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Montebourg 2.0

 
Mardi 2 juillet de 18h à 19h, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement Productif, a tenu une conférence vidéo sur le thème « la localisation et la relocalisation d’activités industrielles en France » via Google Hangouts et retransmise sur Youtube. Avec cette communication politique d’un nouveau genre, initiée le 6 juin dernier par Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes et Porte-Parole du Gouvernement, Arnaud Montebourg entend donner aux citoyens les moyens d’ « interroger le pouvoir, ses choix, ses décisions ». Cette vidéo-conférence, organisée par le ministère mais réalisée dans les locaux de Cap Digital (grand pôle de compétitivité, pas un hasard donc) se veut donc comme le prolongement logique des compte-rendus de terrain que le ministre réalise régulièrement sur le terrain, comme cette semaine à Montpellier.
Un dispositif verrouillé
Ce que l’on retient de ce petit chat improvisé, c’est tout de même la prise de risque zéro du ministre. Les huit internautes qui ont pu interroger Arnaud Montebourg par webcams interposées avaient été soigneusement sélectionnés à l’avance par le cabinet du ministre. En outre, il s’agissait pour la plupart de jeunes entrepreneurs de starts-ups qui au bout du compte ont les moyens et la volonté de privilégier la fabrication française. D’ailleurs, les questions au ministre ne sont ni très pertinentes ni très cinglantes : le ministre peut donc développer à l’envie les différents pans de sa politique, vantant au passage les bienfaits de son logiciel Colbert 2.0, qui est censé aider les chefs d’entreprises français à relocaliser leur production. Aucun des intervenants ne lui pose des questions dérangeantes ou réellement profondes. Une communication qui n’a donc rien de symétrique, et qui s’apparente davantage à un exercice de légitimation de la politique de redressement productif du ministre Montebourg, qui brasse en effet beaucoup de dossiers (parfois avec du résultat) mais se voit réduit, contre son gré, à faire le moulin. Il en va de même pour les questions posées par tweets, via le hastag #MRPnum, que l’équipe sélectionne et écrit sur le paperboard en face du ministre.
Auj à 18h, débat numérique avec @montebourg, en direct sur http://t.co/jcRs4ePUsk Posez déjà vos questions #MRPnum pic.twitter.com/odjjR8qIdO
— Ministère RP (@redressement) July 2, 2013
Le tweet de présentation de la vidéo-conférence, via le compte du Ministère

@montebourg @redressement #MRPnum trouvez-vous normal de protéger nos artistes (protectionnisme) et pas notre industrie ? — Taf Séb (@Subtaf) June 30, 2013

Un exemple de question : pas de quoi effrayer Montebourg, qui connaît bien ses dossiers.
On peut remarquer que les chiffres et certains éléments de réponse à des questions sont également préparés à l’avance et écrit sur le paperboard ; ainsi Montebourg n’a qu’à tourner légèrement la tête pour lire ce qui y est inscrit. Un premier exercice bien cadré donc, mais légitimité dans sa forme par la contrainte technique. Dans l’avenir, le cabinet assure que le ministre souhaite réitérer l’action mais dialoguer cette fois-ci avec des internautes non sélectionnés. Toutefois cela apparaît techniquement plus complexe, car il faudrait alors valider la connexion de chaque internaute tout en conservant une certaine fluidité malgré le direct.
Plus proche des citoyens
Après la forme, penchons-nous un peu sur le fond. D’après Montebourg, sa démarche s’inscrit dans ce qu’il appelle un « colbertisme participatif ». « Colbertisme » en référence à Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV : celui-ci a en effet participé à la construction de l’État français tel que nous le connaissons aujourd’hui mais a aussi impulsé son industrialisation. « Participatif » évidemment pour désigner la volonté d’établir un lien de proximité entre dirigeants et citoyens. Montebourg introduit son « chat vidéo » en exprimant son « besoin de discuter avec la société toute entière ». Il a le souci d’expliquer sa politique de manière directe, sans passer par les médias tels que le journal de 20h ou la presse écrite qui jouissent encore d’importantes audiences mais qui laissent de côté de nombreux citoyens. Par ailleurs, la nouvelle génération de citoyens connectée au web 2.0 s’informe, communique et échange directement sur Internet via les réseaux sociaux. « Il m’a paru nécessaire d’aller sur le lieu où se rassemble le plus grand nombre de citoyens » explique-t-il. Un discours rassurant, une initiative participative qui marque l’intérêt de Montebourg pour la politique de proximité, lui qui fait chaque année sa traditionnelle ascension du Mont Beuvray dans son fief de Bourgogne. Cette année, Le Petit Journal s’était rendu sur les lieux pour railler le « ministre des Champs » et sa politique enracinée, qui joue du patois local et ironise gentiment sur l’attitude « parisienne » des journalistes présents. Sans remettre en cause la bonne foi d’Arnaud Montebourg ni même sa vocation à pérenniser la démocratie participative, on enfoncera des portes ouvertes en avançant que cet événement s’inscrit surtout dans une stratégie de construction d’une identité politique forte. Je vois davantage ici le futur candidat Montebourg en 2017, qui élabore soigneusement et patiemment une image d’homme politique enraciné et à l’écoute de tous les Français, dans la diversité de leurs conditions. Sans critiquer le volontarisme et les compétences du ministre Montebourg, force est de constater son habilité à échafauder soigneusement son écrin de « représentation » (que d’autres appelleraient un peu banalement « storytelling ») tout en jouant l’équilibriste avec le gouvernement (on connaît ses mauvais rapports avec le Premier Ministre) et sa politique (qu’il a critiquée plus ou moins ouvertement et qu’il digère sûrement difficilement).
Et Dailymotion ?
Finalement, ce qui a peut-être le plus retenu l’attention, c’est le choix de Youtube pour héberger la vidéo conférence. C’est qu’en avril dernier, le ministre du Redressement Productif avait déclenché la controverse en posant son veto au rachat de la plateforme française par le géant américain Yahoo. Selon le service presse, ce choix se justifie par des raisons purement techniques : « Depuis janvier, le ministre effectue des compte-rendus de mandat ministériel lors de déplacements en province. Il a voulu élargir l’audience au-delà des 300-400 personnes habituellement présentes à ces réunions, d’où l’idée du chat vidéo. (…) Il n’y avait pas de solution numérique en France équivalente à Google Hangouts, c’est pour ça que nous avons retenu Youtube. » Avant de quitter les lieux, Arnaud Montebourg n’hésite pas à lancer à l’équipe de Google : « Hé les gars ! Quand est-ce que vous payez vos impôts ? » Dommage que ce ne soit que pour la beauté du geste.
 
Laura Garnier

Société

Et si Yahoo! avait racheté Dailymotion…

 

Aujourd’hui, le 6 mai 2013, la France est en deuil. Un an jour pour jour après l’élection de François Hollande, la page Wikipédia de Dailymotion a disparu. Et lui avec.
L’aigle, ou plutôt la Pygargue à tête blanche, a dévoré le coq gaulois. Voilà que la charmante petite église d’un village français que représentait (presque) le logo de Dailymotion se transforme, bien malgré nous, en gratte-ciel de Wall Street ! Le rachat de Dailymotion par Yahoo! signe la fin de la culture française chuchote-t-on.
Adieu les Matinales de RTL rediffusées avec la tendre voix de Stephane Bern , notre monarque radiophonique préféré ?
Adieu les interventions d’Alain Duhamel dans sa rubrique « Fait Politique » ?
Adieu l’humour français « démocratisé » dans les retransmissions des sketches de nos meilleurs (ou pas) humoristes ?
Adieu les témoignages pertinents de jeunes adolescents (ou pas) à propos de leur libido, comme dans cette vidéo publiée cette semaine « C’est marrant la vie presque puceau » ?

Mais heureusement, nous ne sommes plus « la risée mondiale de l’Internet », comme avait pu le déclarer Pierre Kosciusko-Morizet, le frère de Nathalie et le cofondateur de Price Minister, au moment où les négociations entre le gouvernement et Yahoo se révélaient un peu tendues. Grâce au rachat par le géant américain de la plateforme française de vidéos en ligne, il est désormais possible d’envisager la « croissance mondiale » de la start-up française (enfin, nord-américaine, ce qui pour beaucoup semble être la même chose). « La notion de “France” n’est plus économiquement pertinente. Les capitaux sont mondiaux aujourd’hui », revendiquait l’auto-entrepreneur avec un optimisme patriotique incroyable. Mais n’ayez crainte, Pierre Kosciusko-Morizet sera bientôt le prochain ministre du redressement productif, et remplacera Monsieur Montebourg, idéaliste socio-démocrate qui a foi en un dynamisme économique national anachronique.
A Bercy, comme dans la Rue de Vallois, on ne parle plus de « défense de l’exception culturelle ». La rhétorique de la croissance a fini par triompher. Désormais, Deezer reste le seul site tricolore qui s’est fait une place en dehors du web hexagonal. Arnaud Montebourg, après avoir figuré en première de couverture du Parisien pour défendre le « Made in France », ne pouvait que s’opposer au rachat de Dailymotion, vecteur majeur de l’influence culturelle et numérique française dans le monde. Mais il n’a visiblement pas été insensible à l’ambition de la charmante patronne américaine de Yahoo! Marissa Mayer qu’il a préférée à la préservation de « l’intérêt de la France ». Le rachat de Dailymotion par Yahoo! signe la défaite du « Made in France », avant qu’il n’ait pu atteindre sa maturité.
Yahoo! a rapidement changé le nom de l’entreprise française pour « Mouvement Quotidien », traduction littérale de Dailymotion pour séduire un public étranger sensible aux sonorités francophones. Chacun saura apprécier la portée humoristique de ce choix.
Rien de mieux pour illustrer ce rapport de force « politico-économico-numérique » que les fables du conteur français Jean de la Fontaine. Dans Le Renard et la Chèvre, le lecteur assiste à la défaite de cette dernière face à l’espièglerie du renard, qui répond à la chèvre bien embêtée :
« Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts :
Car pour moi, j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin. »
 
Margaux le Joubioux
Sources :
-France Culture : Dailymotion devrait rester Français…. Pour le moment
-Rue 89 : Pierre Kosciusko- Morizet : « Dailymotion va mourir »
-Le Figaro : Yahoo! repart à l’offensive et lorgne Dailymotion
-Les Fables Jean de La Fontaine