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Société

Infaux-maniac

Les visiteurs du musée Grévin seraient autorisés à gifler les statues des personnalités qu’ils n’aiment pas chaque vendredi ! Dans sa rubrique « Dernière minute » du numéro de février 2015, Arts magazine s’indigne. « Un cahier pour écrire ce qu’on pense d’eux aurait suffi et laissé plus de traces. Je pense que les gifler ne sert pas à grand-chose ça ne vide pas ce qu’on a sur le cœur et ça détruit le travail des artistes qui ont fait ces statues. Il faut respecter leur travail même si certaines personnalités ne méritent pas d’être exposées », se désole un internaute penaud en commentaire. Cet emballement et la bévue de la dernière minute, celle de trop, font sourire les habitués du Gorafi, site d’information satirique à l’origine de l’intox. Cette méprise aurait pu arriver à beaucoup. A l’heure où la moindre information se veut aussi divertissante qu’un singe ventriloque, difficile de distinguer la satire du fait avéré…
Un engouement pour les fake news
« Russie – Une nouvelle loi sanctionne les personnes qui connaissent ou qui ont déjà vu un homosexuel », « Ouverture d’un pont de déchets en plastique entre l’Amérique et l’Asie », « Fabrice Luchini sombre dans la dépression après avoir commis une faute de liaison », « Sortie en DVD de la version longue de la pub LCL avec Gad Elmaleh »… Le Gorafi, site satirique d’ « information de sources contradictoires » créé en 2012 attire, selon ses créateurs, plus d’un million de visiteurs chaque mois avec ses articles « faux (jusqu’à preuve du contraire) ». Depuis, plusieurs sites se sont inspirés de ce concept, que ce soit bilboquet-magazine.fr, le dailyberet.fr, darons.net ou encore trollywood.fr.
Fort de son succès, Le Gorafi s’est vu offrir un créneau au Grand Journal de Canal+. Chaque lundi, Pablo Mira présente un faux sujet d’actualité – « Les politiques devront déclarer leurs pots-de-vin aux impôts », « Un élève des beaux quartiers a trois fois moins de chance de remporter une bagarre qu’un élève de ZEP », … – photomontages et propositions de loi factices à l’appui. Les codes du journalisme sont repris, le cadre de l’énonciation aussi : seul le jugement critique du spectateur (aidé par les rires de ses pairs présents sur le plateau) lui permet de déceler la farce.
Les réseaux sociaux ou l’avènement du bullshit viral
Evidemment, le succès de l’information satirique n’est pas un phénomène nouveau. Il remonte aux origines du journalisme et l’a accompagné au fil des siècles, de La Baïonnette à Charlie Mensuel en passant par l’Os à moelle et Hara-Kiri. Seulement, l’arrivée des réseaux sociaux a totalement bouleversé notre rapport à l’information humoristique.
A la différence de ses ascendants sur papier, le site web satirique laisse planer un flou sur la véracité de ses articles. Sur Le Gorafi, si l’internaute n’a pas le réflexe de faire un détour par la rubrique « A propos », seul endroit du site où il est précisé franchement que les articles sont faux, rien ne le lui indique. Or peu d’internautes se rendent sur le site – et a fortiori sur la rubrique « A propos » – d’eux-mêmes. La popularité des articles est grandement due au fait qu’ils sont massivement relayés sur les réseaux sociaux. Contrairement aux journaux, donc, les articles satiriques ne sont pas regroupés en une entité médiatique, cantonnés à un journal unique qui ne se mélange pas avec les autres, ne serait-ce que par sa matérialité. Sur Internet, les articles sont volatiles, extraits de leur site, et donc de leur contexte d’origine. Ils ne sont pas abordés avec une grille de lecture propre. Info et intox se mêlent dans nos fils d’actualité, sur Twitter ou Facebook, sans aucune hiérarchie, offrant une lecture uniforme. De plus, rien ne ressemble plus au site du Figaro que celui du Gorafi.
Sur les réseaux, on ne lit pas un article parce que la source est fiable, comme lorsqu’on achète un journal ou que l’on regarde une émission, mais pour son titre. Or dans le flux ininterrompu des réseaux sociaux, l’attention de l’internaute hypersollicité va au plus racoleur, au plus insolite, au plus inattendu. L’information se consomme vite, se dévore en un coup d’œil : on lit le titre et les premières lignes.
Et entre « Les critiques de la CNIL contre le projet de loi sur le renseignement » (Le Monde) et « La boulette de Ribéry : Nominé à l’Ice Bucket Challenge, il se renverse des Buckets du KFC et se brûle » (Footballfrance), l’œil va plus facilement au dernier. Cela pourrait être sans conséquences si les réseaux n’étaient pas la première source d’information pour beaucoup d’entre nous, journalistes compris et que souvent, l’instantanéité de l’information et son potentiel émotionnel triomphent sur sa vérification méticuleuse.
L’insoutenable légèreté du web
Les réseaux sociaux confèrent une visibilité énorme au vide ou presque, pourvu qu’il fasse rire et qu’il permette de créer du lien. C’est ce qu’a illustré l’engouement immense pour les faux évènements sur Facebook, mystérieusement nés le 15 février (et morts une semaine plus tard d’une lassitude agacée de la presque totalité des utilisateurs du réseau social). Pendant quelques jours, nos fils d’actualité Facebook se sont inexplicablement empli de faux évènements reprenant là aussi les codes du genre. « Grand concert pour enfin entendre la carotte râpée » (regroupant 20 671 participants), «Grand bal de fin d’année pour que Manuel valse », «Sommet pour savoir si l’OTAN en emporte le vent », « Rassemblement pour retrouver le pain perdu » : ils étaient plus d’une centaine à fleurir sur le réseau. Tous ces faux évènements qui ont fait le buzz n’avaient aucune raison d’être, si ce n’est de créer un sentiment de communauté et de faire rire – ou du moins provoquer un rictus –, par des jeux de mots et une culture populaire. Ces événements se sont appuyés sur une expérience commune (celle du CP et de l’apprentissage des conjonctions de coordination avec la «Traque pour retrouver Ornicar »), des références cinématographiques populaires («Grande battue pour retrouver la valise de Charlotte » (Nos Jours heureux) ou «Grand débat pour savoir si c’est une bonne ou une mauvaise situation » (Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, regroupant 46 527 participants)) ou musicales («Grand questionnaire pour savoir qui a le droit » (Patrick Bruel, 12 162 participants)).

Cette courte tendance a mis en lumière l’engouement créé par la satire et la viralité liée aux réseaux sociaux.
L’ère de l’infotainment
Le phénomène de confusion de la satire et de la réalité est renforcé par l’infotainment ambiant. Ce mot valise, composé des termes information et entertainment, renvoie au mélange de trois des quatre catégories du contenu médiatique dégagées par Daniel Bougnoux : l’information proprement dite, le divertissement et les émissions relationnelles. L’infotainment permet de ressembler les fonctions essentielles de la communication, à savoir s’informer et être ensemble, de manière ludique.
Car l’information a plus d’impact si elle est humoristique, comme c’est le cas dans Le Canard enchaîné. Il y a, dans notre société, une injonction à l’humour, forme de distinction nouvelle. Pour Gilles Lipovetsky, auteur de L’ère du vide, l’humour caractérise notre époque en tant qu’il s’est démocratisé. Pour que l’information trouve preneur, elle doit être sensationnelle. « On est naturellement attiré par ce qui nous paraît surréaliste et qui nous fait rire. C’est l’avènement de l’info de l’émotion. Les médias de masse comme leurs pendants satiriques se lancent dans une course aux infos invraisemblables parce que ça emballe la machine à clics », analyse le journaliste Vincent Glad.
En somme, il est moins aisé de distinguer le vrai du faux sur Internet du fait de notre lecture rapide mais aussi des sites d’information classiques qui relayent les informations les plus insolites possibles, bien qu’elles relèvent parfois plus du bruit que de la pertinence. Et quand bien même, la réalité dépasse parfois cruellement la satire, lorsqu’on apprend qu’un groupe d’extrémistes saccagent un musée pour réaliser une vidéo de propagande…
Néanmoins, forts de notre humiliation d’avoir pris la satire pour la réalité ou inversement, nous avons développé un sens critique plus aiguisé que celui des générations précédentes. La génération Y, et davantage encore la génération Z, sont caractérisées par leur méfiance envers les médias.
Louise Pfirsch
@ : Louise Pfirsch
Sources :
legorafi.fr
Stylist, n°064
Gilles LIPOVETSKY, L’Ere du vide, essai sur l’individualisme contemporain, Gallimard, coll. Folio Essais, éd. 2013
Crédits images :

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Société

Votez Hank !

 
Soyons d’emblée très clairs, ceci n’est pas un article sur les Lolcats. Certes, le phénomène est intéressant, notamment lorsqu’on a des affinités avec le genre félin, mais il y a plus original : Hank.
Hank est un sympathique chat américain qui ambitionne de… faire son entrée au Sénat sous peu. Et, il a un programme : « make our homes and our future a better and brighter place, we don’t need to start at the top – we need to start right here with ourselves ». Mais, vous dites-vous à raison, c’est quoi ce bazar (pour ne surtout pas utiliser un autre terme) !
Eh bien ce bazar, ce sont tout de même 26 000 likers et pas loin de 2 000 followers. Imaginez donc si Hank s’était présenté à la présidentielle, histoire de titiller un peu Barack et Mitt…. Hélas, Hank n’a pas de jolie et populaire épouse pour rattraper les éventuels dérapages d’alliés ultra-misogynes à moitié déments. Du coup, il a décidé de la jouer modeste et se contente, pour cette fois, d’être candidat au Sénat pour l’état de Virginie, « the homeland of George Washington », comme il aime à le rappeler. D’ailleurs, c’est de là que lui viendrait son inspiration. « Virginia has shown the kind of can-do attitude that has kept this country great », si on l’en croit.
Nul besoin d’un brevet de lecture-entre-les-lignes pour y voir clair : à l’image d’un Obama, Hank se rêve en homme d’État et aborde clairement son passage (éventuel) au Sénat comme une simple étape vers un destin superbe, pour ne pas dire éclatant. Du coup, il soigne sa communication, avec tout de même une bonne dose de suivisme, notons-le bien. Ainsi, à l’image des candidats républicains et démocrates, notre chat est présent et bien actif sur les réseaux sociaux, comme mentionné plus haut. Cependant, il faut aller un peu plus loin dans l’analyse pour comprendre les ressorts de sa stratégie.
Au-delà donc des célébrissimes Twitter et Facebook, Hank a un blog : Hankforsenate.com. S’y trouvent, dans l’ordre : sa profession de foi, sa biographie, des communiqués de presse à disposition des journalistes mais aussi des photos de ses soutiens et une boutique où acheter divers produits à son effigie (mugs, t-shirts, pins, etc). Sous la photo de tête, où il pose les yeux au ciel devant la bannière étoilée, il est aussi proposé de s’investir dans la campagne de Hank, en passant des appels ou en faisant du porte-à-porte notamment. Rien que de très habituel outre-manche en somme. Dans cette lignée, il a d’ailleurs fait réaliser un clip vidéo, dont l’intention n’est autre que celle-ci : «showing America that we finally have a candidate who will help bring our country back
Malgré si peu d’originalité, Hank fait bel et bien le buzz. A tel point que des opposants apparaissent et se mettent à produire des vidéos à charge, où ils prétendent qu’il n’a jamais été capable de produire son certificat de naissance ou encore qu’il n’a jamais servi dans l’armée malgré ses dires. Comment expliquer un tel phénomène médiatique ? C’est que, peut-être, à l’heure du début de la campagne présidentielle américaine, quelque chose cloche dans la politique aux États-Unis, et notamment dans sa communication. En dépit de leur sophistication, les sites internet des deux candidats à la Maison Blanche ressemblent sur bien des aspects à celui de Hank : poses stéréotypées des candidats, très habituelles rubriques take action ou get involved, communiqués de presse, boutique, etc. De même, les réseaux sociaux sont exploités, voire surexploités, au point que Mitt Romney est présent sur sept d’entre eux et Barack Obama sur neuf, comme si la quantité faisait la qualité, comme s’il fallait surtout et avant tout occuper le terrain.
A côté de cela, c’est aussi la caricature du calibrage au millimètre réalisé par les équipes de campagne que les internautes ont sans doute appréciée, la charge contre cette volonté de totale maîtrise qui aboutit à des communications superficielles et stéréotypées, à la franche limite du ridicule. Ainsi, la rhétorique hankienne rappelle tristement celles des vrais candidats qui, naïvement inspirées de la publicité ou des blockbusters, sonnent parfois terriblement creux. De même, les attaques portées contre Hank rappellent grandement celles de certains républicains contre Obama au début de son mandat. Le canular devient là le fait de plusieurs voix et renforce ainsi la satire.
En somme, s’il est drôle, Hank n’a rien d’un Lolcat. Il a bien plus à voir avec Swift et La Fontaine, à moins que ce ne soit Perrault et son Chat Botté. On peut toujours rêver.
 
Romain Pédron
Sources :
Hank for senate.com
Hank for Senate – « The greatest land of all »
Canines for a feline free tomorrow – « Hank for Senate ? No way ! »