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Le biopic Dalida, ou comment raconter la vie d'un autre

Le 11 janvier sortait le premier film biographique sur Dalida. Ce long-métrage réalisé par Lisa Azuelos a fait couler bien de l’encre avant sa sortie en salle, notamment lorsque Catherine Morisse a dénoncé le portrait peu fidèle et très négatif de son père, premier mari de Dalida. Ce « grosso scandalo », pour reprendre l’un des titres de la chanteuse, n’est pas sans rappeler tout l’enjeu d’un biopic : capturer une vie sans la réécrire.
Lisa Azuelos est certes la réalisatrice du long-métrage Dalida, mais le projet est d’abord porté par Orlando, frère et manager de la chanteuse. Orlando a voulu promouvoir la carrière posthume de Dalida en sortant des albums et des inédits. Le biopic est une autre occasion de préserver la mémoire de sa sœur. Par ailleurs, en 2005, un premier téléfilm biographique avait été réalisé par Joyce Buñuel.
Le film biographique Dalida ne se concentre pas sur le suicide de la chanteuse, précisément parce que « sa vie et sa mort sont les deux faces d’une même pièce. Pour la comprendre, on ne peut pas en faire l’économie. Et toutes les phases de sa vie artistique et amoureuse sont intéressantes… ç’aurait été un crève-cœur d’en laisser de côté ! » (Azuelos)

Orlando a eu le contrôle sur le scénario et sur le choix des acteurs incarnant sa sœur et lui-même. Le frère-manager a également partagé ses archives personnelles afin que Sveva Alviti puisse incarner au mieux le rôle principal. Alors, gages de véracité ?
Reconstituer des vies
Le biopic Dalida est donc le fruit de la collaboration entre la réalisatrice Azuelos et Orlando, tous deux animés par le désir de raconter la vie de l’icône. Azuelos a voulu expliquer le parcours de Dalida, de son enfance à sa mort. Et son suicide est précisément une autre des raisons pour lesquelles Dalida tient autant à cœur à la réalisatrice. La vie de Yolanda Gigliotti n’a pas été un long fleuve tranquille, et pourtant, les nombreux drames qu’elle a vécu n’ont pas obscurci l’éclatante carrière de celle qui se faisait appeler Dalida. Le long-métrage a un objectif précis : qu’on la comprenne et « que l’on excuse son geste final », affirme Azuelos.
En 2017, beaucoup de films biographiques se partageront l’affiche, comme par exemple Jackie et Neruda, tous deux réalisés par Pablo Larraín. Si Dalida retrace l’ensemble du parcours de la chanteuse éponyme, en général, les biopics isolent quelques moments clefs. C’est effectivement le cas de Jackie, qui nous fait découvrir la première dame des États-Unis après l’assassinat de son mari JFK.
Quitte à les réécrire
Réaliser un biopic, c’est tenter de capturer une vie sur un écran. Le recul est nécessaire, autrement le danger de l’image trop lisse, de la reconstitution bancale, de l’histoire fantasmée guette… Et justement, certains ont reproché à Dalida de ne pas être assez objectif. Catherine Morisse, fille du premier mari de Dalida, s’est indignée de l’image négative que renvoie le film à propos de son père. Lucien Morisse serait représenté comme financièrement dépendant de la chanteuse et comme – beaucoup – plus âgé. Le Lucien de vingt-sept ans est joué par un acteur qui en a cinquante. Or un des autres enjeux d’un biopic est que l’acteur ressemble à la personne dont on retrace le parcours : si pour certains l’un des critères d’un biopic est la ressemblance physique, ici, le personnage de Lucien n’est même pas reconnaissable par sa personnalité. Catherine Morisse reproche à l’équipe du film le manque de mention de possibles dérives dans la représentation de Lucien. Elle regrette aussi ne jamais avoir été consultée pour vérifier quelque information.
Un autre enjeu majeur dans la réalisation d’un biopic : comment compacter l’essence d’une vie en deux heures ? Pablo Larraín voit cela comme impossible, et présente Neruda comme un anti film biographique. Dans une entrevue accordée à Trois Couleurs, il dit du poète et homme politique chilien qu’il était bien plus que cela : « Il avait une vie si multiple… Comment faire rentrer cet homme dans un film ? Impossible. C’est donc un anti biopic. »

Une fin heureuse
Le film biographique présente quelques avantages. Tout d’abord, la notoriété de la célébrité que l’on porte à l’écran assure aux producteurs un minimum de rentabilité. Julien Rappeneau, scénariste du film biographique Cloclo, considère que ce genre « est plus facile à vendre et à promouvoir qu’une histoire originale, car le personnage est déjà connu. Un biopic, c’est un peu comme une marque. » De cette assurance vient le budget, comme l’illustre le long-métrage Yves Saint Laurent de Jalil Lespert puisque celui-ci a bénéficié de douze millions d’euros. Un autre critère intervient dans le financement : celui de la star dont on réalise la biographie. Neruda a été financé par Participant Media, société de production américaine qui veut promouvoir des films aux visées sociales et développer le cinéma de pays émergents.

De l’autre côté de la caméra aussi des avantages subsistent. En effet, le film autobiographique peut lancer une carrière. Les cas Jamie Foxx dans Ray, ou encore Marion Cotillard, qui s’est affirmée à l’international en interprétant La Môme, en sont la preuve, bien que cela ne soit pas universalisable.
Le biopic pour développer une image de marque
Réaliser un film biographique apparaît comme le moyen de remettre une personnalité au goût du jour (Dalida) mais aussi d’affirmer une légende. C’est le cas des deux biopics The Social Network et Jobs, dont les réalisateurs ont décidé d’isoler l’épisode où l’homme est devenu légende. Le but du premier est de présenter le début de Facebook et Mark Zuckerberg. Quant au second, il veut nous présenter l’individu derrière l’icône. Le biopic Jobs profite bien au culte d’Apple, marque mondialement connue.
Si l’on a reproché à Jobs son manque d’objectivité, il rend évident une chose : un biopic fait parler de son héros, qu’il l’idéalise ou le diabolise. Le genre du film biographique ne délivre donc pas de manière objective toute la vie de son personnage mais en offre plutôt une vision particulière. Et surtout, il nous fait (re)découvrir une histoire.
Victoria Parent-Laurent
Sources :
• BENEY Chris, « Quand les films tirés de faits réels déplaisent aux principaux concernés » Vodkaster.com, publié 23/01/2015, consulté 10/01/2017
• Allociné.fr
• MOSER Léo, « Un biopic sur Pablo Neruda avec Gael Garcia Bernal en préparation » Les Inrocks, publié 24/07/2015, consulté 08/01/17 et le 10/01/2017
• BLANC-GRAS Julien, « Il y a un biopic après la vie » Le Monde, publié 09/03/2016 consulté 10/01/2017
• BOSQUE Clément, « Jobs, le film : les cinq ingrédients indispensables pour faire un bon biopic » Atlantico, publié 21/08/2017, conulté 09/01/2017
• 20 Minutes, « ‘Dalida’ : a fille du premier mari de la chanteuse dénonce le biopic de Lisa Azuelos » 20 Minutes, publié 20/12/2016 (mis à jour 06/01/2017) consulté 08/01/2017
Crédits :
• Image extraite du film Dalida de Lisa Azuelos, crédits photos Luc ROUX
• Photo tuxboard.com
• Luis Gnecco en Pablo Neruda dans le film Neruda. Crédits photos Orchard

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Schengen : succès d'une rengaine

Le 19 décembre 2016, un attentat au camion-bélier fait douze morts et plus d’une cinquantaine de blessés au marché de Noël de Berlin. Trois jours plus tard, l’auteur présumé, Anis Amri, est intercepté et abattu à Milan lors d’un banal contrôle d’identité qui dégénère. La police italienne découvre un billet de train dans ses affaires, au départ de Chambéry. À mesure que se précise son passage par la France, la polémique enfle dans la sphère politique : la droite et l’extrême-droite ciblent immédiatement un coupable — l’espace Schengen. Un tollé devenu habituel pour le programme européen de libre circulation des personnes, lancé en 1995, et objet d’une foule d’opinions radicales et opposées. Les partis conservateurs et souverainistes pointent régulièrement du doigt le danger sécuritaire qu’il représenterait, comme en 2015 lors du grand afflux de réfugiés en Europe.
Il est devenu un totem central dans les débats sécuritaires, sans cesse menacé mais présent depuis maintenant plus de vingt ans. Conformément aux vœux originaux de l’Union Européenne, l’espace Schengen est effectivement un levier de développement économique auquel tiennent les gouvernements européens, ainsi qu’un acquis, en terme de liberté de déplacement pour les Européens. Retour sur un débat qui se répète à chaque crise migratoire, et qui gagnerait à être abordé plus rationnellement par les politiques et les médias.
« Europe passoire »
« Une catastrophe sécuritaire totale ». C’est en ces mots que Marine Le Pen décrit la situation, quelques heures après la mort du terroriste de Berlin. Florian Philippot, dénonçant « l’itinéraire d’un djihadiste gâté par Schengen », s’en prend également à François Fillon, défenseur contre vents et marées de « la liberté de circulation en Europe ». Comme dans tout débat, les thèses s’affrontent et pourtant dans les médias, le combat semble à sens unique : le camp anti-Schengen occupe le terrain. Il est porté d’abord par le Front National, devenu ces dernières années une bête médiatique imbattable quant aux thèmes sécuritaires. Comme sur beaucoup d’autres sujets alliant immigration et sécurité, les défenseurs de la mesure n’ont pas (ou peu) de voix. Moins sensationnels, moins vendeurs sans doute, alors qu’à l’heure postattentats l’opinion publique demande des comptes, et que les médias lui offrent des cibles.

Un espace problématique
Les accords de Schengen comportent deux volets : la suppression des frontières intérieures communes aux États signataires, permettant la circulation libre des ressortissants, et en retour, l’affermissement des frontières extérieures de l’espace. Depuis 2008, l’agence Frontex doit assurer les contrôles par des missions régionales, mais les fonds alloués sont limités par rapport à la pression migratoire (la preuve est que l’Union Européenne rallonge le budget de l’agence chaque année). De plus, chaque pays est en charge des frontières extérieures qui sont sur son territoire, et beaucoup n’ont pas les moyens d’assumer seuls cette responsabilité. L’Europe manque de budget, de gouvernance et de solidarité.
Parallèlement, en laissant toute personne transiter en son sein, Schengen crée une demande d’asile potentiellement commune à l’ensemble des pays membres. C’est une faille aux résultantes nombreuses et problématiques, parmi lesquelles la fameuse « jungle » de Calais (des milliers de migrants venus d’Afrique et du Proche Orient, circulant dans l’espace Schengen jusqu’aux portes du Royaume-Uni), ou les campements de Roms à travers l’Europe. Le cas du terroriste de Berlin, arrivé de Tunisie sur l’île de Lampedusa en 2011, ayant pu transiter entre plusieurs pays européens après l’attentat, se prête en l’occurrence à la double-critique d’un espace prétendument poreux et donc dangereux pour ses citoyens.
Nourrir les fantasmes
Depuis des années ces épisodes ont apporté leur lot de polémiques, et progressivement situé l’espace Schengen comme une cible médiatique de choix. En 2015, lors de l’afflux de réfugiés syriens, la critique a atteint son paroxysme dans les médias. Images des frontières grecques débordées, des milliers de migrants se déversant sur les routes… : les médias se concentrent sur le caractère exceptionnel de l’afflux de migrants pour en faire un événement sensationnel. Jouant sur la peur collective de l’invasion extérieure (un fantasme historique et culturel lointain), l’information attire le grand public. Cette promotion du sensationnel et des fantasmes transpose ainsi le débat sur l’espace Schengen vers des sphères irrationnelles. Force est de constater que le courant anti-Schengen en sort gagnant médiatiquement.

Une autre information nécessaire au débat
L’itinéraire du terroriste de Berlin relance à raison le débat sur les travers sécuritaires de l’espace Schengen. Comme évoqué précédemment, l’absence de gouvernance, de solidarité entre les pays et de moyens sur le contrôle des frontières extérieures pose des problèmes de sécurité collective et mérite d’être débattu. Le fait est que le traitement médiatique a polarisé le débat sur cette seule question, et le choix d’une sortie ou d’une réforme de l’espace Schengen doit aussi se faire sur d’autres critères, plus rationnels : par exemple le coût d’une sortie n’est presque jamais évoqué par ses partisans, alors que de l’autre côté de la balance le commerce intra-européen s’est grandement développé depuis la suppression des contrôles douaniers. De même, la liberté de circulation des citoyens européens promeut un partage culturel : Schengen permet chaque année à la jeunesse européenne de communiquer via le programme Erasmus. Autant de faits éludés, car moins propices aux fantasmes et aux formules fracassantes, et pourtant nécessaires afin que chacun puisse peser le pour et contre. Car au départ comme à l’arrivée, Schengen est d’abord l’affaire des citoyens.
Hubert Boët
Sources :
– Amandine Réaux, « Pourquoi les accords Schengen sont ils remis en cause ? », blog « les décodeurs », lemonde.fr, 16/06/2016 http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/16/pourquoi-les-accords-schengen-sontils-remis-en-cause_4655302_4355770.html
– Laure Equy et Laurent Bouchet-Petersen, « En Europe, Schengen à nouveau décrié », rubrique « polémique », liberation.fr, 23/12/2016 http://www.liberation.fr/planete/2016/12/23/en-europe-schengen-a-nouveau-decrie_1537272
Crédits photos :
– Une : capture bfmtv.com
– Carte Schengen : tremaa.be
– capture du figaro (lesjuristesmasquees.wordpress.com)
 

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Tempête sur la musique : la déferlante Frank Ocean

Si la musique reste aujourd’hui cette filière prophétique décrite par Jacques Attali en 1977 dans son ouvrage Bruit, celle qui vit les crises et les conflits avant les autres, les autres secteurs de la culture ont quelques années de turbulences et de mutations devant elles. En témoigne cette année 2016 tout juste achevée, qui a vu se mélanger une sortie d’album de Mr. Ocean très préparée, l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, et de vieilles majors reléguées au rang de simples associées…tout cela dans le tourbillon de la sortie de deux albums, Endless et Blond, hymnes à la création, à l’expérimentation, et surtout à l’abnégation.
À l’image des Daft Punk, rester dans l’ombre est devenu le meilleur moyen d’être sous les feux des projecteurs. Communiquer son art relève du jeu du chat et de la souris, de l’ombre et de la lumière…jusqu’au dévoilement de l’œuvre, celle de la sortie officielle qui suscite bien souvent des conflits d’intérêts. L’art se prolonge sous différentes formes et en être l’unique propriétaire devient un luxe que nombre d’artistes veulent s’offrir. S’exprimer et tout maîtriser : voilà une fois de plus l’exemple que le chef d’orchestre peut être en studio comme derrière les plans de promo.
L’art de trouver le bon tempo…tout en jouant avec les silences
L’attente. C’est ce qui a rongé les fans du chanteur pendant presque quatre ans. Elle n’est pourtant pas à l’origine d’une stratégie marketing. Frank Ocean, au sortir du triomphe Channel Orange,  s’est confronté à la difficulté de retrouver son identité d’artiste, tout en luttant contre le syndrome du deuxième album. Ces quelques années qui ont séparé ce premier album de Blond se sont transformées en saga sans fin pour les fans comme pour l’homme, aussi attendu qu’un messie.
Pourtant, le successeur de Channel Orange n’a pas tardé à faire parler de lui. « Je vais faire la première partie d’Outkast cet été à Pemberton donc je vais peut-être renoncer à Coachella » laissait-il entendre en 2014, annonce suivie d’une bribe de morceau « Memrise », lâchée sur Tumblr six mois après. S’ensuivaient un autoportrait publié sur Twitter, une photo énigmatique avec deux magazines titrés « Boys don’t cry » et « I got two versions. I got twooo versions », une annonce de date de sortie (juillet 2015, qu’il ne respectera évidemment pas), un faux lien iTunes, quelques sons volés publiés sur le net puis vite effacés, une fausse fiche de prêt de bibliothèque listant toutes les dates potentielles de sortie de l’album pour enfin arriver, en juillet 2016, à un article dans le New-York Times annonçant de façon certaine la sortie du tant attendu opus, le 5 août.
En effet, un live stream Apple Music tourne en boucle sur le site du chanteur, depuis le 1er du mois, on y voit Frank Ocean sciant des planches de bois sur fond d’extraits sonores. La vidéo est à elle seule le symbole des années d’impatience : l’auditeur devient le spectateur du travail lent, méthodique de l’artiste qui invite son public à s’attarder. Le 5 août, l’album ne pointe d’ailleurs toujours pas le bout de son nez. Comme si le temps n’était pas un facteur important, Frank Ocean va publier après quatre ans d’attente, à partir du 19 août et en l’espace de deux jours, deux albums : Endless et Blond.
Depuis 2013, l’hystérie collective a vu des millions de tweets défiler sur internet, chacun exprimant son désarroi profond, sa colère de ne jamais voir paraître le disque tant rêvé, ses lettres d’amour ou de haine… Des filtres Snapchat dédiés ont même été créés par la plateforme afin de sustenter les fans avides d’un quelconque signe avant-coureur.

http://frankocean.tumblr.com/post/115712574756/i-got-two-versions-i-got-twooo-versions


Une partie d’échec pour gagner dans la durée
Grâce à la stratégie mise en place avec habileté par Frank Ocean et son équipe, le chanteur s’est libéré du contrat qui le liait à Universal en publiant d’abord Endless, un long album visuel, élusif sans morceau diffusible en radio et peu exploitable en promo pour une maison de disques… pour sortir le jour suivant son véritable nouvel album sur son propre label, en dépit des sommes dépensées par Universal pour financer son nouveau disque. Nous passerons ici les détails techniques et aspects financiers pour nous attarder sur les enjeux de communication d’un tel tour de passe-passe.
Ce coup de poker permet à Frank Ocean de supprimer les intermédiaires en ne se fiant qu’au distributeur, Apple. La marque devient, avec l’autre plateforme de streaming Tidal, un interlocuteur privilégié pour les artistes afin de promouvoir leur musique. Jimmy Iovine, PDG d’Apple Music, déclare dans une récente interview ne pas vouloir pour autant prendre la place d’un label mais « faire de sa plateforme le meilleur lien entre l’artiste, le label, et le consommateur. » Le site de streaming ne se place plus aujourd’hui au simple rang de subordonné à la maison de disques, mais comme un véritable acteur de pouvoir sur la distribution et la diffusion de la musique dématérialisée.
En ne commerçant qu’avec lui, l’artiste peut se permettre de tout décider : quand sortir son album, ce qu’il veut y mettre… L’important pour la plateforme est de détenir l’exclusivité du contenu. L’avantage pour l’artiste : la communication entre lui et son public est directe. Pour Paul May, le plus proche collaborateur de Frank Ocean, « L’art ne peut pas être précipité. Il s’agit de s’assurer d’atteindre l’esthétique parfaite pour la situation. Pour y arriver, cela demande constamment des ajustements, des essais et des erreurs… ». C’est ce qu’offrent Apple Music et Tidal aux artistes les plus rentables : du temps. Frank Ocean a réussi l’impensable aujourd’hui : créer l’espace de liberté le plus total, tant sur le plan de la communication que de la création, tout en étant financé à hauteur de major.

Expérimenter et renouveler les nouvelles formes de création
Avec l’explosion du streaming, on observe dans le top Billboard un changement radical de la proposition musicale des artistes les plus vendeurs. Que ce soit Beyoncé, Kanye West, Solange, Bon Iver, Frank Ocean ou encore Radiohead, chacun développe son art de façon très personnelle, engagée, sans single formaté pour les charts. On remarque que sur Spotify, Deezer et autres plateformes, l’engagement du consommateur n’est plus financier mais un engagement de durée. On prend du temps pour découvrir un tube, on cherche à s’aventurer dans les albums, à se perdre afin de trouver celui dont est issue notre chanson préférée. Dans une époque où nous avons accès à tout, faire un album qui ne cible pas tout le monde est un moyen d’attirer des foules.
Cette logique s’applique aussi à la volonté de re-matérialiser la musique en la prolongeant sous forme de magazine, de coffret vinyle… Frank Ocean l’applique avec la publication gratuite, très limitée de son magazine Boys don’t cry. Le principe de rareté et de gratuité mêlés le placent immédiatement dans l’esprit du fan au rang d’oeuvre d’art gracieuse, désintéressée.
Frank Ocean réussit à faire de l’art avec un objet commercial à grande échelle, et d’un objet commercial considéré comme dépassé, un objet d’art de notre époque. Il expérimente, prolonge, développe dans la longueur l’histoire ce qu’il veut raconter… sans jamais pour autant perdre le nord : « Je sais exactement quels sont les chiffres, a-t-il confié dans une récente interview au NYT. J’ai besoin de savoir combien j’ai vendu d’albums, combien de streamings, quels territoires jouent ma musique plus que d’autres, car cela m’aide à décider où l’on irait faire des concerts, où l’on pourrait ouvrir un magasin de location de voiture, un pop-up store ou quelque chose dans le genre… ». Un chef d’orchestre qui mène son porte monnaie à la baguette.
 
César Wogue
Sources :
– Edward Helmore, Universal reportedly outlaws streaming ‘exclusives’ after Frank Ocean release, 23.08.2016, https://www.theguardian.com/business/2016/aug/23/universal-streaming-exclusives-frank-ocean-release, consulté le 23/12/2016
– Joe Coscarelli, Apple Music: Platform? Promoter? Both., 22.12.2016, http://www.nytimes.com/ 2016/12/22/arts/music/apple-music-platform-promoter-both.html, consulté le 26/12/2016
– Ben Sisario, Frank Ocean’s ‘Blonde’ Amplifies Discord in the Music Business, 25.08.2016, http:// www.nytimes.com/2016/08/26/business/media/frank-oceans-blonde-amplifies-discord-in-themusic-business.html, consulté le 26/12/2016
– Jon Pareles, With Streaming, Musicians and Fans Find Room to Experiment and Explore, 22.12.16, http://www.nytimes.com/2016/12/22/arts/music/streaming-album-bon-iver-kanye-westfrank-ocean.html, consulté le 26/12/2016
– Marine Desnoue, Frank Ocean, la puissance marketing de Blonde, 08.16 http://oneyard.com/ magazine/frank-ocean-puissance-marketing-de-blonde/, consulté le 26/12/2016.
– Jon Caramanica, Frank Ocean Is Finally Free, Mystery Intact, 15.11.16, http://www.nytimes.com/ 2016/11/20/arts/music/frank-ocean-blonde-interview.html, consulté le 25/12/2016
– Adam Bychawski, Apple Music boss denies forcing Frank Ocean to split with his label ahead of Blonde release, 23.12.16, http://www.factmag.com/2016/12/23/apple-music-boss-denies-forcingfrank-ocean-split-label-ahead-blonde-release/, consulté le 25/12/2016
Crédits photo :
– Boys don’t cry®
– Télérama

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Campagne de prévention du VIH : l'homofolie se déchaîne !

Si certains en doutaient encore, maintenant nous pouvons l’affirmer : l’homosexualité n’est pas encore acceptée dans notre société. La polémique qui accompagne la nouvelle campagne de prévention du VIH, destinée aux homosexuels, en est la preuve. Lancée mi-novembre par le ministère de la Santé sur les réseaux sociaux et diffusée sur les panneaux publicitaires, elle met en scène des couples homosexuels s’enlaçant et des messages invoquant la nécessité de se protéger pour des « coups d’un soir ». Vandalisme, censure, tweets scandalisés… Le message a décidément du mal à passer.

Un cercle vicieux : informer, censurer, résister
Peu après la diffusion de 8000 affiches dans 130 villes de France, les attaques fusent de toutes parts. Les mairies les plus conservatrices, comme celles d’Aulnay-Sous-Bois et d’Angers, exigent le retrait des affiches, aux abords des écoles en particulier, car elles sont jugées susceptibles de heurter la sensibilité des enfants. La censure commence, la guerre est lancée.
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, riposte immédiatement ; elle sollicite non seulement la communauté des réseaux sociaux, en invitant à partager les visuels, mais aussi la justice, en portant plainte pour censure. Certes les principaux révoltés se comptent parmi les fervents militants de la Manif pour tous et les membres des associations de familles catholiques, mais le débat devient très vite, et avant tout, d’ordre politique. S’envoyant des tweets comme des balles de ping-pong, la droite et la gauche se positionnent en faveur, ou non, du retrait des affiches et élargissent la polémique à la question épineuse de la place de l’homosexualité dans notre société.
Le schéma est classique : les plus réactionnaires s’offusquent d’une atteinte à la sensibilité de l’enfant alors que les défenseurs des homosexuels se battent pour l’égalité des couples et l’acceptation de l’homosexualité aux yeux du grand public. Les arguments des élus contre la campagne se basent sur la protection de l’enfance et la défense des bonnes mœurs bafouées par ces affiches « volontairement provocantes ». Christophe Béchu, maire d’Angers, justifie alors le retrait des affiches en spécifiant que la même demande aurait été effectuée s’il s’agissait de couples hétérosexuels.
Hypocrisie tendancieuse ou argument recevable ? Quoiqu’il en soit, c’est la question de l’acceptation des homosexuels qui se pose : l’homosexualité, selon les défenseurs de cette campagne, n’est pas une anomalie que l’on doit cacher aux enfants.
Une polémique confuse : deux combats opposés, un ennemi commun
Le problème ne s’arrête pas là. Dans une logique de mise en abîme, la seconde couche du débat questionne la stigmatisation des homosexuels dans la société. Et si cette campagne n’était non pas une atteinte à la décence mais une énième condamnation de l’homosexualité ? En effet, trop souvent accusés d’être à l’origine du virus du Sida et d’entretenir majoritairement des relations instables, les homosexuels tentent d’échapper à ces stéréotypes dégradants. Pourtant cette campagne de prévention, en visant uniquement une population homosexuelle, renforce ces idées. « Coup de foudre, coup d’essai, coup d’un soir », « Avec un amant, avec un ami, avec un inconnu » : un message qui peut effectivement porter à confusion. Triste paradoxe en effet : une campagne grand public qui pour une fois met en avant l’homosexualité semble s’inspirer des plus grands clichés qui l’entourent.

Il est évident que l’objectif n’a jamais été de critiquer le mode de vie ou la pratique homosexuelle, mais d’inciter à visiter le site « sexosafe » où se trouvent les différents moyens de contraception pour homosexuels. Car, dans les faits, ceux-ci sont encore les plus touchés par le Sida (43% des nouveaux cas en 2015), et doivent donc être particulièrement ciblés par la prévention. C’est, du reste, ce qui est clairement précisé par le slogan présent sur chacune des affiches : « les situations varient, les modes de protection aussi ».
La question se pose néanmoins : à qui revient le droit d’être scandalisé ? Aux homosexuels qui se sentent stigmatisés par le message transmis ou bien à une droite réactionnaire effrayée par la portée idéologique de ces affiches ? Dès lors, cette campagne, aux conséquences de plus en plus notables et curieuses, fait ressortir deux combats aux directions radicalement opposées, ayant pourtant la même cible.
Finalement, puisque la démarche du ministère de la Santé fait face à de telles polémiques, doit-on parler d’une réussite ou d’un échec communicationnel ? Certes la campagne a fait parler d’elle, mais il semble trop tôt pour se prononcer sur sa portée effective. Ajouter des visuels avec des couples hétérosexuels aurait peut-être révélé si les attaques étaient dirigées contre l’homosexualité en elle-même, ou bien contre une représentation trop suggestive de la sexualité.
Quand la pub touche une corde sensible
Cette polémique révèle les contraintes et les responsabilités qui pèsent sur la publicité, et sur les contenus médiatiques en général. En effet, en nous alignant sur l’opinion favorable à cette censure, un contenu publicitaire ne doit jamais être trop provocant et ne doit pas heurter la sensibilité d’une population. Et lorsque la sexualité, sujet délicat voire tabou dans nos sociétés, est abusivement présente dans une publicité, cela peut être choquant. Cependant, le scandale est ici clairement axé sur la question de l’homosexualité, puisque le message ne peut pas, selon les opposants à la campagne, être compris par les jeunes.
Dès lors, ce débat n’est que le reflet d’une société confuse.
Au cœur de cette polémique sociétale, médiatique et politique, la question demeure : en quoi ces affiches sont-elles plus choquantes que de nombreuses publicités invoquant la sensualité voire la sexualité de la femme ou d’un couple hétérosexuel ?
Prenons pour exemple la marque de lingerie Aubade qui a lancé une campagne de publicité intitulée « Leçons de séduction ». Sur diverses affiches, sont mis en évidence des corps féminins presque nus, légèrement recouverts de dentelle, dans des positions aguicheuses. La dimension sexuelle est d’autant plus renforcée par les messages qui accompagnent ces photos : « le mettre au pas, au trot, au galop », « être légèrement culottée », « lui remonter le moral »… Promotion d’une sexualité libérée et d’une image quelque peu réductrice de la femme : un cocktail qui ne nous est pas inconnu ! Et pourtant, cette campagne n’a suscité aucune polémique, bien au contraire, il semble qu’elle soit plutôt appréciée aussi bien par les hommes que les femmes.

La responsabilité de ces campagnes de prévention est de délivrer un message à toute une société mais aussi de diffuser l’image de cette société, ce qui la dessine et la définit. L’homosexualité entre peu à peu dans les mœurs mais cette polémique montre qu’elle n’a pas encore une place stable et approuvée.
Sur Twitter, un internaute, se demandant ce qu’il va dire à sa fille de 8 ans face à ces affiches, touche involontairement du doigt le problème, et peut-être sa solution : les parents ne devraient pas craindre que leurs enfants soient choqués par la vision d’un couple homosexuel; au contraire, la jeunesse est une arme essentielle pour combattre les préjugés et soutenir l’évolution des mentalités. Atteindre une cible jeune serait le seul moyen de faire de l’homosexualité une norme légitime, médiatiquement, socialement et idéologiquement parlant. Les modes de prévention varient, les mentalités aussi ?
Madeline Dixneuf
Sources :
• 20 minutes, Sida: Pourquoi les affiches d’une campagne de sensibilisation dérangent, Damien Meyer, publié le 23/11/2016, consulté le 10/12/2016
• Le monde, Affiches de prévention du sida : Touraine saisit la justice à la suite d’une « censure », François Béguin, publié le 22/11/2016, consulté le 10/12/2016
• La croix, Une campagne contre le sida fait polémique, Christine Legrand, publié le 20/11/2016, consulté le 11/12/2016
• L’express, Une campagne de prévention anti-VIH visée par des anti-mariage gay, express.fr, publié le 18/11/2016, consulté le 13/12/2016
• France Tv info, Vidéo la campagne de prévention contre le VIH qui créé la discorde, Nicolas Freymond, publié le 22/11/2016, consulté le 20/12/2016
• Huffington Post, Non, ces affiches de prévention contre le sida ne sont pas un cliché sur les homosexuels, Marine Le Breton, publié le 01/12/2016, consulté le 20/12/2016
• Huffington Post, Plusieurs maires Les Républicains censurent une campagne de prévention contre le SIDA, le gouvernement les attaque en justice, Anthony Berthelier, publié le 22/11/2016, consulté le 20/12/2016
• Têtu, La campagne publique de prévention gay menacée de censure, Julie Baret, publié le 21/11/2016, consulté le 20/12/2016
Crédits :
• Affiches de la campagne de prévention contre le VIH par le Ministère de la Santé
• Capture d’écran Tweet de Louis Ronssin
• Capture d’écran Tweet de Marisol Touraine Affiches de la campagne de prévention contre le VIH
• Capture d’écran Tweet marst76
• Capture d’écran Tweet Nicolas Sévilla, Laurence Rossignol, Baptiste C_A
• Affiche campagne publicitaire Aubade
 

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Sausage party: tant qu'il y a du scandale, c'est pas fini

Sausage Party, le nouveau film d’animation de Seth Rogen et Evan Goldberg, est sorti en France le 30 novembre 2016. C’est l’histoire d’une petite saucisse qui s’embarque dans une quête dangereuse pour découvrir ses origines. D’autres thèmes d’actualité et de société — et même de géopolitique, notamment à travers le conflit israélo-palestinien — sont abordés. Les réalisateurs Seth Rogen et Evan Goldberg étant avant tout les grands maîtres de la stoner comedy (genre cinématographique dont l’intrigue montre l’utilisation du cannabis) et de l’humour subversif, il en résulte par conséquent un dessin animé qui se rapproche plutôt d’American Pie que d’une production Disney.
La stratégie de communication du film d’animation présentait un double enjeu. D’une part, il était important de mobiliser le public autour de la sortie du film, qui à l’origine n’était pas prévue en France mais pour direct to video, la décision du lancement fut encouragée par la mobilisation des fans de Seth Rogen. D’autre part, après sa sortie, La Manif Pour Tous, s’est mobilisée et a bruyamment dénoncé l’hyper-sexualisation du dessin animé. Revirement stratégique : il a fallu faire profil bas pour normaliser Sausage Party par rapport au reste des sorties. Cet événement témoigne surtout de la difficulté de communiquer autour des films d’animation en France, ceux-ci étant éternellement perçus comme des films pour enfants.
Une communication officielle potache mais tardive et ambiguë…
En France comme aux USA, les producteurs avaient misé sur une communication bon enfant, presque familiale, en revenant aux fondamentaux du film : montrer la vie d’aliments qui, comme les jouets dans Toy Story, se réveillent dès que les humains ont le dos tourné. La société française chargée de la distribution s’est donc appuyée sur le synopsis du film pour en assurer la communication, notamment en utilisant la marque « Morteau Saucisse ». Étant donné que le héros du film est une saucisse, le lien était tout trouvé et permettait à la marque alimentaire de s’offrir une image plus jeune et une visibilité nouvelle en magasin.

Par ailleurs, pour le distributeur, il s’agissait aussi de s’offrir les services d’un groupe qui avait su marquer les esprits lors de sa campagne de pub dans le métro parisien. Celle-ci assurait en effet « 20 cm de bonheur » aux acheteurs d’une saucisse chez Morteau. La stratégie communicationnelle mise en place, tout en s’approchant du type d’humour développé dans le film, a donc contribué à rendre celui-ci plus accessible aux consommateurs.
Paradoxalement, le fait que Cyril Hanouna ait été choisi pour doubler un des personnages, brouille un peu ce message : il est un des animateurs préférés des adolescents et pré-adolescents, or cela donne l’impression que ce public pourra se retrouver dans le film. Mais ce n’est cependant pas le cas. De plus, en France, la communication autour de la célébrité des doubleurs a plutôt lieu lors de la sortie de films d’animations pour enfants, ce qui contribue donc au renforcement de l’ambiguïté autour du public réellement visé.
…pour un film sorti dans un contexte social peu propice
Refusant de tomber dans l’oubli à l’approche des présidentielles, La Manif Pour Tous a vu dans la sortie de ce film l’occasion de revenir sous les feux des projecteurs et de faire réentendre son message. Ce n’est pas la première fois que le mouvement ou une de ses dérivées, cherche à préserver les « chères têtes blondes » (selon leurs propres termes) des affres du cinéma, qu’il s’agisse des affiches ou du contenu d’un film. La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche et ses scènes jugées trop explicites par certains spectateurs, ou encore L’inconnu du Lac d’Alain Guiraudie et son affiche un peu trop suggestive, ont eux aussi connu les foudres des associations familiales. Il s’agit en quelque sorte d’une spécificité française puisque ces trois œuvres cinématographiques sont sorties à l’étranger, également avec des restrictions de diffusion selon l’âge des spectateurs, mais sans jamais susciter de telles polémiques.
Cette mobilisation est en fait basée sur les revendications plus politiques de La Manif Pour Tous. Leur communication sur Twitter mentionne en effet la récente campagne anti- VIH du gouvernement français mettant en scène des couples homosexuels, qui serait choquante pour les enfants. En interpellant tout d’abord le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (qui ne gère pas les affaires liées au cinéma) puis le Conseil National du Cinéma et de l’Image animée, il semble que ce soit plus largement le gouvernement qu’ils ont souhaité pointer du doigt, et plus particulièrement, sa politique concernant la famille. Plus que le film en lui-même, c’est donc une certaine image de la sexualité dans la société que le mouvement dénonce.

Mais pour quel effet ?
La méthode utilisée est paradoxale et rappelle le phénomène du Streisand effect, du nom de Barbara Streisand : plus l’on cherche à cacher quelque chose, plus il y a un risque que cela gagne en popularité. En effet, pour mettre en garde les spectateurs potentiels du film sur sa dangerosité pour les enfants, ceux qui s’opposaient à sa sortie ont diffusé les deux minutes les plus polémiques du film, augmentant ainsi le risque pour les plus jeunes d’y être exposés.
Finalement, le peu de signatures recueillies sur les pétitions (moins de 3 000 pour le premier résultat Google au 11 décembre 2016) semble signaler que cette présence importante sur les réseaux sociaux n’est pas forcément représentative d’un réel engagement. Une petite minorité convaincue parvient à se rendre visible, sans pour autant réellement mobiliser les masses autour de cette cause.
Malgré la tentative de succès en voulant surprendre le public afin de susciter la polémique, le film n’aura fait que 40 000 entrées la première semaine, se plaçant à la 11e place du box-office. Finalement, les fans du films mobilisés pour sa sortie ont été satisfaits et aucun des spectateurs n’a été traumatisé, comme le pensent les opposants : plus de bruit que de mal !
Justine FERRY
LinkedIn
Sources :
• http://www.mesopinions.com/petition/enfants/censurer-sausage-party-dessin-anime- pornographique/26528 (pétition créée le 28/22/2016, consultée le 10/12/2016) –
• https://fr.wikipedia.org/wiki/Sausage_Party (consulté le 11/12/2016) -Assaoui, Sofian (publié le 22/11/2016) http://france3-regions.francetvinfo.fr/franche-comte/ saucisse-morteau-ambassadrice-du-film-sausage-party-1136847.html (consulté le 10/12/2016)
• Couston, Jérémie (publié le 01/12/2016, mis à jour le 02/12/2016) : http://www.telerama.fr/ cinema/sausage-party-comment-la-manif-pour-tous-fait-tout-un-plat-avec-une-saucisse, 150892.php (consulté le 09/12/2016)

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Pape François : un pape 2.0

Depuis 2013, le Pape François a métamorphosé la communication du Vatican. Très présent sur les réseaux sociaux, il met en place une véritable stratégie de communication prônant avant tout l’ouverture à tous. Cependant, ses actions digitales ne plaisent pas à tout le monde et les critiques de certains fidèles créent la polémique. Le pape ne deviendrait-il pas un objet marketing ?
Une rock star des réseaux sociaux
Avec près de 27 millions de followers sur Twitter, le pape rassemble une communauté de tous horizons culturels à travers des profils traduits dans toutes les langues et des publications régulières. Chaque occasion est bonne à saisir pour s’adresser à ses fidèles. En effet, que ce soit sur des problèmes économiques et sociaux, comme la crise des migrants en Europe, ou sur des préoccupations plus religieuses telles que l’Avent, le pape s’exprime assidûment, ce qui s’apparente à une authentique stratégie de fidélisation.

À travers cette hyper-activité médiatique, le pape François confirme vouloir être « le pape des temps modernes », celui qui aura su réconcilier l’Église avec l’époque médiatique. Un pape connecté : ça, c’est nouveau !
Notons également que suite à la création de son compte Instagram en mars 2016, le pape a organisé une rencontre officielle avec le fondateur de ce réseau, Kevin Systrom. Entrevue inattendue pour le jeune PDG, mais aussi pour certains des membres de l’entourage du pape François, déroutés de recevoir la magnat médiatique au Vatican.

Le 24 janvier dernier, lors de la Cinquantième Journée Mondiale des Communications Sociales, le pape à souligné que la communication est le meilleur moyen de propager la miséricorde, valeur essentielle pour le Vatican. Avec une rhétorique puissante telle que « L’amour, par nature, est communication, il conduit à s’ouvrir et non pas à s’isoler. », il développe petit à petit une stratégie nouvelle : celle de la communication 2.0. Une communication qui rapproche plutôt qu’isole et qui doit être au service de la communion : « En tant qu’enfants de Dieu, nous sommes appelés à communiquer avec tous, sans exclusion ». Il en donne ainsi l’exemple en s’intégrant pleinement aux différents canaux de notre ère médiatique. Ainsi, « tous » ou encore « union », termes qui prônent le rassemblement, reviennent de très nombreuses fois au sein de ce discours qui a marqué les esprits.
Un pape « populaire » qui ne fait pas l’unanimité
Face à cette omniprésence du pape sur les réseaux sociaux, les fidèles les plus récalcitrants à une communication digitale introduisent le débat suivant : un pape populaire est-il légitime ? C’est en effet de « populaire » et « populiste » qu’est qualifié le pape François par certains catholiques. L’idée d’une Église ouverte à tous agace une partie de sa communauté qui se sent délaissée, ayant l’impression de ne plus être le cœur de cible. À vouloir parler aux foules, le Pape ne s’éloigne t-il pas de ses fidèles ? L’hyper-activité médiatique n’est-elle pas néfaste à long terme ? À force de s’exprimer sur une pléthore de sujets, le pape pourrait perdre de son autorité et de son éloquence. Ainsi, un groupe catholique dénonce avec virulence sur Internet celui qu’ils appellent le « pape des masses » ou « pape du spectacle ».
Pape François, un produit marketing ?
C’est précisément cette notion de spectacle qui revient souvent dans la bouche des journalistes. Car , en plus du mécontentement d’une frange de sa communauté catholique, les journalistes et les médias le prennent également pour cible. Tantôt traité de pape « ultra-mondain » tantôt « d’idole virtuelle », la révolution communicationnelle du pape François est sans cesse remise en question. Il est accusé d’être un produit marketing et de mettre en place un culte de la personnalité afin de promouvoir sa religion.
Ces accusations bien que sévères, s’appuient sur de réels arguments.
En effet, le personnage du pape François est mis en avant sur la scène médiatique — rien d’exceptionnel si l’on considère les portraits presque divins de ses prédécesseurs — mais il se retrouve souvent là où on ne l’attendait pas. En février 2014, on le voit par exemple à la une du magazine Rolling Stone. Cette une plus qu’étonnante pour un homme d’Église a d’ailleurs été jugée grossière et honteuse par certains, quand d’autres la saluèrent. Ainsi, bien qu’il soit sans cesse critiqué et accusé de vouloir développer sa marque, le pape François a eu le cran d’intégrer l’Église catholique dans l’ère du numérique. Un effort à saluer quand on connaît la rigidité des protocoles pontificaux.
Steffi Noël
Sources :
• FAURE Mélanie, « Le pape François, roi de la communication digitale » Le Figaro. Publié le 16/03/2016. Consulté le 01/12/16.
• Message du Pape François pour la 50ème journée mondiale des communications sociales. Site officiel du Vatican. Publié le 24/01/16. Consulté le 04/12/16.
• TIBERI Jacques, « François, Pape de la com’ ? » J’ai un pote dans la com. Publié le 29/09/16.
Consulté le 01/12/16.
• DUCHATEAU Jean-Paul et VAN DIEVORT Charles, « Le pape François fait-il surtout du
marketing? » Lalibre. Publié le 31/01/14. Consulté le 04/12/16.
• CESARI Paulin, « Le pape François est-il devenu un produit marketing ? » Le Figaro. Publié le 13/03/2014. Consulté le 03/12/16.
Crédits :
© REUTERS/ Osservatore Romano photographe pour sputniknews.com Twitter
@Pontifex_fr Une du Rolling Stone, Février 2014

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Gleeden et l'infidélité 2.0 en procès

« Gleeden a changé beaucoup de choses dans ma vie. Fidèle depuis 17 ans, j’ai eu envie de vibrer, d’adrénaline, de séduire à nouveau, mais en toute discrétion, car je suis heureuse et épanouie dans ma vie de famille et ne souhaite pas tout bouleverser. » Voilà le genre de témoignage que l’on peut trouver sur la page d’accueil du site de rencontres Gleeden, lancé fin 2009, et qui a fait de l’infidélité son crédo.
La libération des femmes, la promesse d’épanouissement dans l’adultère et la garantie d’anonymat sont les principaux engagements du site. Ces mots d’ordre, doublés de campagnes de publicité aussi drôles que provocantes, n’ont pas manqué de créer des polémiques et ont valu à Gleeden un certain nombre d’attaques en justice. La dernière en date provient des AFC (Associations Familiales Catholiques), qui reproche au site de faire de l’infidélité un « business ».
La police des bonnes mœurs
Des couples brisés, des familles ruinées et une vie sociale rongée par le mensonge et la dissimulation… Voilà les effets de l’infidélité que redoute et prédit l’association catholique qui réunit près de 15 000 membres. Alors en faire l’apologie, l’encourager et la faciliter : une véritable hérésie ! Cette association, on la connaît déjà, c’est la même qui depuis quelques semaines se montre aux côtés de la Manif pour tous extrêmement virulente à l’égard de la campagne de prévention des MST pour les homosexuels. Les AFC appellent les maires à « prendre leurs responsabilités » et exigent le retrait pur et simple des affiches de cette campagne sur lesquelles on aperçoit des couples homosexuels, au motif que ces dernières « troublent et indignent les familles ».
Dans l’affaire Gleeden, l’association entend se placer comme défenseur tout à la fois des plus faibles (les personnes trompées, les enfants des couples adultères), des familles « choquées » par ce type de publicités et des consommateurs qui subissent leur prolifération dans le métro, dans les rues, sur les bus… Et puis l’adultère, renchérit l’association, est interdit par le Code Civil, qui stipule que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ».
Drôle de relation qui se noue ici, où une association catholique connue pour ses prises de position conservatrices et rétrogrades prétend venir au secours des valeurs républicaines… En réalité, et comme le rappelle l’avocate de Gleeden Caroline Mécary, l’adultère est dépénalisé en France depuis plus de quarante ans et ce détail du Code Civil à propos du mariage peut seulement être invoqué – ou non – par les époux lors d’un divorce, relevant ainsi d’un choix purement personnel. On ne peut donc pas considérer l’adultère comme un délit pénal au même titre que le meurtre ou le viol.
Autrement dit, affirmer que l’infidélité est illégale est mensonger, un peu hypocrite et opère un retour en arrière conservateur, somme toute assez gênant. Gleeden, à l’occasion d’un autre procès en 2015, dénonçait déjà une « instrumentalisation de la justice ».
Laïcité et familles modernes
En réalité, que défendent les AFC si ce n’est une conception particulière, à tendance moralisante et religieuse, de la famille et du couple ? Ces deux structures évoluent pourtant, et sont appelées à évoluer encore. S’attacher à des conceptions anciennes et sclérosées de la famille, du couple marié et de la fidélité ne convient pas à tout le monde et relève d’un choix. Et si les AFC se targuent de ne pas faire le procès de l’infidélité mais du « business de l’infidélité », on comprend bien cependant ce qui leur pose problème…
L’association, comme son nom l’indique, promeut la famille catholique, et cherche à faire rayonner voire prévaloir ce modèle, s’érigeant ainsi, comme le reproche l’avocate de Gleeden « en censeur, en porte-étendard d’une morale que toute la société ne porte pas ». Entrer dans des considérations qui visent à décider si l’adultère est « bien » ou « mal » est stérile et intrusif. Entre normes sociales, morale et valeurs dominantes, les AFC semblent vouloir élever en valeurs universelles ce qui ne relève finalement que du choix personnel, elles ne jouent donc pas sur le bon terrain.
Fausse subversion et vrai business

Pour en revenir à Gleeden, il parait assez évident que le site n’a pas inventé l’infidélité, qui existe comme le dit son jeune créateur Teddy Truchot – marié et père de famille – « depuis la nuit des temps ». Ses concepteurs ont seulement très bien su cerner un marché jusqu’alors inexploité : celui des personnes insatisfaites dans leur couple ou dans leur vie de famille. L’existence de sites comme Gleeden n’est qu’un symptôme moderne parmi d’autres, de la solitude qui peut frapper les individus dans une société mettant encore en avant comme modèle normatif – et seule voie d’accès à l’accomplissement personnel – la vie en couple, la famille nucléaire… et tendant de ce fait à présenter comme des anomalies le célibat, les familles mono-parentales ou encore les couples homosexuels.

Chez Gleeden, les campagnes sont souvent drôles, avec une touche de provocation, des petits airs d’interdit… Autrement dit, tout ce qu’il faut pour retenir l’attention du consommateur éventuel. Cette communication extrêmement bien pensée leur a permis de bien se placer sur le marché très concurrentiel des sites de rencontres. La provocation est sans nul doute leur meilleure arme : des slogans placardés dans le métro du type « Par principe, nous ne proposons pas de carte de fidélité », à leur stand au Salon du Mariage, qu’ils avaient loué sous un faux nom avant de se dévoiler et de distribuer des pommes d’amour aux clients du salon, le site sait faire parler de lui en bien comme en mal. « Ce n’est pas normal que vous soyez là. » s’insurge une passante, observant avec effroi les autres clients du salon croquer dans leurs pommes d’amour…
Gleeden est avant tout une plateforme payante (l’inscription est gratuite mais il faut s’abonner pour pouvoir communiquer avec d’autres utilisateurs), qui réunit à l’heure actuelle près de 3,3 millions de membres à travers le monde (dont la moitié en France). Le « marché de niche » qu’elle a choisi, celui des personnes mariées, lui permet de se faire une place parmi les mastodontes que sont Meetic, E-Darling, AdopteUnMec et autres. Ses concepteurs exploitent le créneau jusqu’à la caricature. Entre leurs coups de com’ et leur marketing bien léché, ils n’ont pas fini de faire parler d’eux, ni de provoquer les tremblements d’associations catholiques en tous genres… Le jugement dans l’affaire du procès intenté par les AFC est en tout cas mis en délibéré fin janvier. Affaire à suivre…
Violaine Ladhuie
Sources :
• Annick Cojean « La promotion de l’adultère combattue au tribunal » – Le Monde 25/11/2016
• Daniel Schneidermann « Gleeden, un débat de l’après Charlie » – Rue89 20/02/2015
• « La provoc du site d’adultère Gleeden au salon du mariage » – vidéo BFMTV 13/02/2015
• Emilie Brouze « Gleeden au tribunal : « L’exploitation mercantile du malheur des autres » » L’Obs avec Rue89 22/11/2016
• teddytruchot.com

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Politique de l'enfant unique: de la propagande au marketing émotionnel

Le 1er janvier 2016, la fin de la politique de l’enfant unique a marqué un tournant dans l’histoire sociale de la Chine. Si cette politique a été vivement critiquée, elle n’en laisse pas moins place à une nouvelle forme de pression sociale que certaines citoyennes chinoises commencent à dénoncer. Dans sa rubrique Grand Reportage d’août 2016, le magazine Marie-Claire nous parle des « sheng-nu », les femmes qui restent, celles dont personne ne veut. Ces « sheng-nu » sont des femmes indépendantes de plus de 25 ans, dont la réussite professionnelle reste difficilement acceptée dans une Chine pourtant frappée par la modernité et les avancées économiques.
Dans cet article, Leta Hong Fincher, auteure du livre Leftover Woman, rend compte du phénomène : « La date de péremption est fixée à 25 ans, bien plus tôt qu’ailleurs. Et ce qui distingue réellement ce pays, c’est la propagande de l’État qui essaie de faire pression sur les actifs urbains afin qu’ils se marient, avec comme ultime objectif de faire des bébés « de qualité ».
La politique de l’enfant unique : la communication au service de la propagande
En 1979, le gouvernement chinois met en place la politique de l’enfant unique afin d’accélérer le développement du pays en évitant la surpopulation. Hormis les amendes exubérantes et les avortements tardifs autorisés par le gouvernement chinois pour les familles enfreignant la politique de l’enfant unique, un véritable système de propagande est mis en place. Des affiches de familles heureuses brandissant fièrement leur unique enfant sont placardées sur les murs. Des avantages considérables sont octroyés aux premiers nés, comme l’éducation gratuite et un système de santé peu couteux. Un vocabulaire de propagande se créé autour de ces enfants surnommés « les petits empereurs ». Le terme « d’enfants noirs » désignera les enfants nés de façon clandestine et n’ayant pas la possibilité d’exister au sein de la société (interdiction de s’inscrire à l’école, de travailler, de prendre les transports en commun…) Sur le plan social, le gouvernement lance en 1996, une campagne de sensibilisation à la contraception et envoie 8 millions de volontaires dans tout le pays afin de « prêcher la bonne parole ».

Dès le début des années 2000, le ratio hommes/femmes se creuse et le gouvernement, craignant une “crise des célibataires”, change de positionnement. Il lance une campagne afin d’éviter l’avortement sélectif, les familles préférant avoir un garçon plutôt qu’une fille pour des raisons financières. Les délégués du planning familial, autrefois véritables agents de contrôle prônant la restriction des naissances, sont envoyés dans les campagnes afin de sensibiliser et rassurer les habitants sur la naissance d’une fille et ses conséquences. Effectivement, après la naissance d’une fille, les couples auront le droit d’avoir également un garçon, et toucheront des indemnités. Cette campagne, nommée « Appréciez les filles », consiste aussi à apprendre dès l’école aux jeunes enfants le « respect des filles » par des slogans et des cours dédiés, comme le montre ce reportage.
Vidéo de l’ina
Suite à ces nouvelles mesures et à cette campagne, les mentalités commencent à changer… C’est à partir de 2007 que les populations rurales osent manifester et demandent l’instauration de mesures d’assouplissement du contrôle des naissances. À la suite de ces événements, plusieurs démographes critiquent la politique de l’enfant unique. Celle-ci étant actuellement la raison d’un trop grand vieillissement de la population, elle représentait un risque grave pour l’économie du pays. Le 29 octobre 2015, à la suite d’un vote du Parti unique, tous les couples sont finalement autorisés à avoir deux enfants. Cet espoir de baby boom, nécessaire à la pérennité économique du pays, semble créer de façon inconsciente une nouvelle forme de pression sociale… celle d’avoir deux enfants.
Un retournement de situation, une aubaine pour les annonceurs
Toujours dans son dossier d’août 2016, sur le sujet des « sheng nu », Marie-Claire donne la parole à la sociologue Leta Hong Fincher qui précise que la fin de la politique de l’enfant unique, marquant une avancée sociale forte, ne va pas forcément de pair avec l’amélioration de la condition des femmes en Chine. « Cela n’empêchera pas la détermination du gouvernement à pousser les femmes actives à se marier et à procréer. En réalité, elles pourraient même subir une nouvelle pression, celle d’avoir deux enfants. » Ce retournement de situation fait place à un dispositif de communication instauré par l’État, que certaines entreprises vont reprendre à leur frais, soutenant ou dénonçant ces nouvelles normes sociales. Le gouvernement chinois a fait du 11 novembre la « journée officielle des célibataires » et organise des événements favorisant la rencontre amoureuse dans tout le pays, à l’image du Real Love Works Festival de Singapour. Plusieurs marques, notamment les sites de ventes en ligne, se servent du 11 novembre comme prétexte pour proposer des réductions et réaliser un chiffre d’affaires phénoménal.

Un véritable marché se déploie afin de venir en aide aux célibataires. L’une des principales tendances est celle du speed dating. Des sociétés spécialisées en ont fait leur gagne pain. A Shanghai, le parc du Peuple fonctionne d’une façon semblable à celle qu’aurait une application de rencontre grandeur nature. Cet espace a été mis au service des parents cherchant le conjoint idéal pour leur progéniture. Des petites annonces présentant des hommes et des femmes célibataires sont attachées un peu partout dans le parc, indiquant leur métier, leur situation financière, la possession ou non d’une voiture, leurs goûts, la classe socioprofessionnelle de leur famille… C’est sur ce lieu, qui peut sembler si étrange, que l’entreprise de cosmétique SK-II a lancé l’une de ses campagnes publicitaires de la série #ChangeDestiny. La campagne intitulée Mariage Market Takeover joue principalement sur l’émotion, les liens familiaux, l’empowerment féminin. Sur ce dernier point, on pourrait croire qu’elle s’est inspirée de la campagne d’Always, « Like a Girl ».

vidéo publicitaire chaine SK II
Dans ces spots publicitaires, la communication n’est plus axée sur le produit mais bien sur les valeurs de la marque. À aucun moment le produit n’apparait, seul le logo de la marque est présent. SK-II a fait le pari de cette nouvelle tendance en publicité, celle des marques mettant l’accent sur un insight consommateur social fort. Elle leur donne la parole. Le rapport est inversé. Ce n’est pas à nous, en tant que marque, de vous imposer d’être attentifs à notre message, mais à nous de vous comprendre, vous écouter, et nous adapter à vos besoins. Au niveau du scénario, ces publicités sont très accrocheuses car elles nous emmènent dans une histoire et nous font partager les sentiments de leurs protagonistes. Dans un contexte social aussi délicat que celui qui règne en Chine actuellement, ce positionnement publicitaire a plus que jamais sa place et sa pertinence.
Cependant, plus qu’un simple moyen de s’attirer les faveurs des consommateurs, les marques se placent désormais en tant qu’acteurs sociaux vecteurs de changement. Leur visibilité leur donnant la possibilité d’avoir un réel impact sur la société et de faire évoluer les mentalités.
Ici, le mal-être des « sheng-nu » est dénoncé d’une façon qui aura sans doute invité à la réflexion les personnes les stigmatisant de manière systématique. À l’heure où la communication, et particulièrement la publicité, peuvent être synonymes de mensonge et de manipulation dans les esprits, une réconciliation serait-elle possible ? Si l’on reconnait à la campagne Marriage Market Takeover la constitution d’un contre pouvoir face à des institutions gouvernementales fortes exerçant sur la vie des citoyennes une pression illégitime, la publicité trouve une utilité nouvelle. Une utilité qui pourrait redorer son image auprès des consommateurs.
Alice Rolland
LinkedIn
 
Sources :
• Marie-Claire : Par Katie Breen et Klaudia Lech Chine : Qui veut épouser ma fille ? Date de publication : 06/08/2016
• Blogspot : La politique de l’enfant unique en Chine 
 Laurène Reversat, Alix Trolliet et Léa Chauvot mercredi 21 janvier 2015
• Francetvinfo : Chine : trente ans de politique de l’enfant unique vus par les médias francophones Estelle Walton
 Mis à jour le 31/10/2015 | 07:10, publié le 31/10/2015 | 07:10
• Archives Ina
• Libération : Alibaba, vecteur puissant de la fièvre acheteuse en Chine par Raphaël Balenieri, correspondant à Pékin — 11 novembre 2016 à 16:46
Crédits :
georgiapoliticalreview.com
gizmodo.com
dailymail.co.uk

Agora, Com & Société

Déclarons la guerre au vulgaire !

Le langage vulgaire, jusqu’alors plutôt mobilisé dans le cadre de conversations informelles et par des citoyens « lambda », tend aujourd’hui à se généraliser dans les hautes sphères de la société. Rappelons qu’à travers l’expression « langage vulgaire » j’entends un langage peu châtié. En effet, personnalités médiatiques mais également hommes politiques s’autorisent de plus en plus de familiarités voire de grossièretés assumées.
Le point d’amorce de cette tendance peut sans doute être attribué au mythique « Casse toi pov’ con ! » prononcé par Nicolas Sarkozy au Salon de l’Agriculture en 2008, alors qu’il exerçait la plus haute fonction de l’Etat. Si à l’époque, cette apostrophe avait suscité un tollé médiatique, pas sûr que l’on s’émeuve autant du manque de correction dans les discours publics d’aujourd’hui.
Des (mauvais) leaders d’opinion
Rappelons qu’en termes d’image et d’exposition médiatique, les hommes politiques ont une certaine responsabilité vis-à-vis du grand public. Sans tomber dans une caricature du schéma élite/plèbe, il faut garder à l’esprit que leur parole influence le reste de la population et véhicule, voire constitue un certain modèle. Ces personnalités sont porteuses d’un discours légitime (ou du moins censé l’être) destiné à être diffusé publiquement, et donc à être écouté par un grand nombre de la population. En cela, toutes les figures médiatiques doivent jouer un rôle exemplaire par leur rhétorique.
Pourtant, des expressions sèches et désinvoltes telles que « ça va pas la tête » ou « c’est n’importe quoi » sont devenues monnaie courante au sein l’espace public, il semble même qu’on assiste à une normalisation de la pure et simple grossièreté. Dernièrement, c’est Alain Rousset, président socialiste de la Nouvelle-Aquitaine, qui a fait parler de lui en scandant « Celui qui s’exprime là-dessus depuis cinq ans, devrait la fermer ». Ces propos au sujet de la courbe du chômage et de la croissance, ont retenu l’attention des médias parce qu’on les supposait adressés à François Hollande. Rousset dira ensuite qu’il songeait au Ministre de l’Economie, Michel Sapin – comme si l’identité du destinataire modifiait quoi que ce soit au caractère déplacé d’un tel discours.
La vulgarité langagière revêt également des formes plus insidieuses ; on songe aux remarques méprisantes d’hommes politiques envers certaines franges de la population (souvent les mêmes), comme ce fut le cas d’Emmanuel Macron en mai 2016 à l’encontre des grévistes qui le prenaient à parti. L’ex ministre de l’Economie n’a pas su garder son sang-froid et s’est permis de répondre : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt : la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». Une injonction qui révèle sans délicatesse un certain mépris de classe…
Enfin, n’oublions pas le déchaînement sémantique à coups d’insultes et de sifflements qu’ont respectivement subis Cécile Duflot et Pamela Anderson lors de leur passage à l’Assemblée Nationale en juillet 2012 et en janvier 2016. Un laps de temps de plus de trois ans qui suffit à illustrer une forme de décadence qui se diffuse au sein de toutes les strates de la société. Le tweet de Frederic Nihous, membre du parti Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CPNT) à l’égard de Pamela Anderson suffit à décrire la situation : « Une dinde gavée au silicone parade à l’assemblée contre le gavage des oies… Quelle farce ! Qui en sera le dindon ? ».
Quand l’exception devient la norme
Le manque de correction n’est pas un fait entièrement nouveau, si ce n’est qu’il se diffuse désormais dans toutes les couches de la société à grande vitesse. En mai 1991, Edith Cresson, alors Première Ministre de Mitterrand, proférait en ces termes : « La Bourse ? J’en ai rien à cirer ! ». Il ne s’agissait encore que d’un cas isolé. Aujourd’hui, la tendance générale à la dérision et à la peoplisation est vectrice d’une normalisation de ce type de langage, et pire encore, d’une acceptation tacite de la vulgarité et des insultes comme outils de communication.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. D’abord, il s’agit d’une forme de démagogie de la part de certaines élites politiques, le registre familier est utilisé dans le but de plaire au peuple. Il s’agit de se fondre dans la masse, de se mettre à leur niveau, un moyen de susciter l’identification, des plus condescendants finalement. Plus largement, on peut associer la recrudescence du langage familier au déclin des idéologies et à la perte de substance du débat politique. On assiste aujourd’hui à un véritable abaissement du débat public, dans lequel les idées et les propositions, si elles ne sont pas inexistantes, sonnent creux. Il est vrai qu’à force de chercher à formuler différemment des propositions similaires, mais surtout moins innovantes les unes que les autres, les mots vous manquent.
Alain Juppé, dont on connaît l’attachement aux lettres et à la culture, nous a même gratifiés d’un « Je les emmerde » en réponse à une observation de Franz-Olivier Giesbert, à l’intention de ceux qui le jugent trop « conventionnel », dans un documentaire diffusé sur France 3 en octobre 2016. Alors qui peut affirmer que ce n’est pas le début de la fin ?
Déborah MALKA
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Sources :

LEGOUTE Delphine, « Alain Rousset conseil à son ami François Hollande de… la fermer », Marianne, mis en ligne le 01/11/2016, consulté le 6/11/2016
BLAVIGNAT Yohan, « Emmanuel Macron : le meilleur moyen de se payer un costume c’est de travailler »,    Le    Figaro,    mis    en    ligne    le    25/05/2016,    consulté    le    6/11/2016
PECNARD Jules, « Venue défendre les oies à l’Assemblée, Pamela Anderson provoque la cohue », Le Figaro, mis en ligne le 19/01/2016, consulté le 6/11/2016.
« Alain Juppé emmerde ceux qui le trouvent très conventionnel », France Info, mis en ligne le 03/10/2016, consulté le 6/11/2016

Crédits :

afp.com – Georges Gobet

 

Agora, Com & Société

Quand la parole des femmes se fait oublier

Le 7 novembre dernier avait lieu un rassemblement dans plusieurs grandes villes de France pour lutter contre l’inégalité salariale. En effet, depuis le 7 novembre, à partir de 16h34 les femmes travailleraient bénévolement. Ces dernières sont payées en moyenne 16% de moins que les hommes (calcul réalisé par Eurostat, organisme des statistiques de L’Union Européenne). Pour lutter contre l’une des plus grandes inégalités qui demeurent en France, des groupes féministes sont apparus sur Internet. Entre blogs et événements Facebook, quelle est la portée de ces nouveaux collectifs ?
Paye ton Tumblr

A l’origine, il était Paye ta shnek. Crée par Anaïs Bourdet en août 2012, ce tumblr rassemble les témoignages de victimes de harcèlement de rue. Simples, ces affiches présentent en citation, un propos retenu par une victime. Efficace, le contenu choque par son contraste avec le choix des couleurs plutôt ludiques.
L’idée lui est venue après avoir visionné une vidéo en caméra cachée de Sofie Peeters dénonçant le harcèlement de rue. En l’espace de quelques semaines c’est plus de 150 messages par jour qu’elle reçoit. Le modèle a été repris par d’autres et nous voyons fleurir aujourd’hui sur la toile de nombreux tumblr pour dénoncer les discriminations contre les femmes : Paye ta robe, Lesbeton, Projet crocodile par exemple.
Le concept se développe parce que ces blogs viennent parer un gouffre médiatique. En effet les femmes sont sous-représentées dans les médias : elles sont 37,6% à détenir la carte de presse en presse régionale et 41,7% en presse nationale. Le taux de présence des expertes quant à lui est de 23% à la radio, 15% dans la presse, 18% à la télévision. Même à la télévision, les présentatrices sont souvent reléguées au rang de potiches, à l’image de Karine Ferri dans The Voice dont le rôle est bien effacé face à Nikos Aliagas. La diversité féminine ne caractérise pas non plus le PAF : la femme télévisuelle est – trop souvent ? – belle, blanche, grande et mince.
Il est donc impossible de parler des problèmes rencontrés par les femmes car elles ne sont ni écoutées ni même représentées dans les médias traditionnels. Les blogs deviennent alors une forme d’expression privilégiée par celles-ci. Internet est l’espace de discussion et de dénonciation des inégalités homme/femme. Il permet de créer une masse militante anonyme beaucoup plus forte qui étend ainsi son réseau beaucoup plus facilement. Il crée une communauté non plus basée sur les centres d’intérêt mais sur les discriminations partagées.
Le mouvement du 7 novembre : « une affaire de bonne femme » ?
 
Les groupes féministes qui naissent sur Internet sont également très actifs dans le monde réel. A l’origine de nombreuses campagnes de sensibilisation, ces collectifs créent également des événements et des rassemblements pour appeler le grand public à réagir. Ces événements font parfois le « buzz » comme le mouvement du 7 novembre, organisé par le collectif féministe Les Glorieuses, relayé par la suite sur les réseaux sociaux telle que la page Facebook Paye ta shnek.
Il est intéressant de constater qu’ici les médias se sont faits une fois de plus observateurs des agissements d’Internet. L’Obs, Le Monde et bien d’autres ont appelé à rejoindre le mouvement. Les femmes journalistes ont manifesté, parfois même au sein des rédactions. Mais ont-ils proposé autre chose que ce rassemblement ? Une action ? Une pétition ? En ont-ils parlé le reste de l’année ?
Il aura donc fallu attendre un mouvement venu des réseaux sociaux pour que les grands journaux nationaux parlent à nouveau, et en dehors de la journée mondiale pour les femmes, d’inégalité salariale. Malheureusement, le mouvement s’est essoufflé aussi vite qu’il est apparu : aucun suivi dans les médias le lendemain, aucune déclaration de politiques (mise à part celles de deux ministres femmes du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem et Marisol Touraine) ni aucune proposition voire même de début de débat. Le traitement médiatique s’est arrêté sur les jours précédents et la journée de l’événement. Et pourtant, les inégalités, quant à elles, perdurent.
Aux armes, citoyennes ET citoyens !
Loin d’être négligeable, la portée de ces blogs est réelle mais limitée si les médias et les politiques ne s’engagent pas, eux aussi. Nous pouvons observer un clivage manifeste entre la masse populaire présente sur Internet et les représentations médiatiques. Pour obtenir un véritable changement des mentalités, sans doute faudrait-il déjà que les médias deviennent eux-mêmes un exemple d’égalité hommes/femmes et se fassent les véritables relais des combats d’Internet. Les luttes pour les droits des femmes nécessitent un traitement médiatique beaucoup plus global. En attendant, les femmes devront une fois de plus travailler autant et gagner moins que leurs collègues hommes jusqu’à ce qu’on en parle à nouveau…l’année prochaine ?
Laura Sébert
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Sources :

L’image des femmes dans les médias, HCE
Les femmes, toujours en minorité dans les médias, Le Monde, le 09/ 03/ 2015
Interview Anaïs Bourdet alias Paye Ta Shnek, MadmoiZelle, youtube, le 06/ 06/ 2016
Paye Ta Shnek, le tumblr

Crédits :
-Paye ta shnek (Facebook)
-Les glorieuses (Facebook)