Com & Société

Trottinettes électriques : la mobilité made in California

Depuis près de six mois, les grandes agglomérations françaises voient leurs chaussées envahies par des myriades de petits bolides électriques. Ces nouveaux venus dans l’environnement urbain rejoignent les vélos, trottinettes mécaniques, gyropodes, overboard regroupés sous l’acronyme EDP, pour Engin de Déplacement Personnel.

Société

"Pooper" ou l'ironie de l'ubérisation

Pour vendre ses iPhones, Apple nous disait qu’il existait des applications pour tout. Aujourd’hui, il n’y a rien de plus vrai. Pooper joue avec les règles de l’économie collaborative pour s’en moquer de manière très subtile. A travers une fausse application, l’envie de dénoncer les coulisses de l’économie dite collaborative se fait ressentir.
« Les crottes de votre chien, dans les mains de quelqu’un d’autre »
A en croire le site de l’application Pooper, rien de plus simple. En prenant un abonnement payant, l’usager aurait la possibilité de prendre en photo la crotte de son chien afin de la géolocaliser et ainsi appeler un « scooper » afin qu’il vienne la ramasser. Tous les codes d’Uber sont copiés, de la typographie à la couleur bleu turquoise de l’application. Plus généralement, le site dans son intégralité est épuré et très sophistiqué, agrémenté de photos et de vidéos explicatives. La page proposant de devenir ramasseur utilise les mêmes arguments qu’Uber, à savoir possibilité d’un revenu supplémentaire, indépendance et simplicité d’utilisation. Finalement, ce sont tous les codes de l’ubérisation qui sont reproduits. Deliveroo, Airbnb ou encore Soyez Bcbg, tous utilisent ces mêmes codes reconnaissables pour l’utilisateur et signes de ce modèle. Face à Pooper, l’utilisateur modèle peut très bien se laisser berner.
Cependant, de nombreux marqueurs d’ironie sont subtilement placés… Le logo pourrait déjà être un indice. Une crotte qui sourit semble nous indiquer la dimension farcesque du dispositif. On décrit ensuite les ramasseurs comme « des gens comme vous, qui aiment les chiens et qui veulent améliorer les rues et les quartiers dans lesquels nous vivons »: comble de l’ironie, le ramasseur serait motivé par la bonne cause plutôt que par un besoin cruel d’argent… Cette ironie touche aussi les consommateurs. Les Scoopers reçoivent le même message que les conducteurs d’Uber, une notification « dès qu’il y aura une crotte » près de chez eux. Ayant connaissance de l’ironie de l’application, on peut alors voir une assimilation entre consommateur d’Uber et crottes de Pooper. L’application voudrait nous faire voir un parallèle entre des ramasseurs de déjections et des véhicules prêts à nous déposer à tout instant.

Une supercherie au succès terrifiant
Les créateurs, Ben Becker et Eliot Glass, ont alors expliqué leur démarche. Ils voulaient réutiliser tous les signifiants visuels et le langage habituellement utilisés par ce type d’application en y attribuant une fonction absurde. Et cela a marché ! Les médias, les investisseurs, et les usagers sont tombés dans le piège. Plus marquant encore, l’application a reçu de nombreuses demandes d’inscription. Une centaine de personnes seraient donc prêtes à devenir ramasseurs de crottes de chien. Cela en dit long sur notre société et l’objectif des deux créateurs est donc atteint avec brio !
Bye Bye crottoir, l’équivalent français… Mais en vrai !
Si l’application américaine était une plaisanterie ironique, l’équivalent français, Bye Bye Crottoir, est lui bel et bien réel. La démarche est un peu différente. Ici, c’est la mairie qui paye pour y avoir accès. Les usagers sont invités à photographier et à géolocaliser les déjections canines qu’ils croisent dans la rue afin qu’un agent de la mairie vienne les ramasser. Toutefois, si le principe initial est de rendre la ville propre, la finalité est la même, photographier une crotte de chien pour que quelqu’un vienne la ramasser… Cette application a eu tellement de succès que le montage de toutes les photos prises a permis de représenter la Tour Eiffel en crotte de chien !

Les créateurs de Pooper auraient-ils raison? Faisons-nous des applications pour tout et n’importe quoi?
Des applis, encore des applis
Ce que dénonce Pooper, c’est avant tout le nouveau modèle instauré par la Silicon Valley. Un modèle qui prône l’ubérisation. Des applications naissent sans cesse, pour tout et n’importe quoi. Ces applications prétendent résoudre tous les problèmes, un peu à la manière de la prothèse de MacLuhan, le prolongement du bras de l’Homme. Les applications suscitent de nouveaux besoins pour en- suite les résoudre. Cela permet de remettre en cause notre rapport aux nouvelles technologies et aux médias qui nous sont offerts. Aujourd’hui, on s’en remet aux applications pour effectuer de plus en plus d’actions du quotidien. Comme le souligne les fondateurs de Pooper, nous n’avons plus besoin de conduire, d’aller au restaurant, ou même jusqu’au pressing. Il nous suffit de télécharger une application et en quelques clics, tous ces services viennent à nous.
Une économie collaborative… Ou pas
Dans le journal Newsweek, on décrit les problèmes résolus par la plupart des applications comme inexistants, « sauf si on est très riche ou très paresseux ». L’économie collaborative se résumerait à faciliter la vie d’un individu en dégradant la vie d’un autre. On délègue les tâches quotidiennes à quelqu’un qui a besoin d’argent au point d’accepter de ramasser des crottes de chien. Cela rappelle quelque chose qui existe depuis longtemps, les « dog walkers », ces étudiants payés pour promener et donc ramasser les crottes de chiens de riches américains. Le partage prôné par tous ces acteurs d’une économie dite collaborative ne serait en fait qu’une stratégie marketing afin de développer une image de marque aux valeurs humaines. On peut penser ici à Airbnb, AlloResto, ou encore dans un autre registre Coca-cola et son fameux « partager un Coca avec un ami ». Finalement, toutes ces entreprises profitent du phénomène pour gagner de l’argent, quitte à augmenter le travail précaire, sous le signe d’une simplification de la vie et d’un partage entre personnes qui n’est pas forcément réel.
L’initiative de Pooper est innovante. Une manière ludique d’éclairer les gens sur l’utilisation de toutes ces technologies qui, au lieu de créer du lien, peut parfois le détériorer. Contre toutes les publicités pour ce type d’application, Pooper est le signe, peut-être, d’une nouvelle vision de ces évolutions récentes.
Charlotte Delfeld
LinkedIn
Sources :
• « Moquer l’uberisation avec une fausse application de ramassage de crottes », Le Monde, publié le 01/08/2016. Consulté le 10/03/2017.
•RIS Philippe, « Disruption, ubérisation : les excès des mots cachent la réalité », LesEchos.Fr, Publié le 03/11/2015, Consulté le 10/03/2017.
• SCHONFELD Zach, « How a Fake Dog Poop App Fooled the Media », Newsweek, publié le 30/07/2016. Consulté le 10/03/2017.
• Site de l’application Pooper. Consulté le 10/03/2017.
Crédits :
• Site de l’application Pooper
• Compte Twitter de l’application Bye Bye Crottoir

Société

Airbnb: la Nuit au musée

On connaît la rengaine : s’il n’est pas déjà chez vous, Airbnb est partout ailleurs. La bête noire des petits et grands hôtels s’impose encore davantage sur le marché de la location, et ce malgré la peur des grandes villes de voir le nombre de leurs habitants baisser au profit d’une population plus saisonnière. A Paris notamment, il est hors de question de voir la ville Lumière se changer en ville Fantôme ; c’est pourquoi la municipalité a récemment mené plusieurs « opérations coup de poing » en faisant la chasse aux « multipropriétaires récidivistes » et à l’ « hôtellerie clandestine »… Pourtant, si à Paris on craint qu’Airbnb ne change la capitale en musée, à Chicago, c’est le musée lui-même qui invite.
Van Gogh is in the place
Quelle n’est pas la surprise des utilisateurs de trouver un beau matin sur la plateforme une annonce de Van Gogh lui-même, vantant les mérites de sa petite chambre décorée « in a Post-Impressionist style ». Toutefois, à dix dollars la nuit (9€), le peintre reste modeste. Il n’a besoin d’argent que pour acheter ses peintures, précise-t-il… Et qui serions-nous pour priver Van Gogh de ses couleurs ? Il ajoute néanmoins qu’il serait heureux de nous offrir des tickets d’entrée pour son exposition à l’Art Institute de Chicago. Quelle générosité !
Et pourtant, les bons Captain Obvious vous le diront, l’artiste a peint sa petite chambre à Arles (et non à Chicago), il n’a jamais connu le succès au cours de sa vie et surtout, il est mort depuis une bonne centaine d’années.

C’est finalement l’Art Institute himself qui est à l’origine de cette idée. Afin de promouvoir la nouvelle exposition, « Van Gogh’s bedrooms », les organisateurs ont reconstitué la chambre exactement telle qu’elle apparaît dans les tableaux du peintre, avec son chapeau de paille, sa perspective si particulière et ses murs bleus. La touche du peintre y est quant à elle parfaitement reconnaissable.
J’irai dormir chez vous

Plus besoin de regarder par le trou de la serrure, venez donc passer la nuit ! Immergez-vous dans l’univers de Van Gogh ! L’originalité de la démarche n’est plus à démontrer, la campagne de communication a été un franc succès et la collaboration avec Airbnb, pleinement assumée. Le community manager de l’institut a lui-même passé la nuit dans la chambre. L’expérience est relayée sur Twitter, sur Instagram et bien sûr, sur Airbnb où les utilisateurs sont invités à commenter leur nuitée, assurant à l’exposition une visibilité à moindre frais, une sorte de bouche à oreille 2.0. L’humour dont ont fait preuve les organisateurs a assuré à l’exposition une large couverture médiatique et l’utilisation d’une plateforme telle qu’Airbnb a permis d’atteindre un public sans doute moins familier du peintre. On le sait, la population des musées n’évolue plus depuis près de quarante ans. L’utilisation toute récente des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou Instagram, permet sans doute d’atténuer la barrière entre une institution et son public, d’interagir plus facilement avec ce dernier, mais pas forcément de le renouveler. C’est en cela que la contribution d’Airbnb est intéressante : au-delà de l’aspect humoristique de la démarche, toute personne recherchant un logement sur Chicago sera susceptible de tomber sur l’annonce, et ce, qu’elle soit connaisseuse ou non de l’œuvre de Van Gogh.
Le magazine Télérama, se prêtant au jeu, a même imaginé la « visite virtuelle d’un possible futur Hôtel des Peintres » où chaque chambre serait la reconstitution d’une œuvre connue comme A Woman in the sun de Hopper, ou bien encore La Chambre Bleue de Picasso…
Le principe n’est pourtant pas novateur. Avant même la création d’Airbnb, l’Aubergine Rouge, une chambre d’hôtes à Arles, attirait ses clients grâce à sa chambre Van Gogh, recréée elle aussi d’après le modèle du peintre.

Un carnet d’adresses bien rempli
Ce n’est pas la seule adresse insolite que l’on trouve sur le site. Bien qu’il s’agisse de sa première collaboration avec un musée, Airbnb est réputé pour avoir hébergé des annonces de location concernant des lieux de tournage célèbres. Ainsi peut-on louer une maison de Hobbit en Nouvelle-Zélande, ou bien à Seattle, l’appartement d’Anastasia Steele et de Christian Grey dans le sulfureux 50 nuances de Grey. Plus récemment encore, la célèbre Alfred Rosenheim Mansion, surnommé la Murder House dans la première saison d’American Horror Story s’est elle aussi retrouvée sur la plateforme. Et malgré les dispositions de la ville de Paris face aux dérives immobilières, Airbnb a su organiser pour les plus curieux, une nuit dans nos célèbres Catacombes le soir d’Halloween.
Allez savoir à qui cette publicité est le plus profitable : à l’Institut ? Ou à Airbnb lui-même ? Disons que c’est bien là le principe d’une collaboration, on ne sait pas trop qui aide qui. Une chose est sûre, dans le chambre de Van Gogh, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles… ou presque.
Marie Philippon
Sources :
Mathias Thépot, « L’invasion Airbnb, une préoccupation majeure pour Paris », La Tribune, le 16/01/2016
Le Monde, Big Browser. « Dormir dans La Chambre de Van Gogh », le 17/02/2016
Emmanuel Tellier, « Si la chambre Van Gogh est prise, neuf autres tableaux où passer la nuit », Télérama, le 12/02/2016
Crédit images
Airbnb, « Van Gogh’s Bedroom »
Twitter : Art Institut, retweet de Tim Schraeder le 25/02/201
Instagram : artinstitutechi, The Art Institut of Chicago