Banlieue
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Banlieues et médias : jusqu'ici tout va bien

« Cette semaine, il y avait le procès de Zyed et Bouna qui est hautement symbolique en ce qu’il est symptomatique de l’impunité policière particulièrement dans les quartiers. Il faut savoir que c’est la mort de ces deux enfants dans un transformateur qui avait embrasé les banlieues en 2005 » affirme le youtubeur Bonjour Tristesse dans sa vidéo du 23 mars 2015. Et en effet, l’accident tragique du 27 octobre 2005 eut à l’époque des répercussions nationales, forçant le Président d’alors, Jacques Chirac, à déclarer l’état d’urgence, une mesure qui n’avait pas été prise depuis l’époque de la guerre d’Algérie.
Les images de ces émeutes violentes restent encore aujourd’hui dans de nombreux esprits : les chaînes internationales comme CNN ou la BBC montraient une France à feu et à sang, dans un déluge de commentaires alarmants qui laissaient présager un futur désastreux pour le pays. Si dix ans plus tard, les émeutes ont bel et bien fini par s’éteindre, l’angoisse née à cette période, celle d’une banlieue dangereuse, mère de tous les crimes et de tous les vices, reste bien ancrée dans l’inconscient collectif.
https://www.youtube.com/watch?v=28cA-L7mB4o
L’accident de trop
Les faits : Clichy-sous-Bois, banlieue de Seine-Saint-Denis, aux alentours de 17 heures. Un employé de funérarium voit deux adolescents, Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans) et leurs amis traîner autour d’un chantier de logements sociaux. Il s’inquiète : ces jeunes pourraient venir voler quelque chose. Suite à son appel, des agents de la brigade anticriminalité (BAC) arrivent dix minutes plus tard. Les deux jeunes garçons, effrayés, s’enfuient aussitôt, poursuivis par les policiers. Leur course les amène devant l’enceinte de la centrale EDF, où ils se réfugient. Les trois garçons : Muhittin, Zyed et Bouna, reçoivent une décharge de 20 000 volts. Si le premier, miraculeusement, survit, ce n’est pas le cas des deux autres. S’ensuivent, dès le 30 octobre, deux semaines d’émeutes dans la banlieue qui rapidement, se propagent à travers toute la France. Le 17 novembre, la France redevient calme.
Les derniers soubresauts de l’opinion sont pour le procès des policiers qui ont poursuivi les deux adolescents, accusés de « non-assistance à personne en danger ». Le 18 mai 2015, ils seront définitivement relaxés.
La France divisée : « Ils en ont parlé ! »
L’affaire Zyed et Bouna a divisé l’opinion publique en deux camps bien distincts. D’un côté, ceux qui affirment que les émeutes sont dues à un dysfonctionnement de la justice et qui croient que les deux adolescents sont les victimes d’une société inégalitaire. De l’autre, ceux qui pensent que cet accident est anodin et ne montre pas de faille policière. Partisans de l’une et de l’autre thèse s’affrontent particulièrement violemment sur les raisons de leur mort : les uns prétendent que les jeunes hommes devaient bien avoir quelque chose à se reprocher pour fuir ainsi devant la police ; les autres affirment que bien qu’innocents, la terreur policière est si forte en banlieue qu’ils voulaient fuir les représentants de l’ordre.

 
 

« À la fin tu es las de ce monde ancien »
Le 27 octobre signe les dix ans de la disparition de Zyed et Bouna. Les médias relaient alors de nombreux articles, séries de photos, portraits pour l’occasion, tous marqués par la même interrogation lancinante : « Qu’est-ce qui a changé en 10 ans ? ». Dr Jekyll et Mr Hyde, la banlieue a cette double facette : zone oubliée de la République, coupable de laxisme pour les uns – la popularité de Nicolas Sarkozy s’explique en partie à l’époque par son célèbre : « On va nettoyer au Karcher la cité », de déroger à son principe d’égalité et de fraternité pour les autres. Les médias ont tour à tour relayé ces deux visions antagonistes d’une même affaire, hésitant à décrire un espace qui reste pour beaucoup une terra incognita. Des images-catastrophe de 2005, avec voitures en feu et affrontements multiples aux rétrospectives d’aujourd’hui, comment parler de la banlieue ? Mais a-t-elle vraiment changé, cette banlieue tant fantasmée ? Le constat après tant d’années est largement amer dans la presse aujourd’hui : « Une explosion de colère pour rien ? » titre Libération le 25 octobre.
La nécessité du témoignage : le Bondy Blog
Mardi 27 octobre, je rencontrais Patrick Apel-Müller, directeur de rédaction de L’Humanité, qui au cours de l’interview affirma qu’un projet avait été mis en place avec les étudiants de l’université de Marne-la-Vallée pour qu’ils parlent de leur expérience et de leur vision de la banlieue qu’ils connaissent tant au sein des pages du journal. Le projet n’a pas encore pu aboutir, suite au manque de moyens du journal lui-même, mais cela prouve bien que plus de 10 ans après la mort des deux adolescents, le sujet reste encore présent dans les médias, à travers des initiatives sur le temps long. Le cas le plus célèbre est celui du Bondy Blog, créé par Serge Michel, journaliste au magazine suisse L’Hebdo en 2005 pour couvrir les émeutes. Au fil des années, le blog, véritable pieuvre, s’est diversifié, et aujourd’hui on le retrouve à la fois sur les chaînes de la TNT France Ô et LCP, et sur le site du journal Libération. Le projet est donc au devant de la scène médiatique, et la simple survie du blog semble être déjà un hommage rendu aux victimes du 27 octobre.

 
« Morts pour rien »
Pourtant, loin de se féliciter de leur rôle de porte-parole essentiels pour la survie d’une véritable démocratie, les contributeurs du Bondy Blog sont moroses. Leur réussite personnelle – bien des anciens blogueurs se retrouvent dans des grands médias- n’éclipse pas la réalité bien plus grise de l’environnement dont ils sont issus. Dans « En 10 ans, qu’est-ce qui a vraiment changé ? » Claire Diao affirme: « Si vous me parlez de ces jeunes qui, en 2005, brûlaient des voitures pour rappeler qu’ils existaient, je vous répondrai sans doute qu’en dix ans, la République, elle leur a bien ri au nez ». De même, le 27 octobre, le Figaro publiait un article dans lequel le rappeur Youssoupha revenait sur les évènements de 2005 et leurs répercussions: « Malheureusement les leçons de ces drames n’ont pas été tirées ». Quant au Huffington Post, il titrait dans un article du 16 mai dernier « Dix ans après les émeutes de 2005, où est passée la colère des banlieues ? » La répétition monotone des médias – qui adoptent tous le même titre au mot près – montre que le changement n’a rien d’évident.
Le constat n’est pas seulement présent dans la presse écrite et web. La télévision partage également ces impressions mitigées. C’est ainsi que France 3 réalise un documentaire intitulé « Sous la capuche » qui évoque différents habitants de Clichy-sous-bois et de Villepinte en 2015. Le documentaire conclut « il est toujours aussi difficile de trouver sa place quand on est jeune, enfant d’immigrés, et que l’on vit dans ces territoires ». Quant à la radio, elle se fait l’écho de ces mêmes préoccupations: Europe 1 publie pour l’occasion un reportage signé Salomé Legrand et Cécile Bouanchaud qui conclut: « Car la seule chose qui n’a pas vraiment changé à Clichy-sous-Bois, c’est le sentiment d’injustice, toujours vivace ».
Des médias sans mémoire
Aussi, pour une fois, les voix qui s’élèvent sont harmonieuses: la banlieue est désespérément identique à elle-même. Mais à quoi cela est-il dû ? Pourquoi les médias qui retournent sur le terrain cinq, dix ans après les faits retrouvent la même situation, la même réalité peu glorieuse et s’en étonnent ? Peut-être que la réponse se trouve dans une déclaration de Renaud Epstein, sociologue. Il explique pourquoi il a lancé sur Twitter un « rétro-live-tweet » (rediffusion des tweets de l’AFP pendant les émeutes): « Publier ces dépêches était une manière de sortir de ce que je voyais se dessiner : un gros moment de mobilisation politique et médiatique … pour mieux oublier ensuite ».
Une explication au phénomène d’immobilisme affirmé jusque-là se dessine alors: peut-être que si la banlieue n’a pas changé, c’est que rapidement elle s’est retrouvée loin des feux des projecteurs. Les médias, et ainsi l’opinion publique, ne sont pas restés dans les banlieues après les évènements de 2005. Une actualité en chasse une autre. Certes, des initiatives comme celles du Bondy Blog et toute une culture de la banlieue s’est développée dans le monde de la musique à travers le rap, mais l’actualité ne s’est faite que sporadiquement, au gré des évènements qui pouvaient interpeller l’opinion. C’est ainsi que la plupart des reportages télévisuels ou écrits ont livré au fil des années une image négative de la banlieue, montrant les habitants sous l’angle de la délinquance et plus récemment de la montée de l’intégrisme religieux.
https://www.youtube.com/watch?v=kPNWLSfTY88
Si bien sûr il s’agit d’une réalité qu’on ne peut négliger, il est à noter que cet angle unique est celui adopté majoritairement par les rédactions, et qui propage donc une vision unilatérale de la banlieue. Certes, la considérer seulement à travers les problèmes sociaux et les violences réelles semble réducteur. Pour autant, l’image de solidarité que veulent défendre les partisans de la banlieue sonne creux. Les journalistes semblent avoir péché en privilégiant toujours plus le temps court, et l’actualité immédiate, à l’analyse qui requiert un temps long. Les émeutes de 2005 appelaient un moment de réflexion, de pause pour pouvoir comprendre toute la complexité de cet espace imaginé. Mais cette réflexion n’a pas eu lieu, les médias étant sans doute emportés par la dictature de la vitesse, emportés à grand galop par le développement foudroyant d’Internet. Surtout, depuis le 7 janvier, l’inquiétude s’est déplacée, car le péril semble s’être émietté: il peut venir de partout, de quelques individus isolés. La banlieue n’intéresse plus puisqu’elle n’a plus le monopole de la peur ; elle n’est plus symptomatique, ou de manière bien plus amoindrie, d’un dysfonctionnement de la République.
Depuis la mort de Zyed et Bouna, deux opinions divergentes dominent sans partage: ceux qui s’offusquent de la délinquance et rejettent la faute sur des populations qu’ils identifient d’abord comme des « non-français » ; ceux qui exaltent la richesse culturelle et fraternelle de cette banlieue dans des discours qui semblent quelque peu idéalistes. Le monde des médias semble quant à lui se contenter au rôle de relai neutre d’une situation désespérée. Aucune position intermédiaire n’est donc possible, tant que qu’un temps de réflexion nécessaire n’aura pas été adopté.

 
Myriam Mariotte
Sources : 
http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2005/12/07/le-dernier-jour-de-bouna-traore-et-zyed- benna_718481_3208.html
http://www.liberation.fr/france/2015/10/25/la-revolte-de-2005-une-piece-en-cinq-actes_1408725
http://www.liberation.fr/societe/2010/10/26/zyed-et-bouna-la-poursuite-inavouable_689160
http://www.liberation.fr/societe/2015/05/18/zyed-et-bouna-dix-ans-apres-enfin-le-verdict_1311506 
Crédits photos : 
France TV Info 
L’Obs plus 
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Les Fast

Rétrospective ou recyclage ?

 
C’est dans la joie et la bonne humeur que 2013 s’achève, emportant avec elle son lot de guerres, d’attentats, de consécrations et de morts célèbres. Vous l’avez compris, l’heure est à la rétrospective, et ce depuis quelques semaines déjà.
 En 2013, les récapitulatifs qui étaient habituellement réservés aux artistes et organisés dans des musées, des galeries ou des cinémas sont partout : Google, Facebook, Pinterest, dans le Huffington Post, Libération. Si les listes de mots les plus recherchés sur Google dans le monde et par pays se basent sur des statistiques et présentent un certain intérêt, les résumés de l’année 2013 présentés par des journaux ou des sites d’information en ligne ne tiennent-ils pas plutôt du recyclage ? Un journal est un lieu d’information où l’on traite de sujets d’actualité, et c’est justement là que la question de la pertinence d’une rétrospective se pose. Depuis plusieurs semaines, chacun des sites mentionnés nous propose un panorama de l’année écoulée. Or, plutôt que de nous présenter les moments forts de 2013, certains se démarquent en mettant en avant leurs articles les plus marquants de l’année, ceux qui comptabilisent le plus de like, de partages. Nous resservir ces articles, ce n’est pas célébrer l’information mais fournir du réchauffé.
 Il en va de même pour les rétrospectives que chaque personne inscrite sur un réseau social peut télécharger et partager avec ses amis, abonnés, followers : nos publications ayant recueilli le plus de « like » méritent-elles véritablement que nous les publiions ? 2013 a été une année chargée et internet n’aime pas le vide, mais en ces périodes de fêtes, ne ferions-nous pas mieux de cesser de communiquer sur des actus qui n’en sont plus et d’arrêter le recyclage ?
 
 Clémence Lépinard
Crédit photo :
Branchez-vous.com

Damien Hirst Requin
Com & Société

Damien Hirst, star des jeux olympiques ?

 
Le Tate Modern, l’emblématique musée d’art moderne de Londres, se prépare à accueillir Damien Hirst pour une rétrospective dans le cadre du London Festival 2012, l’olympiade culturelle qui est le pendant des JO. C’est donc l’enfant terrible de l’art contemporain, comme on aime à l’appeler, qui représentera la créativité façon british. Un choix qui ne fait pas l’unanimité outre-Manche, où l’artiste est souvent critiqué pour son style excessif et son habilité à amasser de grosses sommes d’argent. La presse britannique s’interroge donc. Était-il judicieux de proposer, aux hordes de touristes qui vont envahir la capitale cet été, Damien Hirst, ses crânes de diamants et ses animaux nageant dans le formol ?
Damien Who ?
La légende veut que l’artiste le mieux payé du monde, ait passé sa plus tendre enfance dans un quartier populaire de Leeds. Attiré par l’art, il entre avec difficulté à l’université de Leeds, puis intègre le Goldsmiths College. Au cours de sa deuxième année, il organise une exposition dans un entrepôt, Freeze, qui est restée dans les annales comme l’élément fondateur des Young British Artists, symbolisant le renouveau de l’art moderne en Grande Bretagne. Damien Hirst est alors remarqué par Charles Saatchi, le collectionneur et marchand d’art britannique, qui le soutient financièrement sur ses premiers projets. Naît ainsi « The Physical Impossiblity of Death in The Mind of Someone Living » son œuvre la plus connue qui consiste en un énorme requin plongé dans du formol à l’intérieur d’une cage en verre. L’installation devient le symbole du style Hirst et de l’art moderne anglais en général. Sa carrière est alors lancée.
Le business Hirst
Aujourd’hui il est devenu l’artiste le plus rentable au monde. Selon le Sunday Times, Hirst pèserait plus de 330 millions de dollars. Il est passé du statut d’artiste à celui d’homme d’affaires et n’a besoin de personne pour gérer sa fortune comme il l’a prouvé lors d’une vente aux enchères en 2008 où il a vendu plus de 200 œuvres sans passer par les galeries et les marchands d’art. Une opération qui lui a permis d’empocher plus de 140 millions d’euros. Par ailleurs, l’artiste est aussi adepte des coups marketing et des stratégies de communication bien huilées. Pour son dernier projet Spot Paintings, une série de 300 peintures représentant des rangs de points de couleurs différentes, il investit les onze galeries Gargosian situées un peu partout dans le monde. Damien Hirst va même jusqu’à organiser un jeu concours. Il propose à ceux qui auront visité les onze galeries Gargosian de gagner une de ses œuvres signées à la manière d’une popstar ou d’un Warhol.
C’est donc tout cela qui semble gêner chez Hirst. En effet, il est souvent critiqué pour son côté excessif et ostentatoire, pour sa manière d’occuper sans cesse l’espace médiatique en laissant peu de place à ses camarades. Même son mentor des premières années, Charles Saatchi regrette qu’il préfère faire « du divertissement plutôt que de l’art ». Une critique reprise depuis longtemps par le mouvement Stuckism né en réaction au groupe des Young British Artists avec comme slogan « a dead shark isn’t art » (en référence à l’œuvre de Hirst). De plus, on lui reproche également d’avoir fait appel à des assistants sur Spot Paintings, car cela « l’embêtait profondément » de peindre plus de 3000 points à la main. Tout cela quand il n’est pas tout simplement accusé de plagiat bien sûr.
Mettre à l’honneur Hirst pendant la période des Jeux Olympiques est donc assez discuté. Si on s’accorde pour dire que l’appréciation de son œuvre est plutôt une histoire de goûts et de couleurs, en revanche la presse britannique craint que, du fait de sa renommée mondiale, il éclipse toutes les autres expositions prévues pendant la période des Jeux Olympiques. En effet l’olympiade culturelle a été pensée comme une démonstration de la créativité britannique, profitant de la forte affluence de visiteurs pour proposer des activités culturelles et montrer ce qui se fait de mieux au royaume de sa Majesté. Le fait que le Tate Modern choisisse ce moment pour lancer sa rétrospective sur Damien Hirst peut être vu comme une volonté de faire de l’artiste le symbole de l’art moderne britannique.
Une chose est sûre cependant, que l’on aime ou pas, son exposition s’annonce déjà comme un temps fort de cette olympiade culturelle. Ainsi, laissons donc aux visiteurs le soin de juger par eux-mêmes de la valeur de son art. Les déçus pourront toujours se consoler autre part, pourquoi pas dans le sport après tout.
 
Pauline Legrand