Médias, Politique

Raquel Garrido se défend sur le Snapchat de Jeremstar : vers une télé-réalité du politique ?

Début octobre, Le Canard Enchaîné fait de nouveau des siennes : il accuse la porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, Raquel Garrido, de n’avoir pas payé ses cotisations retraites depuis 6 ans. Cette dernière a défendu son honneur sur une plateforme on ne peut plus surprenante… le Snapchat de Jeremstar, personnage public adulé des jeunes et spécialiste de téléréalité, avec qui elle travaille chez Ardisson depuis septembre. C’est donc à l’adresse de ses « vermines » et des « jeremstarlettes » que l’avocate de La France Insoumise remet en cause ces accusations. Un procédé qui a bien évidemment fait parler de lui : pourquoi ce besoin de fuir les médias traditionnels ? Raquel Garrido gagne-t-elle en crédibilité au sein de la sphère politique en répondant aux questions de celui qui a pour habitude d’interviewer Nabilla et autres candidates de télé-réalité ?
La nouvelle logique d’audience en politique
Force est de constater la visibilité qu’apporte Jeremstar : il est aujourd’hui un des personnages publics français les plus suivis sur les réseaux sociaux avec 1,1 million d’abonnés sur YouTube, 1,7 million sur Twitter, 1,8 million sur Instagram et est le snapchatteur le plus suivi en France. Exploiter la plateforme de ses réseaux sociaux permet donc aux arguments de Raquel Garrido d’être reçus par une audience inégalable. De plus, le ton de Jeremstar est décalé et humoristique : d’emblée, l’interview tourne au divertissement et le cadre énonciatif posé par l’influenceur rend la personne interrogée sympathique. Une mine d’or pour la défense de Raquel Garrido qui s’adresse à un public qui lui construit un ethos de sympathie et de sincérité au même niveau que n’importe quelle autre figure publique paraissant dans les snaps du bloggeur. Quand il est question de se défendre auprès du plus grand nombre, de nombreux politiques se tournent vers les supports de divertissement plutôt que de répondre à l’appel des médias traditionnels : Jean Luc Mélenchon, en avril 2017, a préféré se rendre sur le plateau d’On n’est pas couché plutôt que de rejoindre un meeting à Dijon. Le nouvel d’objectif est d’élargir la portée des discours, de capter l’attention du plus grand nombre. Il devient alors logique de participer à une émission comme celle de Laurent Ruquier, qui avait réuni 1,37 millions de téléspectateurs.

Être public avant d’être politique ?
Depuis l’affirmation des médias audiovisuels, notamment l’apogée de la télévision dès les années 1960, les règles de l’énonciation du politique ont été changées. Valéry Giscard d’Estaing est un de premiers à avoir médiatisé sa vie familiale et à jouer sur ce que pouvait apporter le média audiovisuel dans la construction de son ethos politique, en dévoilant par exemple ses talents d’accordéoniste. En avril 1985, François Mitterrand dialogue sur TF1 avec Yves Mourousi pendant près de 100 minutes. Cette émission, à laquelle il participe pour se construire une nouvelle image, dépasse largement le contenu politique. Par exemple, il coupe l’herbe sous le pied du journaliste qui pensait le mettre à l’épreuve : on ne dit plus « ché-bran » mais « câblé » selon le Président de la République. Ici, la logique de se construire une image publique jeune, personnelle et plus humaine, découle d’une volonté de se rapprocher des citoyens. Finalement, c’est presque la même idée que le jeu de question réponse entre Jeremstar et Garrido (mais le support a changé) : le politique côtoie des sujets plus triviaux. En effet, Raquel Garrido passe de ses cotisations retraites à sa collection de maillot de bain sans aucune disruption. Cependant, cette tendance à la médiatisation du personnage politique s’est emballée avec l’arrivée d’Internet et c’est sans surprise que lors des campagnes présidentielles, tout le monde a pu observer les talents de Macron au bottle flip challenge et découvrir le filtre préféré des candidats, le tout via Snapchat.

 

La victoire du politainment ?
Faut-il divertir pour être politique ? Ce qui était retenu des débats lors des dernières élections, c’était les bons mots, les répliques, la répartie, donc les « punchlines » et les « clashs », qui étaient repris par les téléspectateurs pour être détournés de façon humoristique. Il faut donc faire rire ou porter dans son discours, sa gestuelle, un potentiel humoristique. Le divertissement aurait pris le pas sur le contenu réel du débat. Il faut capter son audience par les formes du discours plus que par les idées. Il semblerait alors que les fonctions de l’énonciation politique se résument de nos jours à l’unique fonction phatique de Jakobson, fonction de mise en contact qui établit la relation, relation assurée indépendamment du message. Ce que cherche le politique désormais, c’est entrer en relation avec sa communauté. Et il semble que le lien créé par le divertissement soit de nos jours le plus efficace pour rassembler le plus d’audience.

Clémence Duval
Sources
Valeurs actuelles, consulté le 25 octobre.
RTL, consulté le 25 octobre.
Ina.fr, consulté le 24 octobre
Huffingtonpost.fr, consulté le 24 octobre
Huffingtonpost.fr, consulté le 25 octobre

Flops

Le Grand Journal : histoire d’une renaissance impossible

Le 3 mars 2017, Le Grand Journal présenté par Victor Robert, faisait des adieux doux-amers à son public avec la formule lapidaire « Fin de l’histoire, début de l’autre ». Depuis, tout n’est plus que silence, ou plutôt rediffusions de « best-of » comme preuve que l’émission a jadis brillé. Créée en 2004, elle était devenue dès ses débuts, un rendez-vous phare sur Canal+ en réunissant savamment des figures mythiques, réalisant le cocktail détonnant qu’était l’esprit Canal.
Le Grand Journal a trouvé sa place dans le paysage audiovisuel français et s’est forgé un nom dans l’histoire de la télévision. Pourtant, l’émission a dû s’arrêter précipitamment, faute d’audience. Son déclin progressif est révélateur du mal qui ronge Canal+. Focus sur l’histoire du Grand Journal, qui — tel le Titanic — a sombré après une période glorieuse.
Retour sur l’âge d’or du Grand Journal
Le Grand Journal a été créé par Michel Denisot avec Renaud Van Kim et Laurent Bon, en reprenant la recette miracle de Nulle Part Ailleurs. Présentateur de 2004 à 2013, Michel Denisot a su donner une identité au Grand Journal. Étant son premier et emblématique présentateur, il était le visage de l’émission et est devenu représentatif du programme. Une relation particulière, complice et bienveillante, s’est tissée entre Denisot et ses téléspectateurs, qui ont été fidèles à l’émission pendant de longues années.
Le Grand Journal était alors qualifié de rendez-vous incontournable du petit écran, rassemblant les personnalités politiques et les célébrités sur le ton impertinent de l’esprit Canal. Michel Denisot incarnait alors l’âge d’or de Canal+ en totalisant en moyenne 2 millions de téléspectateurs pendant la période faste du Grand Journal, de 2004 à 2012.
Cet attachement à une figure télévisuelle explique la difficulté pour Antoine de Caunes, digne successeur de Michel Denisot, de reprendre les rennes de l’émission. La signature laissée par l’ancien présentateur était trop patente : l’émission perd des téléspectateurs, déçus de voir leur programme gangrené par un nouvel animateur. Le Grand Journal ne se remettra jamais tout à fait du départ du commandant du navire LGJ.

Un vivier de talents
Au sein du Grand Journal, de nombreuses figures montantes du PAF se sont succédées. Des talents souvent jeunes, impertinents, à l’image du Grand Journal de l’époque. De cette manière, des figures comme Yann Barthès, Omar & Fred et les miss météo telles que Charlotte Le Bon, Louise Bourgoin ou encore Doria Tillier ont marqué Le Grand Journal et ont participé à son succès. Véritable mère porteuse d’enfants prodiges, l’émission les a fait connaître au grand public avant qu’ils abandonnent le nid afin de vivre leur propre histoire. Ces talents ont pris leur envol et ont tracé leur route vers leur propre émission, le cinéma, l’humour…
Par exemple, Le Petit Journal de Yann Barthès est passé de rubrique dépendante du Grand Journal à une émission à part entière, détachée du vaisseau mère. Les talents made in Grand Journal se sont progressivement désolidarisés pour briller ailleurs, laissant le programme orphelin de ces figures qui le portaient pourtant au quotidien. La vacuité engendrée par ces départs n’a fait qu’exacerber l’essoufflement du Grand Journal.
Un naufrage progressif
Depuis le départ de Michel Denisot, Le Grand Journal s’est révélé être une machine fatiguée. Audiences en berne, concurrence accrue, tout semblait réuni pour achever l’émission culte de Canal+. L’année 2016 est marquée par l’arrivée de Victor Robert et d’audiences plus que critiques : l’émission a rassemblé cette année en moyenne 100 000 téléspectateurs, alors que le chiffre montait jusqu’à deux millions pendant la période Denisot. Dans un mouvement fatal, les audiences diminuent tandis que la concurrence est en hausse et devient de plus en plus rude.
L’arrivée sur TMC de Yann Barthès, pourtant pur produit du Grand Journal, a fragilisé l’émission, d’autant plus que Cyril Hanouna est un concurrent redoutable avec Touche pas à mon poste. Les concurrents sont de taille, alors qu’ils étaient inexistants lors des débuts de l’émission. Auparavant passage immanquable pour les personnalités, l’émission s’est noyée dans l’océan de la concurrence. Le Grand Journal est passé de l’unique émission à regarder pendant cet horaire à une émission parmi tant d’autres.

Pour couronner le tout, les chroniqueurs perdent de leur mordant. L’émission bat de l’aile et s’enlise dans la médiocrité. Les nombreuses polémiques de cette année n’ont pas arrangé le futur sort réservé au programme. La miss météo Ornella Fleury, en a fait les frais : dès le 9 septembre 2016, la jeune femme essuie un revers face à Jonah Hill. Vexé par les propos de la miss météo, l’acteur annule toutes ses interviews françaises, et les réactions sont sévères pour la miss météo, notamment sur les réseaux sociaux.

Le déclin de l’émission est révélateur du malaise de Canal+. La reprise de la chaine par Vincent Bolloré mine une par une les émissions mythiques de Canal+. D’abord le départ de Yann Barthès, puis l’arrêt du Grand Journal : la fin de la célèbre ligne éditoriale de Canal+ a sonné. Au Grand Journal de l’âge d’or ne répond plus Le Grand Journal 2016 à la sauce Victor Robert : Le Grand Journal est mort.
Du 3 au 17 mars, l’émission est restée à l’antenne avec des rediffusions. Pour les autres programmes comme Le Journal du Cinéma, Le Gros Journal, Le Petit Journal, Catherine et Liliane et Les Guignols, il s’agit désormais non plus de vivre, mais de survivre. Alors, quel sera le prochain à signer son arrêt de mort ?
Diane Nivoley
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Sources :
• Florent Barracco, « Clap de fin pour « Le Grand Journal » de Canal+ », Le Point, mis en ligne le 03/03/2017, consulté le 12/03/2017
• Chloé Woitier, « Canal + met fin au Grand Journal », Le Figaro, mis en ligne le 13/02/2017, consulté le 12/03/2017
• Nicolas Richaud, « Pourquoi le « Grand Journal » finit avec 10 fois moins d’audience que Yann Barthès », Les Échos, mis en ligne le 03/03/2017, consulté le 12/03/2017
• Jérémie Maire, « De Barthès à Charlotte Le Bon : ils ont débuté au « Grand journal », Télérama, mis en ligne le 03/03/2017, consulté le 12/03/2017
• Daniel Psenny, « Le Grand Journal, fin d’une époque », Le Monde, mis en ligne le 11/03/2017, consulté le 12/03/2017
• Page Wikipedia du Grand Journal
Crédits :
• Capture d’écran de Canal+
• Frédéric Dugit / MaxPPP

Flops

Touche pas à mon poste, une recette gagnante au goût amer

« Bonsoir les petits chéris, merci d’être là, vous savez que je vous kiffe ! ». Ton hystérique et public survolté, le maître incontesté de la blague lourde accueille ainsi chaque soir ses quelques 1,5 millions de téléspectateurs. Voilà près de six ans que l’émission Touche Pas À Mon Poste, lancée sur France 4 puis basculée sur C8, réunit de plus en plus de fidèles… et condense autant de polémiques. Les écarts répétés commis par ses chroniqueurs font un peu trop souvent le bad buzz, et révèlent une transformation assez préoccupante de la télévision de divertissement. En novembre dernier, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) se décidait enfin à prendre des mesures, en dépit d’une impunité indicible et perverse accordée à l’émission par la loi de l’audience. Mais est-ce suffisant ?
Du simple mauvais goût au vrai dérapage
Faire chaque soir un tour d’horizon du paysage télévisuel et médiatique aurait pu être drôle et impertinent, si Touche Pas À Mon Poste n’avait pas rapidement sombré dans le divertissement facile et vulgaire. Le pseudo talk show se présente comme un lieu de débats, mais refuse méthodiquement toute argumentation. En témoignent les cartons « Oui »/« Non » que brandissent les chroniqueurs quand on leur demande leur avis sur un sujet. Surtout, pas de nuances, que des avis binaires : il ne faudrait pas que le téléspectateur se fatigue à réfléchir. De même, les chroniqueurs (qui ne font pas vraiment de chroniques) sont aussi identifiables que des personnages de dessins animés : on trouve tour à tour l’insolent snob (Jean-Luc Lemoine), la vieille voisine fofolle toujours prête à dire une énormité (Isabelle Morini-Bosc), le souffre douleur favori (Mathieu Delormeau), ou encore le lourdeau un peu obsédé (Jean Michel Maire). Cyril Hanouna, en « Baba » omnipotent de ce joyeux petit monde, n’hésite pas à interrompre immédiatement par une vanne plus ou moins légère toute tentative d’argumentation un peu trop longue. Et c’est là, la triste recette du succès version C8.

Les écarts sont quant à eux nombreux et quotidiens, à tel point qu’on ne les compte plus. L’émission classée « tout public » banalise pourtant le sexisme, l’humiliation, l’homophobie ordinaire, et en fait des ressorts humoristiques admis et assumés. C’est d’autant plus problématique qu’elle revendique expressément le choix de s’adresser à un public de jeunes, qui entre eux « ne font que se vanner, se charrier », et donc comprennent l’humour de l’émission, argue Cyril Hanouna.
On retrouve dans l’émission tout ce qu’on interdirait à des enfants dans une cour de récréation : blagues franchement limites (on se souvient du « On va les niquer les trisomiques », à propos de l’Eurovision), vulgarité, jeux avec de la nourriture, agressivité sous couvert d’éclats de rire forcés, humiliations répétées (« NRJ12, ils vous ont mis dehors comme une merde, et qui c’est qui est venu dans mon bureau en juillet comme une pleureuse ? Mais ferme ta gueule », balance froidement Hanouna à Delormeau, qui s’était permis une remarque). Le tout bien sûr rarement puni, parce qu’où avions nous la tête : c’est de l’humour !
Dites-moi que c’est un flop ?
Alors on aimerait pouvoir dire flop. Sauf qu’avec son million de téléspectateurs quotidien (en moyenne 6 % de parts d’audience), l’émission est incontestablement un top d’audience, et mobilise aussi un grand nombre de fidèles sur les réseaux sociaux. Hanouna compte personnellement plus de quatre millions de followers sur Twitter. Dans une tranche horaire où l’on a le choix entre les JT de TF1 et France 2, Le Grand Journal, C à Vous et Plus Belle la Vie, Touche Pas À mon Poste bat tous les records en se plaçant sur le registre du total divertissement. Depuis la rentrée 2016, le petit nouveau Quotidien l’a cependant un peu mis en difficulté, empiétant sur ses plates bandes humoristiques et impertinentes (avec des résultats, on en conviendra, assez différents). Touche Pas À Mon Poste est un tel succès qu’on peut depuis la rentrée en voir au Liban la réplique parfaite. La recette est reprise, même pas adaptée : même plateau et chroniqueurs, répliques conformes de leurs modèles français.
CSA vs Hanouna
Alors le succès rendrait-il intouchable ? Triste constat, mais qui semblait jusqu’à il y a peu pertinent. Le CSA est en effet resté de marbre après une séquence où l’un des chroniqueurs voyait son pantalon rempli de spaghetti par l’animateur star, malgré ses refus répétés de participer au petit « jeu ». L’instance s’enfonce alors dans un gouffre de paradoxes : elle examine la scène « en tenant compte de son contexte humoristique », décide de ne pas sanctionner l’émission, tout en rédigeant une lettre au patron de D8 l’invitant à ne pas réitérer ce genre de séquences « pouvant être perçues comme une forme d’humiliation » et produire auprès du jeune public une « banalisation de telles pratiques »…
Mais en novembre dernier, c’est une avalanche de plaintes qu’a reçu le gendarme de l’audiovisuel, à la suite de plusieurs séquences tristement connues (Jean Michel Maire embrassant les seins d’une invitée contre son gré, ou assénant à son collègue chroniqueur homosexuel Mathieu Delormeau qu’il « passe bien deux heures sur une teub, lui »). Ce même chroniqueur est victime des multiples marques d’agressivité d’Hanouna, qui en a fait son souffre douleur préféré. L’impunité de l’animateur tout-puissant semblait alors devoir toucher à sa fin, puisque le CSA décide de prononcer contre l’émission une mise en garde et une mise en demeure (qui ne sont cependant, que des sortes d’avertissements formels). Mais c’est ignorer les infractions bien plus insidieuses que commet quotidiennement l’émission. Le journaliste Bruno Donnet le montre parfaitement dans une chronique pour France Inter, parlant d’humiliations qui sont « sans précédent dans l’histoire de la télévision ».
Alors que les chroniqueurs s’insurgent contre l’acharnement du Conseil, hurlent à la censure, le CSA a même fini par souffrir l’humiliation d’être « remercié » en direct par Hanouna, qui, grand prince, a affirmé trouver leur travail très important et apprécier que le conseil des sages « s’inquiète » pour son émission.
Alors certes, il ne s’agit pas de rejouer ici une querelle de la bienséance. Il s’agit plutôt de refuser que la télévision « tout public » à des horaires d’access prime time ne devienne un gouffre d’inculture et de vulgarité frisant le hors la loi. Cependant, ce refus contrecarre le bon vouloir des annonceurs, des actionnaires de l’émission (Bolloré est majoritaire) et de la chaîne. Mais peut-être serait-il sage pour le CSA, instance neutre, de ne pas ignorer plus longtemps ce genre de violences quotidiennes devenues, malheureusement, trop ordinaires.
Violaine Ladhuie
Crédits :
Captures d’écran de l’émission
Sources :
• La décision du CSA du 23/11/2016. Consultée le 10/01/2017.
• Samuel Gontier, « Grand seigneur, Hanouna dit merci au CSA pour les sanctions ». Télérama, le 24/11/2016. Consulté le 10/01/2017.
• « Se faire mettre des pâtes dans le slip chez Hanouna, est ce de l’humiliation ? », Le monde.fr, le 02/02/2016. Consulté le 10/01/2017.
• Allyson Jouin-Claude, « A quoi ressemble la version libanaise de Touche pas à mon Poste » . Le figaro.fr, le 05/01/2016. Consulté le 10/01/2017.
• Ricard Sénéjoux « Des nouilles dans le slip chez Hanouna, le « oui mais » du CSA ». Télérama, le 03/05/2016. Consulté le 10/01/2016.
• Bruno Donnet, chronique pour France Inter sur la normalisation de l’humiliation dans Touche pas à mon Poste, le 01/02/2016.

Médias

The Voice et le storytelling

Le storytelling, largement théorisé aujourd’hui, est souvent réduit à des fins marketings, ou politiques. Or, cet « art de raconter les histoires » est omniprésent, et dans The Voice, c’est assez flagrant.
Effectivement, si l’on fait un peu de calcul, l’émission The Voice dure (sans compter les publicités) environ deux heures pour les auditions à l’aveugle. Or, chaque émission des auditions à l’aveugle comporte 13 candidats, qui ont 2 minutes top chrono pour convaincre leur coach. Ce qui revient en tout à 26 minutes de pures prestations musicales.
Que se passe t-il donc dans l’heure et demi qu’il reste ?
Eh bien, entre autres, du storytelling.

The Voice : quelle télé réalité ?

Aujourd’hui très difficile à définir, la télé-réalité est pourtant un réel concept qui met à jour plusieurs éléments constitutifs, notamment décrit par Valérie Patrin-Leclère, maître de conférences au CELSA. The Voice appartient entièrement à cette catégorie, tout en s’en différenciant sur quelques points.
De prime abord, il y a une mise en situation de personnes volontaires et sélectionnées selon leur qualité – ici, le chant – qui ont envie de se montrer et qui sont filmées sur une période longue. C’est donc un programme excluant. Ensuite, le déroulement du programme repose sur une dynamique d’un jeu où l’on assiste à l’élimination progressive des candidats, jusqu’à un gagnant. Ce dernier, dans le cas de The Voice, obtient non une promesse de gain (quoique), mais une promesse de succès et de réussite dans le secteur de la musique, en ayant l’opportunité de sortir un album, mais aussi de participer à une tournée. Au cours de ce processus d’élimination, le téléspectateur va être invité à y prendre part, grâce un système de vote. Enfin, la diffusion va être faite par épisode s’étendant sur plusieurs mois.
Le modèle économique de cette émission est très intéressant, car, à l’instar de la Star Academy, The Voice se définit par sa diversification. Effectivement, au- delà de la publicité foisonnante, et des audiences mirobolantes (6.03 millions de personnes, soit 30.1% de part d’audience selon Médiamétrie pour le 2 avril), cette émission se décline en produits siglés, albums, tournées (The Voice Tour), …etc.

Toutefois, il est clair que The Voice se différencie de la télé-réalité clichée type Les Marseillais. Effectivement, cette émission renvoie davantage à la « télé coaching », aussi appelée, « la télé bonne fée ». A cet égard, elle n’a pas pour vocation de faire souffrir les candidats, mais plutôt de les aider.

Entre narrativité et récit

Concentrons-nous sur ce storytelling qui est omniprésent dans cette émission. Dans un premier temps, il est intéressant d’expliciter la nuance entre le récit et la narrativité. Philippe Marion, professeur à l’Université Catholique de Louvain, explique qu’un récit est un « bouleversement volontaire d’équilibre ». Autrement dit, pour qu’il y ait récit, il faut qu’il y ait un équilibre initial, une rupture, puis un équilibre final. Au contraire, la narrativité se contente d’un fragment de récit. Ce qui est intéressant dans The Voice, c’est que cette frontière devient plus confuse.

Les témoignages/commentaires pour les séquences des auditions à l’aveugle – la découverte des candidats – sont posés comme des récits, coincés dans un schéma répétitif  : un équilibre initial (le « avant the Voice ») : le candidat explique son métier, sa vie, depuis quand il chante. Il y a généralement un témoignage rapide des proches. Puis, la rupture (le « The Voice »), et enfin, l’équilibre final : ce que The Voice lui apporterait. Pour autant, cet équilibre final n’est qu’une condition, un souhait. Dès lors, on pourrait plutôt considérer ces témoignages comme de la narrativité, dans le sens où ils ne sont qu’une partie du récit. Il manque la transformation, qui perdure tout le long de la totalité des épisodes du programme.

Par conséquent, chacune des ces narrativités, chacun de ces storytellings, construit un seul et même récit : celui de l’émission The Voice. C’est sur cette économie du commentaire que The Voice bâtit la continuité des séquences. Autrement dit, l’équilibre final équivaut au dernier épisode de la saison, clôturant ainsi ces premiers témoignages.

Le storytelling comme clé de la réussite

Du côté du public : Tel le rêve américain, ce sont ces témoignages d’anonymes galopant vers la célébrité qui motivent les audiences. Le storytelling porte en lui le rêve caché de tout à chacun : la réussite. Nous pouvons tous nous reconnaître dans ces histoires personnelles, c’est le pouvoir d’identification du récit. À titre d’exemple, le dernier gagnant de The Voice (ci-dessus), Lilian Renaud, était fromager en Franche-Comté. Ces « success(ful) stories » ont un certain écho dans une France aujourd’hui imprégnée de défaitisme. Au-delà des pures prestations musicales, on regarde The Voice pour croire en la réussite, car c’est une émission qui parvient à vendre du rêve.
Du côté du candidat : Le storytelling, comme en politique ou en marketing est utilisé dans The Voice afin que chaque candidat anonyme venant dans le même but et ayant la même qualité – savoir chanter – puisse se différencier.
Comme nous l’avons dit plus tôt, le public est pris en compte dans le processus d’élimination. Dès lors qu’il est question de vote, il est implicitement question de campagne, et, ce storytelling est la première communication des candidats envers son public. Il va permettre de toucher, en racontant une anecdote autobiographique, et en jouant sur le registre dramatique. À cet égard, pour ces candidats, le storytelling ne consiste pas seulement à raconter une belle et émouvante histoire : c’est surtout une forme de communication destinée à mobiliser les émotions, et persuader le téléspectateur de voter pour lui et pas un autre.
On peut parler en un sens de « campagne » car cette phase de témoignages est réalisée dans les 4 premiers épisodes, avant même que les votes du public soient pris en compte. C’est le prémisse dans l’aventure The Voice qui introduit cette idée de compétition.
Bien évidemment, ce n’est pas une manipulation diabolisée, mais une dimension bien réelle du récit, inévitable lorsqu’il est question d’élimination. C’est le jeu.
Clémence Midière
@clemmidw
Sources:
Valérie Patrin-Leclère – Cours du CELSA
Philippe Marion – Conférence « Les territoires de la médiagénie » CELSA
Médiamétrie (audience)
Crédits photos:
MyTF1.fr

Agora, Com & Société

Des paroles et des pactes

L’interdépendance entre langage et société relève aujourd’hui de l’évidence tant les liens entre ces deux notions paraissent intrinsèques. Néanmoins, on assiste à un vrai regain d’intérêt pour la parole sur le long terme, la parole qui s’étale et qui prend le temps de prendre le temps. À contre courant du mouvement actuel qui tend à l’hyper-rapidité et à la consommation à vitesse grand V de contenu, la société renoue avec le langage et devient à nouveau éprise de ses (beaux) parleurs.
Questions pour mon champion
Comme chaque année, le journal La Croix vient de publier son baromètre annuel visant à étudier la relation entre Français et médias. Le résultat est sans appel : le désamour est bien réel et le panel médiatique subit un véritable discrédit par la population. Une nécessité de renouvellement s’impose et par conséquent de nouveaux formats apparaissent. Ces derniers tendent à remettre au goût du jour cette importance de la parole, et la pertinence du discours. Effectivement ce processus n’est qu’un retour à la pratique originelle de l’interview à la télévision mais dans une époque marquée par l’instantanéité des messages, pourquoi s’entêter à vouloir permettre la pérennité de tel ou tel discours ?
Ces formats déclenchent l’adhésion puisqu’il nous font la promesse d’une expérience nouvelle face aux médias. Poussez la porte de n’importe quelle boîte de production et vous verrez que la notion de “promesse” est quasiment obsessionnelle : proposer un concept au public c’est promettre une forme de contenu particulière qui correspond ou qui va créer une attente chez le spectateur.
Ce nouveau type d’émission recoupe un large panel de programmes : de la baignoire de Jeremstar, au café avec Michel Denisot en passant par le canapé de Mouloud Achour, il y a une véritable plongée dans l’intimité de la personne interviewée ;  c’est la promesse. Le succès de ces émissions réside en une équation très simple : voir sans être voyeur ; vous êtes intégrés dans la confession sans ressentir de gêne puisque le programme vous y autorise implicitement. De surcroît, la parole est au centre de ces programmes, décor minimaliste, mise en scène simpliste, tout est fait pour que le langage devienne l’épicentre de l’émission à tel point que l’on se permet le format long : 37 minutes de discussion entre Omar Sy et Mouloud Achour, 42 minutes entre Christiane Taubira et Michel Denisot. Cela en dit long sur la mutation actuelle et sur la tribune accordée à ces influenceurs contemporains : (presque) sans filtres on laisse libre court à la parole sans couper court à la pensée.

Regarder par le trou de la serrure
En prenant de la hauteur de vue sur nos écrans, des hypothèses peuvent expliquer le succès de ce retour au “free speech”. Il semble pertinent de parler de panoptique inversé ; concept inventé par Bentham afin de décrire la structure architecturale d’un pénitencier qui permet au gardien – situé au centre – de surveiller sans être vu, de tout entendre sans rien faire (cf schéma ci-dessous). Ce concept est si subtilement pensé qu’il engendre la création d’un sentiment de surveillance encore plus fort que la surveillance elle-même. Dans Surveiller et punir, Michel Foucault ré-actualise cette théorie et l’étend à des champs autrement plus vastes en parlant notamment de captation de l’intime. Le parallèle peut alors être fait entre la télévision et ses programmes de TV-réalité dans lesquels le gardien est symbolisé par la caméra ; l’oeil panoptique peut alors être associé aux médias en général, qui nous observent, nous surveillent, nous captent.

Dans ces nouveaux formats qui visent à libérer la parole, le téléspectateur devient à son tour le gardien. Tout est surveillé, certainement analysé, commenté et c’est cette complicité avec la caméra qui permet le succès de tels programmes. Emmanuelle de Champs, maître de conférence à Paris VIII affirme alors que : “Le panoptique, c’est avant tout le regard, un dispositif qui permet de « tout voir », mais c’est aussi l’écoute : pour Bentham, il faudrait également s’assurer que le gardien puisse « tout entendre », tout écouter, sans être lui-même entendu”. Le téléspectateur peut tout voir, en toute tranquillité et jouit à son tour de ce sentiment de surveillance qu’il ressent traditionnellement à son détriment comme le confirme un peu plus le baromètre de La Croix évoqué ci-dessus. Le temps d’une émission, les bras croisés, on décortique la parole d’un personnage bien souvent présenté les bras ballants, dans son plus simple appareil : la vérité.
L’impact d’un pacte
La confession impose l’instauration d’un pacte qui fait écho à la promesse dont nous parlions plus tôt dans cet article. À l’image des récits autobiographiques la notion de vérité semble être le moteur de ce type de programmes, il y a donc nécessité de certifier l’authenticité de la parole prononcée. Rousseau lui-même dans ses Confessions prononçait ceci : “Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme, ce sera moi”, à l’heure où les hommes politiques sont pointés du doigt pour leur manque de transparence, intervenir dans ce genre d’émissions comme l’ont fait Manuel Valls ou encore Christiane Taubira, apparaît comme une occasion de paraître dénué de filtres. Toute la subtilité des programmes TV apparaît clairement au travers de cette mécanique : ce pacte, dont ni vous ni la TV ne parle, n’est pas formel ni officiel, et pourtant vous signez et vous l’acceptez au moment où vous regardez le programme : captation de votre intime.

Le succès de ces longs formats réside donc dans la création d’un pacte avec le spectateur. On se prend à adhérer à ces dévoilements psychologiques même si certaines séquences comme celle de Jean-François Copé sur le divan de “Marco” au bord des larmes frôlent le risible. Quoiqu’il en soit la parole reprend sa place dans le débat public et fort de son succès, ce nouveau type de format tend à se généraliser. Cela peut être considéré comme une façon intéressante de rebattre les cartes du jeu médiatique : certes ces interview peuvent être taxées d’opération communication mais elles ont le mérite de procurer le sentiment d’accessibilité à des personnages médiatiques justement caractérisées d’inaccessibles. Il est vrai que les présentateurs prennent parfois des allures de psychologues médiatiques mais en ces temps où la parole peine à être crédible, qui n’a pas besoin d’une bonne thérapie ? 
Jordan Moilim
Sources: 
TNS-Sofres/ La Croix; Baromètre 2016 de confiance des français dans les médias, 02/02/2016 
Michel Foucault, Surveiller et punir, 1975
Jean-Jacques Rousseau, Confessions, 1782
Crédits images: 
CLIQUE TV
Canal + 
BESTIMAGE
 

Flops

Alcootest, la colle posée par France 4

 
Alcootest, le dernier-né de France 4, est un programme qui a fait parler de lui dès l’annonce de sa parution, au point que celle-ci, au berceau, s’est vue menacée par la controverse ambiante. Pourtant, ceci était à prévoir : la 14ème chaîne française ne fait que se positionner dans un contexte de voyeurisme général, terrain favori du divertissement télévisé.
L’émission propose un objectif honorable de prévention contre l’alcool, ses excès, ses effets et ses dégâts. Mais la façon dont le sujet est traité sur le plateau est d’une pertinence douteuse : sur le papier, une vulgarisation scientifique, quasi-anthropologique, du rapport des jeunes adultes à l’alcool et de la manière dont le psychotrope impacte leur système cognitif. Une caméra à l’épaule suit un petit groupe dans une boîte de nuit, dévoilant de banales scènes s’échelonnant entre la fête et la beuverie, ponctuées de quelques prises de paroles parfois laborieuses ; puis l’étape des tests. Tests qui, si leur valeur scientifique est discutable, sont jugés divertissants par une majorité des téléspectateurs. Et c’est peut-être là que le bât blesse.
Comment prétendre qu’une émission qui reprend la plupart des codes de la télé-réalité peut avoir un réel effet didactique ? Le public visé par cette prétendue campagne de prévention est précisément celui qui est représenté à l’écran, et celui qui évolue dans les autres programmes de la chaîne ; de jeunes adultes qui ont, dans l’ensemble, l’air de bien s’amuser et parfois de réciter le contenu d’un script. Entre le grotesque des balbutiements sur le plateau, la philosophie de comptoir et les bringues sonores, l’ambiance est plus propice au rire qu’à l’information. Et les messages à caractère sérieux tombent comme un cheveu sur la soupe au milieu de tout cela : si danger on voulait dépeindre, il semble désarmorcé d’office. De fait, les internautes s’amusent de l’émission sans y accorder beaucoup de crédit. Pourquoi ? La réponse se trouve peut-être dans cet effort transparent de se mettre « au niveau des jeunes » pour s’adresser à eux. Or, comment prendre au sérieux un interlocteur qui tronque ses propres codes pour adopter ceux qu’un groupe différent sans les maîtriser tout à fait ? Ceci n’est pas sans rappeler la désastreuse opération de communication qu’avait constitué la campagne de Sam (rappelez-vous, « Si t’as pas d’Sam, t’as l’seum ») et les quelques tentatives des banques proposant des offres jeunes.

De nombreuses personnes sont montées au créneau pour dénoncer l’indécence supposée que constituerait l’exhibition, sur un support public, de personnes alcoolisées. D’autres encore ont insisté sur l’incitation à la consommation que cela pourrait provoquer, comme si les 16-25 ans avaient besoin d’encouragements. Sans aller jusque là, le format de l’émission offre le flanc à la critique. Certes, il faut captiver et divertir un public jugé désinvolte et prompt à l’ennui, mais ce public a déjà été confronté à des campagnes de prévention autrement plus précises, et a l’habitude des ressorts, dramatiques et comiques, des programmes de divertissement. Cet improbable mix des deux genres est peu susceptible de provoquer des prises de conscience, et évoque davantage, de la part de France 4, une émission vouée à satisfaire l’audience par une bonne dose de voyeurisme et de spectacle – imaginez les conversations, le lendemain, entre les jeunes spectateurs : il y a de quoi se lancer dans les défis et les comparaisons.
Pourquoi ne pas, si l’objectif est réellement la sensibilisation, cesser de montrer la phase récréative et inscrire l’émission dans le long terme, qui est le grand absent des consommations irresponsables, en suivant les conséquences d’une soirée qui s’est mal passée ? Comme on a pu le constater avec les court-métrages de la Sécurité routière, la légèreté peut s’avérer contre-productive.
Néanmoins, cette controverse qui aura suscité quelques plaintes auprès des producteurs de l’émission confirme le slogan : France 4, des fois ça déchaîne.
 
Marguerite Imbert
 
Crédits photos :
20minutes.fr
rmc.bfmtv.com

Agora, Com & Société

Splash, comme un cheveu sur la soupe

Un vrai faux flop ?
Retour sur une émission qui a agité le monde médiatique et suscité moult réactions dans l’opinion publique : Splash. Un concept « nouveau » : des valeurs, des vedettes, du spectacle, du vrai, du naturel… La promotion de l’émission depuis fin janvier n’est pas passée inaperçue. TF1 a lancé en grande pompe sa nouvelle émission du vendredi soir importée des Pays Bas. Les journalistes ont été intransigeants, en partie dépités, les blogueurs se sont manifestés, les twittos aussi, à leur façon, Jean-Marc Morandini a décrypté… Bref tout le monde en a parlé et tout le monde en a entendu parlé. Un nuage médiatique s’est formé avant le lancement de l’émission et s’est transformé en orage pendant sa diffusion. Un orage plutôt avantageux, c’est en effet grâce à lui que l’émission est tout de même restée au-dessus de la barre des 5 millions de téléspectateurs. Une orchestration parfaite plus qu’un buzz naturel.

Plus de mal que de peur ?
Si le fond de l’émission autant que la forme, ont suscité l’émoi des téléspectateurs et des professionnels, on peut s’interroger sur l’avenir de cette recette : une émission de divertissement qui se situe à la croisée des mondes, entre différents genres télévisuels. Elle parvient à s’imposer le vendredi en prime time sur la première chaîne grâce à l’orchestration totale de son lancement à sa production en passant par sa réception. Combien de temps encore va-t-on continuer à critiquer, à juger des émissions sans se rendre compte que l’on participe à leurs déploiements ? Il ne s’agit en aucun cas d’un jugement des téléspectateurs, chacun se divertit comme il l’entend, tant qu’il en est conscient. Pour aborder la question de l’enjeu de ce type d’émission il faut accorder au média télévisuel un certain pouvoir sur les individus.
Splash, parmi tant d’autres, c’est une adaptation du fond et de la forme pour trouver la recette miracle du succès coûte que coûte. On ne se situe pas vraiment dans la télé-réalité, trop télé-poubelle, mais on prône des valeurs humaines, tel que le dépassement de soi, comme justification de l’existence de l’émission et de la participation des « vedettes ». Un peu comme dans une autre émission elle aussi diffusée le vendredi soir, Koh Lanta, là aussi Denis Brogniart avait bien précisé qu’il ne voulait pas qu’on parle de télé-réalité… Splash, du divertissement pur et dur alors, mais qui sait mêler différents codes sans les rendre trop visibles, mais sans les nier complètement non plus.
Sur la forme, TF1 réussit encore un tour de maître, effet de buzz bien orchestré avant et pendant l’émission qui contribue à son succès, à le déclencher même. Un peu comme ça avait été le cas pour The Voice : le nuage formé par les critiques, les détracteurs, tout cela joue en faveur de la chaîne. Commentaires sur commentaires, critiques, débats, rumeurs : tant qu’on en parle on s’assure le succès. Si on voulait vraiment faire disparaître un programme on ne pourrait qu’opter pour l’abstention et l’ignorance, la meilleure des armes. Et c’est ce qui finira irrémédiablement par arriver, les téléspectateurs ne se laissent pas berner indéfiniment.
Le divertissement certes, et sur TF1 d’accord, mais avec une telle recette qui assure à la chaîne succès et rentabilité, tout devient possible. « Le concours des meilleurs tailleurs de haies ? », « Qui veut tondre ma pelouse ? », « Conduite avec les stars, les stars repassent leur permis ? »… La télévision, publique comme privée, n’a-t-elle pas aujourd’hui plus que jamais une responsabilité ? Si le divertissement doit rester rentable et libre dans sa composition, le média lui-même ne devrait pas faire le sourd quant à sa responsabilité sociale. On a su mettre un point d’honneur à ce que les entreprises assument leur responsabilité sociale et environnementale, ici elle prend peut-être un sens un peu différent, mais la télévision ne pourra pas continuer de passer à côté pendant longtemps.

Margot Franquet
Sources :
François Jost, « « Splash » sur TF1 : sous son apparente vacuité, une émission calibrée pour le succès », Le Plus Nouvel Obs
Nathalie Nadaud-Albertini, « « Splash » sur TF1 : pourquoi c’est un bon concept », Le Plus Nouvel Obs
L’express.fr
My TF1 Replay, Splash le grand plongeon

Agora, Com & Société

Les comédiens hors des planches : la promotion spectacle

 
Introduction
Sur les planches, ce sont les rois du rire et de l’improvisation. En dehors, les cartes sont redistribuées et le contrat de communication, instauré entre l’humoriste et son public, est ébranlé. Dans la tête du téléspectateur, de l’auditeur,  les humoristes sont toujours drôles. C’est d’ailleurs cette caractéristique qui pousse les producteurs à les inviter sur différents plateaux de télévision.
Pour assurer la promotion de leur spectacle à la télévision,  les comédiens français bénéficient de cadres d’énonciation  télévisuels – divertissement pur, émissions d’actualité et d’information, «infotainment». L’enjeu est de maîtriser le contrat de communication en fonction de l’environnement médiatique et du public visé par l’émission, généralement populaire. Plus facile à dire qu’à faire.
 
De « Vendredi tout est permis » à « Vivement Dimanche » : du rire et encore du rire !  
Les émissions de divertissement proposent aux comédiens une situation de communication rattachée à leur univers qui rappelle la salle de spectacle. Il n’y a pas de décalage sémiotique entre un plateau de télé orienté vers le divertissement et la mise en scène de plusieurs humoristes sur ce même plateau. Ainsi,  les comédiens peuvent montrer qu’ils sont toujours drôles, qu’ils savent improviser selon les situations et qu’ils s’insèrent parfaitement dans la programmation télévisuelle du téléspectateur.
Néanmoins,  le contrat de communication est parfois volontairement flouté. La promotion du divertissement est de moins en moins assumée et les formes de communication se dépublicitarisent en s’insérant dans le divertissement.  Le 17 janvier 2011, Michel Drucker reçoit Jamel Debbouze dans « Vivement Dimanche », l’occasion pour Malik Bentalha, poulain de Jamel Debbouze, de faire une de ses premières interventions à la télé pour la promotion de son spectacle « Malik se la raconte » :
Michel Drucker : « Qu’est-ce tu peux dire pour te présenter ? »
Malik Bentalha : « Je m’appelle Malik Bentalha. J’ai 21 ans. En général, les gens disent que j’fais plus gros. »
(Rire)
Ici, la réplique provient du spectacle mais entre dans une logique de fausse improvisation  qui prend le public en otage en ne lui laissant que deux choix : rire parce que c’est drôle ou rire parce que ça le met mal à l’aise.

« Vendredi tout est permis », la nouvelle émission d’Arthur constitue l’environnement parfait pour montrer le potentiel comique de l’artiste. Dans l’émission du vendredi 8 février 2013, Arthur appelle Rachid Badouri pour effectuer quelques pas de danse sur Michael Jackson avant de lancer : « Faut aller voir le spectacle de Rachid parce que non seulement tu danses mais tu as un sketch sur Michael Jackson ! », ce qui permet à Badouri de placer une réplique de son show : « Je voulais même devenir blanc, j’étais jaune et je voulais devenir blanc. » Lors des émissions de ce type en prime time,  la promotion des artistes tend à devenir son propre objet et à créer une émission multi-promotionnelle, parasitée par une publicité incessante qui participe du divertissement populaire.
 
 
Les humoristes prennent la parole dans le débat public : rien qu’une histoire de casquette !
Être humoriste reste un métier à temps partiel, on ne peut pas être drôle tout le temps. Les humoristes prennent de plus en plus de poids dans le débat public, surtout depuis la dernière campagne présidentielle de 2012. Selon un sondage Ipsos, publié en automne dernier, les humoristes gagnent en crédibilité car ils sont perçus comme « hors-système » et donc dignes de confiance. À travers leur prise de parole hors-scène, les humoristes deviennent de véritables leaders d’opinion et influencent de plus en plus leur public, à l’image de Guy Bedos, Stéphane Guillon ou  encore Jamel Debbouze. Le 21 novembre 2011, Guy Bedos, humoriste, est invité dans l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché » pour parler de son nouveau spectacle. Pourtant,  la conversation  tourne dès le début à l’affrontement  entre E. Zemmour et G. Bedos sur la question du logement. Parler du spectacle devient ensuite difficile car la casquette de Bedos n’est plus celle de l’humoriste mais celle du militant social.

Il en va de même pour les présentateurs ou sportifs qui se reconvertissent dans le one-man show.  Arthur n’était jadis qu’un présentateur ordinaire du PAF,  jusqu’en 2005 où il passe de l’autre côté de la barrière en montant son one-man show « Arthur en vrai ». Résultat: Arthur présente ses émissions de télévision avec plus d’humour pour inciter son public à le suivre en salle. L’actualité de l’artiste détermine son mode d’expression et son rapport avec le public, ce dernier subissant, malgré lui, la promotion d’une actualité brûlante.
 
Steven Clerima

Agora, Com & Société

La scripted reality : le réel low-cost spectacularisé

 
Famille, argent, séduction, mensonge, injustice… Autant de sujets sociétaux dont se nourrit la scripted reality. La scripted reality ou fiction du réel, ce sont tous ces nouveaux formats qui pullulent sur nos écrans, des émissions ovnis qui retranscrivent des psychodrames de la vie quotidienne, des faits divers en tous genres. Entre télé-réalité, magazine et fiction, ces nouvelles émissions font débat en France, tant sur le fond que sur la forme de ce nouvel hybride. Leur plus lointain ancêtre français remonte sans doute aux années 1990, avec la diffusion sur la cinq puis sur TF1 de « Cas de divorce » qui narrait, sur le mode du réel, des divorces dans les tribunaux.
Le succès de ce genre d’émissions réside dans l’hybridation de différents codes et rapports de l’intimité au média télévisuel. Une hybridation qui pose problème, le CNC refuse d’apporter des subventions à un genre qu’il n’estime pas du ressort de la création, et le CSA quant à lui, hésitait jusqu’au 11 janvier dernier, à considérer ce nouveau genre comme des œuvres de création. Désormais les émissions comme « Le jour où tout à basculé » ou « Si près de chez vous », toutes deux diffusées respectivement sur France 2 et sur France 3, entrent donc dans le quota d’œuvres de création imposé par le CSA. Pour autant chaque émission sera étudiée au cas par cas avant de lui accorder un statut qui pèsera son poids dans la balance des négociations avec le CNC.
Malgré la reconnaissance du CSA et de l’audience, la scripted reality soulève des interrogations quant à la qualité réelle de ses conditions d’écriture, de production et du lien étroit qui s’établit entre le « nouveau » genre et son public.
 
Une création mise en danger
L’audience est au rendez-vous et il faut admettre le succès de ces émissions auprès du public. « Au nom de la vérité » sur TF1 parvient à capter 20% des audiences auprès de la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Une belle progression à un horaire creux (à 10 heures sur TF1 pour « Au nom de la vérité », 14 heures sur France 3 pour « Si près de chez vous », 16 heures sur France 2 pour « Le jour où tout a basculé », les audiences sont très bonnes, on compte entre 800 000 et 1 million de téléspectateurs chaque jour sur France 2, et niveau retour sur investissement les chaînes sont gagnantes. On peut même parler d’émission « low-cost », d’ailleurs les sociétés de production ne s’en cachent pas. Maxime Maton, directeur du développement de la Concepteria du groupe Julien Courbet Production, assume cette qualification qu’il ne voit pas comme un défaut. Le low-cost à la télévision c’est donc environ 30 000 euros par épisodes. En comparaison, un épisode de la série « Plus belle la vie » s’estime entre 100 000 et 200 000 euros, un coût multiplié par au moins quatre pour une série qui était déjà très décriée dès ses débuts. Le problème réside donc ici, dans les conditions de création et de production de la scripted reality.
Si Maxime Maton estime que cette nouvelle écriture « a beaucoup de bienfaits, au delà de répondre à une demande, que ça marche en terme d’audience, ça donne quand même du boulot à beaucoup de monde » ; elle n’offre pas aux auteurs et aux acteurs les conditions de travail idéales à la création. Pour un épisode de 22 minutes il faut compter 2 jours de tournage, une ou deux prises pas plus, et les scénarios doivent couler à flots. Le jeu des acteurs est assez aléatoire, avec ces moyens financier on ne peut effectivement pas s’assurer les services de Marion Cotillard, et en même temps on ne leur laisse pas le temps de développer leur jeu d’acteur. Pour le téléspectateur ignare qui ne parvient pas à suivre les dialogues, la voix-off est là pour lui ré-expliquer ce qui se passe. Un jeu d’acteur médiocre, peu de décors, une voix-off omniprésente, des plans douteux… autant de faibles moyens qui nuisent à la qualité créatrice.
Afin de rester dans cette logique de flux (magazines, jeux télévisés…), les chaînes délaissent la fiction traditionnelle, à commencer par les feuilletons quotidiens. Le PDG de France Télévision, Rémy Pflimlin vient d’abandonner l’une des promesses phares de son mandat : la déclinaison d’une série quotidienne sur France 2. Même réaction de rétropédalage chez TF1, trop de risques, on préfère éviter de se lancer dans un chantier à 25 millions d’euros qui risque fort de ne pas être concluant en terme d’audience. Les chaînes cherchent de nouveaux genres susceptibles de coller au comportement de zapping et à cette logique de flux, en s’inspirant notamment des émissions courtes déjà présentes depuis quelques années en Allemagne notamment. La fiction du réel donne une réponse efficace à tous ces impératifs économiques, sociaux et culturels.
 
 
La fiction du réel ou spectacularisation de l’intimité transformée
 La scripted reality s’inscrit finalement dans la continuité de la télévision de l’intimité, s’ajoutant à la liste des différents genres qui ont déjà fait évoluer le rôle de l’intimité au miroir des médias, reality-shows, talk shows et télé-réalité. On est passé d’un mode du divertissement dans les années 1980, qui consistait à la construction d’un monde fictif n’ayant pas de rapport direct avec la réalité, le quotidien du téléspectateur lambda, d’un mode de l’évasion à un mode de divertissement où l’intimité est mise au premier plan avec l’apparition dans les années 1990 dans premiers reality-shows. On ne cherche plus à sortir de la réalité, au contraire, on doit pouvoir se retrouver dans les individus que l’on observe dans ces émissions. Là où la variété divertissait en montrant ceux qui avaient réussi, la télévision de l’intimité nous divertit en montrant tout le monde et en particulier ceux qui risquent de perdre.
Les émissions de ce nouveau genre mettent ainsi en scène des faits divers, une scénarisation sommaire qui tend à reproduire la réalité et non à construire un univers fictif, et son esthétique propre. La scripted reality cherche à renvoyer au téléspectateur une image du réel et de l’intimité de personnages appartenant à la même réalité. Elle essaye ainsi de renvoyer une image menaçante et menacée de l’extérieur en projetant ces fictions du réel à l’intérieur du foyer, à l’abri de cette réalité. Tout se passe comme si on avait besoin du face à face avec l’évènement inquiétant, de toucher du regard le vertige du vécu alors que la création a pour principe de chercher à se départir de la réalité pour créer un monde à part dans lequel on peut se projeter. La fiction construit en effet un monde dans lequel on aimerait pouvoir entrer sans jamais y parvenir. À l’inverse la scripted reality se fait le miroir du réel que l’on cherche àfuir, dans lequel on ne veut aucunement se projeter. En un sens pourtant elle se fait donc le miroir de la réalité des téléspectateurs mais qui cherchent à s’en défaire. Les personnages sont issus de faits divers, de cette réalité partagée, tout comme la télé-réalité met en jeu des individus anonymes, la scripted reality nous montre ces individus qui pourraient être un voisin, un collègue, une tante…ou nous-mêmes. De ce point de vue c’est une partie de l’intimité qui est ainsi montrée, on cherche à spectaculariser le réel à  travers le médis télévisuel et le genre fictionnel. La scripted reality ne propose pas d’autre représentation du monde.
D’un syndrome de l’évasion, on est passé à un syndrome de la réalité, et la scripted reality renouvelle le rapport à la télévision de l’intimité en incluant une part consciente de fiction. Elle scénarise notre réalité comme le font certaines fictions en faisant dans le même temps la promesse de l’authenticité et de la vérité, à la manière d’autres genres de la télévision de l’intimité.
 
Margot Franquet
Sources :
Arrêt sur image, « Je suis une voyeuse et je m’en flatte », émission du 31/08/2012
Arrêt sur image, « Les fictions du réel, ou la recette de l’audience aux heures creuses », Sébastien Rochat, 13/09/201
Arrêt sur image, « Filippetti ne veut plus de fictions du réel sur France TV », le 29/10/2012
Médias le magazine, émission du 14/10/2012
Stratégie n° 1704-1705 20/12/2012, « Cachez ce programme que je ne saurais voir », Bruno Fraioli

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