Avec l’apatridie, Benetton renoue avec la stratégie de dénonciation
Benetton a dévoilé en Novembre #IBelong, une campagne de lutte contre l’apatridie associée au Haut Commissariat aux réfugiés. En effet, la campagne ne vend pas de vêtements mais un combat : la fin de l’apatridie d’ici 2024. Cette initiative n’est pas sans rappeler les autres combats menés par Benetton contre la faim dans le monde, les violences faites aux femmes, la guerre et autres formes d’injustice.
L’apatridie : bilan de la situation actuelle et stratégie de sensibilisation mise en place par Benetton
La convention de New-York de 1954 définit un apatride comme « une personne qu’aucun état ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ». Ainsi, on dénombre environ douze millions d’apatrides, privés entre autres, du droit de se marier, de déclarer leurs enfants ou d’avoir une sépulture. Face à cette situation, la marque a créé une carte interactive et mis en ligne une lettre ouverte pour donner une voix aux apatrides du monde entier. Elle cherche par ce biais à atteindre 10 millions de signatures, sachant que selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés dix ans seront nécessaires à l’éradication de l’apatridie.
La polémique au cœur de l’ADN communicationnel de la marque
Cette campagne renoue avec le côté polémique de Benetton, car elle ne met pas en scène ses créations mais véhicule un message politique.
Elle reprend ainsi, dans une certaine mesure l’ADN Benetton composé de visuels chocs et de messages plus polémiques et politiques que commerciaux. Ce qui nous amène à nous interroger sur l’histoire de la marque et les choix de communication qu’elle a privilégiés.
La maison Benetton naît des créations de Giuliana, sœur de Luciano Benetton, fondateur de la marque, dans les années 1950. Sa valeur ajoutée repose alors sur la riche gamme de couleurs des pulls (50 coloris).
C’est en 1982 que la multiracialité apparaît comme le fil rouge qui fera de Benetton une entreprise « provocante » avec le slogan : United Colors Of Benetton (créé en 1985 suite à la déclaration d’un responsable de l’UNESCO : « ce sont les United Colors ici ! ». D’abord défini comme un mix de couleur, le thème flirte rapidement avec le brassage des races. Cette même année voit le début de la longue collaboration entre Luciano Benetton et le photographe Oliviero Toscani. Sa politique est simple : « Un pull a deux manches, la laine est la laine. Le produit est plus ou moins le même. La différence est dans la communication ». Dès lors, le sexe, la religion, les races, et l’opposition entre la vie et la mort deviennent les thèmes de prédilection qui imprègneront la quasi-intégralité des campagnes.
En 1989, les vêtements disparaissent pour laisser place aux nombreuses injustices dénoncées par Benetton. On quitte la publicité pour aller vers le photoreportage en concentrant les campagnes autour de nouveaux enjeux de société: l’emploi (Unemployed of the year, 2012), la drogue, le sida (HIV positive, 1994), la guerre, le racisme (La femme noire et l’enfant blanc, 1989) en référence à l’esclavage). Visuellement, des photos coup de poing, très réalistes estampillées du logo Benetton sont soumises à la vue du public.
Engagement ou action symbolique : une stratégie ambivalente
Le but de cette stratégie semble clair : bouleverser l’opinion publique et développer une conscience citoyenne. Cependant, au-delà des dénonciations symboliques émises par la marque, Benetton ne s’engage dans aucune action concrète pour apporter une solution aux problèmes soulevés et les actions de la fondation Unhate demeurent purement symboliques (pétitions, lettres ouvertes).
De plus, ce choix polémique crée une division entre les autorités de la publicité et les professionnels du marketing. Condamnées par François d’Aubert, président de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité et certains franchisés Benetton, les campagnes sont pourtant saluées par la profession et ont remporté le Grand Prix de la publicité presse magazine et le Grand prix de la communication publicitaire en 1985 pour la campagne Eldorado.
Le shockvertising, élément clef de la communication Benetton
Au-delà des polémiques et débats soulevés, ces campagnes ne correspondent pas aux codes classiques de la publicité et se rapprochent davantage du « shockvertising ».
En effet, le produit n’est pas mis en valeur : il est éclipsé par le message de l’entreprise et souvent associé à un thème ou événement connotés négativement. De plus, le visuel ne fait pas « rêver » le consommateur car il est composé de photos ultra réalistes et la plupart du temps choquantes : un nouveau-né tout juste sorti du ventre de sa mère, une nonne embrassant un curé, un uniforme de guerre tâché de sang (Marinko Grago, 1994), ou encore la photo d’un mourant agonisant dans les bras de sa famille.
A nouveau, le message est plus politique que commercial et les clichés montrant une dure réalité déclenchent souvent des réactions de refus (de la part des franchisés) ou de censure (de la part du Vatican dans le cadre de la campagne mettant en scène le Pape Benoit embrassant l’Imam Ahmed el Tayyeb – 2011).
Benetton dans la mondialisation : une cartographie des controverses ?
Cette communication s’inscrirait plutôt dans l’actualité de la mondialisation : Benetton opèrerait alors une cartographie répertoriant les tabous du monde. A cet égard, on peut prendre un exemple frappant : la dernière campagne réalisée par Olivier Toscani : Regarde la mort en face en 2000. Cette campagne met en scène des prisonniers américains condamnés à mort dans le couloir de la mort. Sont indiqués entre autres le nom du détenu, son crime, le moyen de son exécution. Ces clichés polémiques scellent la fin de la saga Toscani car elles touchent à la peine de mort, sujet particulièrement sensible aux Etats-Unis. Une campagne d’autant plus controversée, que les directeurs des prisons visitées et les familles des prisonniers photographiés n’auraient pas été mis au courant du projet de campagne.
Malgré les polémiques soulevées par ces campagnes, la marque fait figure de précurseur dans la lutte contre les injustices et il est important de souligner que cette communication demeure un cas unique en son genre. Dans cette optique, comment ne pas s’interroger sur la signification que revêt le fait de porter un pull Benetton ? Ces vêtements sont-ils une tribune de récrimination contre les injustices du monde ou ne servent-ils qu’à renforcer la visibilité de cette marque dont l’engagement reste symbolique?
Clarisse de Petiville
Sources :
lesartsdecoratifs.fr
Lesechosdelafranchise.com
persee.fr
bigbrowser.blog.lemonde.fr
lentreprise.lexpress.fr
lexpress.fr
Crédits photo :
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benetton.over-blog.com