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La publicité, une fois encore menacée

Le 8 décembre 2016, le Sénat a adopté en deuxième lecture le projet d’enlever la publicité dans les programmes télévisés des moins de 12 ans, après une première lecture en janvier 2015 par l’Assemblée Nationale.
Cette législation a été proposée par l’écologiste André Catolin dans la volonté d’assurer « la protection et le devenir des enfants ». Pour cela, le sénateur envisage l’arrêt de la diffusion des messages commerciaux (sauf ceux d’intérêt général) quinze minutes avant et après les programmes pour enfants sur les chaînes publiques de France Télévisions et ses dérivés numériques.
Loi d’ailleurs votée en demi-teinte puisque les socialistes et communistes ont séché le vote. La France est loin d’être pionnière dans ce domaine puisque ce genre de loi est déjà appliquée au Royaume-Uni, en Suède, en Espagne, en Belgique et en Irlande, mais notre pays est-il prêt et le sénateur a-t-il bien étudié tous les enjeux de cette loi ?

L’Etat salvateur
En votant ce projet, l’Etat se veut protecteur des enfants. France Télévisions ne peut en effet se permettre de diffuser tout et n’importe quoi sur ses chaînes car l’Etat doit répondre à l’application des services publics ; depuis la loi de 1982 proclamant la fin du monopole des chaînes publiques, l’Etat a un mot d’ordre dans ses programmes télévisés : « informer, distraire, instruire » et encore plus quand il s’agit d’un public jeune. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, sous l’ère de l’ORTF, la loi du 16 juillet 1949 place le jeune public sous haute surveillance.
André Catolin veut diminuer l’influence de la publicité sur les enfants notamment dans le domaine alimentaire. Déjà à l’époque de l’ORTF et de De Gaulle, des militants traditionnels et catholiques mettaient en garde contre l’impact de la télévision sur la santé, la scolarité et la qualité de vie familiale et alertaient les parents sur le danger des valeurs véhiculées par les programmes télévisés.

 
L’enfant-consommateur perdu ?
A l’inverse des chaînes privées qui ne vivent que grâce à la publicité, les chaînes publiques de France Télévisions bénéficient d’autres moyens de financement comme la redevance (taxe prélevée auprès des téléspectateurs pour contribuer au financement des chaînes de télévision publiques), qui a d’ailleurs été déjà augmentée depuis la loi interdisant les publicités après 20 heures. Mais du fait notamment de cette interdiction, le groupe est en difficulté financière et économique. Alors, le projet voté au Sénat ne risquerait-il pas de fragiliser davantage France Télévision, déjà sur une pente glissante ? Obviously not selon André Catolin. Bien sûr, présentant le projet, le sénateur ne va pas hurler sur tous les toits les risques financiers qu’il entreprend pour le groupe. D’après lui, les pertes liées à l’application de ce projet ne ferait perdre à France Télévisions que dix ou onze millions d’euros. Mais, aurions-nous oublié quelque chose … ? Qu’en est-il des annonceurs ciblés sur le public enfantin ? Vont-ils accepter de continuer leur collaboration avec le groupe si ce dernier lui met des bâtons dans les roues ?
Ces questions ne doivent pas être prises à la légère par les votants car l’enfant représente un véritable consommateur potentiel.
Selon une enquête de Médiamétrie, un enfant entre 4 et 14 ans passe en moyenne 2h30 par jour devant la télévision et moins d’une heure sur les tablettes. Également, la multiplicité des écrans et les changements dans les pratiques d’usage et de consommation des programmes télévisés représentent une mine d’or pour les annonceurs, puisque les formats publicitaires se multiplient comme par exemple les vidéos sur Youtube.
Dès la deuxième moitié des années 1960, la télévision devient une culture transmédiatique et se tourne vers la promotion de l’enfant-consommateur. Fabrice d’Almeida et Christian Delporte disent dans leur ouvrage Histoire des médias en France : « Conscients que l’enfance constitue un important potentiel de consommateurs, le monde des affaires exploite le succès des émissions, en lançant des produits dérivés ou des journaux qui nourrissent l’identification des jeunes téléspectateurs à leurs héros préférés ». La télévision alimente un consumérisme croissant car elle use des héros de télé pour vendre des magazines, des jouets, ou encore des albums. La publicité devient alors un véritable relais aux programmes télévisés car elle permet de montrer les nouveaux dérivés puis les nouveaux produits susceptibles de plaire aux enfants.

Il faut sauver l’enfant Ryan

Chaque enfant serait exposé à 2000 signaux commerciaux par jour. Cette loi viserait alors à éviter la surexposition publicitaire et le consumérisme à outrance. Le sociologue américain John Hartley parle de « pédocratie », c’est-à-dire que l’enfant doit être protégé de « la contamination par la culture de masse ».
L’influence de la publicité sur les enfants, on le sait, peut avoir des impacts sur les pratiques voire même sur les comportements sociaux. La publicité a tendance à rendre naturel ce qui était à l’origine culturel, pour citer Roland Barthes et ses fameuses Mythologies. Alors, les filles s’identifient « naturellement » à la couleur rose de leurs Barbies préférées tandis que les garçons s’orientent vers les voitures ou les pirates.
Selon le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron, les enfants de moins de sept ans reçoivent « le programme publicitaire comme une vraie information ». Et ne font pas la différence entre ce qui est montré et ce qui est bon pour eux.
Du fait de ce risque d’identification des enfants aux images diffusées à la télévision cette loi permettrait de seconder le rôle des parents c’est-à-dire : apprendre aux enfants à appréhender les images télévisées non pas comme une reproduction véridique de la réalité, mais comme des constructions.
Alors, pour ou contre cette loi ? La suite, au prochain épisode…
Maëlys Le Vaguerèse 
@lvgmaelys
 
Sources :
– Sonia Devilliers, L’instant M, France Inter, 9/12/2016
– Eugénie Bastié, Le Figaro, 8/12/2016

– Mégane Gensous, e-marketing.fr, 9/12/2016
Crédits photos :
– Joanna Zielinska, fotolia.com, 6/03/2016
– Maxim Kabb, 4/02/2014
– Chouchou Brandley, 2/12/2012

com montebourg
Agora, Com & Société

Montebourg 2.0

 
Mardi 2 juillet de 18h à 19h, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement Productif, a tenu une conférence vidéo sur le thème « la localisation et la relocalisation d’activités industrielles en France » via Google Hangouts et retransmise sur Youtube. Avec cette communication politique d’un nouveau genre, initiée le 6 juin dernier par Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes et Porte-Parole du Gouvernement, Arnaud Montebourg entend donner aux citoyens les moyens d’ « interroger le pouvoir, ses choix, ses décisions ». Cette vidéo-conférence, organisée par le ministère mais réalisée dans les locaux de Cap Digital (grand pôle de compétitivité, pas un hasard donc) se veut donc comme le prolongement logique des compte-rendus de terrain que le ministre réalise régulièrement sur le terrain, comme cette semaine à Montpellier.
Un dispositif verrouillé
Ce que l’on retient de ce petit chat improvisé, c’est tout de même la prise de risque zéro du ministre. Les huit internautes qui ont pu interroger Arnaud Montebourg par webcams interposées avaient été soigneusement sélectionnés à l’avance par le cabinet du ministre. En outre, il s’agissait pour la plupart de jeunes entrepreneurs de starts-ups qui au bout du compte ont les moyens et la volonté de privilégier la fabrication française. D’ailleurs, les questions au ministre ne sont ni très pertinentes ni très cinglantes : le ministre peut donc développer à l’envie les différents pans de sa politique, vantant au passage les bienfaits de son logiciel Colbert 2.0, qui est censé aider les chefs d’entreprises français à relocaliser leur production. Aucun des intervenants ne lui pose des questions dérangeantes ou réellement profondes. Une communication qui n’a donc rien de symétrique, et qui s’apparente davantage à un exercice de légitimation de la politique de redressement productif du ministre Montebourg, qui brasse en effet beaucoup de dossiers (parfois avec du résultat) mais se voit réduit, contre son gré, à faire le moulin. Il en va de même pour les questions posées par tweets, via le hastag #MRPnum, que l’équipe sélectionne et écrit sur le paperboard en face du ministre.
Auj à 18h, débat numérique avec @montebourg, en direct sur http://t.co/jcRs4ePUsk Posez déjà vos questions #MRPnum pic.twitter.com/odjjR8qIdO
— Ministère RP (@redressement) July 2, 2013
Le tweet de présentation de la vidéo-conférence, via le compte du Ministère

@montebourg @redressement #MRPnum trouvez-vous normal de protéger nos artistes (protectionnisme) et pas notre industrie ? — Taf Séb (@Subtaf) June 30, 2013

Un exemple de question : pas de quoi effrayer Montebourg, qui connaît bien ses dossiers.
On peut remarquer que les chiffres et certains éléments de réponse à des questions sont également préparés à l’avance et écrit sur le paperboard ; ainsi Montebourg n’a qu’à tourner légèrement la tête pour lire ce qui y est inscrit. Un premier exercice bien cadré donc, mais légitimité dans sa forme par la contrainte technique. Dans l’avenir, le cabinet assure que le ministre souhaite réitérer l’action mais dialoguer cette fois-ci avec des internautes non sélectionnés. Toutefois cela apparaît techniquement plus complexe, car il faudrait alors valider la connexion de chaque internaute tout en conservant une certaine fluidité malgré le direct.
Plus proche des citoyens
Après la forme, penchons-nous un peu sur le fond. D’après Montebourg, sa démarche s’inscrit dans ce qu’il appelle un « colbertisme participatif ». « Colbertisme » en référence à Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV : celui-ci a en effet participé à la construction de l’État français tel que nous le connaissons aujourd’hui mais a aussi impulsé son industrialisation. « Participatif » évidemment pour désigner la volonté d’établir un lien de proximité entre dirigeants et citoyens. Montebourg introduit son « chat vidéo » en exprimant son « besoin de discuter avec la société toute entière ». Il a le souci d’expliquer sa politique de manière directe, sans passer par les médias tels que le journal de 20h ou la presse écrite qui jouissent encore d’importantes audiences mais qui laissent de côté de nombreux citoyens. Par ailleurs, la nouvelle génération de citoyens connectée au web 2.0 s’informe, communique et échange directement sur Internet via les réseaux sociaux. « Il m’a paru nécessaire d’aller sur le lieu où se rassemble le plus grand nombre de citoyens » explique-t-il. Un discours rassurant, une initiative participative qui marque l’intérêt de Montebourg pour la politique de proximité, lui qui fait chaque année sa traditionnelle ascension du Mont Beuvray dans son fief de Bourgogne. Cette année, Le Petit Journal s’était rendu sur les lieux pour railler le « ministre des Champs » et sa politique enracinée, qui joue du patois local et ironise gentiment sur l’attitude « parisienne » des journalistes présents. Sans remettre en cause la bonne foi d’Arnaud Montebourg ni même sa vocation à pérenniser la démocratie participative, on enfoncera des portes ouvertes en avançant que cet événement s’inscrit surtout dans une stratégie de construction d’une identité politique forte. Je vois davantage ici le futur candidat Montebourg en 2017, qui élabore soigneusement et patiemment une image d’homme politique enraciné et à l’écoute de tous les Français, dans la diversité de leurs conditions. Sans critiquer le volontarisme et les compétences du ministre Montebourg, force est de constater son habilité à échafauder soigneusement son écrin de « représentation » (que d’autres appelleraient un peu banalement « storytelling ») tout en jouant l’équilibriste avec le gouvernement (on connaît ses mauvais rapports avec le Premier Ministre) et sa politique (qu’il a critiquée plus ou moins ouvertement et qu’il digère sûrement difficilement).
Et Dailymotion ?
Finalement, ce qui a peut-être le plus retenu l’attention, c’est le choix de Youtube pour héberger la vidéo conférence. C’est qu’en avril dernier, le ministre du Redressement Productif avait déclenché la controverse en posant son veto au rachat de la plateforme française par le géant américain Yahoo. Selon le service presse, ce choix se justifie par des raisons purement techniques : « Depuis janvier, le ministre effectue des compte-rendus de mandat ministériel lors de déplacements en province. Il a voulu élargir l’audience au-delà des 300-400 personnes habituellement présentes à ces réunions, d’où l’idée du chat vidéo. (…) Il n’y avait pas de solution numérique en France équivalente à Google Hangouts, c’est pour ça que nous avons retenu Youtube. » Avant de quitter les lieux, Arnaud Montebourg n’hésite pas à lancer à l’équipe de Google : « Hé les gars ! Quand est-ce que vous payez vos impôts ? » Dommage que ce ne soit que pour la beauté du geste.
 
Laura Garnier

Société

Et si Yahoo! avait racheté Dailymotion…

 

Aujourd’hui, le 6 mai 2013, la France est en deuil. Un an jour pour jour après l’élection de François Hollande, la page Wikipédia de Dailymotion a disparu. Et lui avec.
L’aigle, ou plutôt la Pygargue à tête blanche, a dévoré le coq gaulois. Voilà que la charmante petite église d’un village français que représentait (presque) le logo de Dailymotion se transforme, bien malgré nous, en gratte-ciel de Wall Street ! Le rachat de Dailymotion par Yahoo! signe la fin de la culture française chuchote-t-on.
Adieu les Matinales de RTL rediffusées avec la tendre voix de Stephane Bern , notre monarque radiophonique préféré ?
Adieu les interventions d’Alain Duhamel dans sa rubrique « Fait Politique » ?
Adieu l’humour français « démocratisé » dans les retransmissions des sketches de nos meilleurs (ou pas) humoristes ?
Adieu les témoignages pertinents de jeunes adolescents (ou pas) à propos de leur libido, comme dans cette vidéo publiée cette semaine « C’est marrant la vie presque puceau » ?

Mais heureusement, nous ne sommes plus « la risée mondiale de l’Internet », comme avait pu le déclarer Pierre Kosciusko-Morizet, le frère de Nathalie et le cofondateur de Price Minister, au moment où les négociations entre le gouvernement et Yahoo se révélaient un peu tendues. Grâce au rachat par le géant américain de la plateforme française de vidéos en ligne, il est désormais possible d’envisager la « croissance mondiale » de la start-up française (enfin, nord-américaine, ce qui pour beaucoup semble être la même chose). « La notion de “France” n’est plus économiquement pertinente. Les capitaux sont mondiaux aujourd’hui », revendiquait l’auto-entrepreneur avec un optimisme patriotique incroyable. Mais n’ayez crainte, Pierre Kosciusko-Morizet sera bientôt le prochain ministre du redressement productif, et remplacera Monsieur Montebourg, idéaliste socio-démocrate qui a foi en un dynamisme économique national anachronique.
A Bercy, comme dans la Rue de Vallois, on ne parle plus de « défense de l’exception culturelle ». La rhétorique de la croissance a fini par triompher. Désormais, Deezer reste le seul site tricolore qui s’est fait une place en dehors du web hexagonal. Arnaud Montebourg, après avoir figuré en première de couverture du Parisien pour défendre le « Made in France », ne pouvait que s’opposer au rachat de Dailymotion, vecteur majeur de l’influence culturelle et numérique française dans le monde. Mais il n’a visiblement pas été insensible à l’ambition de la charmante patronne américaine de Yahoo! Marissa Mayer qu’il a préférée à la préservation de « l’intérêt de la France ». Le rachat de Dailymotion par Yahoo! signe la défaite du « Made in France », avant qu’il n’ait pu atteindre sa maturité.
Yahoo! a rapidement changé le nom de l’entreprise française pour « Mouvement Quotidien », traduction littérale de Dailymotion pour séduire un public étranger sensible aux sonorités francophones. Chacun saura apprécier la portée humoristique de ce choix.
Rien de mieux pour illustrer ce rapport de force « politico-économico-numérique » que les fables du conteur français Jean de la Fontaine. Dans Le Renard et la Chèvre, le lecteur assiste à la défaite de cette dernière face à l’espièglerie du renard, qui répond à la chèvre bien embêtée :
« Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts :
Car pour moi, j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin. »
 
Margaux le Joubioux
Sources :
-France Culture : Dailymotion devrait rester Français…. Pour le moment
-Rue 89 : Pierre Kosciusko- Morizet : « Dailymotion va mourir »
-Le Figaro : Yahoo! repart à l’offensive et lorgne Dailymotion
-Les Fables Jean de La Fontaine

Société

La motion de censure : un duel institutionnel

 
« Délibérer est le fait de plusieurs. Agir est le fait d’un seul. » écrit le Général de Gaulle dans ses Mémoires de Guerre. En déposant une motion de censure à l’Assemblée Nationale le 15 Mars dernier, JF Copé, Président de l’UMP, ne contredit pas l’ancien chef de l’État, le seul dont le gouvernement avait dû démissionner après une motion de censure votée contre lui en 1962. A l’époque, une majorité de députés s’opposaient au référendum pour valider l’élection du président de la République au suffrage universel direct.
Cette initiative, parfaitement symbolique, permet à Jean-François Copé d’affirmer son autorité à la tête d’une opposition dont la cohésion et la force ne sont pas encore tout à fait évidentes. Mercredi dernier, le Président de l’UMP s’est exprimé dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, s’offrant ainsi une tribune pour sa « reconquête » tout à la fois personnelle et électorale. Bien entendu, la motion a été rejetée, seuls 228 députés ayant voté pour (tous de la droite, de l’extrême droite et du centre), alors que la majorité requise était de 287 voix. Aussi, il semble évident de traduire cette critique du gouvernement officialisée au moyen de cette motion de censure comme la volonté de l’opposition de mettre en scène une parole subversive contre l’exécutif, soutenue par une rhétorique apocalyptique. En témoignent les termes employés par JF Copé lors de son discours lorsqu’il évoque la situation actuelle de la France : « la défaite de notre pays », « message d’alerte », « spectacle insupportable », « sentiment de gravité », « déclin économique et social de la France ». Il n’avait pas été plus nuancé lors de son intervention télévisée au JT de TF1 le dimanche 17 mars pour évoquer la motion de censure, dénonçant un « gouvernement aux abois », responsable de « la ruine du pays ». Il propose d’ailleurs de résoudre cette catastrophe politique et économique par un « big-bang économique », pour rester dans la métaphore apocalyptique.
Une motion de censure, sous la Ve République, c’est un peu comme un drame au théâtre : les rôles et les péripéties sont déterminés, la fin de l’histoire est connue de tous. Cette mise en scène de l’action de l’opposition, plus symbolique que réelle, invoquant une dramaturgie héroïque, est un message de communication politique plus qu’un geste patriotique. Et cela, même si M. Copé en appelle au devoir de désapprobation civique et morale pour dénoncer le gouvernement, en souhaitant « faire de ce débat un moment démocratique, un moment de vérité, l’une de ces circonstances rares ou il est donné à l’exécutif si puissant dans nos institutions à nos jours d’écouter l’opposition ». La gauche détient en effet la majorité à l’Assemblée Nationale, et jamais les Verts ni les partis de gauche auraient accepté de former une coalition avec la droite pour déroger le gouvernement actuel. Une seule issue était donc possible : celle d’une parole politique suspendue et sans effet, suite à un affrontement entre Copé et Ayrault. La majorité a donné raison au gouvernement, même si celui-ci avait été fragilisé la veille par la démission de Jérôme Cahuzac.
Mais ce drame classique se transforme au fil des ans en boulevard redondant : la motion de censure, tente-cinq fois déposée sous la Ve République, devient une tradition politique dont la légitimité s’effrite à mesure qu’elle perd le sens de sa finalité réelle : la dissolution du gouvernement. Or, en cas de présidentialisme absolu, c’est-à-dire en cas de concordance des majorités présidentielle et législatives, cette menace ne peut être que symbolique et se réduit à un coup de communication incroyable pour l’opposition (au même titre que les amendements qu’elle dépose). Impossible de blâmer cet opportunisme politique : il est la conséquence de nos institutions et des rapports de force politiques qui s’en dégagent. Les retombées médiatiques de cette motion de censure ne sont pas négligeables pour l’UMP : interview du Président de l’UMP au JT de Claire Chazal et à la matinale de France Inter avec Patrick Cohen, une retransmission intégrale du débat parlementaire sur LCI, des articles quotidiens dans la presse écrite depuis le 15 mars. D’autant que cette motion de censure arrive au moment de la défaite de la candidate PS aux élections législatives partielles et d’un mini remaniement ministériel improvisé.
 
Une dyarchie grammaticale et politique
Cette motion de censure a également été l’occasion de rappeler la confusion qui règne autour de l’exercice du pouvoir de l’exécutif, confusion parfaitement retranscrite dans le langage politique et médiatique. En effet, on a pu remarquer la critique très virulente de JF Copé contre François Hollande, le Président de la République, lors du JT de TF1 : « François Hollande a pris deux décisions qui sont à mes yeux irresponsables et que je veux dénoncer à l’AN. » Or, la motion de censure concerne l’action du gouvernement et pas celle du Président, comme le précise l’article 49 de la Constitution  : « L’assemblée nationale met en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d’une motion de censure. » Ainsi, c’est le premier ministre, chef de la majorité parlementaire, qui est venu défendre l’action et la politique de son gouvernement. « Je sais où je vais, je sais comment y parvenir, et je sais ce que doit être la France à la fin de ce quinquennat, et c’est à cela que depuis le premier jour je me suis attaqué » a affirmé fermement Jean Marc Ayrault mercredi dans l’hémicycle, avec une détermination qui a été le seul coup de théâtre de ce rituel politique. Ayrault a défendu avec éloquence son gouvernement dans un discours dominé par le « je » qui remplaçait le « nous » (nécessaire dans son rôle de chef de file de la majorité parlementaire). Les références au Président de la République se sont raréfiées. M. Ayrault semble enfin assumer sa fonction ainsi que ses choix politiques. Et pourtant, le premier ministre s’est fait indirectement l’avocat du Chef de l’Etat mercredi, en n’ayant pas d’autre possibilité que de défendre la politique et les actions de François Hollande dans cette plaidoirie vigoureuse, sous couvert de l’emploi du « je » plutôt que du « il ». Cette motion de censure aura au moins eu le mérite d’interroger la responsabilité de la politique de la nation. « Le président fixe le cap, le Premier Ministre dirige le gouvernement », avait révélé Ayrault sur le JT de David Pujadas en mai dernier.
Au travers d’une confusion grammaticale non-intentionnelle, la motion de censure aura révélé la confusion institutionnelle de l’exercice d’un pouvoir exécutif bicéphale.
 
Margaux Le Joubioux
Sources :
LCI replay : le débat parlementaire du Mercredi 22 mars
« Ayrault s’efforce de reprendre sa majorité en main » Le Monde
« Copé mise sur sa motion de censure pour relancer l’UMP » Les Echos
« À l’UMP, la motion de censure « ne fait pas l’unanimité » » Le Figaro
« Motion de censure : l’opposition quasi-unie face à Ayrault » Le Jdd

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Environnement, Société

Web et écologie : une communication (au mieux) absente

 
Bons citoyens éco-responsables que vous êtes, vous avez probablement tous été déjà sensibles à cette petite ritournelle qui occupe la fin de vos factures et autres relevés de comptes, vous invitant, en misant sur votre bonne conscience et sentiment de culpabilité, à demander vos factures en lignes plutôt que par papier pour réduire la consommation de CO2. Que ce transfert soit moins coûteux pour les entreprises, c’est prouvé. Moins polluant… ce n’est pas si évident.
 
Immatérialité, immatérialité chérie           
Si on doit dégager quelques spécificités propres à Internet, la plus évidente serait sans doute la masse de fantasmes, métaphores, mythes qui l’enveloppent et nourrissent nos imaginaires. Et l’un des plus forts est cette notion d’immatérialité. Notion qui, avouons le, par sa seule évocation, mobilise en nous une sorte de crainte, au sens religieux du terme, mêlée d’une douce rêverie de science fiction. Or, on le sait, toucher notre inconscient et nos émotions est la recette d’une communication réussie. Le concept d’« immatérialité », un peu comme celui de « transparence », vaut de l’or.
Mais qu’en est-il réellement ? Bien sur que non, Internet n’est pas dématérialisé. On y accède par un support, quel qu’il soit. S’il faut se connecter, l’utilisateur a également besoin d’un objet assurant la transmission du réseau, qui lui même est amené par d’autres infrastructures… Quant au transfert et au stockage d’information, il est assuré par la présence des serveurs, et je vous invite à jeter un œil sur ceux de Google, assez impressionnants.

Tout cela relève de l’évidence. Mais c’est pourtant dessus que se joue toute la communication des diverses entreprises, qui ont , elles, plutôt intégré les valeurs économiques qu’écologiques de cette « révolution numérique ».
 
Quels enjeux pour le développement durable ?
Brosser un portrait complet de la multitude d’enjeux que sous tend ce changement serait hélas trop long, complexe et confus pour tenir dans un seul article. Mais l’on peut tout de même mettre en exergue quelques points clefs qui seront sans nul doute au cœur des réflexions très bientôt.
On peut d’abord songer au e-commerce, souvent encensé pour ses vertus écologiques : il serait moins polluant de commander un livre plutôt que d’aller l’acheter en magasin. En fait, il est quasiment impossible de faire un tel calcul, car il faut prendre en compte une multitude de facteurs : à quelle distance est le magasin ? Comment s’y rend-on ? Si l’on achète un livre sur Internet, d’où vient-il ? Ou se fait-on livrer ? Un article de Slate détaille ces questions, et, contre les idées reçues, conclut que, pour le moment, on ne sait pas grand chose.
Se pose ensuite la question, très vaste, des objets technologiques, avec au cœur le problème de l’obsolescence programmée (techniques permettant de réduire la longévité des appareils afin que les utilisateurs s’en rachètent), ainsi que l’habitude de renouveler ses téléphones par exemple, beaucoup trop souvent (tous les 2 ans en France) alors que les métaux les composants, en plus d’être de plus en plus rares, sont extrêmement nocifs (cf l’article du Courier International :  « Un poison radioactif dans nos smartphones ») Place de la toile a récemment consacré une émission à la question de l’écologie, « Les faces cachés de l’immatérialité », référence au livre Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication du groupe EcoInfo, où elle aborde cette question, mais aussi la plus importante certainement : celle des TIC. Il est vrai que l’usage intensif des mails est de plus en plus critiqué. Mais rarement d’un point de vue écologique. Or, un mail de plus d’1Mo a un impact de 19 grammes de CO2, et 247 milliards de mails sont envoyés par jour. Quant aux recherches, « deux requêtes sur Google généreraient 14g d’émission de carbone, soit quasiment l’empreinte d’une bouilloire électrique (15g) » selon Le Monde.
Bien sur, il ne faut pas être trop alarmiste, et voir que le web permet aussi de réduire certains coûts environnementaux, ne serait-ce qu’en propulsant des pratiques telles que le covoiturage ou les téléconférences par exemple. Mais rien ne peut expliquer cette absence quasi totale de vraie communication, assez étrange d’un point de vue économique, quand l’écologie est partout ailleurs (même dans le secteur textile, comme l’avait montré Clémentine Malgras jeudi dernier) utilisée comme un argument de vente, mais aussi d’un point de vue éthique quand on pense qu’en France, les marques ont pour obligation de nous dire qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour et que le tabac et l’alcool sont dangereux. Et cette absence se fait sentir : selon Ipsos (2011), 45% des Français sont écolo-sceptiques, soit… 15% de plus qu’en 2008.
 
Virginie Béjot
 
Pour aller plus loin :
Le documentaire et dossier du Vinvinteur : Web et développement durable
Le compte rendu de L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie)
Photo : espaces de stockage d’Amazon, crédits : Slate.fr