Société

La coiffure des femmes noires : Don’t worry be nappy ?

Depuis plusieurs années maintenant la coiffure nappy devient de plus en plus populaire chez les femmes noires. Le mot signifie en anglais «crépu ». Une légende veut qu’il soit la contraction de natural happy. Vraie ou fausse, elle montre en tout cas que cette tendance invite à s’émanciper des normes et être plus heureuse en assumant ses cheveux naturels.
 
Derrière une simple mode capillaire, il y a une histoire difficile.  Liée étroitement au racisme, elle a participée à discréditer le cheveu crépu dans l’esprit de générations de femmes noires habituées à se défriser. Les afros et d’autres coiffures au naturel sont portées par un nombre croissant de stars, et popularisées par des blogs et des chaînes youtube. Aujourd’hui le nappy attire de nouvelles adeptes dont les motivations vont de la quête de soi à la revendication politique.
Retour sur les enjeux sociétaux de cette tendance au naturel, et les aspects économiques d’un marché cosmétique florissant.
 
L’influence douloureuse des canons de beauté blancs
Dans les pays occidentaux comme dans de nombreux pays africains et caribéens, la majorité des femmes noires choisissent de défriser leur coiffure. C’est une tradition qui se perpétue de mères en filles. Pour cela elles utilisent des produits nocifs à base de soude. Ils endommagent le cuir chevelu et entraînent des pertes de cheveux. Derrière cette douleur physique que ces femmes endurent, il existe l’influence des proches, mais surtout les canons de beauté véhiculés par les sociétés occidentales.
Le cinéma et la publicité définissent de manière ordinaire des canons de beauté qui sont à l’origine des caractéristiques blanches, comme le cheveu lisse. Comme l’énonce la sociologue Juliette Smeralda, l’intériorisation se fait dès le plus jeune âge, notamment à travers les poupées Barbie, qui même noires, ont des cheveux et des traits caucasiens. Des jeunes filles en viennent à lisser leurs cheveux pour construire leur estime de soi et trouver une place dans la société. Leur différence physique et capillaire leur apparaît comme un défaut à corriger.

 
Une réponse bio pour s’affirmer individuellement
Le nappy est une réaction à ces aspects néfastes pour les femmes noires, et en premier lieu au danger sanitaire. Sa popularité récente coïncide depuis les années 2000 avec celle du bio dans le monde des cosmétiques. Le bannissement des produits chimiques est leur dénominateur commun. De plus, des femmes nappy sont à l’origine du mouvement « no poo » qui invite à boycotter shampooings et autres produits capillaires nocifs.
Parallèlement le nappy répond au mal-être des filles et femmes noires face aux canons de beauté blancs. La devise natural happy invite à l’émancipation, à l’acceptation et au respect de soi. Portant leurs cheveux en afros, en tresses ou en dreadlocks, les adeptes renoncent aux codes des femmes blanches pour affirmer leur différence, et s’accepter ainsi.
 
Une histoire du racisme
Le nappy n’est pas nouveau. Il est l’héritier du mouvement Black is Beautiful, né aux États-Unis dans les années 60, porté par les Black Panthers et d’autres groupes contestant l’hégémonie des codes blancs dans la société. Les dreadlocks du reggae et l’afro du disco ont prolongé le mouvement au début des années 70, avant que les tensions sociales ne l’éteignent médiatiquement, et que le défrisage reprenne ses droits. Héritage d’une société américaine où l’esclavagisme a marqué durablement les mentalités. Les femmes noires étaient alors forcées par les propriétaires blancs à s’aplatir les cheveux, porter des perruques ou à se défriser. Malgré l’abolition de l’esclavage, le défrisage a perduré, restant un moyen d’intégration et d’ascension sociales.
Depuis, la norme mono-culturelle du cheveu lisse a tant pris le pas que les cheveux crépus suscitent une certaine curiosité. Celle-ci touche parfois à l’incivilité. Aux États-Unis, des femmes noires se font toucher les cheveux à leur insu par des mains curieuses. Le documentaire You Can Touch My Hair, d’Antonia Opiah rapporte divers témoignages sur cette fascination, et la manière dont ces femmes la ressentent.

 
Une appropriation politique parfois extrême
Le nappy est devenu un outil de contestation politique, signifiant l’opposition au mono-culturalisme blanc. Les femmes noires, qui le portent comme Angela Davis dans les années 60, font de leur afro un message politique : « Je n’obéirai pas à vos codes » signifient-elles.
Comme tout mouvement politique, le nappy a son versant extrême, qui s’empare de la cause dans un activisme identitaire, et jette l’opprobre sur les femmes noires qui ne s’y conforment pas. Le défrisage est pour ces chantres du nappy un acte de déloyauté. Une position radicale qui suscite de vifs débats. La manière de se coiffer doit-elle refléter les opinions politiques d’une personne ? N’est-ce pas une liberté individuelle à disposer de son corps que les nappex (nappy extrémistes) renieraient ? Voilà aussi les enjeux qui travaillent ce mouvement.
 
La médiatisation au service de la transmission d’un savoir-faire
Politique ou personnel, le nappy est un mouvement en vogue qui a gagné en médiatisation. Le mouvement a ses figures de proue comme l’actrice Lupita Nyong’o ou Solange Knowles, chanteuse et sœur de Beyoncé. Depuis quelques années des internautes créent également des blogs ou des chaînes youtube pour enseigner les techniques de coiffures afro, nombreuses, comme le big chop (retour du cheveu défrisé au crépu naturel) ou le twist out (coiffure permettant de boucler son afro).
Il s’agit d’un savoir-faire que des décennies de défrisage ont effacé des mémoires familiales. Les tutoriels youtube et les salons consacrés offrent une chance de transmettre et de raviver cet art de la coiffure chez les femmes et les jeunes filles noires.

 
Le nappy soutenu par un marché fructueux
En faisant ainsi bouger les mentalités, le nappy bouscule le marché des cosmétiques. Les produits spécifiques aux cheveux crépus gagnent en demande, alors que les défrisants, jadis hégémoniques, perdent du poids. L’offre s’étoffe : emboitant le pas de petites entreprises spécialisées, les géants du secteur, comme DOP ou Garnier, vont vers cette nouvelle manne et développent leurs gammes de produits ethniques.
Suivi par le monde du cosmétique, le nappy gagne en arguments pour convaincre les femmes noires. Un succès qui n’a pas fini de prendre du volume.
Hubert Boët
 
Sources :
« Nappy hair : la revanche des femmes noires » par Lee Sandra Marie-Louise, Madame Figaro, rubrique Beauté, Cheveux, le 25 juillet 2014,
Documentaire You Can Touch My Hair d’Antonia Opiah (2013)
« Crépues et fières de l’être » par Frédéric Joignot, lemonde.fr, le 05 février 2015, rubrique Société
« Les femmes noires savent que le défrisage est dangereux, mais la pression est trop forte », M le mag, femmes à part, par Aurore Merchin, le 24 mai 2017
Crédits photos :
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Image 4. Capture d’une vidéo youtube de « Beautiful Naturelle »
Image 5. ELle, Lupita Nyong’o

Société

365 jours pour consommer

Il y a tout juste une semaine, vous choisissiez vos déguisements les plus terrifiants pour impressionner vos amis à l’occasion d’Halloween. Dès le lendemain, les citrouilles au placard, il est temps de s’atteler à la fête la plus rentable de l’année, à savoir Noël.
Dès la fin du mois d’octobre, les décorations de rue les plus précoces avaient fait leur apparition, les pâtés de foie ajoutaient à leurs emballages des petites étoiles dorées, et les instagrammeuses les plus impatientes commençaient leurs premiers tutos spécial table de fête en papier mâché. La croissance n’attend pas, et elle a fait de la naissance de l’enfant le plus populaire et le plus controversé de l’humanité la meilleure excuse pour consommer. Car il est un temps pour tout, mais surtout pour faire du profit.
Le moment est venu pour plonger dans ce calendrier des 365 dépenses, à l’aide de Guy Debord qui nous annonce la finalité actuelle de la consommation (attention spoil) : c’est le spectacle, car « ce qui apparaît est bon, et ce qui est bon apparaît ».
De la division du calendrier solaire
Comment en sommes-nous arrivés là ? Voyage à travers les calendriers de l’histoire… Nous partons à la rencontre d’Ovide qui rapporte, dans Les Fastes, que l’invention du calendrier romain serait celle de Romulus, fondateur de Rome. Il compte à l’origine dix mois et commençait en mars ; chaque mois étant dédié à un dieu ou une déesse.
A chaque nouvelle passation politique, le calendrier romain connaît bon nombre de réformes et de modifications. Et ce jusqu’au calendrier institué par l’empereur Jules César qui établit en 46 avant Jésus Christ l’année à 365 jours, y ajoutant un jour intercalaire tous les quatre ans pour former l’actuelle année bissextile. Ce calendrier julien perdure jusqu’à la fin du XVIème siècle, laissant la place au calendrier grégorien : calendrier solaire institué par le Pape Grégoire XIII.
Aux fêtes religieuses romaines se substituent alors celles chrétiennes qui rythment encore l’année aujourd’hui. Mais désormais, ce sont ces fêtes religieuses chrétiennes qui s’ajustent peu à peu à notre agenda capitaliste.
Il est donc temps d’ouvrir les yeux sur la division de notre année par événements forts en émotion et en rentrées d’argent. L’encouragement à la consommation, généralement vu d’un œil soupçonneux par le grand public, sait alors parfaitement se fondre dans l’euphorie ambiante, de sorte que les consommateurs impulsifs que nous sommes n’y voient que du feu… et des paillettes, celles des fameuses « fêtes de fin d’année ».
Une année au rythme de votre carte de crédit
Six grandes périodes se détachent alors de notre calendrier grégorien, ponctuant l’année en ajoutant au quotidien ordinaire un brin d’extraordinaire.
Durant tout le mois de septembre, c’est la période de la rentrée des classes, mais l’achat des fournitures ne pouvait certainement pas se limiter à celui des stylos Bic quatre couleurs et des nouveaux cahiers format 21×29,7.

Le besoin de se renouveler et de prendre, comme tous les ans, de bonnes résolutions pour cette nouvelle année scolaire permet de justifier la nouvelle décoration de sa salle de séjour, mais aussi de refaire sa garde-robe, s’inscrire à la gym suédoise, à des cours du soir aux Beaux Arts, acheter un nouveau forfait téléphone, et un forfait annuel pour les visites du Centre Pompidou… C’est le « fétichisme de la marchandise » que Karl Marx développe dans son œuvre majeure Le Capital : l’égarement que produit ce « rapport aux choses » fait oublier les « rapports aux hommes ».
Alors déjà octobre est passé, et les derniers jours du mois annoncent Halloween et ses réjouissances horrifiantes. Cependant, cette fête qui se positionne comme institution au États-Unis n’a jamais vraiment réussi à prendre en Occident. C’est pourquoi dès le 1er novembre, les temps sont déjà aux préparatifs de Noël…

Période de faste par excellence, c’est la période de l’année où les ménages consomment le plus : 560€ de dépenses générales par foyer et un total de 67 milliards d’euros de dépenses pour les français en 2016. Les « fêtes de fin d’année » deviennent alors le seul rendez- vous fixe des familles, officiel car accepté socialement comme tel. C’est le moment où l’on est heureux de se retrouver tous ensemble, de partager des moments forts en émotions et en retrouvailles enjouées. L’homme contemporain a trouvé de quoi se sentir ré-ancré dans un héritage familial, dans des rituels et des traditions. Pour se sentir aimé, pour favoriser cette appartenance à une descendance, pour oublier le temps d’une coupe de champagne cet individualisme contemporain propre à nos vies quotidiennes. Pour ce faire, rien de mieux que l’échange rituel de cadeaux, le partage de fastes repas… Une vie de famille en papier glacé, parfaite pour les photos souvenirs.
Et pour ne rien perdre de ce dynamisme économique unique dans l’année, Noël – qui se prépare à présent plus de deux mois à l’avance – s’ensuit sans trêve de la fête du Nouvel An, de l’Épiphanie, puis de la Chandeleur. La période creuse qui s’ensuit ne sera pas longue : Pâques et ses rayons interminables de chocolats dans les supermarchés ne se font pas prier. Et sans se faire attendre plus, les beaux jours s’installent et dénudent leurs frêles épaules, s’accompagnant de la sortie de la garde-robe d’été, des ponts de mai, des premiers sorbets, premières lunettes de soleil et premiers plongeons dans les piscines pour les plus chanceux. Cela ne cessera d’emplir la sphère publique pendant le farniente coûteux des « grandes vacances ».

Ces bouées en forme de flamand rose sont sans nul doute le point d’orgue de la consommation ostentatoire – postulat posé par Thorstein Veblen dans sa Théorie de la classe de loisir en 1898. L’auteur fait une analyse « positionnelle » de la consommation : l’objectif des « possédants » étant avant tout de signaler leur statut, leur position dans la société.
La société du spectacle
C’est le réseau social – spécialement Instagram – qui se place finalement en parfait enjoliveur de sa propre vie, pourtant inexorablement marquée par la routine, dont les couleurs sont parfois ternies par l’habitude et la répétition. Alors, tout un chacun s’applique, grâce à des angles travaillés et des filtres en tous genres, à gommer les coins cassants de sa réalité. On met de l’extra dans l’ordinaire et l’on fait de sa vie quotidienne un feu d’artifice permanent, dans un environnement ouaté et rose poudré. Les drames sont chassés de l’univers lissé et aseptisé qu’est celui de la consommation comme synonyme de bonheur ! Et les fameuses blogueuses et leurs milliers de followers l’ont bien compris ; ces « influenceuses » mode, lifestyle, diy, décoration, voyages et tutti quanti ne se lassent pas d’exposer leur vie dans ce qu’elle a de plus intime sur toutes les plateformes à grande visibilité.
Ainsi, la consommation impulsive dans une société déracinée et sans espérance se meut en exutoire existentiel, et chaque moment du quotidien devient un instant à représenter, à célébrer, à mettre en spectacle. C’est Guy Debord, fustigeant la société du spectacle dans son livre éponyme qui déclare : « Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale. »
Tout au long de cette année, les consommateurs que nous sommes s’acharnent à acheter des promesses, celles d’une vie normale, sans accrocs, sans risques, sans drames comme dirait Fauve ; les promesses de l’aube, l’aube d’une vie à 365 jours et autant d’énergie dépensée à la rêver.
Astrid Villemain
Twitter : @AstridVillemain
Sources : 

Guy Debord. La Société du Spectacle. Gallimard. 1992
Notices sur les Fastes d’ovidé, Bibliotheca Classico Selecta, 05/11/2004, consulté le 11/11/2017.
Le calendrier romain, Légion VIII Augusta,  consulté le 8/11/2017.
Karl Marx. Le Capital. Critique de l’économie politique. Flammarion. 1867
Thorstein Veblen. Théorie de la classe de loisir. Gallimard. 1898
Source AFP, Noël : les Français vont dépenser (un peu) plus, Les Echos, 07/11/2016, consulté le 11 novembre 2017.

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 Photo de couverture : Sous la coupole des Galeries Lafayettes – Reuters Photo 1 : Compte instagram @petitbateau
Photo 2 : Philippe Huguen pour l’AFP
Photo 3 : Compte instagram @lesjolieschoses.paris

Publicité et marketing

Imbéciles heureuses, ou la représentation des femmes dans la publicité

« Qu’on lui coupe la tête ! », hurlait la Reine de Cœur d’Alice au Pays des Merveilles. Les publicitaires ajoutent en chœur « de toute façon, elle ne lui sert à rien, on va plutôt lui coller un flacon de parfum entre les deux seins. »
Et quand la femme des publicités a le luxe d’être dotée d’une tête, elle n’est pas toujours bien faite : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a rendu le 30 octobre un rapport accablant sur la représentation des femmes dans les publicités télévisées.

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Politique

Le Brexit, un échec médiatique et communicationnel

Quel a été le rôle des médias dans le vote du Brexit ? La campagne de communication des pro-Bremain a-t-elle été défaillante ? Un an et demi après le référendum et alors que l’heure est encore aux négociations, le rôle des médias et les campagnes de communication des pro-Bremain comme des pro-Brexit sont toujours pointés du doigt.
 La plupart des journaux britanniques doivent leur existence à un petit groupe de « barons de la presse » – des hommes d’affaires tels que Lords Beaverbrook, Northcliffe et Rothermere – qui ont fondé des journaux à but lucratif et politique et exigé qu’ils reflètent leurs opinions sociales et politiques. Un mythe ? Que nenni. En effet, en Grande-Bretagne, les médias sont très engagés et ont souvent influencé le résultat des élections et des référendums : une tendance qui s’est une nouvelle fois vérifiée lors du Brexit.
Une presse divisée au sujet du Brexit
Le paysage médiatique anglais était partagé sur le sujet du Brexit. Les opinions divergentes étaient perceptibles à travers le traitement de l’actualité. La presse pro-Brexit jouait la carte de l’insécurité et celle de l’immigration massive, en pointant du doigt la libre circulation des personnes dans l’Union Européenne, tandis que les médias pro-Bremain mettaient en avant l’incertitude économique si la Grande-Bretagne venait à quitter l’Union Européenne. Ainsi, à la lecture des journaux, les électeurs ayant choisi de quitter l’Union Européenne associaient les problèmes sociétaux (crise migratoire, politique d’austérité, difficultés du marché du travail…) à la présence de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne. Influencés par la presse pro-Brexit, les citoyens pensaient faire disparaître ces problèmes en votant pour.

Une prise de position engagée de la part des médias
Les convictions pro-Brexit de la presse britannique sont donc allées bien au-delà de la simple analyse, et de l’objectivité qui incombe à la presse. Ainsi, la couverture médiatique a en partie été biaisée par des préjugés et autres fake news… un processus déjà utilisé par le passé dans les journaux britanniques. Les journalistes auraient-ils délaissé la déontologie au profit de leurs opinions personnelles ? C’est en tout cas ce que laisse imaginer le traitement médiatique du Brexit. Les journaux anglais ont, par exemple, véhiculé des fake news au sujet du coût de l’adhésion britannique à l’UE et de l’adhésion de la Turquie à l’UE. Des informations inexactes rendues crédibles par leur médiatisation. Les médias pro-Brexit affirmaient, par exemple, que la Turquie rejoindrait l’UE d’ici 2020 tout en soulignant qu’il y aurait une migration illimitée provenant de ce pays et de ses voisins tels que l’Iran et la Syrie. De plus, les médias pro-Brexit ont accordé leurs unes à des fausses informations notamment en insistant sur les éventuels dangers qu’encourait la Grande Bretagne avec l’immigration : « Les migrants ne paient que 100 livres pour envahir la Grande-Bretagne », « 20 000 migrants prêts à envahir la Grande Bretagne », … The Mail a même été jusqu’à affirmer que les migrants étaient responsables de 700 meurtres par semaine, une information qu’il a été forcé de corriger tant elle était fausse. Il semble ainsi que les médias ont essayé de provoquer la peur des électeurs afin qu’ils la traduisent dans les urnes. Ce qui prouve que dans le discours politique « post-vérité », l’exactitude de ce que vous dites compte finalement moins que la force et la fréquence à laquelle vous le répétez.

 
Une méconnaissance globale de l’Union Européenne
Mais comment une institution aussi puissante que l’Union Européenne a-t-elle pu perdre l’un de ses membres les plus importants ? Comment une institution censée rassembler peut-elle aujourd’hui être aussi contestée et clivante ? Il semble que le manque de communication de l’Union Européenne sur son rôle justifie en partie le Brexit, les citoyens n’ayant pas été suffisamment informés sur l’Union Européenne et n’ayant pas véritablement saisis ses enjeux. Dominique Wolton dans son texte « Dix chantiers pour aider à penser l’incommunication en Europe » constate que la part de l’information européenne dans les médias est dérisoire, que les citoyens européens méconnaissent l’histoire de l’Union Européenne ou encore qu’il y a une méfiance envers la diversité culturelle. Il propose ainsi d’accroître le volume et la diversité de l’information sur l’Europe, d’enseigner la vie politique européenne dans toutes les écoles, de populariser l’histoire de l’Europe, ou encore de faire de la question des réfugiés un symbole de la solidarité de l’Union Européenne. Des propositions pouvant mener à un nouveau plan de communication efficace de l’Union Européenne afin d’éviter des situations telles que le Brexit.

Une communication numérique réussie
À l’inverse des pro-Bremain, les pro-Brexit ont réussi leur campagne de communication en misant sur le digital et en donnant le ton au débat sur les réseaux sociaux. Les nombreux partisans actifs du Brexit leur ont permis de dominer Facebook, Twitter et Instagram, influençant des foules d’électeurs indécis. Selon l’étude « impact of social media on the outcome of the EU referendum », les partisans du Brexit sur Instagram étaient cinq fois plus actifs que les partisans du Remain. De plus, les 3 hashtags les plus utilisés provenaient du camp du Brexit : #Brexit, #Beleave et #VoteLeave. Le message du camp du Brexit était ainsi beaucoup plus intuitif, direct et émotionnel, ce qui a facilité la propagation virale des idées pro-Brexit. En effet, les messages émotionnels se propagent plus rapidement que les messages axés sur des arguments rationnels ou économiques. Ainsi, l’erreur communicationnelle des pro-UE a été de ne pas dominer les médias sociaux. Internet a changé la nature des campagnes politiques et continuera à jouer un rôle clé dans les futures élections politiques.
De nombreux électeurs du Brexit semblent maintenant souffrir de ce qu’on appelle « Bregret ». En effet, ils ont voté pour quitter l’Union Européenne, et maintenant, ils auraient aimé ne pas le faire. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas vraiment compris les implications des choix offerts. Ce qui est si inquiétant, c’est qu’avec une meilleure communication des différents camps et un traitement médiatique plus neutre, les électeurs auraient au moins pu prendre une décision éclairée, quelque soit le camp qu’ils avaient choisi.
Sandrine Roul
Sources :

Abott James, Brexit : les prises de position engagées des médias britanniques, RTL, 23/06/2016, consulté le 01/11/2017.
Lessons From Brexit: How Not To Communicate Your Cause, Entrepreneur Middle East, 10/07/2016, consulté le 01/11/2017.
Polonski Vyacheslav, Impact of social media on the outcome of the EU referendum, EU Referendum Analysis 2016, consulté le 01/11/2017.
Malherbe Michael, Réflexions post-Brexit sur la communication de l’Union européenne, La Com Européenne, 13/07/2016, consulté le 01/11/2017.
Simon Hinde, Brexit and the media, Hermès, La Revue 2017/1 (n° 77), p. 80-86.
Dominique Wolton, Dix chantiers pour aider à penser l’incommunication en Europe, Hermès, La Revue 2017/1 (n° 77), p. 243-247.

Crédits photos :

Photo à la une : L’Express
Photo 1 : Reuteurs Institute fort the Study Journalism
Photo 2 : scoopnest
Photo 3 : Vyacheslav Polonski

Podcast et vidéos

Entretien avec Yves Citton

 
Le CELSA / Paris-Sorbonne a reçu le philosophe suisse Yves CITTON le vendredi 3 novembre 2017.
Il a accordé à FastNCurious un entretien exclusif. A travers nos questions il revient sur son ouvrage Médiarchie, publié cette année chez Seuil, dans lequel il développe le concept éponyme. Il contribue ainsi à l’enrichissement du domaine des sciences de l’information et de la communication.
Pour plus de vidéos, abonnez-vous à notre chaine Youtube !
 

Crédit vidéo :
Pôle audiovisuel de FastNCurious : Nathanaël Suaud  et Sacha Rolland
En collaboration avec Le Magnéto, association d’audiovisuel du CELSA.

Culture

Téléréalité : business, influences, idoles

Que nous aimions ou non la téléréalité, il y a forcément un moment où nous y avons été confrontés : en zappant, pendant les vacances, par simple curiosité, ou bien par habitude, même si certains parfois ne l’avouent pas. Comme l’affirme le journaliste Jeremstar dans sa récente autobiographie, la téléréalité a pris un tournant grâce à l’avènement de Snapchat, Instagram et Twitter. Les candidats ne prennent plus part à la télé-réalité pour l’expérience, mais pour l’argent, le business.
Métier : candidat de téléréalité. Vraiment ?
Aussi incroyable que cela puisse paraître, être candidat de téléréalité est devenu un métier à temps plein. Bronzer autour d’une piscine, faire la fête en boîte de nuit, se mettre en couple à l’écran, voire être trompé sont des activités très lucratives. Les réseaux sociaux deviennent de véritables extensions des programmes qui nous sont proposés. Chaque candidat utilise son Snapchat, son Instagram pour recréer une sorte de nouvelle téléréalité. Il en est le réalisateur et évidemment, le principal acteur. En ouvrant leurs stories, nous pouvons découvrir un format semblable aux émissions. Un processus communicationnel narcissique et divertissant, mais plaisant pour le spectateur, qui se sent plus proche de la personnalité qu’il a pu apprécier à l’écran. Il se sent invité à vivre son quotidien avec lui, en dehors des programmes. On assiste alors à une scénarisation de leur vie (ou du moins la partie qu’ils veulent bien montrer) qui est rythmée par leurs sorties en clubs, leurs règlements de compte truffés de grossièretés avec d’autres candidats, ou encore leurs vacances dans des lieux bucoliques.

Puis, comme dans un média traditionnel finalement, les vidéos éphémères sont entrecoupées de nombreuses pauses publicitaires. Sont présentés avec des codes promotionnels, des kits de blanchiments dentaires, des thés détox, des produits et accessoires de beauté en tout genre. Mais tout ceci est loin d’être du bénévolat : les candidats sont rémunérés pour leurs placements de produits, et très grassement selon leur notoriété. Nous entrons ici dans une logique de course aux followers : plus le candidat « buzz » et fait parler de lui dans un programme, plus il est suivi sur ses réseaux sociaux, plus les marques veulent établir de juteux partenariats avec lui, et ainsi de suite… Certains évidemment, « coûtent » plus cher que d’autres et ont réussi à se faire un nom dans le monde de l’entreprise. C’est le cas de Julien Tanti, qui a sa propre marque de vêtements, une pizzeria, un salon de coiffure et de tatouages… Ou encore sa comparse des « Marseillais », Jessica Thivenin, qui a son propre salon de beauté. Ces candidats très populaires se sont hissés au sommet de cet empire du vide. Ils font de leur propre personne un véritable commerce, une marque à part entière, et gagnent de 3000 à 50 000€ par mois. Astronomique pour des personnes qui sont surtout connues pour leurs perles dans les zappings tv, n’est-ce pas ? Dès lors, nous pourrions les considérer comme des self-made men, des artisans de leur propre réussite à partir de presque rien, à la vue de leur ascension fulgurante en seulement quelques années.

Les nouvelles idoles des jeunes ?
Certains articles sur ce sujet affirment que la tranche d’âge concernée par la téléréalité serait les 15-30 ans. C’est là qu’ils se fourvoient. Les personnes ayant entre 20 et 30 ans actuellement ont, certes, grandi avec la téléréalité : des programmes comme Secret Story ou la Star Academy ont agrémenté leur enfance ou leur adolescence. Mais les idoles de l’époque étaient plus Lady Gaga, Pitbull ou encore les héros de High School Musical, que les candidats de téléréalité.
En revanche, dans la nouvelle téléréalité, qui est devenue un business et non plus un simple jeu, ce sont les 10-18 ans qui sont le plus concernés. Nous pouvons le constater tout simplement en regardant les réseaux sociaux des candidats : les commentaires et les réactions sont ceux des plus jeunes. Le plus souvent, ceux qui font le déplacement lors de rencontres, de meet-up, sont des préadolescents, des adolescents, voire parfois des plus petits.
Que nous le voulions ou non, la téléréalité fait parler d’elle et fait partie des mœurs. Ce n’est pas un succès éphémère comme certains l’avaient prédit. Cela va bientôt faire 17 ans, depuis avril 2001, date de la première diffusion du Loft Story sur M6, que des programmes en tout genre rythment nos vies et exercent une certaine influence. Des candidats, voire des « personnages » se sont démarqués, ils font désormais partie intégrante de la culture populaire. Les téléspectateurs, quant à eux, ne semblent pas se lasser d’un concept qui est pourtant lassant, tant il reprend sans cesse les mêmes thèmes, schémas et structures. Le déclin de l’empire financier et culturel du vide va-t-il être provoqué par un manque de renouveau ?

Florence Arnaud
LinkedIn : Florence Arnaud
 
Sources :

Jeremy Gisclon. Jeremstar par Jeremy Gisclon, ma biographie officielle. Éditions Hugo Doc, 2017. ISBN : 9782755632057.
Mustapha Kessou. Star de la télé-réalité, un métier en or, Le Monde, publié le 10/06/2017. Consulté le 31/10/17.
Agnès Chauveau. La téléréalité, l’opium des jeunes ?, Huffington Post, publié le 24/10/2013. Consulté le 31/10/2017.
Jean-Baptiste Duval. Les Marseillais vs le Reste du monde : le vrai business des stars de l’émission de télé-réalité, Huffington Post, publié le 04/09/2017. Consulté le 31/10/17.
Amandine Pointel. Le placement de produits, nouveau business pour les candidats de télé réalité, Le Parisien, publié le 22/02/17. Consulté le 31/10/17.

 
Crédits photos :
N°1 : Fanch Drougard / W9
N°2 : Capture d’écran de la chaîne YouTube « Snapchat Red » qui recense les vidéos Snapchat polémiques des candidats.
N°3 : Capture d’écran d’une photo provenant du compte Instagram de Jessica Thivenin.
N°4 : France 3 Champagne-Ardenne / A.Blanchard
 

Société

L’ère 3.0 de l’opposition Nord/Sud ? Quand les régions rient de leurs différences

Qui n’a jamais entendu parler du débat pain au chocolat/chocolatine -l’ordre d’apparition de ces termes est purement arbitraire-? Ou encore des poncifs italiens de la mamma napolitaine et du businessman Milanese ?
Des tensions linguistiques aux moqueries amères, en passant par l’auto-dérision, les particularités géographiques et culturelles sont au coeur de nos préoccupations. Sûrement parce-qu’elles touchent aux racines et aux identités, les réseaux sociaux et la publicité s’en sont emparés.
Cet article n’a pas prétention à faire l’analyse politique des particularismes -et revendications- régionalistes, mais il s’intéresse à l’engouement autour des stéréotypes régionaux Nord/Sud. Aussi, l’on se limitera aux cas évocateurs de la France et de l’Italie.

Société

Les dédales de l’algorithme YouTube

L’écoute de la musique en ligne est devenue aujourd’hui l’un des premiers moyens d’accès et de visibilité pour les abonnés du monde entier. Lorsque le fonctionnement de son algorithme est remis en cause, c’est donc l’ensemble des youtubeurs qui pourrait se retourner contre la plateforme.
Il n’est pas nécessaire de rappeler que cette société s’impose aujourd’hui comme le premier relai de diffusion de vidéos sur Internet, avec près de 43 000 vidéos visionnées par seconde et une présence diffuse dans 73 pays, ce qui lui permet de couvrir 95% de la population Internet mondiale.
La plateforme de diffusion de vidéos en ligne créée en 2005 fait face cette année à un nouvel enjeu. En effet, de nombreuses critiques ont été émises envers son algorithme, dont le fonctionnement reste flou pour le grand public.
Ce débat a été relancé il y a quelques semaines : le morceau du groupe Boy Pablo – « Everytime » a gagné 50 000 vues par jour après avoir été mis en page d’accueil de YouTube. Cela a mis en lumière l’influence phénoménale que peut avoir ce programme informatique sur les artistes en chair et en os, leur permettant d’obtenir un succès planétaire.

Le débat reste ouvert : YouTube est-elle toujours une plateforme permettant de créer une véritable culture participative comme l’imaginaient ses créateurs, ou bien son fonctionnement binaire pourrait lui porter préjudice ?
Echec (et maths) pour l’algorithme YouTube ?
Depuis le 1er Février 2017, l’association américaine en charge d’attribuer les disques d’or prend en compte les écoutes générées par les plateformes de streaming telles que YouTube, Spotify, Apple Music, ceci afin d’être en phase avec les évolutions d’écoute de son public. Le SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique) a confirmé qu’il comptait suivre cette tendance de modernisation.
Malgré tout, l’opacité du fonctionnement de l’algorithme YouTube pourrait mener la plateforme à sa perte. En effet, au début de l’année 2017, de nombreuses plaintes se sont faites entendre : de la part d’abord des créateurs, qui font face à de soudaines pertes d’abonnés (ce qui pourrait leur être fatidique), et également de la part des abonnés qui ne comprenaient pas qu’ils puissent être désabonnés de certaines chaines sans leur consentement ni notification.
La position quasi monopolistique de YouTube sur la diffusion de vidéos en ligne permet de comprendre les réactions plutôt vives et les inquiétudes exprimées suite à cette modification non explicitée. Par exemple, le youtubeur PewDiePie avait menacé de fermer sa chaîne qui comptabilise pourtant 50 millions d’abonnés.
Les plaintes concernaient également le système de qualification du contenu « inconvenant » particulièrement strict, qui ne permet pas aux youtubeurs de récolter de l’argent sur leur contenu, étant donné que ces vidéos ne peuvent pas accueillir de publicités.
La réponse tardive de YouTube a finalement permis d’éclaircir les raisons de ce changement. Les modifications d’algorithme sont, selon l’entreprise, effectuées afin de s’assurer que « les utilisateurs regardent plus de vidéos qu’ils aiment », et les chiffres d’abonnement sont lissés dans le temps, ce qui expliquerait les baisses d’abonnés. Ces contestations reflètent in fine une désillusion des youtubeurs dont le succès repose sur un codage qu’ils ne maitrisent pas.
Favoritisme ou simple binarité ?
Au-delà de cette confusion, la tendance de YouTube à recommander des vidéos qui « buzzent » pose le doute sur la capacité de la plateforme à partager du contenu créatif ou éducatif. On pourrait penser que comme Facebook, YouTube serait soumis à une « bulle de filtrage » (Eli Pariser), créant ainsi un isolement intellectuel et culturel des utilisateurs, en ne leur proposant que du contenu optimisé par leur personnalité.
On le réalise rien qu’en regardant l’onglet des Tendances, où des vidéos comptabilisant des millions de vues n’y figurent que quelques heures. Cet onglet est un véritable levier pour les youtubeurs, car il leur permet de se faire connaître par les internautes. L’utilisation de cet espace par des publicités ou des émissions télévisées pourrait ressembler à une préférence envers les annonceurs plutôt qu’envers les créateurs de contenu.
Cet algorithme peut parfois pousser les utilisateurs à une utilisation quasi-malsaine de la plateforme afin de gonfler leurs vues. C’est le cas de Post Malone qui reprend le refrain du titre « Rockstar », numéro 1 aux Etats Unis, 5 fois en boucle dans la même vidéo, leur apportant une visibilité plus importante.
Le cas de Boy Pablo permet néanmoins d’avoir un peu d’espoir dans cet algorithme qui cherche finalement à maximiser le watch time, c’est à dire le temps durant lequel l’utilisateur va regarder la vidéo. Ce système peut entraîner un effet de longue traine (Chris Anderson), car le succès de cette vidéo peu connue est dû au bon relai effectué par l’algorithme. En effet, si cette vidéo a été suggérée par hasard, l’algorithme est efficace car les 500 000 vues par jour sont bel et bien dues à la qualité du morceau « Everytime ».
YouTube aurait-t-il besoin d’une meilleure communication de crise ?
La seule question à résoudre serait donc la suivante : pourquoi l’équipe de YouTube persiste à rendre son fonctionnement si opaque ?
En effet, les réponses tardives aux accusations des utilisateurs ne les ont pas convaincus. La réponse du chef des produits YouTube affirmant que « toute vidéo mise en ligne par un créateur apparaît dans le flux abonnements de tous ses abonnés, par défaut. En général cela prend quelques minutes » et qu’aucun abonnement n’a été supprimé, reste pour le moins elliptique.
On pourrait penser qu’un effort de communication serait nécessaire dans ce genre de situation de crise, mais cette solution ne serait pas la plus stratégique au niveau commercial. Si la communication à propos de cet algorithme était claire et limpide, chaque utilisateur aurait la solution pour maximiser les vues de sa chaîne.
En fin de compte, on pourrait faire l’analogie entre les vidéos YouTube et les Nuggets McDonalds : on est ravis de les avoir devant nous, mais on ne sait pas comment elles sont arrivées là.
Elise Batifort
Sources : 

Découvrir les avantages de YouTube avec le marketing sensoriel, Idéalis Médias, publié le 20/01/2014.
 Mélanie Roosen, YouTube pris en compte pour les disques d’or, L’ADN, publié le 05/02/2016.
Elodie Abadi Garcia, YouTube, le nouvel algorithme qui affole la toile, DMB, publié le 20/12/2016.
Els Bellens, YouTube moins rigoureuse à propos des vidéos « inopportunes », Datanews, publié le 30/10/2017.
YouTube, Wikipédia.
Perrin Signoret, L’algorithme YouTube met-il en avant certains candidats à la présidentielle, Le Monde, publié le 14/04/2017.
Bulle de filtres, Wikipédia.
Erwan Cario, Comment YouTube en met plein les vues, Libération, publié le 19/12/2016.
Communication de crise, Wikipédia.
L’algorithme de YouTube, les points clés pour comprendre, Wizdeo.
Jean Morel, L’algorithme YouTube a transformé un morceau en tube, Radio Nova, le 23/10/2017.

Société

Zuckerberg, Trump… maladresses face à la crise humanitaire Portoricaine

Plus d’un mois après le passage de l’ouragan Maria qui a dévasté Porto Rico, une grande majorité de la population est toujours privée d’eau potable. Les habitants vivent, pour la plupart, sans électricité et parfois même sans toit après que plus de 90 000 maisons y ont été détruites. Alors que le pays peine à rassembler les milliards de dollars d’aide dont il a besoin pour sa reconstruction, il a accueilli ces dernières semaines des personnalités haut placées susceptibles de contribuer… ou pas !
Zuckerberg et la réalité virtuelle : campagne de sensibilisation ou promotion maladroite ?
Le 9 octobre dernier, Mark Zuckerberg a réalisé un livestream visant à faire découvrir la nouvelle interface de réalité virtuelle de Facebook : Spaces. Lors de cette démonstration, le patron de Facebook s’est virtuellement télé-porté dans différents endroits. Parmi eux, l’île de Porto Rico, complètement ravagée par les récentes catastrophes naturelles.

Entre deux éclats de rires, Zuckerberg  accompagné de Rachel Franklin, responsable de la « réalité virtuelle sociale » chez Facebook, se balade sur un fond de maisons inondées.
Depuis leurs confortables bureaux en Californie, Zuckerberg et Franklin ont voulu montrer que la réalité virtuelle abolit les frontières et offre une mobilité illimitée.  Ainsi, grâce à Spaces, les deux collègues ont pu se télé-porter à Porto Rico, sur la Lune ou encore dans le salon de Mark avec son chien. Les déplacements des deux touristes amusés auraient pu faire sourire les internautes. Mais dans une ville qui souffre encore fortement des lourdes conséquences de l’ouragan Maria, ils ont immédiatement donné lieu à un véritable flop communicationnel.
En effet, si Zuckerberg a voulu profiter de ce voyage virtuel pour rappeler le partenariat de Facebook avec La Croix Rouge afin d’« aider les habitants à reconstruire Porto Rico », son action a plutôt été reçue comme une auto-promotion maladroite et de mauvais goût. Bien plus, elle a déclenché de nombreuses critiques sur le « tourisme noir ou de catastrophe[1] », une forme de tourisme qui s’est développée ces dernières années et qui consiste à visiter des lieux touchés par des catastrophes.
Le patron du géant du web n’a pas tardé à s’exprimer à ce sujet, tentant de justifier l’apport de Spaces aux efforts de secours après des catastrophes majeures : « L’une des forces de la réalité virtuelle est sa capacité à générer de l’empathie. Mon but était de montrer comment la réalité virtuelle peut accélérer les prises de conscience et nous aider à voir ce qui se passe à différents endroits du monde.».
Comme on peut le voir, ces explications n’ont pas été satisfaisantes et ont continué de générer un débat sur les réseaux sociaux. Accusé d’exploiter un désastre, Zuckerberg a par exemple été qualifié de « milliardaire sans cœur » ou encore de « dirigeant manquant d’humanité », ce qui a poussé l’équipe de relations presse à tenter de réparer les pots cassés.

Le tourisme de catastrophe est un sujet particulièrement sensible aux États-Unis, où Zuckerberg n’a pas été le seul à être fortement critiqué. En effet, Donald Trump a fait l’objet d’un véritable backlash dans la presse et sur les réseaux sociaux à la suite d’un soutien à Porto Rico considéré comme bien trop faible, et d’une visite particulièrement dérangeante à San Juan, capitale de l’île… pourtant américaine.
La visite catastrophique de Donald Trump à Porto Rico : entre prises de paroles déplacées et gestes irrespectueux
C’est seulement deux semaines après le passage dévastateur de l’ouragan Maria à Porto Rico que Donald Trump a décidé de se rendre sur place pour apporter son aide et prendre connaissance des dégâts. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette visite tardive a fait scandale. Et pour cause, le président des États-Unis a enchaîné les maladresses dès son arrivée sur l’île.
À priori venu pour apaiser les tensions, Trump n’a fait qu’empirer les critiques à son égard en déclenchant une indignation générale. Alors que la lenteur de l’aide fédérale lui avait été reprochée, Trump a quant à lui critiqué la contribution des citoyens de l’île en déclarant que « les  Portoricains devaient faire davantage pour aider ». De plus, face aux reproches exprimés en raison d’un soutien jugé minimal, Trump n’a pas pu s’empêcher de rétorquer par une blague pour le moins déplacée : « Je déteste avoir à le dire, mais ces derniers jours, vous nous avez un peu fait sortir du budget, Porto Rico. Mais ce n’est pas grave, on  va vous aider ! »
Comme si cela ne suffisait pas, Trump a continué sur sa lancée. Pendant une conférence de presse donnée sur place, le président américain a affirmé que les habitants de l’île devaient se considérer « chanceux ». En effet, il estime qu’il faut se féliciter du « faible nombre de victimes » comparé à Katrina en 2005, qu’il a qualifié de « vraie catastrophe ».
Mais le président américain ne s’est pas arrêté aux mots. Alors qu’il assistait à une distribution de produits de première nécessité, Donald Trump a jugé bon de lancer des rouleaux de papier dans la foule. Ce geste jugé irrespectueux et condescendant a déclenché l’indignation du peuple portoricain mais aussi du reste du monde, qui s’est manifesté sur les réseaux sociaux comme Twitter.

Ni la visite choquante du président américain, caractérisée par son manque de soutien général et la minimisation des conséquences de l’ouragan sur l’île, ni la légèreté mal placée du PDG de Facebook ont permis d’apaiser le sentiment des Portoricains d’être des citoyens de seconde zone… Mais la diffusion médiatique des événements a au moins suscité une indignation généralisée et a mené à s’interroger sur le statut des habitants de l’île.

Maria Qamari
Twitter : @MariaQamari
Sources :

[1] Olivia Solon, « Mark Zuckerberg ‘tours’ flooded Puerto Rico in bizarre virtual reality promo » – The Guardian. Publié le 10 octobre 2017.
Alexandra Milhat, « Mark Zuckerberg se « téléporte » à Porto Rico, ravagé par l’ouragan Maria, et c’est très gênant » – Huffington Post. Publié le 10 octobre 2017.
Le Monde. « Mark Zuckerberg s’excuse pour son étrange vidéo en réalité virtuelle à Porto Rico » Publié le 11 octobre 2017.
6 Médias. « Porto Rico : le comportement de Trump suscite l’indignation » – Le Point. Publié le 4 octobre 2017.
Le Monde avec Reuters. « Porto Rico : la visite pleine de maladresses de Donald Trump » -Le Monde. Publié le 4 octobre 2017.

Crédits :

Capture d’écran Live Facebook. « Live from virtual reality — teleporting to Puerto Rico to discuss our partnership with NetHope and American Red Cross to restore connectivity and rebuild communities. » 9 octobre 2017.

 

Captures d’écran Twitter :

Matthew Stoller @matthewstoller
Erica Holl @mulegirl
Stephen Colbert @stephenathome
Anthony Houser @tonyhouser
Jorge Ramos @jorgeramosnews

Société

Christine Angot : cadrer l’incadrable

Samedi 30 septembre sur le plateau d’ONPC les téléspectateurs assistent à une scène glaçante entre Sandrine Rousseau et Christine Angot, la nouvelle chroniqueuse de l’émission On n’est pas couché (ONPC). Alors que Sandrine Rousseau ouvre le débat sur la prise en charge des femmes victimes de harcèlement sexuel par des « personnes formées pour accueillir la parole », Christine Angot réagit violemment pour souligner le fait que face au harcèlement sexuel ou au viol, la femme est seule. La scène suscite plus de 1000 plaintes au CSA et les internautes critiquent fortement la réaction de la chroniqueuse. Grande gueule et sanguine, elle peine à entrer dans les cadres imposés par les dispositifs médiatiques : peut-être est-ce cela qui forge sa réputation ?

Extrait vidéo : Sandrine Rousseau – On n’est pas couché 30 septembre 2017 #ONPC. Youtube. 20/09/2017. [Extrait du clash : 6 :45 – 8 : 45]

Que s’est-il véritablement passé ?
La vidéo du clash entre les deux femmes reprise sur internet et décontextualisée révèle une Christine Angot dans son tort et furieuse, sans raisons apparentes. Or, ce « cadre » ne dit pas l’histoire de la chroniqueuse. En effet, cette dernière a elle-même été abusée par son père comme elle l’écrit dans son livre L’inceste, cela explique sa réaction violente. Les téléspectateurs ont pu voir les larmes de Sandrine Rousseau mais le départ du plateau de Christine Angot a été coupé au montage : « j’entends le public qui commence à huer parce que justement, je n’emploie pas la phrase « discours » (…) ça veut dire que je suis sur un plateau télé et que je ne peux pas parler donc je n’ai rien à faire là » explique-t-elle sur France Culture. Il y a un véritable échec de la parole de Christine Angot dans le cadre de l’émission. Les huées et la disposition même du plateau rendent la situation intenable pour la chroniqueuse qui doit se réfugier dans sa loge. C’est d’ailleurs, l’imposition d’un cadre qui a révolté Angot dans les propos de Sandrine Rousseau : « ce qui me révolte, ce n’est pas la parole collective, c’est face à des choses terribles, vraiment, qui sont l’abus de pouvoir, qui sont le déshonneur, qui sont le silence imposé, qui sont beaucoup de choses comme ça, on trouve des procédés, des procédures, des systèmes, des phrases toutes faites du genre les gens « formés pour recueillir la parole », des trucs fous ».
Angot : l’incomprise, l’incadrable
Angot, romancière controversée, n’en est pas à son premier scandale médiatique. On se souvient de son intervention face à Fillon dans l’Émission Politique sur France 2, en mars dernier. L’artiste n’a pas été épargnée non plus : on assiste à des scènes insupportables lors de son passage dans l’émission de Tout le monde en parle en 1999. Alors qu’elle présente son livre L’inceste, où elle décrit les viols qu’elle a vécus, une chroniqueuse lui demande « vous n’avez pas ri une seule fois, qu’est-ce qui vous fait rêver ? » (17 :00). Elle subit également les moqueries et les rires des invités sur ce sujet profondément douloureux. L’impertinence de la séquence mérite d’être soulignée et l’aurait certainement été si les réseaux sociaux existaient à l’époque. Cette scène montre aussi à quel point Christine Angot ne se conforme pas : « vous êtes assez rare » lui avoue Thierry Ardisson, reconnaissant sa difficulté à l’interviewer alors que les autres « sont assez faciles » (16:50). Un tempérament qui révèle une personnalité débordant des cadres et du politiquement correct.

Extrait vidéo de l’émission de Thierry Ardisson : «  Christine Angot « Je ne peux pas parler de L’inceste » | Archive INA »
La tyrannie du spectacle
Ce rejet de la forme n’est pas nouveau chez la chroniqueuse. Il pourrait expliquer pourquoi elle est tant controversée mais si médiatisée : elle sort du cadre, crée la polémique et rend donc le média visible. Christine Angot répond, peut-être malgré elle, à une logique médiatique. Ce procédé est particulièrement efficace dans l’émission ONPC qui orchestre le clash. La disposition du plateau organise méticuleusement le désaccord : les deux éditorialistes jouant les avocats de l’accusation face à l’invité chargé de se défendre. Laurent Ruquier, lui, joue le rôle du médiateur, du président de séance. ONPC, émission d’infotainment, théâtralise ce rendez-vous chaque samedi soir (générique accrocheur, arrivée théâtrale des invités). On pourrait ici supposer en reprenant les termes de Guy Debord que le spectacle, sous-tendu par des logiques de production, « ne veut en venir rien d’autre qu’à lui même ». Un spectacle qui devient particulièrement tragique lorsqu’il est aussi violent que le clash Angot/Rousseau. Cela traduit surtout l’impossibilité d’exprimer des idées et un problème aussi délicats dans un cadre aussi restreint. La personnalité de Christine Angot fonctionne dans le dispositif médiatique d’ONPC puisqu’elle exacerbe l’affrontement, le conflit. Dans une logique d’« économie de l’attention », si bien décrite par Yves Citton, l’émission tend à organiser la polémique dans le but d’attirer le spectateur afin de générer toujours plus d’audience et donc toujours plus de profit.
Christine Angot est une personnalité particulièrement médiatisée, à fort potentiel « médiagénique », pour reprendre le néologisme proposé par Philippe Marion. En d’autres termes, la romancière Christine Angot a l’aptitude de bien « passer » dans les médias justement grâce à sa personnalité anticonformiste. Son rejet du cadre la rend paradoxalement tout à fait cadrable.
Claire Doisy
 
Sources :

Montellier Chantal. Les larmes amères de Christine Angot. L’Humanité. 13/10/2017. Consulté le 25/10/2017.
Alexis Lucie. Dispositifs télévisuels et mises en scène du désaccord : les cas d’On n’est pas couché et de Ce soir (ou jamais !). Cahier de praxématique. 06/06/2017. Consulté le 25/10/2017.
Erner Guillaume. Violences faites aux femmes : Christine Angot, mots à maux. France Culture. 17/10/2017. Consulté le 25/10/2017
Citton Yves. L’économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme ? La découverte. 2014.
Debord Guy. La société du spectacle. Gallimard. 1996.

Crédit photo :

Capture d’écran Sandrine Rousseau – On n’est pas couché 30 septembre 2017 #ONPC. Youtube. 20/09/2017.
Extrait vidéo 1 : Sandrine Rousseau – On n’est pas couché 30 septembre 2017 #ONPC. Youtube. 20/09/2017. Clash : 6 :45 – 8 : 45
Extrait vidéo 2 de l’émission de Thierry Ardisson : « Christine Angot « Je ne peux pas parler de L’inceste » | Archive INA »