Société

Jacques a dit : tweetez !

 
Mardi 23 Octobre avait lieu la « soirée Bref » au Grand Rex. Le rendez-vous était donné pour suivre en direct la soirée à 20h précises sur le site de Canal +. Et pourtant, cinq minutes, 10 minutes passent et toujours rien. Enfin, pas vraiment. Pendant une demi heure étaient affichés sur l’écran de la salle de cinéma et sur nos petits écrans d’ordinateur des tweets envoyés par les spectateurs, après avoir été soigneusement sélectionnés.
Vous pensez sûrement : rien d’étonnant. Désormais Twitter a gagné sa place dans les médias, si bien qu’il paraît naturel de commenter en temps et en heure ce que vous voyez. Ce n’était pourtant pas gagné au départ, comme toujours la France est en retard sur ce point. En 2011, il est déjà fréquent de voir des émissions étrangères intégrer l’oiseau bleu, comme aux Etats Unis ou au Canada. En France, le CSA a établi des règles très strictes. Il est interdit de publier le nom de Facebook ou de Twitter. Les chaînes de télévision doivent être prudentes, d’où la prolifération uniquement des « hashtags » dans les émissions les plus populaires et interactives. Mais la contamination des médias français par Twitter devient davantage visible depuis peu. Les deux émissions C dans l’air (France 5) et Mots croisés (France 2) tournent déjà autour des commentaires Internet. Mais avec avec Danse avec les stars 2012 (TF1), les tweets font partie intégrante du scénario et l’arrivée de la chaîne D8 devrait changer la donne. On voit aussi avec Canal + que les sites Internet des chaînes font librement siffler l’oiseau bleu. On ne patiente pas seulement en Tweets pendant « la soirée Bref », sur leur page d’accueil Internet, on peut apercevoir une sélection de tweets humoristiques commentant l’émission du Grand Journal. Et c’est sans compter leur rubrique spéciale « tweets en clair ». Twitter contamine aussi bien le média télévision que son prolongement dans la sphère Internet.
En fait, cette prolifération de Twitter pourrait bien être le symptôme d’une contagion plus générale, celle de la « logique du commentaire » qui prend de plus en plus de place dans le processus de production d’un média. Désormais, pour qu’un programme fonctionne, pour qu’il soit regardé, il faut qu’il soit commenté. Plus un lancement d’émission de télévision qui ne s’appuie sur un dispositif social TV, généralement assuré par Twitter. Il est maintenant impensable de créer une émission sans compte Twitter afin de partager des informations exclusives, des photos, etc. Le but étant de fidéliser les spectateurs et de compter sur le bouche à oreille digital. Il faut dire que l’enjeu est de taille : la France compte 7 millions de twittos, tous susceptibles de relayer des informations précieuses.
L’apparition des tweets sur les écrans n’est que la partie émergente du « phénomène commentaire ». Prenez Secret Story. Tout ce qui est passé à la télévision est sélectionné à des fins de commentaires : les « engueulades », les coups de blues des candidats. Que le spectateur soit content ou non, il est un spectateur. C’est bien avec l’apparition du Loft sur les écrans en 2001 que s’est terminée l’ère de la « télévision uniquement pour plaire aux Français ». Dorénavant, il faut faire le buzz.
Il faut savoir qu’aujourd’hui, le fait qu’une émission soit relayée sur Internet intéresse de plus en plus les annonceurs. Il est plus alléchant pour eux d’être associé à un « programme qui fait le buzz ». Evidemment, cela leur permet une plus grande visibilité. On peut alors comprendre pourquoi la télévision, en mal de ressources financières, chercher à incorporer Twitter. Ce dernier participerait à la légitimation des programmes au près des annonceurs. De son côté, selon son PDG Dick Costolo, le site a pour principaux objectifs de soutenir la croissance de ses utilisateurs et d’encourager l’activité des ses usagers. Deux objectifs particulièrement bien servis par l’apparition et le développement de tweets à la télévision. La « logique du commentaire » est donc bien aussi le fait d’une rencontre entre deux intérêts économiques compatibles. Le buzz fait vendre.
À un nouveau modèle économique correspond un nouveau spectateur. Ce dernier semblerait de plus en plus attiré par l’interactivité croissante des émissions. Désormais, il s’agit d’être celui sélectionné pour que son tweet passe à la télévision. Peut-être cela répond-il à un besoin de « devenir quelqu’un », ou en tout cas, un spectateur particulier parmi la masse.
Reste à savoir lequel des deux est dépendant de l’autre ? A priori Twitter ne ferait pas le poids avec ses quelques millions de comptes contre les dizaines de milliers de spectateurs quotidiens de la télévision. Mais dorénavant, une émission télé ne se fait plus sans Twitter. Les twittos, leaders d’opinion, ont une influence certaine.
 
Camille Sohier
 

Société

Sécuriser des courants d'air

 
S’il y a bien une chose dont internet ne s’accommode pas, c’est la sécurité ; en témoigne la récente vague d’indignations qui a agité les médias et les internautes concernant une hypothétique fuite de messages privés dans les fils d’actualité – publics – des utilisateurs de Facebook. En témoigne également cette étude menée par Havas Media sur les « Déconnectés 2.0 », selon laquelle 35 % des internautes considèreraient « l’insuffisance de la protection des données personnelles comme un frein à l’utilisation d’internet ».
De fait, un internaute est chaque jour confronté à une inscription qui requiert le saint des saints, le sésame : la combinaison identifiant/mot de passe. Passons sur le fait que le protocole utilisé dans la majorité des cas pour encrypter ces données – pour le moins sensibles – soit obsolète depuis sept à huit ans, mettons également de côté le fait que beaucoup de sites web stockent aujourd’hui les identifiants et mots de passe de leurs utilisateurs sans chiffrement aucun.
Restent alors des utilisateurs dont le réflexe demeure d’utiliser des identifiants simples et, pis que tout, d’utiliser les mêmes quels que soit le site en question : c’est alors autant de dominos, un maillon donnant accès à toute la chaîne. Pour exemple, en mai 2012, un jeune américain dénommé Chris Chaney a piraté des dizaines de boîtes mails de stars hollywoodiennes. Sa technique ? Celle d’un hacker ultra-brillant, doté de connaissances pointues dans les systèmes d’information ? Loin s’en faut. Il lui a suffi d’une unique adresse mail, et d’en retrouver le code grâce aux fameuses questions secrètes (dont les réponses se trouvent dans n’importe quel magazine people…) : il a paramétré le compte pour recevoir automatiquement tous les messages qui y étaient émis ou reçus, et a pu accéder à un répertoire complet d’autres comptes où s’infiltrer.
Mais, à la source, le premier problème est la confiance que l’on octroie à ces services en ligne : une start-up dérisoire pourrait trouver alléchant de vendre son carnet d’adresse pour renflouer ses caisses. Et quant aux mastodontes, tels que l’IEEE, les multiples scandales sur la fuite d’identifiants ne sont pas pour nous rassurer.
Au petit jeu de la sécurité sur internet, Macintosh a longtemps fait figure d’exception : pas de virus, pas d’infection, une sécurité optimale. On lui a volontiers opposé les déboires de Windows, perclus de virus.
Mais à l’heure où le Mac représente près de 12 % des ordinateurs et où l’iPhone représente 17 % des smartphones dans le monde, les attaques se multiplient contre le système d’Apple. Et là où Microsoft a acquis un savoir-faire et une expertise dans le domaine, Apple se trouve démuni, tant sur la plan technique que sur celui de la communication.
C’est en effet l’un de ses arguments-phares qui s’effondre, et la réaction de la première valorisation boursière au monde n’est pas pour accroître sa crédibilité : après la découverte du virus Flashback infectant 600 000 ordinateurs, il a fallu plus d’un mois à la firme pour proposer un correctif. Plusieurs éditeurs d’antivirus l’avaient devancé, de deux semaines pour le plus réactif.
Mais les acteurs de l’internet et des nouvelles technologies savent à quoi s’en tenir : rares sont ceux qui s’aventurent à communiquer sur la sécurité qu’ils proposent. Un exemple parlant ? La page d’accueil du Cloud (service de stockage en ligne) de Google, « Google Drive », vante l’accessibilité du service, la possibilité de partager ce que l’on y stocke, l’espace disponible, la facilité de collaboration autour d’un document…  Un absent, vous dites ? En effet, quid de la protection des documents ainsi mis en ligne ? Ne cherchez plus : le nom « Google » passe pour être une caution suffisante dans ce domaine. Pour être tout à fait honnête, Google aborde bien la question de la sécurité, avec cet argument : si votre ordinateur vient à imploser, pas de panique, tout est en ligne. Voilà tout. Rappelons qu’il n’a fallu que quelques heures au FBI pour saisir les serveurs de Megaupload (et donc leur contenu).
Le premier des risques aujourd’hui est la banalisation : l’illusion de sécurité diminue la vigilance des internautes, rentrer un mot de passe et un identifiant (couramment identiques pour plusieurs services) suffit souvent à nous faire croire que l’on possède l’unique clef d’une porte infranchissable ; sans penser une seconde à ceux qui s’introduisent par la porte de derrière, et sans s’imaginer que le propriétaire pourrait être demain celui qui ouvrira grand les fenêtres. Ajoutons que la multiplication des achats sur internet, donc la diffusion des données bancaires, tend à rendre la fuite de données personnelles nettement plus rentable. Enfin, on soulignera qu’a contrario, et à défaut d’éduquer les utilisateurs, une société comme Amazon ne manque pas d’ingéniosité pour s’assurer un contrôle total et sans partage sur ses livres électroniques, au point de pouvoir les effacer sur votre liseuse, et ce sans vous en avertir. Deux poids, deux mesures ?
 
Oscar Dassetto

 

Société

Google, ce grand méchant

 
Les fondements de l’affaire
 
Il est indéniable qu’aujourd’hui la presse française traverse une crise sans précédent. Le développement d’Internet et de la presse gratuite sont autant de facteurs explicatifs de la diminution du nombre de ventes des quotidiens(1). Le modèle économique de la presse tente tant bien que mal de s’adapter aux nouvelles exigences.
En 2010, le chiffre d’affaires publicitaire de la presse en ligne est estimé à 250 millions d’euros. Google, lui, annonce avoir gagné 1,2 milliard d’euros, uniquement en France. La presse française s’insurge : un tel bénéfice proviendrait de la publicité située dans l’onglet « actualités » du premier moteur de recherche mondial. On lui reproche de gagner de l’argent sur le dos d’une presse française en perte de financement. En effet, Google envoie les internautes directement vers l’actualité recherchée. Les publicités situées sur la page d’accueil des journaux, celles qui sont les plus rentables, sont de ce fait évitées.
L’Association de la presse d’Information Politique et Générale (IPG) regroupe les journaux les plus touchés par ce problème de référencement. S’inspirant d’une initiative allemande, l’IPG a émis un projet  de loi qui pousserait Google à reverser une grande partie de ses bénéfices à la presse française.
Mais les choses prennent vite une ampleur politique lorsque le gouvernement déclare vouloir prendre le projet en considération.
 

Un rapport de force inédit
 
Jusqu’ici les différends entre Géants d’Internet et Gouvernements s’étaient réglés en faveur de ces derniers. A l’instar de l’Union Européenne qui avait fait pression sur Facebook à cause de la protection des données personnelles.
Or, dans ce conflit économique et politique, Google refuse le consensus. La société californienne – dont le slogan est  don’t be evil  (Ne soyez pas malveillant)- menace tout simplement de désindexer l’ensemble de la presse française de son onglet « Actualités ».  Le moteur de recherche légitime sa posture au nom de la liberté d’Internet et de l’accès libre à l’information.
Cette posture  ne profite pas à Google, pourtant dominant dans ce rapport de force. En effet, l’entreprise renvoie une très mauvaise image  en tenant tête à un gouvernement. Et cette posture négative s’ajoute à un déficit de notoriété déjà très largement entamé par diverses polémiques entre la compagnie américaine et les utilisateurs. Comme les différends à propos des problèmes de confidentialité(2).
Le Géant a su se rendre indispensable ne serait-ce que par le fait qu’il se soit développé parallèlement à la démocratisation des usages d’Internet. Désormais intégré aux navigateurs Internet, il  n’a pas besoin de campagnes publicitaires massives pour être omniprésent.  Par conséquent, Google ne fait parler de lui qu’à chaque fois qu’il est lié à une polémique. Ce qui a tendance à ternir fortement son image. Sa communication semble ainsi être réduite aux annonces émises pour répondre aux conflits qui le mettent en cause. La pente dans laquelle la société de la Silicon Valley s’engage est dangereuse : menacer de censurer la presse française, qu’elle puisse le faire ou non, pourrait avoir un impact extrêmement négatif sur sa réputation.
 

La réaction de Google augmente le déficit d’image des géants d’Internet
 
Nous pouvons voir qu’il y a eu un glissement du regard posé sur les géants d’Internet ces dernières années. Ils sont désormais en perte de légitimité. Ils ne sont plus vus comme participant à une certaine utopie d’Internet. Celle qui fut construite à coup d’idées et d’actions instaurant une impression de liberté totale pour l’internaute. Ils sont aujourd’hui vus avec suspicion, notamment à cause de leur politique de traitement des données personnelles.
Leur communication fondée sur leur omniprésence sur Internet et dans le monde physique  est largement contrecarrée par des scandales mettant à mal leur image de protecteurs d’Internet. Il est donc intéressant de voir que c’est justement ainsi que Google se présente lorsqu’il répond au projet de loi française. Une censure de la presse française devient la seule réponse possible face à l’établissement d’une loi d’ordre économique taxant le moteur de recherche. Ainsi, paradoxalement, en prônant une posture de défense de l’idéal d’accès gratuit à l’information, Google dégage l’idée contraire, bien malgré lui. Cette menace de censure est éloignée de la légitimité de la demande de la presse française.
Encore une fois, l’image du Géant est dégradée, car cela le place irrémédiablement dans le camp des méchants, ceux qui veulent justement prendre le contrôle d’Internet.
 

Arthur Guillôme

(1) Sur une base 100, la distribution annuelle de quotidiens payants a baissé de quinze points entre 2001 et 2011 (chiffres OJD).
(2) Problème central et majeur qui n’est pas encore réglé comme le montre le dernier rapport de la CNIL.

Sources :
OWNI
Télérama
Les Ecrans

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Société

Jacques a dit : les chaises sont comme Facebook

 
En ce moment, Jacques nous dit que  « Les chaises sont comme Facebook »
On admettra que sur le coup tout cela laisse un peu perplexe !
Cette précieuse information n’est autre que le message délivré par la toute première campagne publicitaire du célèbre réseau social. Elle a suscité beaucoup de réactions sur Internet mais pour ceux qui ne l’auraient pas encore remarqué, Facebook propose, depuis le 4 octobre dernier, de partager un très beau clip d’une minute et demi à la gloire des objets de tous les jours, des éléments qui nous lient : les sonnettes, les pistes de danse, le basketball…
« The things that connect us », c’est d’abord la représentation d’un monde paisible, où tout le monde s’aime et partage. Mais c’est surtout un message, et quel message ! Les chaises sont comme Facebook.
Audacieuse, ridicule, absurde, exagérée… la formule ne laisse pas indifférent.
En capitalisant sur le symbolisme, Facebook se réaffirme comme un partenaire du quotidien , fédérateur, créateur de lien et gardien de valeurs essentielles telles que  l’amitié, l’amour, la fraternité…  Souvenez-vous du slogan d’origine :
« Facebook vous permet de rester en contact avec les personnes qui comptent dans votre vie ».
Cette démarche inédite de l’entreprise américaine interroge sa place auprès du public. Aujourd’hui plus que jamais, celle-ci reste ambiguë. Entreprise ? Outil ? Réseau ? Média? L’hyperprésence du site Internet a tendance à masquer son identité ou du moins à la rendre floue.
Facebook, qui profite certainement de ces zones d’ombre, se trouve aujourd’hui à une étape décisive de son histoire. Cette campagne officielle semble définir le positionnement adopté par le média. Après une actualité mouvementée (une entrée en bourse décevante, des tentatives hasardeuses pour séduire les investisseurs et un scandale touchant au tabou de la confidentialité), la rentrée  est l’occasion de soigner image et cote de popularité.

Pour ce faire, la marque Facebook nous raconte des histoires.
Le réseau nous dit qu’il est un média sans dire qu’il est un média. Lorsque l’on regarde cette vidéo attentivement, on remarque rapidement une absence totale des dispositifs de communication modernes. Ordinateurs, mobiles, écrans sont proscrits. Le spot effectue une série de métaphores in absentia qui viennent minimiser la présence des NTIC mais sont tout autant de références aux media au sens premier du terme.  Le mot et le logo Facebook n’apparaissent respectivement qu’une seule fois.
Pendant longtemps, les concepts marketings ont seriné combien la répétition de la marque ou du produit avaient leur importance dans la publicité. Ici tout est dans la substitution. Cette vidéo ce n’est pas l’histoire du média Facebook, c’est une histoire des hommes et des objets. Presque à la manière d’un récit mythologique, elle nous raconte, nous explique pourquoi tous ces objets sont là, et dans quels maux universels ils trouvent leur origine :
« L’univers : il est vaste et sombre ce qui nous fait nous demander si nous sommes seuls. Alors peut-être que si nous construisons toutes ces choses c’est pour nous rappeler que nous ne le sommes pas. »
Pour qualifier la stratégie adoptée par le réseau : des histoires et non pas une.  Le storytelling n’est pas seulement au centre de ce clip ; il est au cœur de toute la stratégie de visibilité déployée par Facebook. En août 2012, le réseau social lançait www.facebookstories.com, une plateforme indépendante destinée à recueillir et diffuser les récits de personnes utilisant Facebook de manière extraordinaire. C’est à ce jour le seul site Internet – en dehors du réseau – où la marque communique sur elle-même.
Là encore, le propos est ambitieux. Un mot d’ordre : viralité.
Tout en masquant son hyperprésence, le réseau se présente comme un point de contact. Plus d’un milliard d’individus forment désormais l’immense constellation qu’est Facebook. La marque illustre cela par le néologisme « virality » ou la capacité de pouvoir toucher différemment les individus, immédiatement et en tout lieu :
« We’re tackling a phenomenon that dense network of connections creates: the ability for an idea, a song, a picture — anything — to spread nearly anywhere, nearly immediately ».
Jacques ne sait pas si les chaises sont comme Facebook. Mais une chose est sûre, le réseau veut s’imposer durablement comme un médiateur, le ciment qui unit les individus en dedans et, – comme l’illustre par exemple sa participation à la gay pride de San Francisco  – en dehors du média.
 
Esther Pondy

le cliché de Gérard Julien durant la manif Alliance Vita à Marseille
Société

Papa trouve un slogan, Maman fait la banderole…

 
Sur les réseaux sociaux et les journaux en ligne le débat est lancé. Ou plutôt que le débat, c’est la fustigation de manifestations qui fait rage.
Les militants et membres de l’association Alliance Vita, créée en 1993 par la célèbrissime Christine Boutin, particulièrement réputée pour ses prises de positions radicales sur des sujets allant de l’avortement au Pacs en passant par un avis expert sur les causes du 11 septembre, ont choisis de reprendre le titre d’une chanson du Soldat Rose pour illustrer leur revendications récentes. « Un papa, une maman : on ne ment pas aux enfants », un slogan explicite pour des revendications que nous n’allons pas ici remettre en cause. Essayons de nous limiter à porter un regard le plus objectif possible, sur le phénomène communicationnel lancé par les manifestants et sur les réseaux sociaux. Un échec, un bide et de l’autre côté du miroir un succès croissant auquel doivent faire face les militants contre le projet de loi du mariage pour tous initialement prévu pour novembre.
Des « mêlées symbolisant un œuf », selon l’organisation, ont été formées avant de s’ouvrir pour laisser sortir un jeune portant des ailes, sur lesquelles figuraient les mots « papa » et « maman ». Alors oui un effort créatif a été produit, dans 75 villes de France la chorégraphie a été reprise simultanément. Une mise en scène qui ne fait pas tout à fait l’unanimité, un homme en latex qui vacille entre un groupe rose (les mamans) et un groupe sombre, vert bouteille (les papas), un oiseau qui cherche à prendre son envol grâce aux soutien de son papa et de sa maman qui scandent à tour de rôle « papa, papa… », « maman, maman… » le tout sur fond de « Mamma mia » de Queen, et Abba. Une anecdote qui fait sourire. Et c’est précisément ce à quoi doivent faire face les anti-mariage et adoption pour tous, une reprise spontanée des marqueurs qu’ils souhaitaient mettre en jeu. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #unpapaunemaman n’a pas desservi bien longtemps la cause de l’association Alliance Vita, il est repris instantanément par leurs opposants et la plupart du temps c’est le second degré qui prime. Les internautes sympathisants de la cause gay et favorables au projet de loi du mariage pour tous, réutilisent le hashtag pour discréditer et tourner en ridicule leurs opposants. Une stratégie payante qui reste pourtant spontanée contrairement à l’initiative lancée par Alliance Vita. Retournement de situation, le sérieux et le ton grave voir alarmiste des militants contre la nouvelle loi se font baffer par les utilisateurs des réseaux sociaux.
Pour le plaisir, voici un tweet à titre d’exemple « à l’origine #unpapaunemaman devait être #UnPapaQuiCoucheAvecLaBonneUneMamanQuiBaiseLeProfDeTennis, mais c’était trop long ».
Il n’y a pas que ça qui déstabilise la stratégie de l’association. C’est au cœur même de leur mouvement que les manifestants ont été le plus déstabilisés. Pendant la manifestation scénarisée, à Marseille, deux jeunes filles de 17 et 19 ans se sont embrassées pendant de longues minutes afin de montrer le plus spontanément du monde, leur soutien à la cause gay, et de ce fait, leur opposition aux manifestants d’Alliance Vita. Le cliché pris par Gérard Julien, photographe de l’AFP, fait déjà le tour de l’Europe et du monde sur internet par le biais des réseau sociaux. La spontanéité des jeunes filles concorde avec les mouvements d’internautes sympathisants de la cause homosexuelle. Dés sa parution sur Tweeter, l’image est ré-expédiée plus de 2000 fois, sans compter les re-tweets… Un joli pied de nez à une organisation bien rodée, une manifestation numériquement très forte au départ, que quelques secondes savamment partagées par deux personnes auront suffi à déséquilibrer. Certains journalistes la comparent déjà à la photographie de Robert Doisneau, « Le Baiser de l’hôtel de ville ». Une symbolique puissante qui suscite l’émoi sur les réseau sociaux, et n’a pas fini de perturber les récalcitrants au mariage pour tous.
 
Margot F.
Vidéo bonus, Le Petit Journal du 24/10/2012
Sources :
Europe1.fr
Twitter
LeNouvelObs.fr
LePoint.fr
Crédits photo : © Gérard Julien / AFP
 

Société

Jacques se repose

 
« Halte à l’invasion publicitaire dans le métro ! ». On le sait, les affiches sont les publicités les plus agressives. Il est impossible de s’y soustraire…sauf en fermant les yeux. Or pour trouver son chemin dans les labyrinthes de la RATP, avoir des yeux attentifs et grands ouverts est conseillé !
Impossible de se soustraire à la publicité dans le métro. En effet celle-ci est omniprésente : les couloirs, les quais, les métros semblent tapissés d’affiches. Chaque station contient en moyenne 144 m²de ces panneaux publicitaires. Les Parisiens le savent bien, les panneaux de 3 sur 4 mètres font partie du paysage souterrain. Que l’on soit de l’autre côté du quai ou placé de biais, la publicité s’impose à nous. Le métro parisien détient ainsi le record de la surface publicitaire. Ce phénomène tend à prendre de l’ampleur avec le développement des panneaux lumineux.
« La pub me fatigue ». Nous, grands habitués du métro, ne faisons plus guère attention à ces pubs. Elles font désormais partie de notre quotidien. Le groupe des Reposeurs, en disant leur désaccord avec ce modèle publicitaire, nous donne l’occasion de réfléchir sur ces panneaux. Ce groupe antipub mobilise principalement des jeunes qui se sont réunis tous les jours à 18h du 13 au 26 octobre, devant la Sorbonne.
Leur but : Faire réagir la RATP pour une réduction de la surface publicitaire. Selon eux, des affiches de 50 cm sur 70 sont suffisantes. Il s’agit là des dimensions des affiches associatives. Ils expliquent, en effet, que cette taille laisse le choix au voyageur de s’arrêter pour en savoir plus. De cette façon, il cesserait d’être la victime des annonceurs. L’affichage publicitaire serait ainsi réduit à 8m² par station.
Leur moyen : L’utilisation massive de papiers repositionnables, ou de feuilles A4. Encore une fois, il faut laisser le choix au voyageur de s’approcher pour en savoir plus. Ces affichettes sont constituées de slogans et donnent l’adresse du site : une information minimale. Par leur moyen-même, qui n’est pas agressif, les Reposeurs manifestent leur désir de lutter contre le « matraquage publicitaire ».
Leurs résultats : 57% des Franciliens sont favorables à une réduction de la taille des panneaux publicitaires et à une réduction de leur nombre.
Tel est le résumé de leur action. Cependant, le même sondage montre que 52% des personnes interrogées percevaient les affiches comme « dignes d’intérêt », non pas comme des « agressions visuelles ». Les Reposeurs restent tout de même optimistes. Notons que la RATP n’a toujours pas réagi… Il semble que l’année prochaine, nous aurons droit à une autre campagne à base d’affichettes !
En somme, les Reposeurs développent une campagne sympathique, qui amène le voyageur à sortir de sa torpeur. Mais, il faut le dire, ils ne sont pas près d’obtenir gain de cause… Le développement des panneaux lumineux, certes moins grands en surface, accroit l’agression publicitaire dans les métros. Il semble en effet que nous soyons dans un processus d’innovation des formes publicitaires qui deviennent toujours plus agressives. Eh oui, il faut réveiller la cible pour qui les panneaux publicitaires deviennent partie intégrante du quotidien. Les yeux glissent sur ces surfaces colorées, s’y attardant de moins en moins. Les Reposeurs ont d’ailleurs été un élément perturbateur dans la douce monotonie de nos trajets en métro, nous sortant de nos habitudes… On peut alors s’interroger sur cet ultime renversement : les agents publicitaires devront-ils utiliser la même méthode que les Reposeurs, à savoir réveiller les passagers et attirer de nouveaux regards curieux ?
 
Clothilde Varenne
Sources :
Le rapport du CSA
Le site des Reposeurs
Crédits photo : ©Les Reposeurs
 

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Affiche des pigeons - mouvement de protestation des entrepreneurs contre la loi sur la fiscalité 2012
Société

Le roucoulement des pigeons : entre victimisation et légitimation

 
Nés le 28 septembre sur Facebook, les Pigeons, Mouvement de Défense des Entrepreneurs Français, n’ont eu besoin que de quelques jours, de quelques roucoulements médiatiques et de beaucoup de clics pour obtenir du gouvernement qu’il abandonne son projet de taxation de 60,5% des plus-values en cas de revente des parts d’une société. Le mouvement a été rapidement relayé dans la presse et sur le Web. Il a séduit début octobre 42 000 internautes sur Facebook et le hashtag #geonpi est passé en tête des plus utilisés en France sur Twitter, soulignant le succès médiatique de cette fronde 2.0. Une mobilisation rapide ainsi que de bons relais dans la presse (irrémédiablement liés) auront suffi à faire reculer le gouvernement.
La « Saison de la colère » ou la rhétorique légitimante
Malgré ce succès, on peut interroger la stratégie communicationnelle du mouvement, sur laquelle repose son envolée médiatique. Il semble que la rhétorique des pigeons était destinée à légitimer tant la révolte digitale de ses membres que leur rôle économique dans la société française. Cette fronde entrepreneuriale s’est déroulée dans une période de crise économique et sociale au cours de laquelle se sont déjà épanouis plusieurs mouvements sociaux tels Les Indignés. Leurs revendications, ainsi que la défense de leurs intérêts individuels (plus que collectifs…), restent donc solidaires de la tendance de l’époque. La reprise du slogan du mouvement Anonymous dans leur propre slogan, « We are Pigeons », participe également de cette recherche de légitimité, avec la volonté d’être identifiés à un mouvement de contestation.
Le plumage ne fait pas le pigeon
Mais la nature de cette rhétorique conserve une certaine ambivalence : pourquoi s’appeler les Pigeons, un terme qui, contrairement aux Indignés, n’a aucune connotation noble et citoyenne mais est associé à la naïveté et à la bêtise ? Choisir ce nominatif peut être compris comme une volonté de se défaire de toute fierté, que proclament les mouvements contestataires, pour jouer davantage sur l’humour et l’auto-dérision. Cette rhétorique est dans ce sens paradoxale : quand elle dévalorise, elle légitime. Son caractère subversif est très fort ici : la légitimation passe d’habitude par la dévalorisation de l’adversaire plutôt que de soi-même. La dévalorisation, qui aboutit dans ce contexte à une rhétorique de la victimisation, est destinée à légitimer les revendications des pigeons. La Présidente du Medef a évoqué dans un interview à L’Express le « racisme anti-entreprise » (bien qu’il n’y ait jamais eu ni diffamation, ni injure, ni discrimination), on parle dans la presse de « patrons-martyrs », ces entrepreneurs qui payent le coût de la crise économique pour les autres. Dans l’édition du Téléphone sonne consacrée au mouvement des Pigeons sur France Inter, on a pu entendre des termes comme « sanctionner », « fustigés », « condamnés ».

Le slogan « Ils ne se syndiquent pas. Ils ne manifestent pas. Ils ne menacent pas. Ils ne posent pas de bombes. Ils préfèrent créer de la richesse» (notez la belle allitération en « ss » du roucoulement du pigeon) témoigne bien de cette volonté de légitimer à la fois la révolte, dans les quatre premières phrases, et le rôle économique des entrepreneurs, dans une conclusion détachée visuellement et symboliquement des quatre négations. La rhétorique de légitimation devient ainsi un exercice de communication intimement lié à la reconnaissance d’une utilité sociale dans l’espace public. Les entrepreneurs souffrent en effet de la réputation qu’ils ont d’entretenir davantage une vision spéculative qu’une réelle volonté d’entrepreneuriat durable. Avec ce mouvement contestataire, les chefs d’entreprise ont eu l’occasion de démentir ces préjugés pour rappeler leur rôle majeur dans l’innovation et la création d’emplois en France. Les Pigeons se sont également défendus en invoquant la « réalité européenne », qui montre que l’imposition des plus-values en France (34,5% à la fin du quinquennat de Sarkozy) est une des plus élevées d’Europe et du monde (0% en Belgique et en Suisse, 26% en Allemagne, 22% en Angleterre). Jouer la carte européenne alors même que l’Union traverse une crise économique et politique qui remet en cause sa propre existence n’est pas inintéressant : dans ce mouvement fédérateur qu’insuffle l’Union Européenne, la comparaison avec la législation des autres pays membres donne une certaine légitimité aux revendications des Pigeons…ce qui donne en même temps une légitimité à la poursuite de la construction européenne !
En révisant son projet de loi, le gouvernement a reconnu la légitimité des revendications et la contribution à la richesse du pays du corps patronal français. Et quand Pierre Moscovici, Ministre des Finances et du Budget, déclare au JT de 20 heures de France 3 : « Il ne s’agit pas de reculer mais de bouger, quand ça va dans le bon sens et quand une revendication légitime s’exprime il faut l’entendre. C’est ce que nous avons fait. », il proclame et sacralise cette légitimité.
Du plomb dans l’aile
Mais celle ci pose plusieurs problèmes. Il semble étrange de constater que ce mouvement n’a pas été arrangé par les organisations patronales, comme le Medef par exemple. Cet intermédiaire lui aurait sans doute donné plus de légitimité que l’agence de communication digitale YOOPS, qui s’est chargée de la création du site « defensepigeons.org ». Cette forte mobilisation sur les réseaux sociaux qu’a suscitée le mouvement (72 282 internautes sur Facebook aujourd’hui) interroge alors la nature de cet engagement et donc sa légitimité : il semble plus facile de rassembler 72 000 personnes sur Facebook que dans la rue. Certes, Internet et la révolution numérique redonneraient le pouvoir de la démocratie directe aux citoyens internautes. Mais la possibilité d’un débat 2.0 annonce également l’appauvrissement de l’engagement citoyen, qui se réduit à quelques clics. A terme, cette “République des réseaux” serait un progrès quantitatif du débat démocratique mais sûrement pas qualitatif.
 
Margaux Le Joubioux
 
Sources :
Site du mouvement des Pigeons
Les entrepreneurs sont-ils à plaindre ? France Inter – Le téléphone sonne
Pourquoi est il si difficile de plumer le capital ? Du grain à moudre – France culture
La République des réseaux de J.Rognetta J.Jammot et F.Tardy.

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Société

Entrez dans le lab test de la tribu Bonobo !

 
Les bonobos sont des singes très proches de l’homme (98,7% de notre ADN en commun) plutôt pacifiques, joyeux et très affectueux. Bien sûr, la réalité scientifique est plus complexe que cette description naïve et sommaire, mais cette image a suffi au groupe Beaumanoir (Cache-Cache, Patrice Bréal, Scottage et Morgan/La City) pour faire naître en 2006 leur petite dernière : la marque Bonobo, diminutif de Bonobo Jeans.
Avoir un esprit positif et communautaire, voilà ce qui a guidé la création de la marque. A l’image du féminin BE qui a créé sa ruche avec des bees, Bonobo a créé sa tribu et développe l’imaginaire de ce terme sur son site et les réseaux sociaux. C’est une marque qui cherche à valoriser le respect et l’harmonie entre les hommes et leur environnement.
Pour faire simple, l’esprit de Bonobo ressemble à celui de Levi’s made in France.
Pour joindre l’action à la parole, ce magasin est lié à 3 fondations (pour les bonobos, pour les démunis, et pour l’environnement), et propose des vêtements issus de l’agriculture biologique (au même prix que les autres, sinon on connaît la chanson). Côté digital, la marque mène plusieurs jeux et concours Facebook, notamment avec La route du rock (festival d’été à Saint Malo) et Le Tremplin des Vieilles Charrues (scène découverte du festival des Vieilles Charrues), étant partenaire de l’évènement. Elle prend ainsi sa part de brand content essentiellement dans la musique. Cette dernière apaise les peuples et chante l’amour, c’est bien connu, et colle donc parfaitement aux valeurs que la marque veut faire passer.
Pourquoi est ce que je vous parle de tout ça finalement ?
Parce que la marque a ouvert tout récemment son premier flagship (nom à la mode dans les revues de presse pour dire simplement magasin) en plein de centre de Paris, rue de Turbigo.  Le bébé fait 300 m² et son design a été confié à l’agence 1D&CO, du groupe Nomen. «Ce flagship se veut différenciant, qualificatif. C’est aussi un lieu animé pour notre communauté de clients», explique Xavier Prudhomme, directeur marketing de Bonobo. Il ajoute également que «Ce magasin est un laboratoire qui nous permettra de faire des tests». Et forcément, ça m’a donné envie d’aller tester !
A l’entrée du magasin se trouve un arbre de 6 mètres de haut fait d’un mélange de bois et de denim, pour incarner à la fois la mode et l’engagement “éco-responsable” de la marque. Je mets ce terme entre guillemets car sur ses branches ont été disposés six grands écrans plats interactifs (et tout le monde sait que c’est biodégradable, bien sûr).
Le magasin est réparti sur 3 étages : enfants, femmes, et hommes ? Pas du tout. Le sous-sol est très fashionnement appelé le lounge : il se compose d’un bar, de canapés douillets  et de cabines. C’est un espace réservé aux relooking et aux opérations spéciales. Les deux étages suivants sont mixtes. Fini la séparation des genres : fille, garçon, quelle importance ?! Voilà comment Bonobo met fin à des décennies de shopping solitaire lorsque votre moitié ou votre ami est obligé de changer d’étage pour aller voir ce qui l’intéresse. Plus sérieusement, ça fait surtout du bien de voir les normes traditionnelles des magasins de prêt à porter changer un peu.
Concernant la décoration, l’ambiance tape dans le style industriel, c’est branchouille et fashion, donc pas de surprise. Là où ça commence à devenir intéressant, c’est quand on regarde les objets mis en place pour la déco. On trouve des objets liés au monde de la mode et du vêtement (une vieille machine à coudre Singer, des fers à repasser que nos grand-mères ont a peine connus) et cela parait tout fait naturel pour le lieu, mais il y a également beaucoup d’objets culturels : des livres, des magazines, des vinyles, des tournes disques et mon préféré : un minitel ! Objet vintage officiellement depuis peu (officieusement depuis pas mal d’années), et je n’avais jamais eu l’occasion de voir cet objet dans une fonction totalement autre que son utilisation première.
Enfin, cerise sur le gâteau, un écran tactile de 46 pouces est disponible au milieu du rez-de-chaussée pour aller voir des lookbooks ou se faire livrer, mais cet outil sert surtout à diffuser un maximum de contenu, comme le blog de la marque ou de la musique.
Conclusion, quand on voit toute cette mise en place on se dit que le brand content et les outils interactifs ne sont pas prêts de nous quitter !
 
Justine Brisson

Société

Rendez-nous Heidi !

 
Klum et consorts pourraient bien réintégrer les pages du magazine féminin allemand Brigitte, alors qu’elles avaient pourtant été déclarées persona non grata par la rédaction il y a maintenant trois ans, annonçant alors le règne tant attendu de la fille normale sur les couvertures de magazine. Un état de grâce qui n’aura pas duré…
Revanche de la girl next door sur la cover girl
Pourtant c’était une petite révolution qu’avait lancé Brigitte en systématisant le recours aux « femmes de la rue » pour remplacer tous les mannequins dans leur publication. Et on aurait pu croire à un succès phénoménal pour ce magazine qui était le premier à répondre a ce qui semblait être une demande de plus en plus pressante de la part du lectorat féminin. A l’époque, la rédactrice en chef du magazine déclarait que «Les leçons de style n’étaient plus l’apanage des designers. Tout comme les mannequins ne sont plus les seules à incarner l’idéal de la beauté. »
Depuis quelques années, un discours de plus en plus prégnant s’est développé pour dénoncer l’inadéquation totale entre ces « modèles » qui peuplent nos magazines et des lectrices en mal d’identification. Pis, si l’on a reproché pendant longtemps au top leurs mensurations de rêves, installant un sentiment de frustration mêlé à un soupçon d’envie bien connue chez la lectrice de féminins, le débat a pris une tournure plus essentielle quand les mannequins se sont faits de plus en plus décharnés, et que la dimension onirique a laissé place à celle, plus pragmatique, de la santé.
Bref, cette nouvelle politique éditoriale avait tous les ingrédients pour faire un hit ; l’éclectisme, la représentativité et le rêve réhabilité. Voilà pourquoi on aurait pu aisément prévoir un avenir radieux à ce féminin embrassant les préoccupations premières de ses lectrices et pour qui la force principale était d’être unique en son genre.
Au royaume de la demi-mesure, où le blabla est roi
Mais cela, c’était sans compter cette légendaire hypocrisie qui caractérise si souvent ce milieu. Car la girl next door allemande avait plus l’air normé que normal : chassez le naturel, il revient au galop et les plaintes des lectrices se sont multipliées en voyant des femmes aux mensurations proches des canons standards réinvestir leur chère Brigitte.
Ce cas n’est pas sans rappeler un autre exemple où la langue de bois est manifeste et qui pourrait quasiment constituer un sujet de mémoire tant elle s’inscrit dans un rapport particulier : les rondes et le féminin (entendre le magazine).
Car on en est presque à se demander de qui les rédacteurs se moquent, prétendant partout que les mentalités évoluent et que le milieu change, brandissant à envie leur –unique- numéro « Spécial Rondes » comme leur BA de l’année.
Et au grand Karl de se muer prophète…
Alors voilà, les ventes ont baissé, pas les coûts : car la fille normale c’est un peu un boulet pour le féminin : elle peine à poser (et oui, son manque de professionnalisme –prévisible- se paye cher), sans compter qu’elle n’a pas d’agent (et que le mannequin de rue, et bien, ça ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval) et résultat c’est Brigitte qui paye sa grande mansuétude et fait, finalement, machine arrière…
Finalement c’est Karl qu’on aurait dû écouter dès le début, car lui, l’échec de Brigitte, il l’avait prévu puisque selon lui : « Le corps « mode » aujourd’hui, c’est une silhouette faite au moule, d’une étroitesse incroyable, avec des bras et des jambes interminables, un cou très long et une très petite tête. Il ne faut pas avoir d’os trop larges. Il y a de choses qu’on ne peut pas raboter. ».
Si c’est ça la mode, alors … !
 
Marie Latirre

Société

Jacques a dit qu'il s'était fait prendre, lui aussi…

 
Eh oui, comme tout un chacun, Jacques a lu et vu pendant des jours les réactions concernant la une de Libération. Jacques s’est indigné ou a souri selon les cas, mais il ne pouvait pas y échapper : la vague médiatique a déferlé tel un cheval au galop, engloutissant pour un temps guerre en Syrie, crise de l’europe et incendie meurtrier à Saint Denis.
Le 10 Septembre, Libération présente en une la photo de Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, paraphée de la fameuse formule « Casse-toi riche con », déformation de la formule « Casse-toi pauvre con » prononcée par l’ancien Président de la République en 2008. A la source, une rumeur selon laquelle Mr Arnault souhaiterait se faire naturaliser belge afin d’échapper à la taxation à 75% des revenus supérieurs à 1 million d’euros, mesure prise par l’actuel Président.
Pas d’inquiétude, cet article ne prendra aucune part au débat qui divise politiques et médias sur le bien-fondé de cette une, les réactions des internautes ou la décision finale de Mr Arnault. L’intérêt est ailleurs, car en réponse à la décision du Président de LVMH d’attaquer le quotidien en justice, Libération a répondu par une autre une le lendemain, bien plus intéressante d’un point de vue sémiotique.
Au premier abord, rien d’étrange sur cette première page : une accroche polémique (qui reprend une fois encore une phrase de l’ex Président de la République), une photo en couleurs reprenant le sigle d’une grande marque de luxe, le logo habituel… Violet ?
Eh oui, violet. Le fameux logo rouge, identitaire du journal, ne se retrouve que sur la tranche comme pour dire « oui, c’est bien le bon journal, vous ne vous êtes pas trompé ». Interloqué, le lecteur saisit alors la première page, la tourne et que voit-il? Un procédé typique des journaux gratuits tels 20 Minutes ou Direct Matin, qui consiste à utiliser la première page comme support publicitaire de choix pour les annonceurs pour ne mettre la « vraie » une qu’en page 3. Typique de certains journaux, bien moins typique de Libération ! Même si le quotidien nous a habitué à des premières pages recherchées qui font partie de ses marques identitaires.
Ce système a permis plusieurs résultats positifs pour le quotidien. Il a d’abord attiré le regard sur le journal par le biais de la couleur du logo (reprenant la couleur du diamant qui surmonte la bague sur la photo), piquant la curiosité des lecteurs non initiés aussi bien que des abonnés. Cette couleur reste d’ailleurs la dominante dans les quatre pages publicitaires qui composent cette « fausse une », tandis que le rouge reprend sa place à partir de la « vraie une », en troisième page.
Voici donc un deuxième effet positif, car la « fausse une » a également permis au quotidien de réaliser trois pages pleines de publicité envers les enseignes du groupe LVMH, pour le plus grand plaisir des annonceurs mais aussi du service financier du journal. Quoi de plus attirant qu’un espace publicitaire inédit, qui attirera le regard des lecteurs, pour vendre les marques LVMH ? Une publicité tout aussi intéressante pour Libération, qui réalise un coup marketing tout en conservant sa position éditoriale d’opposition grâce à la phrase d’accroche. Cela montre aussi combien les journaux ont toujours été et sont encore aujourd’hui dépendants du bon vouloir des annonceurs pour survivre, et notamment du domaine du luxe qui est parmi les seuls en croissance malgré la crise.
Enfin, l’idée de « buzz » polémique suscité par la une de la veille est partiellement gardée même dans la une publicitaire par le biais de la photo, où l’on pourrait confondre le S avec le sigle dollar et le Y avec celui du yen, renvoyant encore une fois à l’argent de Bernard Arnault.
Cette double une en a certainement étonné plus d’un, en bien ou en mal, et a permis une jolie polémique sur les réseaux sociaux et la blogosphère. Vous vous êtes fait avoir? Eh bien Jacques aussi s’est laissé prendre…
 
Héloïse Hamard