Com & Société

¿ QUÉ TAL CATALUNYA ?

Tout a commencé en 2006 quand la Catalogne s’est auto-proclamée « nation » après un référendum sur l’autonomie élargie dans cette région. Mais en 2010, les choses s’enveniment lorsque Madrid refuse d’approuver les réformes du statut d’autonomie catalane. Dès lors, les indépendantistes catalans considèrent que la voie de la négociation touche à sa fin et mettent en place leur communication politique et médiatique, se battant alors bec et ongles contre Madrid.
Le soft power catalan
À force d’une patience à toute épreuve et d’une stratégie de communication bien menée, les indépendantistes sont aujourd’hui omniprésents sur la scène médiatique. Depuis 2010, le mouvement indépendantiste ne cesse de répéter sa volonté de sortir de l’Espagne avec pour acmé l’engouement suscité par la manifestation du 11 septembre 2012 (1,5 million de manifestants aux côtés d’Artur Mas, l’ancien président de la Généralité, le Parlement espagnol). Le but de ces démonstrations de force ? Créer « une crise de telle ampleur qu’il n’y ait pas d’autre option que de parler de vous », explique Jorge Santiago Barnes, docteur en communication politique à l’Université Camilo José Cela de Madrid. À cela s’ajoute le fait que les indépendantistes s’appliquent à construire leurs actions politiques comme de véritables coups de théâtre : élections, déclaration unilatérale d’indépendance, nomination de dernière minute, etc.
Ce travail de sensibilisation à la cause catalane aurait-t-il été facilité par les images d’une police espagnole violente le premier octobre dernier lors du référendum ? On pourrait le penser en tout cas, car si l’on reprend Patrick Charaudeau dans Le discours politique, les masques du pouvoir : « L’opinion fonctionne davantage sur les images et les affects que sur la raison et les valeurs ».

Une bataille de l’image qui cache une pression sur les médias et les journalistes
« Des matraques contre les urnes » (Libération), « Le référendum torpillé par la police » (Le Parisien) … Les titres des grands quotidiens français le jour du référendum mettaient en avant la violence policière face à la relative passivité des catalans. Des images de la police dans les écoles catalanes aux camions blindés face aux manifestants mains nues, les dérapages du gouvernement espagnol ont fait le tour des médias internationaux et ont contribué à ternir son image, jouant de facto en faveur de l’indépendantisme catalan.
Cela dissimule une pression subie par les correspondants étrangers de la part des deux acteurs de cette guerre politico-médiatique. Reporter sans Frontières a publié le 18 octobre un rapport s’intitulant « La liberté de la presse sous pression en Catalogne » pour mettre en évidence l’influence des chefs des partis politiques sur les médias. Madrid a par exemple mis sous tutelle TV3, la chaîne de télévision publique catalane, tandis que le gouvernement catalan a mené des campagnes de cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux comme Twitter afin de favoriser la propagande pro-indépendance… Des comportements extrêmes qui portent atteinte à la pérennité de la démocratie espagnole.

Les stratégies pour atteindre l’international : le fossé se creuse
Si l’on s’écarte un peu de ce débat sur la liberté de la presse, on constate que cette couverture médiatique a permis une sensibilisation internationale. Carlos Puigdemont, président de la région et chef de file des indépendantistes, a fait le tour des plateaux étrangers jusqu’à la veille du référendum. Il était le 25 septembre au micro de Léa Salamé sur France Inter, et répondait à ses questions dans un français presque parfait.

Le problème se pose quand l’on regarde du côté de la capitale. Le gouvernement espagnol semble incapable d’expliquer aux citoyens ce que représente ce référendum pour le pays et est absent de la scène médiatique étrangère. Le manque de modernité de cette communication institutionnelle provoque un déséquilibre face à la clarté des porte-paroles catalans. Tous les responsables de la presse étrangère possèdent le numéro de portable de Raul Romeva (conseiller aux affaires extérieures de la Generalitat de Catalogne), qui répond à leurs questions et gère les nombreuses interviews. Le gouvernement madrilène s’évertue donc à appeler le soutien des pays voisins et à organiser un dispositif de police imposant, mais il lui est difficile de toucher l’opinion publique quand les indépendantistes ont pris possession de la rue et de la toile.
Titi, une mascotte au secours des indépendantistes sur les réseaux sociaux 
La lutte s’est également jouée sur les réseaux sociaux avec Titi, le canari des studios Warner Bros. Peint sur l’un des navires hébergeant les officiers de la Guardia Civil (police espagnole) dans le port de Barcelone, il a beaucoup amusé les internautes indépendantistes qui s’en sont servi sur Twitter à travers les mots clés #FreeTweety ou #Freepiolin (Liberté pour Titi), qui ont connu un vif succès.

Ce personnage est rapidement devenu la mascotte des séparatistes au point d’embarrasser les autorités espagnoles qui n’ont eu d’autre choix que de couvrir le bateau à l’aide de bâches.

Le dialogue de sourds : crise politique, crise communicationnelle

Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a déclaré le jour du référendum que ce qui avait eu lieu n’était ni un référendum, ni une consultation et n’aurait à ce titre aucun effet. Mais Rajoy et Puigdemont doivent se rendre à l’évidence : la polémique est telle que cette logique de surenchère mutuelle dénuée de tout dialogue ne peut aboutir à une sortie de crise. Le dernier épisode résume bien la situation : le 28 octobre, Carles Puigdemont, destitué par Madrid de la présidence de la Catalogne, a appelé à s’opposer « démocratiquement » à la mise sous tutelle de la région déclenchée par le gouvernement espagnol après la déclaration d’indépendance votée par le parlement catalan.
Un enchainement de faits qui montre bien que le dialogue n’est pas prêt d’être rétabli et que l’issue de cette crise reste encore inconnue.
Elise Decoster
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Sources :
Allemandou Ségolène, « Bataille de communication sur le référendum : Catalogne 1- Madrid 0 », France 24, consulté le 30/10/2017
Breteau Pierre et Pouchard Alexandre, « Indépendance de la Catalogne : l’escalade entre Madrid et Barcelone résumée en SMS », Le Monde, consulté le 13/10/2017
Charaudeau Patrick, Le discours politique, les masques du pouvoir, Vuibert, 2005
Devillers Sonia, Catalogne : la pression contre les journalistes monte d’un cran, consulté le 24/10/2017 sur France Inter
Guien Laura, « Apprends à squatter la politique avec les indépendantistes catalans », Slate, consulté le 26/01/2017
Guien Laura et Palem Fabien, « Ce que la crise catalane dit de la démocratie espagnole », Slate, consulté le 28/09/2017
Salamé Léa, « Carles Puigdemont : « La violence n’est pas une option pour la Catalogne » », France Inter, consulté le 25/09/2017
Reporter sans frontières, « La liberté de la presse sous pression en Catalogne », consulté le 18/10/2017

Crédits photos :
Image de Une : « On se parle? » écrit en catalan sur une pancarte pendant la manifestation du 7 septembre à Barcelone.  REUTERS/Eric Gaillard
Image 1 : AFP Pau Barrena
Image 2 : @jordiborras
Image 3 : photo AFP

Com & Société

Génération WTF

« Et moi, et moi, et moi » chantait mélancoliquement Jacques Dutronc en 1966. Qui aurait su que cet appel lancinant de l’ego trouverait un écho bien plus tard fin 2014, dans le monde surprenant d’Internet. « Me ! Me ! Me ! », court-métrage d’animation japonais issu de la série Nihon Animator Mihonichi n’a pourtant que le titre en rapport avec la chanson de Dutronc. La vidéo a ému les internautes du monde dès 2015, par son mélange d’ecchi (voire hentai), cet érotisme propre aux mangas, d’ultra-violence et de gore, ainsi que ses références claires au monde de l’animation. Les débats ont fait rage pour savoir quel était le sens caché de cette vidéo énigmatique, dont les spectateurs pressentent bien qu’elle signifie quelque chose. « Me ! Me ! Me » n’est en réalité qu’un exemple.

L’omniprésence du WTF
En réalité le What the Fuck est un élément bien implanté dans la pop culture, issu de l’usage immodéré de ce sigle par les nouvelles générations. Utilisé sans cesse, il est en passe de devenir une expression consacrée sur toutes les plateformes populaires. Internet est devenu pour de nombreux internautes un jeu de piste où il s’agit de retrouver la vidéo, le site, bref ce qui étonnera le plus ses connaissances. Et ce jeu n’a pas de limites, des snuff movies qui montre des scènes de violence réelle aux performances artistiques les plus étranges, nombreux sont ceux qui font leurs délices des pratiques les plus étranges. LE WTF est même le fond de commerce de nombreuses personnalités sur Internet. En France, c’est la marque de fabrique des chaînes d’Antoine Daniel (What the cut) et de Mathieu Sommet (SLG) pour ne citer que les plus célèbres parmi eux. Leur audience trouve un plaisir effréné et communicatif à contempler les extravagances d’un enfant qui s’amuse à embrasser tous les enfants à sa portée en les mettant sur ses genoux ou la propagande délirante des témoins de Jéhovah.


Les vidéos permettent alors à tous d’avoir accès à des phénomènes marginaux considérés comme étranges, comme la découverte des « looners », ces personnes sexuellement attirées par les ballons ; commence alors une course effrénée pour avoir accès à la vidéo la plus étrange ou au phénomène le plus méconnu. Cette curiosité insatiable permet à des sites comme Spion.com d’exister, gigantesque vidéothèque des phénomènes les plus étranges.
Le WTF est même en passe de devenir une certaine institution culturelle dans certains pays, et bien entendu en affirmant cela, on ne peut penser qu’au Japon. Loin des thèses culturalistes et historiques hasardeuses, la prépondérance des éléments dits étranges dans la culture nippone reste mystérieux. Toutefois, on peut simplement l’expliquer en affirmant que les Japonais ont un rapport bien plus décomplexé avec le surnaturel et l’étrange que les autres pays occidentaux, et que ce goût particulier s’est de plus en plus affirmé jusqu’à devenir le marqueur le plus important de leur pop culture. De la musique à la publicité en passant par les mangas, le WTF se décline sous tous les modes et sa particularité, ce qui choque généralement les étrangers, c’est que cette weirdness est tout public. C’est en réalité loin d’être le cas hors du Japon, où le bizarre est réservé à quelques happy few.

Cette publicité s’est répandue dans le monde entier ; ce qui marque l’internaute c’est qu’une publicité de ce genre soit réservée à un public enfantin (les chocoballs sont des friandises) et ait été diffusée à une heure de grande écoute, tout comme la pub Dole pour les bananes.
La musique n’est pas en reste : certains artistes comme Kyary Pamyu Pamyu ou Wang Rong Rollin ont d’ailleurs acquis une renommée internationale grâce aux partages de leurs clips étranges sur Internet.


Mode ou phénomène culturel ?
Ce phénomène WTF et toutes ses déclinaisons : « what did I just see ? », « I’m on that part of YouTube again… » ne semblent être qu’un phénomène de passage. Pourtant, ils sont des marqueurs de toute une génération d’internautes qui a grandi avec Internet et qui s’est formée avec. Les réseaux sociaux et les sites de partage (comme Reddit, 4Chan, 9gag) ou par extension les plateformes médias telles que YouTube qui laissent s’exprimer les internautes ont vu peu à peu triompher le sarcasme. Le cynisme est devenu un marqueur générationel en soi : on le voit à travers les figures d’Hitler et de Kim Jong-Un, reprises et parodiées à l’infini, les commentaires politiquement incorrects (« that post gave me cancer ») qu’on a tous croisés, l’usage des memes et des gifs pour tourner en ridicule ce que l’on a coutume d’appeler en France les « bien-pensants ». Finalement, cette acrimonie quasi sanctifiée aboutit à ce constat sans appel : « The Internet broke me ».
Ce constat en réalité résume deux courants qui constituent l’utilisation contemporaine populaire du média Internet. D’un côté, la conviction d’avoir tout vu sur Internet, même les choses les plus glauques – qui très généralement, sont en rapport avec la sexualité. Se crée alors le fantasme d’une sorte d’innocence perdue à cause d’Internet et d’avoir créé des utilisateurs irrémédiablement pervers (bien que ceux-ci en tirent la plupart du temps un sentiment de fierté.
 

Le constat que le WTF a émergé récemment dans certaines cultures est particulièrement frappant dans le cas de certains pays comme les Etats-Unis. Peu importe le nombre d’heures passées sur Google ou Youtube à chercher désespérément des weird ads par exemple, aucun résultat probant ne pourra être trouvé. Cette culture de l’étrange et du bizarre n’affectait pas du tout l’Amérique pre-Internet, et cela est visible notamment dans les publicités pour les années 80, où tout semble être au premier degré : les publicités reprennent alors des éléments populaires comme des chanteurs ou des séries connues en y instillant une image idéale donnant l’impression que la publicité se déroule dans une perfect America.

Les publicités les plus anciennes sont par contre très souvent évoquées sur Internet pour leur racisme et leur sexisme qui paraît aujourd’hui inenvisageable. C’est une nouvelle forme de WTF, dans le sens où cela ne correspond politiquement correct qui est alors recherché.

La différence entre les générations pre et post WTF est d’ailleurs le fonds de commerce de la chaîne youtube Fine Brothers Entertainment ou l’on voit des individus d’une catégorie d’âge définie visionner les plus grands (et les plus bizarres) succès sur Youtube. La chaîne aux 13 millions abonnés a un succès qui ne se dément pas depuis des années, au point que les deux créateurs de la chaîne ont voulu agrandir leur chaîne en demandant aux internautes de leur envoyer leurs propres vidéos de réactions. Cette idée a été énormément critiquée, au point de faire un gigantesque bad buzz momentané à la chaîne, puisque les deux créateurs ont été accusés de vouloir s’emparer d’un concept. C’est dire à quel point le WTF et tout ce qui y touche est aujourd’hui perçu comme un élément essentiel de la culture Internet.

C’est le cas édifiant de Carlos Boyero, critique cinéma d’ El Pais (l’équivalent espagnol du Figaro) auquel ses collègues font regarder des vidéos d’ElRubius, gamer survolté qui ne s’interdit rien devant la caméra. Alors que le jeune homme est une véritable célébrité en Espagne, ses vidéos rassemblant autant de spectateurs que le plus grand succès au cinéma de l’année 2015 (Ocho apellidos vascos, une sorte de Bienvenue chez les Ch’tis espagnol), Boyero avoue n’y rien comprendre. Il s’avoue même choqué, et trouve tragique et incompréhensible que toute une génération puisse trouver drôle ce genre de gesticulations. Le critique se désespère alors que les amateurs du genre s’agacent de voir quelqu’un aussi peu réceptif à une nouvelle forme de divertissement et faire preuve d’une ignorance profonde à ce niveau. Les commentaires sur YouTube s’en prennent d’abord généralisations de Boyero, rappelant qu’il s’agit d’un type bien particulier d’humour auxquelles toutes les productions des Youtubeurs ne se rattachent pas, loin s’en faut.

« (…) Il ne faut pas oublier que ces vidéos sont destinées à un public très jeune et non pas à des adolescents ou à des adultes »
D’autres s’irritent de l’incompréhension totale du critique face à des œuvres nées grâce à Internet et qui restent imperméables à l’éclatement des schémas médiatiques traditionnels.

« Demander à un critique de cinéma son opinion sur les Youtubers revient à interroger un jardinier sur son opinion sur la théorie quantique de la gravité. Bienvenue sur YouTube, un nouveau monde audiovisuel de divertissement totalement différent du cinéma et de la télévision, et qui accueille des milliers de personnes par jour ! »
Boyero est en tous cas symptomatique de cette différence profonde qui existe entre les familiers des réseaux sociaux et ceux qui ont grandi dans un monde où ils n’existaient pas. Pour le vérifier, mettez vos parents devant l’épisode spécial Japon d’Antoine Daniel et guettez leur réaction horrifiée. Avec un peu de chance, ils vous jetteront des regards consternés à chaque fois que vous rirez devant la vidéo, s’interrogeant sur la santé mentale de leur progéniture.
Myriam Mariotte
Sources :
http://verne.elpais.com/verne/2015/02/17/articulo/1424187974_312017.html?id_externo_rsoc=FB_CM
 http://www.1001web.fr/youtube-polemique-autour-du-copyright-react-des-fine-bros-134547.html
 

famille royale espagne
Les Fast

Seize centimes de trop ?

 
Tout semble s’effondrer pour la monarchie de Juan Carlos. Seuls 57% des espagnols se disent ainsi encore favorables au régime monarchique, et 62% d’entre eux aimeraient que le roi abdique en faveur de son fils, selon un sondage publié dans le quotidien El Pais. En cause ? De nombreux scandales, allant d’une coûteuse chasse à l’éléphant secrète du roi au Botswana en une période où l’Espagne est frappée de plein fouet par la crise ; à la mise en accusation de l’infante Cristina dont le procès pour fraude fiscale et blanchiment d’argent s’ouvrira en ce 8 février.

La publication le 3 février dernier d’un communiqué de presse de la Zarzuela dans le journal conservateur La Razón intitulé « La Monarchie coûte à chaque espagnol 16 centimes par an » n’est donc pas anodine et vise à rassurer les espagnols sur la pertinence économique de leur régime politique tant contesté. Le communiqué insiste en effet également sur la baisse du budget consacré à la Couronne pour cette année 2014 et sur la modification du mode de rémunération de la reine et de sa belle-fille, qui toucheront non plus une somme décidée subjectivement par le roi mais un salaire évalué par un comité.
Reste à voir si cette initiative sera suffisante pour contenir l’exaspération ambiante envers la famille royale.
 
Héloïse Lebrun-Brocail
Sur le même sujet voir le Curious d’Inès Garmon
Sources :
CourrierInternational.com
LeFigaro.fr
LaVie.fr

Cristina
Com & Société

Il était une fois une princesse, qui fit tomber la couronne

 
Ce sont des temps difficiles qu’est en train de vivre la couronne espagnole : l’Infante Cristina, fille cadette du roi Juan Carlos, duchesse de Palma de Majorque, septième dans l’ordre de succession au trône d’Espagne, est invitée à comparaître le 8 mars prochain devant la justice de son pays, soupçonnée, entre autres, d’avoir blanchi de l’argent. Qu’une princesse soit ainsi suspectée de malversations financière, c’est bien une première dans l’Histoire de la Péninsule, qui pourrait bien coûter son titre à son père, dont la couronne est déjà vacillante et souffrant d’un gros déficit de popularité.
L’ancienne star du handball espagnol, Iñaki Urdangarin, co-fondateur d’une société patrimoniale spécialisée dans l’organisation de congrès sur le sponsoring sportif, et accessoirement époux de l’Infante, est en prise avec la justice espagnole depuis près de trois ans. Il est accusé d’avoir réussi à réunir près de six millions d’euros grâce à l’institut Noos, détenu en moitié par sa royale épouse. En novembre dernier, le juge Majorque en charge de l’affaire avait saisi le « petit palais » des époux princiers, une sobre maison de 2 000m2 située dans le très chic quartier de Pedralbas à Barcelone. Après neuf mois d’une enquête minutieuse, l’Infante va devoir justifier  sa position et son implication dans les affaires illégales de son mari. Le juge la soupçonne d’avoir blanchi et géré l’argent obtenu illégalement par ce cher Iñaki et il est certain d’avoir entre les mains les preuves nécessaires pour mettre la duchesse dans ses geôles.
Les médias espagnols sont eux aussi convaincus de l’implication de l’héritière, désignant l’amour comme motif de cette trahison. Quant aux Espagnols, ils attendent avec impatience que le couple royal s’explique, et notamment sur le train de vie des époux, rendu public par l’enquête, que l’on pourrait qualifier de scandaleux en ces temps de crise économique. Amoureuse ou non, l’implication de la princesse héritière dans de louches transactions financières et la façon dont elle semble en profiter si allègrement porte quoiqu’il en soit préjudice à l’image de la famille royale et devrait mobiliser une armée de communicants. Mais celle-ci est déjà bien entachée par ailleurs et la communication du palais semble ne se limiter qu’à de rares coups de com sans logique d’ensemble.

En effet, cette nouvelle, parue le 7 janvier dernier dans la presse, tombe comme un couperet sur la tête du roi, et prolonge « l’annus horribilis » de Juan Carlos, déjà en disgrâce auprès de son peuple et roi maudit depuis de longs mois : le sceptre avait failli lui glisser des mains lorsqu’il s’était rendu en avril dernier au Botswana pour aller chasser l’éléphant, safari au cours duquel il s’était fracturé la hanche. Si des excuses publiques, encore une première dans l’histoire de la royauté, avaient un peu réussi à redorer son image, la balle que son petit-fils de 13 ans s’était tirée dans le pied avait douloureusement rebondit médiatiquement dans le sien et trainé derrière lui comme un boulet. Par ailleurs, l’auto-proclamation d’enfants naturels et ses frasques amoureuses possibles qui avaient fait couler beaucoup d’encre à la parution d’une biographie de son épouse, la reine Sofia, ont concouru à entacher, peut-être définitivement, sa crédibilité auprès de ses sujets.
Aussi, le roi qui ne peut plus marcher sans béquille, s’était appuyé sur une communication politique en apparence solide mais qui n’est pas parvenu à endiguer sa chute dans les sondages, peut-être à cause de son caractère trop épisodique: seuls 50,1% des Espagnols ont une bonne image de leurs suzerain contre 76,4% il y a moins d’un an. Ce n’est pas en multipliant ses déplacements dans le pays et à l’étranger ou par à la création d’un site internet en 2012 ou encore d’une nouvelle émission hebdomadaire rendant compte chaque semaine des activités des Bourbons, que sa Majesté a réussi à établir un nouveau contact avec son peuple, et notamment avec les plus jeunes : 57,8% des moins de trente ans estiment qu’un meilleur système politique pourrait être mis en place. C’est dire si les quelques actions de com du palais ont payé.
Mais avant qu’un nouveau régime soit inauguré, c’est le peuple qu’il conviendrait de fédérer à nouveau et c’est la tête du roi que 45% des Espagnols demandent pour mettre sur le trône son fils Felipe. Une étude parue en début d’année dans le quotidien El Mundo révèle que près de 60% des Espagnols estiment qu’il est temps pour le roi de se retirer.
Ainsi, après 37 ans de règne et de services rendus à la nation, c’est bien l’abdication qui menace le souverain aujourd’hui. Malgré son rôle décisif dans la transition démocratique après Franco, les Espagnols ne soutiennent plus un roi aujourd’hui vieillissant et malade, l’invitant à prendre exemple sur la reine Beatrix des Pays-Bas qui a laissé sa couronne le 30 avril dernier à son fils, ou sur Albert II, roi de Belgique, qui le 21 juillet a pris sa retraite, ou bien sûr, sur le Pape Benoît XVI.
De là, on peut se demander si l’opinion publique n’est pas la nouvelle autorité divine des puissants. On pourrait tirer de ces abdications en série l’enseignement suivant : alors que leurs illustres prédécesseurs jouissaient d’un droit divin séculaire, les monarques de notre ère doivent désormais répondre de leurs actes devant la sphère publique et tirent aujourd’hui leur légitimité de leur cote de de popularité et de l’amour de la foule. La communication politique, nouvelle épée dont doivent s’armer les rois modernes ? Quoi qu’il en soit, celle de Juan Carlos semble coincée dans son fourreau, au moment même où il devrait déjà être en croisade !
 
Inès Garmon
Sources
LeMonde
HuffingtonPost
CourrierInternational
Crédits photos
Esmatouristic
GHI

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