de fondamentalement privé. Or, plus ces politiques de reconnaissances sont déficientes, et plus la question identitaire de ces communautés est reformulée, avec plus de retentissement que jamais.
Aujourd’hui, la croyance, ou les croyances, se muent en identités. La conscience religieuse a atteint des aspirations identitaires et en ce sens exige une reconnaissance dans l’espace public. L’appartenance religieuse, ainsi revendiquée, devient constitutive de sa singularité personnelle.
Dans le dernier film d’Abderrahmane Sissako, Timbuktu, une scène très frappante montre une jeune recrue djihadiste recommencer maintes et maintes fois une vidéo de propagande et échouer à démontrer de l’enthousiasme et de la conviction pour l’enregistrement, comme s’il ne croyait pas en ce qu’il était chargé de dire face caméra.

© Capture d’écran nytimes.com
Une des solutions, mais pas des moindres, serait donc de réintroduire plus de dialogue, voire même d’introduire un dialogue qui n’a jamais existé comme certains le dénoncent aujourd’hui. Cela pourrait paraître trivial et pourtant, il faudrait peut-être, au lieu de parler des Musulmans, commencer à parler avec eux ?
Marie Mougin
@mellemougin
Sources :
La Religion dans la démocratie – Marcel Gauchet (1998)
Tuez-les tous ! La guerre de religion à travers l’Histoire VIIème – XXIème siècle, Elie Barnavi – Anthony Rowley (2006)
La Culture générale à Sciences Po – Sedes (2010)
Chronique des idées contemporaines – Bréal (2012)
Questions politiques – Vuibert (2013)
L’Actualité au regard de l’Histoire, Jean-Noël Jeanneney (2013)
La Géopolitique – Pascal boniface (2014)
L’attentat contre Charlie Hebdo vu par Farhad Khosrokhavar – Bondy Blog
L’image de couverture est un screenshot du film Timbuktu.