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Le smartphone peut-il rendre heureux ?

« Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. […] C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui se tuent et qui se pendent. »

Pascal, dans cet extrait des Pensées (1670), affirme une vérité qui rejoint le bon sens: le bonheur est la fin de toutes nos actions, peu importe le moyen. Qui, en effet, ne choisirait pas le bien-être face à la souffrance, quelle que soit la situation ?
Pour le philosophe, toutefois, seule la foi en Dieu permet d’atteindre un bonheur durable et véritable. Mais Pascal n’a vécu ni l’avènement du smartphone, ni la création de la psychologie positive. Or l’association de ces deux tendances apporte, à en croire certains, une solution pour tous à l’éternel problème de la quête du bonheur.

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Les médias nous tiennent en liesse !

 
« Partageons des ondes positives », signe TF1, illustrant la tendance actuelle des médias à l’injonction au bonheur. C’est dans cette même veine positiviste que s’inscrit le premier site d’information optimiste, IVOH. Serions-nous entrés dans l’ère d’un journalisme thérapeutique ? Quel bonheur nous a-t-on réservé ?

IVOH : le site d’information qui vous rendra heureux !
Déprimés par les médias qui ne vous transmettent que les mauvaises nouvelles ? IVOH, ou « Images and Voices of Hope », se propose de valoriser pour vous des histoires plus encourageantes. Ce site d’information optimiste promeut une nouvelle approche du journalisme, sous les traits du « récit réparateur ». Il ne s’agit pas de passer sous silence les évènements tragiques, mais d’en tirer ce qui peut être encourageant. IVOH veut ainsi permettre à ses journalistes de rester plus longtemps sur la scène d’un drame pour voir se dessiner la reconstruction. Ce n’est pas la perte de dizaines d’hommes qui est mise en lumière mais la rééducation d’un rescapé, de son opération à ses premiers pas. Ce site d’information tend donc à souligner l’espoir pour le partager avec son lectorat. Avec son financement participatif −ses créateurs font une levée de fonds depuis le 1er décembre−, le site d’information vise à fédérer autour de lui une communauté optimiste. Face à la promesse de lendemains qui chantent, il ne reste plus qu’à se demander si la presse a véritablement un devoir thérapeutique auprès de ses lecteurs…

L’avènement d’un journalisme thérapeutique
IVOH s’inscrit clairement dans une tendance médiatique d’injonction au bonheur. Les médias ont une très forte influence sur notre moral. Ainsi, Mallaury Tenore, la directrice du projet, souligne qu’il a été scientifiquement prouvé que l’information optimiste crée une société optimiste. Dans le même esprit, des chercheurs d’Harvard ont montré qu’être exposé en permanence à des informations négatives « augmenterait considérablement notre degré de stress, et nous pousserait à être plus anxieux au quotidien ». Si vous vous sentez mal, c’est donc en partie à cause de ce que vous lisez dans la presse ! Dans l’Euphorie perpétuelle, Pascal Bruckner souligne que nous autres, peuples occidentaux, sommes devenus « allergiques à la souffrance ». Le bonheur présenté par les médias serait en fait la catharsis de ce qu’a produit la société par rapport au besoin impératif de bonheur. Les médias montreraient les malheurs produits par la société, certes, mais cette exposition, passant toujours par le prisme médiatique resterait éloignée du foyer à partir duquel on regarde ce malheur. Par ailleurs, celui-ci ne dure jamais bien longtemps puisqu’il est toujours remplacé par le bonheur.
Tu seras heureux, petit homme !
Le bonheur est partout, il envahit les ondes et nos écrans. Dans la société du spectacle dépeinte par Guy Debord où nous évoluons dans une perpétuelle représentation, le bonheur se dit et se montre, plus peut-être qu’il ne se vit. Le bonheur n’est plus un droit mais un devoir tyrannique, qui montre du doigt les inaptes. Au sein de cette « dictature du bonheur », les médias sont à la fois relais et émetteurs de la liesse générale. Parler de bonheur, d’une part, c’est s’assurer une audience confortable. On voit ainsi déferler d’innombrables émissions mettant en scène un bonheur mièvre, où, lorsqu’on est face à une situation critique (le petit Jason a mis ses pieds sur la table), la télévision s’impose en sauveuse (Super Nanny s’en va remettre le garnement sur le droit chemin à coup de froncements de sourcils !). Les émissions de télé-coaching comme Relooking de l’extrême, Un nouveau look pour une nouvelle vie, ou encore Pascal, le Grand Frère pour n’en citer que trois, permettent aux chaînes qui les diffusent de se montrer sous un jour positif, de faire preuve de leur pouvoir d’agir au sein de la société. Des chaînes telles que TF1 ou M6 ont ainsi basé leur identité sur leur capacité (discutable, cela va de soi) à « faire le bonheur » de leurs téléspectateurs sans cesse convoqués.

La campagne de publicité de TF1, « Partageons des ondes positives », lancée en avril 2014
D’autre part, les médias sont inséparables de la publicité, qui entoure les articles et les journaux télévisés, influençant ainsi notre réception de ceux-ci. Or on ne compte plus les allusions des publicités au bonheur. Entre « Ouvre un Coca Cola, ouvre du bonheur » et « Bien manger, c’est le début du bonheur », cette notion est aujourd’hui entièrement traversée par une logique capitaliste.

De l’idéal philosophique au Post-it mièvre : un bonheur en déliquescence ?
Loin de la philosophie antique, de l’idéal démocratique prôné par Saint-Just après la révolution française ou encore du bonheur entier pour lequel Antigone est prête à mourir, notre vision du bonheur n’a plus rien de stable ou de définitif. Il prend souvent la forme d’un bien périssable, ou il s’est dégradé en ce petit bonheur à atteindre en trois minutes, déclinable sous forme de Post-it à coller sur son frigo ou de recettes à appliquer au saut du lit. Issue des Etats-Unis, cette psychologie positive argue que le bonheur ne dépend que de nous. Aujourd’hui, le bonheur se travaille avec un coach d’épanouissement personnel ou avec une thérapie de groupe. Il suffit par ailleurs de pénétrer dans une librairie pour remarquer l’amoncellement aux couleurs pastel des guides de bonheurs aux titres évocateurs : 3 kifs par jour, Choisissez le bonheur, Le goût du bonheur, La thérapie du bonheur, Objectif bonheur, Dictionnaire du bonheur, La vie en rose, mode d’emploi, etc. Voilà, vous cherchiez le bonheur ? Pas la peine, il est dans votre tartine beurrée du matin !
C’est donc bien à l’heure d’une injonction généralisée à un petit bonheur malléable et marchand que le journalisme thérapeutique prend racine.
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
Télérama, n° 3387, du 13 au 19 décembre 2014 : « Sois heureux et tais-toi ! »
lesinrocks.com
Virginie Spies, Télévision, presse people: Les marchands de bonheur
Pascal Bruckner, L’Euphorie perpétuelle, essai sur le devoir de bonheur
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