Invités

Grosse et fière de l'être ?

 
« Les hommes préfèrent les rondes », « Assumez vos formes à la plage », « Sublimez vos courbes »…Avec l’arrivée de l’été fleurissent dans les magazines féminins une flopée d’euphémismes qui rivalisent en originalité, destinés à désigner le gras de ces dames tout en restant glamour. Elles sont « sculpturales », « bien en chair », « généreuses ». Tout est bon pour éviter le « G-R-O-S-S-E » fatidique et cruel.
Derrière ce nouveau tabou se cache un rejet profond de ce que le mot véhicule, entre complexes, obésité et mal-être. On lui préfère alors des adjectifs vagues certes mais à connotation positive, qui ont pour avantage de draper la réalité d’un flou artistique plus esthétiquement correct. Est alors mis en valeur un corps tout aussi fictif et intimidant que celui du mannequin anorexique : des formes certes, mais toujours là où il faut. Des cuisses imposantes, des seins conquérants, mais jamais ô grand jamais de ventre gras ou de bras celluliteux. Il en résulte une société de plus en plus schizophrène, où les femmes doivent être fières de leur rondeur tout en cachant honteusement leurs bourrelets.
Les mots ont un pouvoir considérable, et les modalités de leur utilisation peuvent avoir un impact non négligeable sur les valeurs d’une communauté. A l’instar du sage Harry Potter qui appelait Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom par son patronyme, il serait bénéfique de briser certains de nos tabous linguistiques. Comme dirait l’ami Huxley, les mots sont comme les rayons X, et si l’on s’en sert convenablement, ils transpercent n’importe quoi. Atomisons donc le politiquement correct à coup d’ « adipeux », de « bedonnant », voire de « pendouillant » ou « boudiné » ! Les grosses ne peuvent s’assumer en tant que telles tant qu’on leur renvoie une image lissée et polie, plus acceptable socialement justement car elle ne correspond pas à la réalité. Bannissons le double discours qui encense le corps « rond » de Scarlett Johansson comme symbole ultime de l’anti-minceur, tout en pointant du doigt l’obésité de Beth Ditto ! Un progrès a déjà été fait, le maigre est passé de mode (du moins en théorie), mais pourquoi s’arrêter là ? A quand une célébration du gras, le vrai, celui qui dégouline du maillot et fait blop blop quand on court pour attraper son bus ? Plus facile de s’identifier à un article intitulé « Grosse et bien dans sa peau » qu’à l’artificiel éloge des courbes irréelles d’un mannequin dit « grande taille » dont jamais le poids ne sera explicitement mentionné !
Appeler un chat un chat et un gros un gros s’inscrit dans une démarche d’honnêteté intellectuelle nécessaire à la crédibilité des campagnes qui luttent contre les diktats de l’hyper-mince. Avancer masqué n’est pas la solution, et sur des sujets qui touchent une aussi grande partie de la population il semble que la rigueur soit de mise. Pour que le surpoids cesse d’être une souffrance, il faut réévaluer le sens des mots et la part d’hypocrisie qu’ils peuvent véhiculer. En attendant le premier supplément « Spécial graisse» donc, prônons un langage décomplexé pour toutes celles qui s’assument comme elles sont !
 Marine Siguier