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La cancel culture, entre liberté d’expression et non-communication

À la fois mouvement de révolte digital et débat philosophique, la cancel culture est sûrement l’un des sujets qui divise le plus l’opinion publique dans le monde entier. À moins d’une semaine du débat annuel des M2 médias & numérique du Celsa au sujet de cette nouvelle culture de la dénonciation, FastNCurious vient éclaircir une pratique paradoxale qui mêle libération de la parole et non-communication. 
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Who run the Internet ? Girls !

En ce mois de novembre 2017, le harcèlement sexuel est encore plus que jamais présent dans nos sociétés. Qu’il se manifeste au travail, à la fac, dans les transports en commun ou encore dans la rue, les femmes y sont chaque jour confrontées.

 #BalanceTonPorc

Depuis quelques semaines, l’affaire du producteur Hollywoodien Harvey Weinstein enflamme les communautés d’internautes. Les répercussions sont telles qu’il est quasiment impossible aujourd’hui d’éviter cette abondance de tweets accompagnés du hashatg #BalanceTonPorc. Cet hashtag a été lancé le 13 octobre dernier par Sandra Muller, fondatrice et directrice de la rédaction de « La lettre de l’audiovisuel », un média à destination des professionnels des médias et des instances dirigeantes. Le but de l’initiative de la journaliste ? Inviter toutes les femmes à prendre la parole sur le sujet. En résultent alors des dénonciations en cascade, comme l’illustre le cas de la militante du PCF Julia Castanier, à l’origine de ce tweet : « J’avais 25 ans et j’étais attachée parlementaire. En allant vers l’hémicycle, @jeanlassalle m’a mis une main aux fesses. #balancetonporc ». Sa révélation a par la suite poussé d’autres femmes à dénoncer à leur tour le député.

Quand les réseaux sociaux deviennent une arme
Les réseaux sociaux jouent bel et bien un rôle important dans cet éveil de la parole des victimes. En août 2012, la communauté « Paye Ta Schnek » faisait son apparition sur Facebook. Son objectif, « lutter contre le harcèlement sexiste que subissent les femmes de tous genres, de la part d’hommes ». La page s’attèle à publier des remarques sexistes entendues ici et là ainsi que des témoignages de victimes, afin de dénoncer l’omniprésence du harcèlement au quotidien.

 

 
Sur Instagram également, le 29 août dernier Noa Jansma, une étudiante néerlandaise, donnait naissance au compte @dearcatcallers. Ce « projet d’art » comme elle-même l’a présenté, avait pour objectif de montrer à tous ceux qui n’en auraient pas encore conscience, la fréquence du harcèlement de rue dans la vie quotidienne d’une femme. Pendant un mois, elle a publié 22 selfies pris avec chaque homme l’interpellant dans la rue à coups de remarques obscènes et autres insultes déplacées. Il s’agissait pour elle, comme elle l’explique dans une interview pour Konbini, d’utiliser le selfie comme une arme lui permettant ainsi « d’entrer dans l’intimité » de ces hommes de la même manière qu’eux le font lorsqu’ils interpellent les femmes dans la rue.

Des plateformes de libération de la parole : vers une justice citoyenne des réseaux sociaux ?

Ainsi, sur Twitter, Facebook ou encore Instagram, les femmes profitent de la visibilité et de la liberté offerte par les réseaux pour enfin s’exprimer sur les violences subies quotidiennement. Ce phénomène de dénonciation par le biais des réseaux sociaux offre donc à ces derniers un nouveau statut : ils deviennent de véritables plateformes de libération de la parole. Mais le réseau social est-il le lieu adéquat pour dénoncer le harcèlement ? La question fait amplement débat. Éric Naullau, invité sur Europe 1 le 17 octobre dernier, affirme que la solution ne réside pas dans « un réseau social basé sur la délation, cela passe par la loi ».
Nous sommes donc face à une tentative de la part des femmes du monde entier de gérer le harcèlement en renversant le rapport de force à l’aide des réseaux sociaux. Cette nouvelle forme d’activisme pourrait être qualifiée de « médiactivisme », un terme initié par Dominique Cardon et Fabien Granjon dans leur ouvrage Médiactivistes paru en 2010. Nous entrons en effet dans une ère au sein de laquelle, grâce aux réseaux sociaux, chaque utilisateur peut désormais réagir librement et individuellement à une cause qui lui tient à cœur. Pour reprendre les dires des deux auteurs : « les collectifs d’internet se définissent moins par des valeurs partagées que par des engagements circonstanciés »
Dans l’article de Mediapart « Manifeste pour un journalisme citoyen » publié le 14 octobre dernier, François Serrano déclarait de la même façon à propos des réseaux sociaux : « Absolument tout citoyen ayant une conscience sociale et la volonté de s’exprimer a toute la légitimité pour assumer la responsabilité d’informer ses concitoyens, avec ses propres mots, sur des sujets qu’il connaît. » Le journaliste introduisait ici l’idée d’une nouvelle forme de journalisme permise par l’émergence des réseaux sociaux, qu’il qualifie de journalisme citoyen.

Les réseaux sociaux offrent ainsi un nouveau visage à l’information et au militantisme, et la dénonciation du harcèlement qui sévit actuellement en est le parfait exemple. Dès lors, ne pourrions-nous pas pousser la réflexion en parlant à notre tour d’une nouvelle forme de justice permise elle aussi par les réseaux sociaux ? Ne pourrions-nous pas là employer le terme de justice citoyenne ? Le débat reste ouvert.
Pauline Gosalbez
Twitter @p_gosalbez
Crédit image :
Photo de couverture : Vasava Design & Branding agency
Photo 1 : Issue du compte Twitter de Julia Castanier
Photo 2: Page Facebook de la communauté Paye Ta Schnek
Photo 3:  Compte Instagram @dearcatcallers
Sources :
Lauren Morello, « Science and sexism : In the eye of the Twitterstorm ». Nature, international weekly journal of science. 11 Novembre 2015. Consulté le 18/10/2017. 
Interview de Noa Jansma (@dearcatcallers) par Konbini mise en ligne et consultée le 22 Octobre 2017.

Interview de Éric Naullau & Éric Zemmour sur Europe 1 diffusée le 17 Octobre, vidéo consultée le 18 Octobre 2017. 
Pierre Le Coz. Le Gouvernement des émotions… et l’art de déjouer les manipulations. Armand Colin. 2014. EAN13 : 9782226256997. 
Dominique Cardon et Fabien Granjou. Médiactivistes. PFNSP Collection ‘Contester’. 2010. ISBN : 9782724611687.
François Serrano. « Manifeste pour un journalisme citoyen ». Mediapart. 14 Octobre 2017. Consulté le 18/10/2017. 

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Les Fast

Le ridicule : arme fatale contre le sexisme ?

 

A l’occasion de la journée mondiale de l’égalité salariale du 18 mars, l’agence Mortierbrigade a réalisé deux vidéos « ridicules » pour le compte du parti politique belge Zij-kant. Dans la lignée des Femmes Socialistes, ce parti souhaitait sensibiliser le public à propos d’une réalité peu reluisante : en moyenne, les femmes belges gagnent 21% de moins que les hommes.
La campagne s’appuie sur des clichés aberrants, non pas sexistes mais racistes ou intolérants de manière générale. Le point central de cette campagne est en effet de dénoncer le « ridicule » par la comparaison. La démonstration se veut simple : on met en scène à l’écran un cliché grotesque avec une voix off complaisante pour expliciter les choses. Rires ou malaise – du moins on l’espère, le spectateur constate le ridicule de la chose. La première vidéo reprend des clichés racistes tels que « les noirs ne savent pas conduire », « les noirs sont fainéants » tandis que la deuxième s’en prend aux personnes obèses, avec toujours pour conclusion de la voix off : « et c’est pour ça qu’ils devraient être moins payés. »
Apparait alors le message final : « Ridicule ? Pas plus que de payer les femmes 21% de moins que les hommes. »

Ridicule VS Choc ?
Le ressort du ridicule est de rendre risible une personne ou une situation et, à ce titre, ces deux courtes vidéos sont efficaces. Pour autant, le ridicule n’est pas choquant, contrairement aux usages courants de « Vidéos Choc anti X » de campagnes de sensibilisation qui ont recours à cette méthode dans le but de faire réagir toujours plus de monde. C’est là un bon moyen de faire le buzz et de créer une communication virale autour du message que l’on a à faire passer via les réseaux sociaux. Tant que le but reste de sensibiliser l’opinion publique à un enjeu important, le choquant peut aller loin. Nous pouvons penser par exemple à la très dérangeante et donc assez efficace vidéo 14 millions de cris, avec notamment Alexandre Astier et Julie Gayet en acteurs principaux, contre le mariage forcé de jeunes enfants.
Ceci nous amène à interroger l’impact de ces deux vidéos sur la perception de l’écart salarial hommes-femmes, mais aussi à questionner la banalisation des contenus « choc » des campagnes de sensibilisation. Les clichés exposés à l’écran font sourire ou provoquent tout au plus un sévère froncement de sourcil. Il semble que la réaction provoquée chez le spectateur ne soit pas l’indignation souhaitée à la hauteur de l’injustice dénoncée. Mais aborder le plafond de verre et trouver des solutions concrètes est difficile tant que l’ampleur de la situation n’est pas révélée au grand public. On observe justement un mouvement de protestation contre ces inégalités dont on ne peut que louer la démarche. Néanmoins, l’impact apparaît faible tant l’aspect « ridicule » et comique prend le pas sur l’indignation. A titre de comparaison, la précédente vidéo de Mortierbrigade sur ce sujet a rencontré un franc succès et jouait davantage sur l’aspect « choc » pour faire passer le message.

Une question demeure alors : avons-nous absolument besoin d’images « CHOC !» pour réveiller notre conscience et nous engager dans la lutte contre les inégalités ?
 
Rimond Leïla
Sources
LaRéclame
CreativeCriminals

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