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Miyazaki du pinceau au stylet

Alors que le « Disney japonais » annonçait la fin de sa carrière après Le Vent se lève, Hayao Miyazaki annonce un nouveau long métrage pour 2020. Version longue du court métrage Boro la Chenille, ce nouveau projet dans lequel la petite chenille sera animée entièrement en image de synthèse, entame la rupture du maître incontesté de l’animation japonaise avec le dessin à la main.
Envers et contre lui
C’est un changement vis-à-vis du processus de création qui semble en contradiction avec les convictions d’un réalisateur qui depuis toujours prônait sa singularité et son indépendance, refusant à Disney les modifications pour la diffusion de Princesse Mononoké. Ce passage du dessin au numérique, du papier à l’écran n’est ni anodin ni arbitraire. La fin du pinceau de Miyazaki, qui se dressait contre les injonctions de production des animés, ne laisse aucun adepte du cinéma d’animation indifférent.
De l’animé à la synthèse
Les dessins animés comme le nom l’indique, sont une suite de dessins qui mis bout à bout prennent vie pour créer des mouvements et finalement des animés. L’animation de synthèse est la création entièrement numérique de personnages sur écran mis en mouvement par ordinateur. C’est Pixar qui inaugura le succès du cinéma de synthèse avec des succès au box office tels que Toy Story en 1996 ou encore Monstres & Cie en 2001. Disney emboita le pas avec d’indéniables succès comme par exemple Madagascar. La différence de processus de production entre ces animés a bien évidement une incidence sur le rendu final : alors que le dessin conserve une esthétique en 2D qui rappelle la BD ou le manga pour Miyazaki, la synthèse donne une sensation confondante de 3D.
Cependant, les différences ne s’arrêtent pas à l’esthétique et les considérations économiques et matérielles de la production cinématographique ne sont jamais très loin. L’image de synthèse répond aux exigences de la nouvelle consommation de cinéma de masse. Moins cher, plus rapide, plus moderne et « plus réaliste », la synthèse donne au numérique sa légitimité sur le marché de la création d’animés. Toutefois, ce changement d’outil et de support chez Miyazaki interroge et inquiète des fans qui y voient la fin d’une époque, d’une tradition, d’un savoir-faire.

Photo : Sausage Party

Photo : Nausicaä de la vallée du vent
Quand le stylet efface le style
Souvent comparé à Walt Disney pour l’ampleur de son succès, Miyazaki se distingue par bien des aspects du géant Américain. Soucieux de ses créations, l’auteur japonais prête une attention très particulière au style et à la précision de ses dessins, allant même jusqu’à repasser plusieurs fois derrière chacun de ses dessinateurs. Cette att
ention est largement perceptible dans le rendu des paysages fantastiques et oniriques de ses longs métrages comme ceux de Princesse Mononoké ou de Nausicaa. L’auteur a d’ailleurs souligné l’importance de l’équilibre entre l’utilisation de l’ordinateur et du dessin.
Mais Boro la Chenille semble contredire cette exigence de la préservation du savoirfaire manuel et semble en même temps annoncer la fin d’une méthode. Le passage du pinceau au stylet s’accompagne d’une modification inévitable de style : l’image finale s’éloigne de ses origines manga et perd l’authenticité du trait pour le réalisme du 3D. Le choix du dessin répondait à l’intention de l’auteur de ne pas reproduire « le réel dans sa forme concrète ». Cette transition s’accompagne également des modifications des conditions de production. L’utilisation de la synthèse raccourcit le temps de production et de création de l’animé, alors qu’un Miyazaki nécessitait cinq à sept ans de travail, Boro verra le jour après trois ans de création.
Photo : layout du film Mon voisin Totoro

La chute d’une légende
Mais au-delà du style, c’est tout un symbole qui s’effrite. En laissant tomber le crayon et le pinceau, Miyazaka semble jeter le voile sur des années de tradition scripturale. Dernier représentant d’une création « à l’ancienne », le choix de l’auteur éveille la peur de l’irréversible, de la transition sans retour d’une tradition de la main à la pratique du clavier. Cette nouvelle réanime l’éternel sentiment d’une perte, celle de la culture de l’écrit, de la création manuelle et du support matériel. Les esquisses et les planches cèdent le pas aux écrans et aux algorithmes et les mains semblent oublier peu à peu les gestes ancestraux qui donnèrent naissance à Chiiro ou Totoro.
Ce dernier film ne signe surement pas la mort du dessin animé mais bel et bien celle d’un imaginaire partagé par des fans attachés aux pratiques qui prévalaient à une époque où l’on avait le temps, où l’on avait sept ans pour faire un monde. Toutefois n’oublions pas que le réalisateur aujourd’hui âgé de 77 ans, aura donc 80 ans à la sortie du long métrage, il est donc permis de croire qu’au lieu de se plier aux injonctions de l’économie et de la culture de masse, l’auteur s’est adonné à celle du temps pour nous livrer une dernière expérience fantastique, celle d’une immersion dans son imagination.
Céline JARLAUD
Sources :
ghiblicon.blogspot.fr Ghibli blog
Documentaire Arte Ghibli et le mystère de Miyazaki
animationjaponaise.wordpress.com
www.franceinter.fr L’art de Miyazaki et Takahata exposé
Crédits Photo :
1; 2; 3

Agora, Com & Société

Sausage party: tant qu'il y a du scandale, c'est pas fini

Sausage Party, le nouveau film d’animation de Seth Rogen et Evan Goldberg, est sorti en France le 30 novembre 2016. C’est l’histoire d’une petite saucisse qui s’embarque dans une quête dangereuse pour découvrir ses origines. D’autres thèmes d’actualité et de société — et même de géopolitique, notamment à travers le conflit israélo-palestinien — sont abordés. Les réalisateurs Seth Rogen et Evan Goldberg étant avant tout les grands maîtres de la stoner comedy (genre cinématographique dont l’intrigue montre l’utilisation du cannabis) et de l’humour subversif, il en résulte par conséquent un dessin animé qui se rapproche plutôt d’American Pie que d’une production Disney.
La stratégie de communication du film d’animation présentait un double enjeu. D’une part, il était important de mobiliser le public autour de la sortie du film, qui à l’origine n’était pas prévue en France mais pour direct to video, la décision du lancement fut encouragée par la mobilisation des fans de Seth Rogen. D’autre part, après sa sortie, La Manif Pour Tous, s’est mobilisée et a bruyamment dénoncé l’hyper-sexualisation du dessin animé. Revirement stratégique : il a fallu faire profil bas pour normaliser Sausage Party par rapport au reste des sorties. Cet événement témoigne surtout de la difficulté de communiquer autour des films d’animation en France, ceux-ci étant éternellement perçus comme des films pour enfants.
Une communication officielle potache mais tardive et ambiguë…
En France comme aux USA, les producteurs avaient misé sur une communication bon enfant, presque familiale, en revenant aux fondamentaux du film : montrer la vie d’aliments qui, comme les jouets dans Toy Story, se réveillent dès que les humains ont le dos tourné. La société française chargée de la distribution s’est donc appuyée sur le synopsis du film pour en assurer la communication, notamment en utilisant la marque « Morteau Saucisse ». Étant donné que le héros du film est une saucisse, le lien était tout trouvé et permettait à la marque alimentaire de s’offrir une image plus jeune et une visibilité nouvelle en magasin.

Par ailleurs, pour le distributeur, il s’agissait aussi de s’offrir les services d’un groupe qui avait su marquer les esprits lors de sa campagne de pub dans le métro parisien. Celle-ci assurait en effet « 20 cm de bonheur » aux acheteurs d’une saucisse chez Morteau. La stratégie communicationnelle mise en place, tout en s’approchant du type d’humour développé dans le film, a donc contribué à rendre celui-ci plus accessible aux consommateurs.
Paradoxalement, le fait que Cyril Hanouna ait été choisi pour doubler un des personnages, brouille un peu ce message : il est un des animateurs préférés des adolescents et pré-adolescents, or cela donne l’impression que ce public pourra se retrouver dans le film. Mais ce n’est cependant pas le cas. De plus, en France, la communication autour de la célébrité des doubleurs a plutôt lieu lors de la sortie de films d’animations pour enfants, ce qui contribue donc au renforcement de l’ambiguïté autour du public réellement visé.
…pour un film sorti dans un contexte social peu propice
Refusant de tomber dans l’oubli à l’approche des présidentielles, La Manif Pour Tous a vu dans la sortie de ce film l’occasion de revenir sous les feux des projecteurs et de faire réentendre son message. Ce n’est pas la première fois que le mouvement ou une de ses dérivées, cherche à préserver les « chères têtes blondes » (selon leurs propres termes) des affres du cinéma, qu’il s’agisse des affiches ou du contenu d’un film. La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche et ses scènes jugées trop explicites par certains spectateurs, ou encore L’inconnu du Lac d’Alain Guiraudie et son affiche un peu trop suggestive, ont eux aussi connu les foudres des associations familiales. Il s’agit en quelque sorte d’une spécificité française puisque ces trois œuvres cinématographiques sont sorties à l’étranger, également avec des restrictions de diffusion selon l’âge des spectateurs, mais sans jamais susciter de telles polémiques.
Cette mobilisation est en fait basée sur les revendications plus politiques de La Manif Pour Tous. Leur communication sur Twitter mentionne en effet la récente campagne anti- VIH du gouvernement français mettant en scène des couples homosexuels, qui serait choquante pour les enfants. En interpellant tout d’abord le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (qui ne gère pas les affaires liées au cinéma) puis le Conseil National du Cinéma et de l’Image animée, il semble que ce soit plus largement le gouvernement qu’ils ont souhaité pointer du doigt, et plus particulièrement, sa politique concernant la famille. Plus que le film en lui-même, c’est donc une certaine image de la sexualité dans la société que le mouvement dénonce.

Mais pour quel effet ?
La méthode utilisée est paradoxale et rappelle le phénomène du Streisand effect, du nom de Barbara Streisand : plus l’on cherche à cacher quelque chose, plus il y a un risque que cela gagne en popularité. En effet, pour mettre en garde les spectateurs potentiels du film sur sa dangerosité pour les enfants, ceux qui s’opposaient à sa sortie ont diffusé les deux minutes les plus polémiques du film, augmentant ainsi le risque pour les plus jeunes d’y être exposés.
Finalement, le peu de signatures recueillies sur les pétitions (moins de 3 000 pour le premier résultat Google au 11 décembre 2016) semble signaler que cette présence importante sur les réseaux sociaux n’est pas forcément représentative d’un réel engagement. Une petite minorité convaincue parvient à se rendre visible, sans pour autant réellement mobiliser les masses autour de cette cause.
Malgré la tentative de succès en voulant surprendre le public afin de susciter la polémique, le film n’aura fait que 40 000 entrées la première semaine, se plaçant à la 11e place du box-office. Finalement, les fans du films mobilisés pour sa sortie ont été satisfaits et aucun des spectateurs n’a été traumatisé, comme le pensent les opposants : plus de bruit que de mal !
Justine FERRY
LinkedIn
Sources :
• http://www.mesopinions.com/petition/enfants/censurer-sausage-party-dessin-anime- pornographique/26528 (pétition créée le 28/22/2016, consultée le 10/12/2016) –
• https://fr.wikipedia.org/wiki/Sausage_Party (consulté le 11/12/2016) -Assaoui, Sofian (publié le 22/11/2016) http://france3-regions.francetvinfo.fr/franche-comte/ saucisse-morteau-ambassadrice-du-film-sausage-party-1136847.html (consulté le 10/12/2016)
• Couston, Jérémie (publié le 01/12/2016, mis à jour le 02/12/2016) : http://www.telerama.fr/ cinema/sausage-party-comment-la-manif-pour-tous-fait-tout-un-plat-avec-une-saucisse, 150892.php (consulté le 09/12/2016)