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Mettre le mauvais goût à l'ordre du jour : le pouvoir des marques de luxe.

 
Les marques de prêt-à-porter de luxe et Haute Couture se définissent chacune par un « ADN » qui leur est propre, lié à l’héritage d’un défunt couturier, à une histoire de savoir-faire et de transformations successives parallèles aux évolutions d’une société. Cet ADN est mis en scène par un univers visuel distinct ou un domaine particulier, tel que l’imaginaire de l’équitation chez Hermès, décliné à travers toute la gamme de produits de la maison.On aurait alors tendance à penser qu’une marque de luxe serait cantonnée à son image habituelle et qu’il ne lui serait alors pas permis de lancer un produit considéré comme hors de sa légitimité.
Mais les évolutions des images de bon nombre de marques au cours de ces derniers mois nous prouvent que la mode est toujours pleine de surprises, pour le meilleur comme pour le pire.
Ce qui fut un jour considéré comme « inconcevable » dans le monde du luxe ou même dans les chaînes de grande distribution de prêt-à-porter, est devenu, en l’espace de quelques saisons « indispensable ».
On peut prendre pour exemple les chaussures Birkenstock, longtemps connues pour leurs vertus orthopédiques mais surtout pour leur aspect peu flatteur aux pieds. L’été dernier, Céline, une des marques les plus influentes actuellement dans le monde du luxe, en a présenté d’étranges copies poilues.
Un an plus tard, cette image auparavant perçue comme étrange a bien évolué dans les mentalités, à coups d’apparitions répétées dans les magazines de mode, de campagnes publicitaires, d’approbation par des influenceurs importants (pour le cas présent, on peut citer entre autres les sœurs Olsen ou encore la bloggeuse Garance Doré. Mais surtout, on assiste à la reprise de la chaussure par les magasins de grande distribution  : une copie quasi conforme des sandales Céline est disponible dès à présent sur les boutiques en ligne de Zara, Asos, etc.
 Un autre exemple est l’actuelle popularité du sportswear. Entre vêtements de jogging et autres sneakers, autrefois synonymes de négligence ou de banlieue malfamée, le sportswear est aujourd’hui devenu l’apanage de tous, de la rédactrice de mode au hipster, en passant par n’importe quel lycéen suivant simplement les remous de ces tendances venues d’« en haut ».
Ce qui est curieux, c’est que si l’on peut attribuer cette vague du sportswear à une accumulation de collections inspirées d’uniformes sportifs divers (le maillot de basket d’Isabel Marant, les empiècements cuirs types quaterback chez Alexander Wang…), leur succès et leur relative pérennité au sein de la sphère mainstream contribue à déterminer les lignes créatives, publicitaires et commerciales des maisons de luxe.
On peut prendre pour exemple la collaboration entre Givenchy et Nike pour ce printemps, qui est bien loin des codes de la vénérable maison héritée du comte Hubert. Elle portera le nom de « NIKE R.T » (initiales du directeur artistique de Givenchy, Riccardo Tisci). Et il y a fort à parier que son succès sera imminent.
Mais la Haute Couture n’est pas en reste. Définies par des critères stricts de savoir-faire qui s’accompagnent bien souvent d’une virtuosité des créations, les maisons de Haute Couture ont été malgré tout influencées par cette tendance du sportswear.
En témoignent les collections Haute Couture de ce printemps des prestigieuses maisons Chanel et Christian Dior, qui ont présenté des sneakers et autres genouillères décorant des robes et ensembles d’une grande finesse.

Ainsi, l’imprégnation des imaginaires s’effectue dans les deux sens,  les marques de luxe récoltant au final ce qu’elles ont semé. Le processus peut prendre du temps et passe par des canaux multiples : les images diffusées par les collections, les publicités des marques de luxe, leur relais par la presse et, ultimement, par les usagers même de ces nouveaux codes vestimentaires et visuels. Une véritable chaîne hiérarchisée qui s’avère au final tenir davantage du cercle.
 Ce qui est étonnant, c’est la démesure dont se sont dotées les lignes directrices des maisons de prêt-à-porter de luxe au cours des dernières saisons. En repoussant toujours plus loin la limite de ce qui tenait auparavant du mauvais goût, les maisons de luxe peuvent se vanter de leur fort pouvoir sur un public qui finit presque inévitablement par les suivre. Sans oublier que ces changements de positionnement créatif peuvent potentiellement attirer de nouvelles cibles.
 Cependant, l’accumulation de « bizarreries » contradictoires avec les codes du luxe et de la Haute Couture et surtout avec les lettres de noblesse des maisons elles-mêmes, semble avoir enclenché une course à l’insolite, voire au grotesque.

Légende : Défilé Moschino Automne-Hiver 2014-2015
On ne peut empêcher une marque d’évoluer, selon l’époque dans laquelle elle s’inscrit, selon ses directeurs artistiques et selon les problématiques communicationnelles, économiques et sociales qui l’entourent. Cette envie de remettre absolument au goût du jour ce qui, collectivement, était défini comme laid ou dépassé, reflète peut-être une problématique actuelle, liée à une certaine recherche d’attention qui passerait davantage par l’excentricité et le buzz, que par la créativité. Jusqu’où alors peut donc aller une marque sans se perdre elle-même ?
 
Charlène Vinh
Sources :
Lauradunn.com
Telegraph.co.uk
Inandout-blog.com