Société

Dehors ou mort

 
Pasticheur et auto-proclamé successeur de Jacques Mesrine, Christophe Khider cherche à prouver encore une fois qu’il est au-dessus des lois, qu’il est le seul décideur de son futur. Le voyou communique, annonce lors d’un ersatz de conférence de presse, qu’il s’évadera, comme une évidence absolue, comme un devoir qu’il doit accomplir. Il joue, s’amuse de provoquer, de choquer et d’essayer de déstabiliser une justice qui, en plus d’être aveugle, restera sourde face à ses espiègleries d’amuseur public.
Pourtant nous l’écoutons, à moitié révoltés, amusés et presque respectueux d’une telle annonce. Le voyou dicte ses volontés comme dans un faux-semblant de testament, 2052 étant la date limite de sa vie carcérale. Vilain merle gazouillant son impertinence, Khider tente de se réapproprier le mythe du bagnard exploité afin d’envoyer la droite finale qui pourrait compléter la campagne de galvaudage de l’autorité carcérale, déjà entamée par l’évasion de Redoine Faïd il y a quelques jours.
La communication de ces numéros d’écrou est habile car elle utilise les codes de la conspiration pour faire croire que la justice ne serait qu’un colosse aux pieds d’argile, une citadelle prenable ; un système pourri par un millier de taupes assujetties au grand-banditisme. Monsieur Khider semble bien sûr de lui, il annonce avec fierté qu’il s’échappera, comme une évidence incontournable, un devoir à accomplir face aux injustices dont il fut victime.
Rien ne tient plus, les derniers barreaux des prisons se briseront par l’opinion publique. Faïd et Khider ont prouvé que la maison France est désormais à genoux devant un banditisme tout puissant et capable de tout. L’arrogance de ces condamnés agit directement sur la puissance aveugle de la justice en essayant de prouver que la privation de liberté est devenue une sentence abjecte et immorale.
La puissance de l’annonce renforce le plaidoyer de ces hommes qui refusent la sanction prononcée. Ils tentent de faire valoir leurs actes en soulignant le fait que la justice les a condamné à une peine offensant l’humanité. Génuflexion soumise des média par rapport à ces vauriens élevés au rang de héros. Le doute s’installerait presque. L’insolence cache-t-elle une part de vérité ? Le courage nécessaire pour annoncer de tels projets ne dissimulerait-il pas une évidence inavouable ?
Voilà le deuxième effet « Kiss-Kool » de cette confession de voyou trop heureux d’offenser rondement l’appareil législatif. Nous allons finalement nous rallier à la cause défendue par Redoine Faïd au moment où le journal télévisé de 20h nous annoncera son évasion. Nous serons fiers de lui afin d’oublier l’affront inacceptable, narcoleptiques insomniaques que nous sommes. Nous rejoindrons nécessairement sa cause en étant presque impressionnés de ses convictions réalisées.
Vivre pour une cause et mourir en la défendant : c’est de cette manière que le grand banditisme nous propose une utopie que nous serions prêts à défendre, nous, petit peuple sage à la vie ringarde et plate.
Ite missa est.1

Emannuel de Watrigant
 
1 « Allez, la messe est dite »

Société

Jacques a dit : prendre la parole libère

 
Rien ne peut autant illustrer le fameux droit à la liberté d’expression que l’interview d’un détenu. Christophe Khider, âgé de 41 ans, libérable en 2052 c’est-à-dire dans sa 80e année, clame dans le JDD son mépris pour l’incarcération, et ce depuis sa prison. L’évasion le taraude en permanence, avant tout comme un pied de nez à cette Justice injuste et sadique selon lui, qui préfère la mort lente des condamnations à rallonge plutôt que l’efficace peine de mort.
Quinze nouvelles années à l’ombre des miradors, voilà ce dont il écope jeudi, pour son évasion à l’explosif, en 2009, de la prison de Moulins. De l’interview, comme des divers portraits ébauchés dans la presse, ressortent les mêmes traits d’un caractère en acier trempé dans le fiel de la misère carcérale. Christophe Khider carbure à la détermination, et non plus à l’espoir. « Les gens qui vivent avec l’espoir se lestent d’un poids inutile. Pour les gens comme moi, il faut bien comprendre qu’on est comme en pleine mer, il n’y a pas de fond. Il faut battre des jambes en permanence. » De sorte que l’évasion ne devient plus le moyen de gagner sa liberté, mais une fin en soi.
Avant son évasion de 2009, Christophe Khider avait déjà trois tentatives à son actif. Il annonce à nouveau ne pas vouloir s’éterniser. Rien d’étonnant à cela. Tout l’intérêt de cette prise de parole est dans le défi de la peine infligée, dans l’assurance du futur, débarrassé du conditionnel, parce qu’il a pris du ferme. C’est du reste une parole plurielle, pour les autres. Elle dévoile les contours d’un lieu originellement exclu des regards. « Des évasions, il va y en avoir. Ça va exploser et il va y avoir des drames. J’entends des discours qui ont de quoi faire peur… Pas mal de mecs sont désespérés et sont prêts à passer à l’acte dans la violence. »
La prédiction d’une nouvelle cavale au sein de la presse n’est rien d’autre qu’une annonce publique résolue, et résolument publique. L’évasion commence par celle de la voix, celle des mots, transportés et publiés hors des murs. Ecrits noir sur blanc, ils se matérialisent dans un autre espace, médiatique, ouvert à tous. L’exact contraire de la prison.
Le JDD désamorce toute critique possible de la part du public, sur le droit ou non du détenu à pouvoir donner son avis, et le droit du journal à le recevoir, en annonçant : « Quel que soit le jugement que l’on porte sur lui, voici le récit brut d’une certaine réalité, de l’autre côté des barreaux… ». Le média se retourne sur lui-même, rappelle ce pourquoi il existe : donner la version « brute », non édulcorée de la réalité. Cependant si tout le monde a une voix, c’est bien l’espace médiatique qui la libère, la fait exister… ou bien la fait taire, en lui collant une étiquette dont elle ne peut plus se défaire. « Il y a eu les années de prison, rappelle Christophe Khider, mais aussi tout ce qu’il y avait autour. Mon image ne m’appartenait plus. Tout le monde – les journaux, la télé – m’a décrit comme un assassin. Tout de suite. » Cette image médiatique carcérale, il s’en évade ici d’une certaine manière, en prenant directement la parole.
 
Sibylle Rousselot
Sources

http://www.lejdd.fr/Societe/Actualite/Khider-Je-vais-partir-c-est-evident-interview-603141

Société

La rumeur technologique

 

Mediapart et Libération se sont récemment entrechoqués en marge de l’affaire Cahuzac. Le premier reprochait au second d’avoir voulu générer de l’audience en relayant une rumeur ; rumeur selon laquelle Laurent Fabius aurait eu un compte à l’étranger. Mediapart a vertement critiqué son homologue papier pour ce manque flagrant de professionnalisme, et en vertu d’une déontologie journalistique.
On peut alors s’étonner, dans les médias plus spécialisés sur les nouvelles technologies, que la rumeur, bien loin d’être honnie, fournit massivement du contenu et génère une audience considérable.
Très nombreux sont les sites d’actualité qui, comme Zdnet, Cnet, Monwindowsphone, Macg, Frandroid, Consomac et bien d’autres relaient des rumeurs sur les produits à venir.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le travail que font quotidiennement les journalistes de ces différents sites, mais plutôt de s’interroger sur l’importance de la rumeur dans le marché des nouvelles technologies. Une importance telle que les journalistes hi-tech anticipent sur les faits et les informations. On ne compte plus le nombre d’articles qui débutent par « Une information à prendre avec des pincettes ».
Apple depuis plusieurs années, mais aussi Samsung plus récemment, font l’objet de rumeurs insistantes à l’approche de la sortie d’un nouvel appareil. On observe d’ores et déjà quantité de rumeurs circulant au sujet de l’iPhone 5S, comme il y en avait eu pour le Samsung Galaxy SIII et le Samsung Galaxy S4. On connaît bien la volonté de discrétion d’Apple, qui compte sur l’effet de surprise quand elle dévoile ses produits. Il devient alors facile d’envisager tout l’intérêt de la rumeur : information et non-information, elle simule une incursion derrière la barrière du secret érigée par l’entreprise. Recevoir cette information, c’est entrer dans un cercle de privilégiés, faire partie du petit nombre qui dispose avant tout le monde d’informations censées demeurer cachées.
Par le biais de la rumeur, l’entreprise technologique génère une attention médiatique gratuite : puisqu’il s’agit de rumeur, elle n’a aucune obligation de réaction, n’a aucune obligation d’être à la hauteur des innovations qu’on lui a prêtées. Sans engager ni sa réputation ni son image, et de surcroît à peu de frais, Samsung, Nokia, Google, Apple ou Microsoft attirent vers eux tous les regards.
Dans le cas de l’affaire Cahuzac, une rumeur est le degré zéro de l’information, la honte du journalisme professionnel, le signe d’une déontologie entachée et trop peu respectée. Dans le cas de l’iPhone, une rumeur est un outil aussi banal qu’efficace, aussi journalistique que commercial. Relayer la rumeur c’est se montrer toujours en pointe sur l’information, toujours aux premières loges. La rumeur est le support évident et incontournable d’une industrie technologique toujours en quête de vitesse et de surprise. La surprise fait partie de l’ADN de l’informatique : quand le monde change comme il a changé ces trente dernières années grâce aux ordinateurs et à Internet, quand chaque avancée semble un pas de géant, comment pourrait-il en être autrement ? On simule de toute part une révolution, un changement majeur, le prochain tournant décisif, ou, pour reprendre une phrase révélatrice de ce marketing irrésistible : « The Next big thing ».
Au-delà de la question journalistique, la rumeur fait partie de ce système construit tout entier autour de la révolution. Et quelle déception quand on n’assiste qu’à une « évolution » !
L’homme s’habitue à tout, même aux changements les plus radicaux, même aux bouleversements les plus extrêmes de son quotidien. Il est aujourd’hui à ce point habitué aux merveilles technologiques qui l’entourent, qui sont parfois de véritables bijoux d’inventivité, d’intelligence, d’esthétique, qu’il en oublie les extrêmes difficultés que l’on rencontre parfois en amont : il suffit de regarder un iMac aujourd’hui. Au-delà du traditionnel débat PC/Mac, au-delà des sensibilités au matériel ou au logiciel, c’est indéniablement une machine magnifique, résultats de dizaines d’années de travaux complexes, d’une rage de l’esthétique certaine aussi.
Mais l’on connaît aujourd’hui une terrible accoutumance, et la rumeur est là pour maintenir cette euphorie et cette émerveillement, empêcher à tout prix la banalisation trop rapide.
Et, c’est là une opinion strictement personnelle, ce n’est peut-être pas plus mal. Il est toujours bon de s’émerveiller de ces inventions extraordinaires qui bouleversent chaque jour un peu plus notre quotidien, qu’il s’agisse d’un téléphone, d’une tablette, d’un GPS, ou d’une « simple » clef USB…
S’émerveiller, oui, mais sans naïveté : la technologie est une chose formidable, fascinante autant qu’inquiétante. La regarder pour ce qu’elle est, un ouvrage extraordinaire, n’occulte pas les dérives qu’elle peut connaître et que j’incite chacun à surveiller.
 
Oscar Dassetto
Crédits photo : ©2008-2013 =Hades-O-Bannon

Société

Toujours connectés, jamais écoutés ?

 
Le ras le bol des utilisateurs envers la « surconnexion » ne date pas d’hier. L’addiction des Français à la nouvelle technologie et son aspect menaçant a déjà défrayé les médias. Selon l’Ifop, 42% des Français se considèrent dépendants de leur mobile, mais la majorité développe des stratégies d’auto-discipline quant à son utilisation. Selon le même sondage, 59% des Français se sentent dépendants de leur écran. Et les polémiques sur l’utilisation des données se multiplient, la dernière en date nous provenant de Facebook (une fois n’est pas coutume), avec son nouveau service GraphSearch, qui permet de rentrer en contact avec des utilisateurs en fonction de leurs préférences ou de leurs « likes ».
La semaine dernière, un accrochage supplémentaire est venu rajouter de l’huile sur le feu de l’hyperconnexion. Nous vous avions parlé lors d’un article précédent  de l’annonce de la PS3 et de la futur Xbox de Microsoft. Et c’est cette dernière qui est à présent sur la sellette. Il faut dire que Microsoft garde jalousement sa console (nom de code : Durango) secrète. Mais personne n’est à l’abri d’une fuite, ce que le géant de Redmont a appris à ses dépens, dans une conversation sur Twitter entre Adam Orth, un ingénieur de la marque, et un développeur de jeu vidéo. Dans cet échange, Adam Orth avoue publiquement que la future console de Microsoft devra être en permanence connectée pour pouvoir jouer, regarder un film, ou même accéder aux différents menus.

Avec cette annonce, le net s’est emballé, les parodies accompagnées du hashtag #dealwithit (faites avec) se sont multipliées. En effet, cette console toujours en ligne enregistrera vos moindres achats et connexion. Mais elle est également dotée d’une caméra qui filmera vos mouvements pendant que vous jouez ou naviguez dans les menus. Nous ne sommes donc pas loin du télécran imaginé par Georges Orwell dans 1984, et on imagine sans difficultés les conséquences si ces données venaient à tomber entre des mains mal intentionnées. Seulement voilà, les données sont devenues une véritable mine d’or pour ces géants du numérique : elles peuvent être revendues, utilisées à des fins commerciales ou publicitaires…
Un autre problème, trop souvent oublié, est pointé par le développeur dans cette conversation : Internet est loin d’aller de soi. La fracture numérique existe toujours, non seulement entre différents pays dans le monde, mais aussi à l’intérieur même d’un pays comme les Etats-Unis, où tous les Etats ne sont pas équitablement desservis en connexion et en débit. Et même lorsque l’on dispose d’une connexion stable, rendre obligatoire le « online » pour l’utilisation d’un appareil pose problème, un surengorgement pouvant surgir. C’est ce que pointe ici du doigt Manveer Heir en mentionnant Diablo III ou SimCity (que nous avons abordé ici), deux jeux qui nécessitaient une connexion à Internet, et qui ont connu d’énormes problèmes lors de leur lancement.
Adam Orth répond à ces soucis par une moquerie, ce qui prouve bien que le but n’est ici pas de contenter l’utilisateur, qui devient produit plus que client. Mais ce bad buzz et la folie qu’il a généré sur le web a fait au moins une victime : Adam Orth lui-même, qui s’est vu remercié de son poste chez Microsoft. La marque américaine n’a cependant pas démenti dans son communiqué les propos avancés par son développeur, ce qui équivaut presque à un aveu quand à ce « always online ».
Microsoft espère attirer plusieurs centaines de milliers de joueurs vers sa nouvelle console, mais sur la terrain de la communication, la marque devra faire d’énormes efforts pour faire oublier ces multiples gaffes. Rendez-vous le 21 mai, date à laquelle la console sera présentée au grand public.
Clément Francfort
 

Société

« Made in France », dernier produit ethnique du monde marchand ?

 Pour terminer ce dossier, Emmanuelle Lallement, maître de conférence au CELSA, a elle aussi accepté de partager son point de vue avisé d’ethnologue.

Marinière et Toyota, identité nationale et consommation
En 1984,  la chanson de Jacques Dutronc « Merde in France » s’entendait sur toutes les radios. En 2013, c’est plutôt le « Made in France » qu’on entend ou plutôt qu’on peut voir un peu partout : non seulement sur des sites marchands comme « 100% made in France » mais aussi sur des sites institutionnels comme « Madine France » ainsi qu’à la Une de journaux (on a tous en tête la Une du Parisien du 19 octobre 2012 sur laquelle Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, arbore une marinière Armor Lux et une centrifugeuse Moulinex) et de nombreux titres (« Le made in France fait-il (encore) vendre » s’interroge La Tribune le 14 mars dernier, « Le made in France à l’assaut des touristes » titre quant à lui Le Figaro le 6 mars, alors que Libération, en pleine campagne présidentielle, se demandait en décembre 2011 : « Le made in France, débat made in esbroufe ? »). Jusqu’au parc des expositions de la Porte de Versailles qui accueillait en novembre le MIF (salon des produits made in France) et le Carrousel du Louvre qui expose en avril de cette année le Made in France, salon de la haute-façon française. Des exposants de produits très divers peuvent ainsi se rassembler sous la même bannière, celle du produit français et de ses déclinaisons régionales, locales, ainsi que de ses représentations symboliques de l’artisanat, de l’authentique, du fait main, du savoir-faire, du traditionnel.

En 2013, le bleu-blanc-rouge semble donc être à la mode et se décline sur une variété de produits, de l’alimentaire à la voiture, du vestimentaire au design. Pourvu que la moitié de sa production soit faite en France ou que le produit puisse se vanter de représenter le savoir-faire dit français, il peut prétendre au made in France. C’est ainsi que la Toyota Yaris peut se prévaloir de ce label, car fabriquée en partie à l’usine de Valenciennes… Et que le slip français est devenu une marque, entre clin d’œil, coup marketing et surf sur la tendance. Pour qui s’intéresse aux constructions sociales et communicationnelles des cultures et des identités, un tel usage inflationniste et un tel succès du qualificatif « français »  constitue un matériau de choix.
Certes le « made in France » est une opération d’abord politique. S’il existait déjà depuis les années 1980 avec des formules du type « Fabriquons français » ou plus tard dans les années 1990 avec le slogan « Nos emplettes sont nos emplois », c’est depuis la création du ministère du redressement productif avec sa tête Arnaud Montebourg que la formule fait florès. Et c’est d’ailleurs lui qui l’incarne, faisant de cette initiative une opération de communication politique mi-réussie, mi-tournée en dérision : sa marinière, dont les rayures bleues et blanches ne manquent pas de faire écho symboliquement aux lignes bleu, blanc, rouge du drapeau français, lui ont valu beaucoup de commentaires. À noter d’ailleurs que les logos qui accompagnent le « made in France » font unanimement usage du symbole du drapeau, lui-même associé quelquefois avec une cocarde, une Marianne, un champ de coquelicots, une photo d’un village typiquement français… En quelque sorte une saturation de signes qui vient rappeler qu’il s’agit bien là d’une représentation de l’identité nationale. Il faut consommer français, tel est le mot d’ordre. La consommation patriotique est un enjeu économique, un levier de redressement productif et de fierté nationale.
Pourtant cette formule[1] apparaît dans le même temps dépolitisée. C’est parce que la France doit mener une bataille économique sans merci dans le contexte de la concurrence internationale et de la globalisation qu’elle doit marquer ses produits et plus encore que les marquer, les « marketer » en tant que français. On est donc bien loin du débat politique sur l’identité nationale quand Nicolas Sarkozy avait créé le ministère de l’immigration et de l’identité nationale, mêlant ainsi un sentiment avec un fait, la nationalité. On était à l’époque, en 2009, dans ce que les anthropologues ont appelé la construction d’une identité nationale d’Etat[2], la redondance venant souligner le caractère politique et instrumentalisé de l’identité en question. Aujourd’hui personne ne voit dans le made in France une quelconque résurgence, ni la moindre allusion, ne serait-ce ironique, à l’identité nationale française telle qu’elle était apparue dans ce débat.
Globalisation et ethnicisation généralisée  du monde marchand
Mais alors que nous dit donc ce « made in France » de nouveau ? Dans quelle mesure cette formule utilisée pour désigner des produits, des fabrications, des mises en scène et des discours variés nous dit-elle quelque chose de notre monde contemporain ?
D’abord on peut supposer que le « made in France » ne prend sens que parce les expressions « made in china », « made in Taïwan », « made in Japan » et autres origines nationales de production, constituent depuis déjà longtemps le paysage de la consommation. Le « made in France » n’existerait sans doute pas, ne serait-ce dans sa forme linguistique anglophone qui vient bien signifier le contexte mondialisé, sans les autres nombreux « made in ». C’est d’ailleurs par l’emploi de cette formule anglophone bien intériorisée ici et ailleurs, le « made in », que la formule paraît correctement positionnée dans l’univers marchand, bien plus qu’un simple « fabriqué en France ».
Plus encore, si l’on considère la consommation comme un acte qui a du sens et produit du sens, l’acte de consommer un produit dont l’origine en constitue l’identité, réelle ou supposée, voire lui donne un nom, ainsi qu’un caractère propre, lui confère alors une signification particulière. N’est-il pas par conséquent un produit ethnique ? La fabrique de l’ethnicité, c’est à dire du caractère ethnique donné, construit, accolé à un groupe, à un objet, un individu, a elle aussi quitté le seul domaine politique pour devenir une modalité de production des identités dans le monde marchand. Elle est une des règles de communication dans la grammaire actuelle de la marchandise. Les rayons alimentaires de nos supermarchés, les cosmétiques, la mode vestimentaire, la décoration, tous les secteurs ont leur sous-rubrique « ethnique ». Et si tout le monde n’achète pas de l’ethnique, il est en revanche un spectacle pour tous. Mais qu’est-ce qu’un produit ethnique si ce n’est un objet qui a subi un déplacement, réel ou symbolique, voire imaginaire, d’un lieu où il était familier à un lieu où il est étranger[3] ? C’est ce déplacement même qui lui donne son caractère ethnique, qu’il n’a pas dans son contexte d’origine. Inutile en effet de caractériser culturellement un objet dans son contexte culturel d’usage : le cassoulet n’est pas vraiment ethnique à Toulouse mais l’est peut-être à Chicago, de même le mafé l’est sans doute davantage à Paris qu’à Dakar…
Le « made in France » vient illustrer ces déplacements significatifs de la globalisation, en l’occurrence ici le déplacement du « produit français », ou supposé tel, du lieu où sa familiarité rend inutile d’en préciser l’origine, à un lieu ou sa spécificité peut être signifiée : français plutôt qu’allemand, plutôt que chinois, etc. Et même s’il reste dans nos frontières nationales dans le cadre de la consommation dite patriotique, le « made in France » apparaît comme un produit ethnique car il est construit selon la logique implicite de l’ethnicité. Le produit dit français peut ainsi être doublement français, par son origine peut-être mais surtout par sa communication sur le mode ethnique. Et cela même en France, au regard d’autres produits internationaux eux-mêmes localisés et souvent ethnicisés, pris en quelque sorte dans la ronde des échanges internationaux et interculturels.
L’identité française ainsi marketée devient ethnicisable à souhait et se décline alors aisément en marques, produits et régionaux et locaux, en savoir-faire spécifiques et souvent de « niches », dans ce concert global des identités nationales marchandes. Elle est peut être la seule modalité par laquelle elle peut encore, ou doit, exister.
 
Emmanuelle Lallement 
Paris, le 8 avril 2013

 

[1]  Au sens que lui donne Alice Krieg-Planque : « Ensemble de formulations qui, du fait de leur emploi à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à construire », La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, PU de Franche-Comté, coll. « Annales littéraires », 2009, 144 p.

[2]  Voir le colloque « Identités nationales d’Etat » organisé à l’IRD en octobre 2007 par l’Association Française des Anthropologues.

[3]  Voir les travaux de Jean Bazin sur l’ethnie, notamment « À chacun son Bambara », in Jean-Loup Amselle et Elikia M’Bokolo (éd.), Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985

Société

Le made in France actualisé par l’imaginaire et le symbolique

 
Et le cinquième jour, cinq rédactrices ayant spécifiquement travaillé sur le sujet, acceptèrent de nous livrer une partie de leur recherche. Elles ont choisi ici de partager une approche plus psychologique. Les discours et les imaginaires autour du Made in France sont tels qu’il n’est plus seulement culturel. Il devient cultuel.
Si le « panier patriotique est à la mode » ; il semble être une arme efficace dans un monde de plus en plus obsédé par les problèmes de l’origine et de « traçabilité » des produits que l’on consomme. L’apophtegme « Heureux qui peut savoir l’origine des choses » formulé par Virgile permet de s’interroger sur cette aporie cyclique, voire systémique, liée au fonctionnement du genre humain. De facto, la problématique de l’origine, qui semblait tarauder les anciens, se retrouve aujourd’hui au cœur des enjeux politiques et socioéconomiques.
Les problématiques de la transparence sont de plus en plus présentes à travers les discours et imaginaires, dans le cadre du phénomène de « désenclavement planétaire » impulsé par la mondialisation, « l’ère du Soupçon » semble alors en marche. Cette logique de mondialisation des échanges a conduit à estomper toute forme de traçabilité des produits, autrement dit, à gommer les traces qui permettaient de remonter à l’origine de tout produit.
Dès lors, la question des labels et de l’étiquetage viendrait rectifier ce manque de confiance des consommateurs vis-à-vis des produits qu’ils achètent. A l’instar du label « Agriculture Biologique », les labels du « made in France » permettent aux produits français de retrouver un certain prestige dans la sphère de la consommation. Ces nombreux labels portant haut les couleurs « bleu, blanc, rouge » de la France, viennent rassurer les consommateurs en crise de confiance.
L’humanité est entrée dans un cercle infernal de la crise de confiance après avoir fait reculer les frontières du saisissable. Aujourd’hui, il s’agit de revenir sur une forme de décodage voire de « décryptage » d’un monde qui nous est devenu proprement insaisissable tout en essayant de révolutionner matériellement nos habitudes. Les politiques redécouvrent petit à petit qu’il est nécessaire de se concentrer sur l’échelle nationale, régionale voire locale pour rectifier le tir : la formule « nos emplettes sont nos emplois » entre dans de nombreux discours et permet de cautionner un retour aux sources.
Il est par conséquent très important de replacer le « made in France » dans la dynamique plus globale du « made in » en tant qu’expression imprégnée dans l’imaginaire collectif qui permet d’informer les consommateurs sur les produits. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde communicationnel, personne n’ignore qu’il fait partie d’un monde à l’échelle planétaire où circulent des imaginaires de toutes sortes et notamment autour de ces formules tendances que sont les « made in ».
Les discours et imaginaires autour du « made in France » se multiplient de façon croissante puisque cette expression devient un enjeu clé pour le redressement économique de la France. Derrière le « made in France » semblent se cacher des représentations sociales et des discours de type polémique. Dans le contexte politique actuel, il est possible de considérer un double aspect du phénomène « made in France » avec d’une part le versant positif de la valorisation des produits français et d’autre part le versant négatif autour d’un débat sur l’identité nationale avec de nombreux décrochements politisés et dépolitisés virant parfois à l’extrême, à l’instar de discours quasi discriminants à l’égard d’autres « made in».
Mais penchons nous plus précisément sur les imaginaires.
Le Made in France s’intègre au sein d’un imaginaire collectif, dont la construction semble relever d’un enjeu identitaire fort. Le discours d’escorte autour de cet objet-volant-très-identifié joue un rôle majeur dans son existence. Mais ce discours contribue aussi largement à la réputation de l’image française, ou plus exactement à l’imaginaire autour de la marque France.
Le poids de l’imaginaire
Dans le « magazine de la grande consommation en France », lsa-conso.fr, le député européen et coprésident de l’Observatoire société et consommation (Obsoco), Robert Rochefort, indique préférer l’emploi du terme de citoyen plutôt que de patriote, quant à la promotion de l’achat français : « La notion de patriotisme me gêne. Elle nous renvoie à une notion guerrière qui rappelle notre passé. Je ne réclame pas des Français patriotes, mais citoyens, qui réfléchissent sur leurs actes et leurs conséquences » . La nuance n’est pas anodine ; rejet de toute ambiguïté nationaliste, elle éclaire le Made in France d’une lumière valorisante, celle de la responsabilité. L’acte d’acheter du Made in France deviendrait presque celui d’un achat équitable. Du reste le fonctionnement est bien celui d’une labellisation comme garante d’un commerce à valeur morale ajoutée. R. Rochefort exprime par ailleurs clairement la nécessité de créer un imaginaire fort autour des produits français. Dans ce contexte, les produits régionaux n’apparaissent plus tant comme des concurrents aux produits nationaux, c’est-à-dire comme une dérive du Made in France, mais comme l’un de ses outils majeurs. Plus on se localise, plus l’on est à même de puiser dans le terroir, dans une imagerie du typique. Les marques peuvent jouer de la « French touch » ou plus généralement de la qualité du savoir-faire, mais elles parlent davantage au marché interne, au public interne, en s’appuyant aussi sur l’argument régional. « Si vous communiquez sur les pêches made in France, continue R. Rochefort, vous n’apportez pas grand-chose. En revanche, si vous affichez les mérites des pêches du Languedoc-Roussillon, vous entrevoyez le soleil ».
Dimension spirituelle du « made in France »
On peut se poser la question de la profondeur subjective de la « marque France » lorsque celle-ci est activée par les consommateurs du monde entier. Les clichés se propagent en « peer to peer », au bouche à oreille, dans les médias, issus de l’éducation ou de l’expérience du tourisme de chacun, et tissent le réseau d’une pensée imaginaire et symbolique.
Une spécialité nationale précise est souvent rattachée à chaque pays : les produits industriels pour l’Allemagne, ceux high-tech pour le Japon et les USA, le style et le design, l’art de vivre et les plaisirs gustatifs pour la France et l’Italie. On scrute tout d’abord la valeur intrinsèque des produits, dans une logique rationnelle. La pensée imaginaire intervient si l’on mêle ces étiquettes à des valeurs, des qualités ou des défauts congénitaux – négligence, raffinement, humour par exemple. Cette pensée-là détermine une logique de préférence des produits davantage émotionnelle. Cependant la marque France peut aussi être considérée à travers le prisme de l’anthropologie, relevant d’une pensée profonde, « symbolique », pour Eric Fouquier, où mythes et contes interviennent. La réaction des consommateurs contemporains se comprend aussi dans les racines de leurs attitudes.
C’est pourquoi le produit authentifié Made in France est aussi un objet mental. Il joue effectivement sur le psychique, ce dont témoigne par exemple telle chinoise déclarant « devenir » parisienne en portant un sac Kelly ou Birkin. Les produits ainsi rattachés à un imaginaire se muent en opérateurs psychiques. D’une certaine manière, un touriste ému devant la tour Eiffel peut l’être tout autant à distance, chez lui, transformé par des produits typiquement français.
Le Made in France procède donc non seulement d’une rationalité, en tant que label, mais aussi de deux processus propres à la pensée magique , que l’on peut lui appliquer : le premier est le mode mana, (force spirituelle d’un système d’échange réciproque, énergétique, qui forge le collectif « sorte d’éther, impondérable, communicable, et qui se répand de lui-même. Le mana est en outre un milieu, ou plus exactement, fonctionne dans un milieu qui est mana » ) qui consiste à se référer au « génie français », à la source de la fabrication des produits ; le mode fétiche en second lieu présente les produits français comme des anticorps, sorte de pansements face aux blessures créées par la « civilisation hypermoderne ».
La référence au fétiche renvoie à un objet matériel, à l’efficacité salvatrice. Ernesto de Martino montre que le fétiche sert à traiter ce qui est le « drame existentiel » de ce monde, c’est-à-dire le « sentiment de perte ou d’atténuation de la réalité et de l’unité personnelle de l’individu », il sert à surmonter l’épreuve d’un « défaut de présence », lorsque la personnalité du sujet s’efface par manque d’énergie, assaillie par les forces hostiles d’un monde, « société liquide » selon Bauman, dont il ne devient plus que l’écho. Il sert ainsi à raffermir la volonté d’être là en tant que présence. De fait, le film Midnight in Paris (2011) de Woody Allen met en exergue la magie de cette ville française emblématique, qui agit comme un baume sur les angoisses du personnage principal, écrivain désemparé, décalé par rapport au monde moderne dans lequel il vit.
Conclusions
Trois observations émergent lorsqu’on étudie la valorisation de la marque France : l’image technologique de la France est à peu de chose près inexistante, contrairement à son image d’élégance qui est, quant à elle, extrêmement puissante. Le duo beauté/qualité, au cœur de la stratégie du luxe, est enfin le point fort du Made in France, par opposition au Made in China.
L’analyse du made in France enrichie de cette approche symbolique implique de ne pas limiter la consommation à la seule pratique utilitariste. Cette pensée profonde, sous-jacente, mobilise des mécanismes subjectifs, si bien que faire appel à la morale altruiste ne suffit plus dès lors que les produits remplissent des fonctions symboliques. Cela invite de plus à reconsidérer des objets qui dépassent leur seule fonction pratique, ce qui offre une prise de position intéressante aux stratégies marketing et commerciales. Ainsi le directeur du style chez Hermès explique-t-il que « s’habiller n’est pas futile, cela dit ce que nous rêvons être… Les valeurs qui nous inspirent : introspection, rejet du spectaculaire, qualité de travail, atemporalité, goût des choses qui durent, supplément d’âme… » .
 
Alicia Poirier N’Diaye, Sibylle Rousselot
Avec Marine Miquet, Alice Nieto et Pauline Saint Macary
Extrait du TIR (Travaux d’Initiation à la Recherche) made in France 2013
Sources pertinentes :
FOUQUIER, Eric. 2011. « La France, ses produits et la pensée magique ». Revue française de gestion, vol. 37, N°218-219, pp. 93-105
Mauss,1950, cité par Ducard 2003
Ernesto de Martino, 1999
Lemaire, Directeur du style, Libération, Next, Avril 2011

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Société

Qwant : la France à la conquête du web

 
Ce jeudi avec Edouard Deflandre, penchons-nous sur Qwant : nouveau bijou du web qui a la particularité d’être d’origine française. Si l’informatique n’a jamais réellement fait partie du patrimoine français, ce moteur de recherche pourrait bien permettre à l’Hexagone de rattraper son retard. Mais il semble difficile d’imposer, voire de créer un style Made in France sur ce marché complexe et largement américain.
Petit dernier de l’IT française (Information Technology), Qwant a produit à la fin de l’hiver ses premiers bourgeons. Il aura fallu deux ans à l’équipe de Jean-Manuel Rozan pour faire germer leur idée, dévoilant au public la version bêta de ce moteur de recherche nouvelle génération, alliant comme des pétales cinq champs de recherche associés aux couleurs des lettres du googlesque logo de Qwant : web (vert), live (orange), social (bleu), shopping (jaune) et media (rouge). Alors, Qwant représente-t-il le fleuron de l’industrie de l’information et de la technologie française, se pose-t-il en fleuret menaçant pointé vers les gigantesques séquoïas qui dominent la forêt du web, ou ne sera-t-il qu’un flirt éphémère entre la mode et le web voué à se faner lorsque l’hiver sera venu ? Quoi qu’il en soit, de rapport affectif en considérations stratégiques, la fleur Qwant génère un certain émoi dans la blogo-clairière depuis son éclosion.
Du social et du shopping
 
Ceux qui auront apprécié Inception se rappelleront sans doute de la métaphore de l’idée et de la graine : lorsque une idée prend racine, même le Round’Up Monsanto est impuissant à la désherber. C’est un peu pareil pour Qwant. Le moteur de recherche repose sur une idée en béton : le web s’est imposé comme la place publique globale et le plus grand centre commercial du monde, il faut donc adapter ses structures à ce constat. Éric Léandri et Jean-Manuel Rozan, bien conscients de cet état de fait, décident de construire un système dans lequel la part belle serait faite à ces deux mamelles du web des années 2010. Lorsqu’ on y pense, la question est incontournable : comment se fait-il que les moteurs de recherche ne permettent pas de s’informer directement dans les réseaux sociaux ? Tout le monde communique, Twitter est devenu la première source d’information d’un grand nombre d’internautes, et notamment des journalistes, friands d’information fraîche et fluide. Jean-Manuel Rozan déclare dans une interview que “Google nous cache des choses”, et soutient sa théorie, a priori fantasque, en avançant un argument de poids : le géant américain a (paraît-il !), des billes dans le marché des réseaux sociaux avec son poisseux Google+. Il rechignerait donc à publier, lors d’une recherche, les résultats provenant de ses concurrents Facebook et Twitter. Drôle d’idée, mais pourquoi pas ? Au printemps de la conspiration 2.0, plus rien ne nous étonne… L’autre pan de la montagne est l’e-commerce. La recherche de produits disponibles à la vente dans Google doit bien souvent s’accompagner du mot-clef “achat”, et les résultats sont insatisfaisants au point que les internautes se rendent directement sur eBay, PriceMinister, Amazon et consorts. Le business model de Google reposant sur les liens sponsorisés, on comprend bien qu’il est impossible au géant américain de se poser en comparateur équitable de produits et de services.

Alors mettons Qwant à l’épreuve de l’utilisation, et commençons par éprouver la concurrence : tapons “Cahuzac”, puisqu’il qui défraie la chronique ces jours-ci, dans Google. Résultat : les dix premières pages regorgent de liens vers des articles dans les médias et les blogs, et pas un seul provient des réseaux sociaux, pas une page de soutien au pauvre Jérôme, un appel à dons, une collecte charitable… On peut légitimement ajouter que l’internaute moyen ne se rend jamais en page 10 des résultats Google. On obtient des résultats similaires sur Bing. Côté Qwant, c’est bien différent : la modalité “Social” de recherche déploie les tweets éclairés d’Isabelle, Florian, Matthias, Valérie et “Mélenchon actus” sur le scandale fiscal,mieux, Cahuzac est en page d’acceuil de Qwant ! Le moteur dispose en effet, sous son champ de saisie, les recherches ou les liens les plus consultés, dont on notera qu’un certain nombre commencent par le musical, téléphonique et très social caractère “#”.
En ce qui concerne le shopping en ligne, on peut également se demander si Cahuzac est à vendre ! Et l’on découvre ainsi en première page dans la colonne jaune les oeuvres complètes de Louis Cahuzac, fameux clarinettiste français, compositeur de l’étrange “Arlequin”, disponible en un seul exemplaire sur Amazon.
L’interface et les fonctions
On l’aura compris, chez Qwant, l’innovation passe par l’interface, la mise en forme et la mise en relation comme vecteurs de production de sens et de valeur ajoutée : c’est l’optique de la cross-platform. Les recherches étant modales, il était indispensable que l’on puisse en moduler l’apparence. On peut ainsi y consulter les résultats de ses recherches en colonnes et scroller indéfiniment dans les tréfonds du web. On peut aussi opter pour la “mosaic”, un arrangement des résultats les plus pertinents en boîtes, ou enfin consulter uniquement les catégories “media” ou “people” pour trouver des images et des vidéos ou des profils d’utilisateurs sur les réseaux sociaux.
On trouve un allié utile à la recherche dans les champs d’affinage de chaque catégorie. On peut ainsi, en tapant “John” dans le champ principal, se concentrer sur John Wayne dans le web, John Travolta dans l’actualité, John Kennedy sur les réseaux sociaux et John Lennon sur les sites d’e-commerce, le tout sur la même page.
Qwant dispose d’un Qnowledge Graph, une rubrique encyclopédique (dont la source principale est Wikipédia) proposant des informations générales sur le sujet de la recherche, mais cette fonctionnalité ne constitue pas une innovation frappante : elle existe sur les moteurs concurrents.
Notons également que Qwant est équipé d’un player permettant de regarder des vidéos hébergées sur les grandes plateformes (YouTube, DailyMotion…) directement depuis le site, et de les partager sur les réseaux sociaux.
Ajoutons à cela la possibilité de mettre des liens en signet et les “hot trends” dont nous avons parlé précédemment et le tour est joué : l’expérience est inclusive et englobante.
La technique et la polémique
Dès les premières semaines, Qwant a été sévèrement attaqué par les blogs informatiques et technologiques pour la concordance presque parfaite de ses résultats avec ceux de Bing, le moteur de recherche de Microsoft. Devant ces accusations de plagiat pur et simple, la direction de Qwant dément et explique que son moteur fonctionne sur ses propres algorithmes d’indexation et qu’elle achète parfois des résultats d’images à Bing pour enrichir son contenu. Qwant ne repose cependant pas sur l’API de Bing (Application Programming Interface), programme payant sur une base régulière. L’accusation est donc fondée, mais reste quelque peu absurde dans la mesure où l’on ne peut reprocher à Qwant de produire dans sa colonne web des résultats semblables aux autres moteurs. Il serait plutôt inquiétant et obscur qu’on n’y trouve que des résultats différents.

Les algorithmes de Qwant sont les suivants : un crawler, Qwantify 1.0, programme qui explore le web automatiquement et collecte des données et des contenus, et un algorithme de ranking, yourank, qui produit un classement des sites et des pages selon leur poid, leur profondeur, le nombre de liens qui y renvoient…
En bref, Qwant propose, en plus des fonctionnalités qui en font l’originalité, le package complet des éléments de base qui composent l’architecture des moteurs de recherche, même si l’on peut légitimement supposer, les budgets investis étant inférieurs à ceux de la concurrence, qu’il faudra les améliorer et les développer.
Le business model
Un élément non négligeable de la constellation Qwant, c’est Pertimm. Actionnaire de Qwant, la société se spécialise dans la conception sur mesure de solutions de recherche (et donc d’indexation) pour les sites internet. La société compte parmi ses clients Meetic, les Pages Jaunes, Monoprix et elle a conçu – les détracteurs de Qwant à la critique facile apprécieront peut-être l’information – l’intranet de la NASA. Pas de quoi rougir donc pour une société qui met à la disposition des développeurs du moteur français, certains de ses savoir-faire (dont il est difficile de déterminer lesquels). Ainsi Pertimm, qui ne travaille pas dans le bénévolat, soutient Qwant parce qu’elle y voit probablement un potentiel acteur rentable du web de demain, le “3.0”. Alors le business model de Qwant en est encore, selon Jean-Manuel Rozan, à ses tâtonnements. On sait que la publicité y jouera le beau rôle dans les espaces que Qwant ouvre pour ses utilisateurs, notamment dans les signets et le player intégré au site, où devrions-nous dire LES players intégrés au site, puisqu’il s’agit (presque) à chaque fois d’une intégration de module YouTube, DailyMotion… Qwant ne dévoile donc pas encore toutes ses cartes, et les évolutions du web dans les années à venir produiront certainement des nouveaux moyens d’engranger des revenus, de nouvelles opportunités de monétiser l’expérience de navigation.
Pour en revenir au “made in France”, on peut affirmer que, si Qwant est fabriqué en France, il est développé en partenariat avec Pertimm, entreprise mondiale, et que les méthodes de travail et de management qui ont permis son existence sont typiquement américaines. Il est évident que dans les technologies de l’information et de la communication, nos amis d’outre-atlantique construisent les normes. On peut d’autre part saluer, ne serait-ce que pour la beauté du geste et l’originalité du projet, en attendant de voir s’il portera ou non ses fruits, l’initiative bien trempée de Jean-Manuel Rozan et d’Éric Léandri. Les deux aventuriers 3.0 font désormais face à la réaction du public, qui semble pour l’instant positive : 70% des utilisateurs de Qwant reviennent. Cela suffira-t-il a terme, à se faire une place face au quasi-monopole de Google sur la recherche en France (93%) et dans le monde (75%) ? Rien n’est moins sûr, mais la présence de Qwant dans 35 pays du monde et sa disponibilité en 15 langues différentes en font un « David » crédible face au « Goliath » américain. Quand à la polémique importante que Qwant a suscité dès ses débuts, on se demande si elle relève vraiment de la maladresse. Jean-Manuel Rozan répète à longueur d’interviews qu’une “bonne polémique vaut bien mieux qu’une mauvaise pub”… Il ne nous reste qu’à lui souhaiter qu’il ait raison, et à espérer qu’on étudiera un jour Qwant sur les bancs des grandes écoles de communication françaises, navarraises et d’ailleurs. Cocorico.
 
Edouard Deflandre

Société

Le Slip Français, les dessous du Made in France

 
Avec Margaux le Joubioux et Angélina Pineau, voyons comment le désormais célèbre Slip Français a su profiter des discours politiques sur le Made in France et créer de toute pièce son propre label. 
Depuis la dernière campagne présidentielle, Le Slip Français a largement investi le paysage médiatique et les réseaux sociaux. Jusqu’alors, les sous-vêtements masculins ne s’exhibaient guère ni dans les magazines, ni sur les écrans. Véritable étendard du label Made in France, qu’a révélé cette webmarque, à travers sa défense de la production hexagonale et son potentiel communicationnel aussi transgressif que réactionnaire ?
 
Le Slip Français : qu’a-t-il de plus que les autres ?
A première vue, Le Slip Français n’est pas différent de ceux qui ornent les rayons des magasins. Son signe distinctif : un drapeau tricolore présent sur chacun des modèles de la marque. Le Slip Français revendique ses origines et fait de ce symbole un gage de qualité. En plus d’être 100% coton, l’entreprise s’engage, à l’heure de la délocalisation, à produire l’ensemble de ses slips en France. Au coeur de la Dordogne, à Saint-Antoine plus précisément, on s’active afin d’honorer les commandes de plus en plus nombreuses. Depuis la création de l’entreprise en septembre 2011, ce sont plus de 20 000 pièces qui ont été fabriquées pour un chiffre d’affaires de 300 000 €.
Mais créer des produits de qualité ne suffit pas, et les textiles Made in France sont  facilement classés dans la catégorie des produits doucement surannés voire carrément ringards. Afin d’éviter d’être rangé aux côtés des charentaises et de la marinière Armorlux, Le Slip Français a fait de la communication son meilleur atout.
La clé du succès a été de revendiquer le côté « franchouillard » et « slip à papa » de leur gamme de produit. Le slip était un apparat un peu honteux qu’il était préférable de dissimuler. Réapproprié par une minorité d’hommes prescripteurs de tendance, le slip s’exhibe et devient une arme de séduction massive. Quelle est cette minorité ciblée par la marque ? Il s’agit de jeunes urbains âgés de 20 à 35 ans (ou leurs compagnes) dotés à la fois d’un solide pouvoir d’achat et d’un sens de l’autodérision qui les encourage à se distinguer via leurs vêtements. En un mot : les hipsters.
 
La communication numérique

Mais le but n’est pas de créer de la nostalgie sinon du rétro. Pour éviter de finir dans les catalogues La Redoute ou les magasins Damart, les commandes ne s’effectuent que sur Internet. Cette stratégie 100% numérique a le mérite, outre celui de réduire considérablement les frais de production et de distribution, d’inscrire la marque dans les usages de son époque. Elle permet une très grande réactivité. En effet, leur site internet, tout comme les pages sur les réseaux sociaux démontrent une parfaite compréhension des règles en vigueur sur le web 2.0. Comme en témoigne l’appel aux dons sur My Major Company afin de créer le « slip qui sent bon ».

Mais cette stratégie numérique n’entrave en rien la volonté de l’entreprise d’avoir de solides partenariats dans le monde réel. Ainsi, pour la Saint-Valentin, Le Slip Français s’est associé à Princesse Tam Tam et cet été, Claudie Pierlot proposera une gamme de culottes aux couleurs tricolores. L’élargissement progressif de sa production est une nouvelle étape pour la marque qui envisage déjà de devenir « le Petit Bateau du web ».
 
Forte présence dans les médias incarnée par un leader incontesté
Cette stratégie est portée par le directeur et fondateur de la marque, Guillaume Gibault. Diplômé d’ HEC, il est beau garçon, télégénique et a fondé une approche du Made in France aussi légère que décalée. Son ambition semble être à la hauteur de son potentiel communicationnel. Ce jeune entrepreneur réinvestit avec succès le concept du Made in France développé par ses pairs politiques, de Delors à Bayrou, pour en faire un label attractif et innovant. À défaut d’en être le ministre, Guillaume Guibault défend un redressement productif plus opportuniste et potache que réactionnaire.
 
Entre l’Ode et l’élégie : une forme de lyrisme patriotique

Alors comme ça, tu te dis capable de vendre n’importe quoi Made in France ? Même du slip ? » Chiche.
Cette odyssée du slip devait bien reposer sur le mythe du pari amical pour pouvoir se transformer en ode patriotique. Le jeune gaulois Guillaume Gibault a bien choisi un ton « patriotico-patrimonial » teinté d’humour mais aussi de nostalgie pour sa webmarque le Slip Français. Des slips à noms de sous-marins de DCNS (Le Redoutable, le Vaillant, l’Intrépide, Le Triomphant), de maîtres du ring (Le Marcel, L’Emile, L’Eugène, L’André), jusqu’aux caleçons à la terminologie rétro-hipster (Le Félix, Le Léon, Le René, Le Charles), Le Slip Français n’a pas fini d’user de la métaphore virile ni de la rhétorique gaullienne, avec une tendance prononcée pour le  « Vive la France ! » Emblème historique et militaire, la cocarde vient compléter le liseré bleu-blanc-rouge sur l’élastique. La marque propose enfin aux sans-culottes de l’Hexagone un habillement qui puisse satisfaire leurs ambitions patriotiques ! Acheter et porter le Slip Français peut en effet être interprété comme un acte civique de défense de certaines valeurs. Le produit correspond très bien à la tendance qui irrigue de plus en plus la consommation : « Je suis ce que je consomme. »
 
100% Storytelling
« On raconte une Histoire, et raconter une histoire, c’est ça qui me plaît, encore plus que le produit lui-même » déclare Guillaume Gibault au journal Libération qui a publié son portrait en septembre 2012. En effet, le succès du Slip Français repose sur la performance du storytelling à la Française : des sous-vêtements 100% coton et surtout 100% « made in l’Hexagone profond ». En rattachant la production à un toponyme, d’abord national avec le fameux label Made in France, puis départemental (la Dordogne) et villageois (la production à Saint Antoine), la marque en appelle à l’imaginaire territorial relativement efficace en temps de crise économique, sociale et identitaire. Elle crée chez le consommateur un sentiment d’appartenance à un corps collectif, mais également à un territoire et un savoir-faire qu’il s’agit de défendre. Source d’affirmation de soi et de sa communauté, le Slip Français répondrait à notre cher Maslow qu’il suffiraitt d’un slip pour satisfaire les besoins des consommateurs. Il répondrait également à un sentiment d’insécurité dans un monde où les repères s’évaporent. Le Slip Français a pris acte d’un double sentiment d’infériorité individuel et national, au niveau industriel, auquel il a répondu par des produits qui exaltent la fierté virile mais aussi collective. L’achat d’un produit de la marque relèverait alors d’avantage de considérations éthiques qu’économiques.
 
Une réécriture subversive
Le Slip Français s’amuse également à détourner des discours politiques pour se les réapproprier au moyen d’une rhétorique subversive efficace. La marque s’inscrit « volontairement » dans une revendication identitaire explicite, tout en déployant avec virtuosité et ironie une stratégie de réappropriation du symbolique. On se souvient des affiches électorales soudainement détournées sur Internet avec le gimmick « slip ». « En slip, tout est possible »  « La France forte en slip », « Le changement de slip, c’est maintenant », « Prenez le pouvoir en slip ». Le terme « slip » s’y détachait visuellement et graphiquement dans le but de produire une rupture cognitive dans le parcours de lecture. La distance humoristique a ainsi permis de s’affranchir de toute dimension politique pour retisser du sens. La métamorphose se produit grâce à cette transgression du « sacré » dont se revendiquent les slogans politiques. De façon paradoxale, la mise en spectacle de ce mot, plutôt familier aux côtés de termes politisés, a eu pour conséquence de dépolitiser ces slogans réinvestis par le marketing. Cette réécriture profite également de leur forme indirectement performative pour constituer les slogans publicitaires de la marque.

Plus que jamais la rhétorique affichée de la marque Le Slip Français transforme un produit en symbole de la reconquête du potentiel industriel français. Mais sous ses allures d’appel à la mobilisation générale, la marque est également le signe d’un grand opportunisme marketing qui a su réinvestir la majorité de ses fondements : la construction d’un imaginaire, l’innovation et la transgression.
Margaux le Joubioux, Angélina Pineau
 
 

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Société

Le vin français, le 100% made in France

 Dès ce matin, nous débutons notre dossier avec l’association de dégustation de vins du CELSA – Wine not ? – qui nous livre son point de vue sur ce symbole du patrimoine immatériel français.
Dans le contexte de mondialisation d’aujourd’hui, le « made in France » est revenu au goût du jour.  Ce fut même un des arguments le plus utilisé lors de la campagne présidentielle de 2012.
Cependant, on remarque que les deux chantres du « made in France », Arnaud Montebourg et François Bayrou, ont semblé avoir oublié lors de leurs argumentaires engagés de mentionner l’importance qu’occupe le vin dans ce processus. Et pourtant, je ne pense pas qu’il puisse exister quelque chose de plus français que le vin français lui-même justement.
Le vin, un des symboles de la culture française
La France est bien souvent considérée dans le monde comme le pays du vin, où les paysages et terroirs viticoles sont aussi bons que variés. C’est d’ailleurs en France que la consommation de vin par habitant est la plus forte, puisqu’elle s’élève à 52,6 litres par an et par habitant en moyenne[1]. Ce n’est pas un hasard : le vin fait partie de notre culture, il a participé au développement de notre économie dans l’histoire et au rayonnement de notre pays à travers le monde. Aucun autre pays au monde ne possède autant d’appellations, de producteurs et de terroirs si divers. Le climat fait que la France est comme la terre promise du vin, on y trouve presque de tout.
Le terroir, cette « usine » qu’on ne peut pas délocaliser
Le vin, c’est du raisin, du soleil, de l’eau, de l’homme, mais aussi un terroir. Tous ces éléments sont très importants à la fabrication du vin, mais le terroir, qui se concrétise dans l’appellation d’origine contrôlée, est sûrement l’un des plus importants. En effet, à l’achat d’un vin, c’est souvent à cela que l’on se réfère, on peut vouloir un bordeaux, ou plutôt un bourgogne, etc – attention ici, je prends la notion de terroir dans son sens (très) large.
Ce terroir il est donc impossible de le délocaliser. Jamais on n’a vu, et jamais on ne verra du Côtes-du-Rhône fait en Chine. D’abord parce qu’il est quasiment impossible de retrouver exactement le même terroir à plusieurs endroits, bien que certains puissent avoir de nombreux points communs. Puis parce que l’on n’en a tout simplement pas le droit. En attestent, par exemple, les longues disputes qui ont eu lieu lorsque les producteurs champenois se sont insurgés contre ceux qui inscrivaient la mention « Champagne » sur leur bouteille pour qualifier le vin mousseux qu’ils produisaient.
Pour pallier à cette impossible délocalisation, dans ce contexte de mondialisation, certains essaient tout de même de reproduire des vins similaires dans d’autres conditions, en utilisant notamment les mêmes cépages. Par exemple, les californiens et les sud-américains utilisent beaucoup de cabernet sauvignon afin de produire des vins qui pourraient se rapprocher le plus possible des châteaux bordelais. A défaut de délocalisation il reste donc toujours l’imitation.
Chaque terroir illustre une appartenance régionale qui ne fait que renforcer l’appartenance nationale, déjà mentionnée par le « Product of France » qui se doit d’apparaître sur n’importe quelle bouteille de vin français.
Le poids du vin dans l’économie française
 Le vin est donc impossible à délocaliser, et est en plus un des produits français qui s’exporte le mieux. En ces temps de crise, il m’apparait tout de même étonnant que M. Montebourg ne lui ait pas donné une part plus importante. En effet, le vin supporte l’effort national : le chiffre d’affaire des exportations de vin s’élevait à 11,5 milliards en 2012 ce qui en fait le second secteur d’exportation français[2]. De plus, le vin est non seulement le deuxième poste excédentaire de la balance commerciale française talonnant ainsi l’aéronautique, mais il représente aussi 83% de l’excédent dans le domaine de l’agroalimentaire[3].
Il s’exporte quand même mieux que le slip français… Rappelons-nous de cela pour que l’un des rares secteurs qui n’est que faiblement touché par la crise ne se laisse pas aller lui aussi.
 
Le Conseil interprofessionnel des vins du Roussillon s’est d’ailleurs permis d’interpeller directement en 2012 les membres du gouvernement en leur offrant une bouteille, et en leur rappelant bien que le vin « made in France » tel qu’ils le disent eux même, mérite d’être soutenu de par son importance dans l’exportation, et le fait qu’il représente 250 000 emplois[4]. Et l’on se souvient bien de la campagne de 1980 : « nos emplettes sont nos emplois ».
Le vin « made in France » devient un véritable atout commercial, on consomme « responsable », et on consomme « local ». Cela rassure le consommateur, et lui enlève un sentiment de culpabilité qui pourrait le retenir de faire l’acquisition d’un produit.
Le vin illustre ainsi très bien l’art français, l’art au sens de savoir-faire. Ce n’est bien sûr pas le seul représentant de ce savoir-faire, mais son poids n’est plus à prouver. Dans un contexte où la France perd peu à peu de sa splendeur et grandeur passées, montrons que l’excellence française existe encore tout en contribuant à la relance économique interne du pays. Car dans ce produit impossible à délocaliser, toute la valeur ajoutée reste localisée en France.
La réussite du modèle « made in France »
Le vin pour le « made in France » est donc le symbole d’une réussite économique de ce modèle, et une image positive de l’excellence du savoir-faire français à travers le monde. Les deux intérêts du modèle « made in France » sont bien réunis.
Pourtant nos gouvernants ne semblent pas vouloir pleinement supporter et encourager la réussite de ce secteur, comme en témoignent les candidatures des vignobles de Bourgogne et de Champagne au patrimoine mondial de l’Unesco au profit de la sombre grotte du Chauvet…
On se rappelle bien aussi de Nicolas Sarkozy oubliant de passer du côté des vins lors du salon de l’agriculture. François Hollande, lui, semble avoir au moins compris l’importance de la filière, puisqu’il a promis qu’il ne « diaboliserait pas le vin ». Mais bon, on connaît bien la conception qu’ont les politiques de la notion de « promesse ». Il aura au moins rassuré quelques vignerons surpris pour la première fois depuis cinq ans par la visite du président au salon de l’agriculture.
La mondialisation nous confronte directement aux autres pays, et au dessus de nos têtes pèse la menace de voir s’abattre sur nous l’uniformisation du vin comme une épée de Damoclès. L’identité géographique du vin supposée par son terroir s’impose donc comme un argument très important de la diversité du vin face à cette crainte d’uniformisation. Il s’agit simplement de la mettre en valeur. C’est là toute la beauté d’un produit 100% made in France.
François Philipponnat – Wine Not ?

[1]  http://lexpansion.lexpress.fr/economie/les-plus-gros-buveurs-de-vin-du-monde-sont_287321.html

[2] Source : France Agrimer

[3] http://www.leparisien.fr/flash-actualite-culture/vins-et-spiritueux-made-in-france-nouveau-record-des-exportations-en-2012-14-02-2013-2567575.php

[4] http://www.reussir-vigne.com/actualites/communication-jouer-la-carte-du-made-in-france&fldSearch=:GP0H055C.html

 

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Société

Le Made in France façon FastNCurious

 
En Janvier dernier, FastNCurious s’intéressait aux Revenants, dans le cadre de sa nouvelle rubrique, les « Dossiers ». Nous avions vu dans quelle mesure Canal+ et Haut & Court façonnaient un modèle de série française. Cela ouvrait la voie à un sujet plus large sur les productions made in France. Ce mois-ci, nous vous proposons notre second dossier qui vient prolonger cette réflexion et nous nous intéresserons donc au Made in France dans son ensemble.
Le made in France a, avant tout, une définition juridique. C’est une appellation, un label, sur l’origine d’un produit. A son origine, il ne désigne rien d’autre qu’une étiquette « fabriqué en France ». L’appellation se positionne en effet par rapport au bien connu made in China. Elle marque donc le retour au local, la réponse à la mondialisation. Elle serait un réflexe identitaire, une mise en avant de la culture française comme unique et solide. Mais cette définition est partielle. En effet, ce label a rapidement pris une toute autre envergure.
A priori, le made in France est culturel. Uniquement et sincèrement culturel ? Non. C’est avant tout un objet de communication. Communication politique, médiatique, marketing. Il est objet politique car, revêtu d’une apparence culturelle, il offre une belle légitimation à un discours communautariste. Peur de l’autre, peur de la mondialisation, peur de la consommation débridée, auxquelles répond le made in France et son aspect communautaire, équitable, sain, authentique. L’appropriation politique du sujet, par la droite comme la gauche, montre bien à quel point il est dépendant de discours et d‘un contexte ou d‘une atmosphère politique et sociale particulière. Le Slip Français au moment des débats sur l’identité nationale aurait eu une toute autre saveur.
Puisqu’il s’agit de mettre avant tout l’authenticité en exergue, celle-ci désigne un objet dont l’origine et l’auteur sont certifiés, et dont la réalité et la sincérité sont incontestables. Ce sont donc des valeurs de transparence, d’exactitude, de pureté et de véracité qui sont ici à l’œuvre. Mais dans ce contexte complexe des problématiques de traçabilités et de repli sur soi, la culture fait aussi partie intégrante du soft power. Le made in France serait alors un moyen d’affirmer la place du pays sur l’échiquier mondial, un outil. C’est en tout cas ce qu’ont compris les politiques ou les marketeurs qui tentent de l’imposer sur le marché global, mais aussi sur le marché intérieur. Paradoxalement, les premiers à convaincre de la sincérité du sujet, sont bien les français eux-mêmes.
On se demande alors comment le made in France peut garder son aspect authentique alors qu’il fait aussi l’objet d’une construction communicationnelle, médiatique et politique. D’autant plus que la conception que les Français ont de la culture suppose qu’elle ne doit pas être souillée. On nous vend un label spontané et authentique, mais n’est-il pas une construction, une œuvre de communication ?
Pour répondre à ce paradoxe, nous avons décidé de faire appel aux associations du CELSA et à quelques rédacteurs. Contrairement aux Revenants, nous avons fait le choix de nous intéresser à différents objets, tout en traitant la question du made in France de manière transversale. Lundi, Wine Not nous présentera les particularités du vin français et Com’ des Chefs traitera des délices de la gastronomie française. Mardi, nous analyserons la stratégie du Slip Français, emblème du made in France. Mercredi, la French touch sera à l’honneur avec le Gorille, Jeudi nous verrons en détail les enjeux qui se cachent derrière le nouveau moteur de recherche Qwant. Vendredi, nous laisserons la parole à Sybille Rousselot, Alice Nieto, Pauline Saint Macary, Marine Miquet et Alicia Poirier N’Diaye qui ont travaillé sur le Made in France dans le cadre de leur travail d’initiation à la recherche de L3.  Pour terminer en beauté nous vous réservons une invité de marque qui portera un regard original et plus global sur la question.
Camille Sohier et Arthur Guillôme