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La sentience animale: de la réification à l'anthropomorphisation

Le 28 janvier 2015 la proposition d’amendement initiée par l’association 30 millions d’amis et ses nombreux signataires a été validée, permettant ainsi aux animaux d’être reconnus par le code civil comme êtres sentients: ils ne sont désormais plus considérés comme des « biens meubles » mais comme des « êtres doués de sensibilité ». Mais y a-t-il anguille sous roche ? Le point un an après.
Changement juridique, changement de pratiques ?
Cette récente réforme prolonge d’autres initiatives timides et ponctuelles depuis 1950 dont par exemple le délit de cruauté sur l’animal domestique ou encore la loi Grammont (droit pénal) qui punit d’amende voire de prison ceux qui infligent de mauvais traitements aux animaux en public… Des réformes qu’à demi.
 
Cependant, malgré sa dimension symbolique essentielle, certains défenseurs des animaux blâment son inefficience pratique et la complexification théorique engendrée. D’un point de vue théorique, les animaux sauvages, d’élevage et de laboratoires sont en effet exclus de ce changement de statut puisque l’amendement s’applique uniquement aux animaux domestiques donc il y a démultiplication arbitraire des étiquettes désignant l’animal. En pratique, les animaux exclus ne peuvent espérer d’améliorations tangibles alors que c’est eux qui prioritairement ont besoin d’être reconsidérés. A l’instar de l’initiative ambitieuse d’une Déclaration des droits de l’animal à la Maison de l’UNESCO fin XXe dénuée de répercussions empiriques, le changement se cantonne dans la sphère philosophique.Si l’amendement semble aller de soi, cette exclusion interne discriminante et l’assimilation paradoxale aux êtres humains de certains est de la mauvaise foi puisqu’elle sert habilement les intérêts économiques tout en donnant un semblant de satisfaction aux défenseurs du droit des animaux.
Or, il est clair que si engager de véritables réformes est crucial, encore faudrait-il que cela n’aboutisse pas sur des réformes incohérentes et inapplicables. Pour cela, l’initiative française doit être tremplin de réflexion et d’action. La preuve en est l’écho récent sur la scène internationale que ce soit au Canada, en Nouvelle-Zélande ou encore au Luxembourg qui envisagent tous trois de repenser l’animal politiquement. Affaires à suivre.
Quand l’essayer c’est… l’acheter
On entend encore bien trop souvent « j’ai acheté un chien » au lieu de « j’ai adopté un chien »qui a été « soldé ». La monétisation de l’animal est sans aucun doute la cause principale de ce choix lexical puisqu’elle assimile l’animal à un objet: la distinction entre être et objet n’est pas encore intériorisée puisque subsiste ce statut ambigu qu’incarne l’animal.
De plus, le critère prioritaire lors de l’adoption est la race, ou du moins l’apparence, qui ne devrait être que secondaire par rapport à l’assurance de leur ascendance et de leur santé ce qui les réduit alors à un simple produit marketing. Les modifications génétiques du rat domestique est un exemple flagrant puisqu’elles réduisent leur capital santé au nom de la création de typologies originales.
Dans l’incapacité de comprendre leur langage et par méconnaissance de leur caractère, on se
raccroche au prix et à la race valorisée qui facilite les adoptions. Si l’Homme acquerrait la capacité à communiquer à propos avec les animaux, pourraient-il être encore monétisés ? Le jour où nous comprendrons les nuances de leur langage les poules auront des dents. D’ici là, pourra-t-on véritablement sensibiliser unanimement en continuant de faire la sourde oreille ?
Profession : chose animée
Un travail communicationnel qui prend différentes formes est déjà en partie efficient. L’évènement qu’incarne la Journée internationale internationale des animaux est une occasion privilégiée pour communiquer et sensibiliser quant aux droits des animaux. Déjà, le pouvoir des images est mis à contribution : la fermeture de l’abattoir d’Alès fin 2015 doit beaucoup à la sensibilisation visuelle et à la diffusion d’une pétition relayée via les réseaux.
L’enseignement est aussi devenu un média intéressant : le droit animal est enseigné en France pour la première fois en septembre 2015. En effet, le Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique de Strasbourg propose un master « Ethique et sociétés » spécialisation « L’animal : science, droit et éthiques ». Peut –être que grâce à ce type de sensibilisation prendra-t-on conscience que la culture perd son âme dans l’irrespect des animaux comme le fait la Corrida, rituel culturel illégitime bien que légal.
 Enfin, en s’appuyant sur le levier affectif formidable qu’est le cinéma on peut faire émerger des nouvelles pratiques quasi immédiates grâce à une intériorisation en amont d’une vision renouvelée de l’animal. Le dessin animé Ratatouille au héros éponyme a permis, bien que fictif, d’ennoblir l’image du rat comme l’illustre la vente exponentiellede ce rongeur après son succès médiatique. Mais est-ce une véritable considération ou un simple effet mode ?
De la différenciation à l’assimilation
Reconnaître leur sentience estompe la distinction être humains/être animal tendant vers une assimilation aveugle avec l’Homme qui finalement, ne respecte ni ne considère l’animal dans sa spécificité d’être. Cette perversion est fondamentalement paradoxale : faut-il vraiment qu’ils soient assimilés aux humains pour être enfin respectés ? Le philosophe de l’utilitarisme Bentham avait déjà réagit: « La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? Ni : peuvent-ils parler ? Mais : peuvent-ils souffrir ? ». S’ils ne sont pas fondamentalement différents des Hommes, ils s’en distinguent, mais cette distinction, à défaut de renforcer la multiplicité et diversité des êtres, les a exclus et associés politiquement à des objets.
Cette double vision agonistique de l’animal est palpable à travers les sites de rencontre pour animaux, les dessins animés et publicités qui les humanisent: cet anthropomorphisme révèle à quel point la confusion est forte soulignant l’antonymie caricaturale entre ce qui est semblable à l’humain et ce qui lui est clairement différent. En effet, certains sites assimilent les animaux à de simples prétextes de séduction comme animoflirt.com. Il faudrait apprivoiser la spécificité du statut animal qui ne se situe pas, finalement, entre ce qui est humain et objet, mais est à considérer comme un être au monde à part entière. De la réification à l’anthropomorphisation, où se situe alors la juste nuance ?
Allison Leroux 
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Sources :
Audrey Jougla, Profession : animal de laboratoire, 2013
Le Monde, Les animaux sont officiellement doués de sensibilité
Journée internationale pour le droit des animaux
L’université se penche sur le droit animal, Libération 
Site de rencontre pour animaux 
Les animaux deviennent des atouts pour séduire, 20 Minutes 
Panorama des lois, Site du Sénat
La sentience animale pdf
Luxembourg : nouveau projet de loi pour protéger les animaux, AuFeminin.com
Le parlement confirme que les animaux ne sont plus des meubles, Ouest-France 
Les animaux reconnus définitivement (rien n’est moins sûr) comme des êtres sensibles dans le code civil, 30 millions d’amis 
Les animaux ont enfin des droits, Le Quotidien 
Bien être animal : contexte juridique et sociétal 
Canada : animal de compagnie en garde partagée, La Presse
Nouvelle-Zélande : reconnaissance officielle de l’animal comme être sentient, VegActu.com 
Maltraitance animale, des sanctions plus fortes, Le Quotidien
Projet de loi : prison ferme pour la maltraitance animale
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