Société

Le règne du « partage » : analyse d’une tendance communicationnelle

La notion de « partage » est partout, elle semble être devenue l’une des valeurs cardinales de la génération des digital natives : elle est omniprésente dans la publicité, sur les réseaux sociaux, dans la communication institutionnelle… Alors que les inégalités économiques et sociales, ainsi que l’esprit de concurrence n’ont jamais été aussi exacerbés qu’aujourd’hui, cet appel au partage interpelle. Il est pour le moins paradoxal.
Le partage, une ouverture sur le monde ?

Est-ce un simple et curieux hasard si le terme partage vient étymologiquement du même mot que « partir » (du latin partire) ? Le désormais slogan officiel des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, « Venez partager », laisse presque entendre « Partez à Paris ».
« Depuis le lancement de la candidature, nous sommes particulièrement attachés à porter des valeurs d’ouverture sur le monde et de partage », a déclaré Etienne Thobois, le directeur général de Paris 2024. Cette volonté affichée de véhiculer ces deux notions étroitement liées, se concrétise encore davantage par le slogan écrit en anglais, dévoilé avant sa traduction française : « Made for sharing ». Ce slogan a fait couler beaucoup d’encre, mais il permettrait, selon les organisateurs, de diffuser plus largement un appel à venir à Paris lors des Jeux. Une traduction en espagnol est même envisagée, afin d’attirer le maximum de visiteurs possible. Dans cette campagne de communication, l’idée de partage est donc combinée à celle d’ouverture, jusqu’à rendre insécable les deux notions, autant sur le fond (valeurs portées par le slogan) que sur la forme (traduction en langues étrangères).
Mais ce rapprochement — voire cette association — entre partage et ouverture sur le monde est loin d’être une nouveauté en communication. Pour preuve, les réseaux sociaux ont d’une manière générale, adoptés la logique du share. Ici encore, par l’action de partager un contenu sur Internet donc d’en démultiplier l’audience potentielle, on l’ouvre sur le monde. A fortiori, et à l’ère des réseaux sociaux, il semblerait que le mécanisme de partage (sharing, retweet, etc.) ait définitivement supplanté l’URL comme constitutive principale du Web. Toutefois, si le partage n’est pas univoque et qu’il existerait, selon une étude, jusqu’à six profils de « partageurs » différents (des plus intimistes aux influenceurs), force est de constater que la tendance au partage semble aller de pair avec le processus de mondialisation. Comme l’exprimait le président de l’entreprise de services mobiles Cellfish à propos du Brexit : « Cela ne rime à rien de remettre des frontières dans un monde dominé par Facebook ».
Quand le partage devient un argument de vente

Plus qu’être synonyme d’ouverture sur le monde, la valeur partage peut s’avérer être un véritable recours commercial pour les marques. Le célèbre slogan publicitaire « On partage ? » de Kinder Bueno en est l’une des plus emblématiques illustrations. À travers cette invitation à déguster ses produits, l’entreprise du groupe Ferrero véhicule l’idée implicite qu’un biscuit Kinder se partage avant de s’acheter. On cherche, par là même, à rassurer le client : acheter un Kinder Bueno est un geste altruiste, ce qui expliquerait d’ailleurs pourquoi ces biscuits sont vendus par deux (ils ne demanderaient qu’à être partagés).
Autre usage de la valeur partage, celui de Coca-Cola. En 2014, la marque a lancé une gamme de sodas, où l’injonction au partage est non seulement inscrite sur la canette, mais se personnalise : « Partage un Coca-Cola avec Pierre, Paul, Anne ou Marie » nous intime la marque. Poussant encore plus loin l’étrange équivalence entre consommation et partage, déjà bien amorcée par Kinder, la marque Coca-Cola se positionne, avec cette gamme, en tant que créatrice de lien social : elle se donne pour mission de réinsérer de la convivialité dans l’individualisme de nos sociétés. Acheter, c’est partager, voilà l’homologie que ces deux campagnes publicitaires ont réussi à établir dans l’inconscient de millions de consommateurs.
La valeur du partage propre à la culture des millenials ?
Au vu des récentes campagnes de communication précédemment évoquées, le « partage » apparaît comme l’une des notions particulièrement mobilisées par les organisations (entreprises comme institutions), pour attirer l’attention des consommateurs, et en particulier des jeunes. Toutefois, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le partage n’est pas une caractéristique intrinsèque à la culture numérique et digitale. Selon une étude du New York Times Customer Insight Group, elle ne serait qu’une transposition du plurimillénaire art de la conversation, dont les enjeux sont en revanche bien plus grands, au regard des près de quatre milliards d’internautes, et tous potentiels partie prenante de cette discussion.
En tant que créateur de contenu, le partage n’est pas nécessairement plus altruiste ou bienveillant, car le partage sert parfois de faire-valoir. Autrement dit, intégrer un bouton « partager » ou « retweeter » sur l’article d’un site est plutôt une vitrine permettant de mettre en scène une popularité immédiatement visible, car chiffrable, d’un influenceur sur les réseaux sociaux, qu’une incitation au partage de contenu.
Qu’il se décline sous la forme d’ouverture sur le monde, d’altruisme ou d’acte de conversation comme un autre, le partage semble être devenu un mot passe-partout, sans cesse renouvelé par les différentes campagnes de communication l’ayant employé. Il s’est ainsi quelque peu vidé de son sens premier.
Sara Lachiheb
Linked In : Sara Lachiheb
Sources :

Nicolas Richer. « La vérité sur les boutons de partage (et la meilleure extension) », wpmarmite.com, mis en ligne le 15 mars 2016. Consulté le 29/10/2017.

Ricardo Da Silva. « 6 types de partageurs sur les réseaux sociaux. #infographie », ricardodasilva.fr, mis en ligne le 4 mai 2014. Consulté le 29/10/2017.

Elsa Bembaron. Marie-Cécile Renault. « Cela ne rime à rien de remettre des frontières dans un monde dominé par Facebook », Le Figaro, mis en ligne le 24 juin 2016. Consulté le 29/10/2017.

 
Sources images :
http://www.strategies.fr/sites/default/files/assets/images/strats-image-1064438.jpeg
https://essentiel-autonomie.humanis.com/sites/all/themes/custom/humanis_assets/images/partager-facebook.png
http://www.coca-cola.pf/wp-content/uploads/2015/04/actu_partagez.jpg
 

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JO Paris
Com & Société

#JO 2024: le poids de la communication digitale

Elles sont cinq villes candidates: Budapest, Hambourg, Rome, Los Angeles et Paris. Chacune d’entre elles propose un projet en adéquation avec les nouvelles orientations éthiques du Comité International Olympique (CIO) : innovation, respect de l’environnement et abaissement des coûts. Au delà de la pertinence du projet, il est déterminant d’obtenir l’adhésion des populations. Puisque ce sont les jeunes générations qui feront les Jeux 2024 et qu’elles passent aujourd’hui beaucoup de temps derrière leurs écrans, quoi de mieux que la communication digitale pour obtenir cette adhésion ?
Sur la ligne de départ : 5 villes disparates
Avec un budget réduit, Budapest ne part pas favorite. C’est qu’elle a affaire à une concurrence rude. Hambourg présente un programme axé autour de l’écologie qui pourrait séduire le CIO, mais ce n’est pas une capitale et les infrastructures permettant d’accueillir les Jeux y sont quasi inexistantes. Rome mise quant à elle sur un patrimoine culturel imposant ainsi que sur la mise en place du recyclage des installations des JO de 1960. Mais la peur des dettes et une récente affaire de corruption viennent mettre à mal cette candidature. En effet le scandale « Mafia capitale », un réseau de corruption au sein de l’administration principale, secoue la ville depuis qu’il a été démantelé en décembre dernier. Le réel poids lourd face à Paris est donc Los Angeles. En tant que ville organisatrice des jeux de 1932 et 1984 elle est un adversaire sérieux. Seulement, après l’Amérique avec l’attribution des JO 2016 à Rio et l’Asie avec celle des JO 2020 à Tokyo, l’équilibre voudrait que les JO 2024 soient attribués à une ville européenne. Dans cet perspective, Paris pourrait prendre l’avantage. Un budget à « taille humaine » de 6,2 milliards partagé entre financements publics et privés et infrastructures existantes, profitant des chantiers du grand Paris : la ville a une longueur d’avance.

L’atout clé pour obtenir les Jeux reste cependant l’engouement des populations. A cet effet, de véritables stratégies de communication sont mises en place, à commencer par une intense web-communication.
La communication digitale comme tremplin des candidatures
Réseaux sociaux et sites officiels : la bataille commence. Et elle s’arbitre d’abord en nombre d’abonnés. Rome domine sur Facebook avec ses 26 000 fans mais sur Twitter c’est Paris qui écrase la concurrence avec 17 000 abonnés, laissant loin derrière les 2 239 de Los Angeles ou, moins brillant, les 11 de Budapest. Sans être l’unique objet de la course aux jeux, le nombre d’abonnés reflète toutefois les stratégies de communication digitale des villes : avantage à Paris, là encore. Au delà des chiffres, Paris est aussi la seule à s’adresser aux citoyens en les prenant à parti: « avec vous, Paris se lance dans la course ».
Si Paris a autant d’abonnés tandis que Budapest peine à convaincre, c’est que chaque ville n’a pas la même stratégie. En effet la ville de Paris, bien qu’elle ait beaucoup d’atouts dans la course aux Jeux, doit obtenir l’adhésion de ses citoyens. C’est pourquoi elle mise d’ores-et-déjà sur une web-communication dense, présente sur les réseaux sociaux les plus influents. Ce que ne fait pas, pour l’instant, Budapest, qui prend ainsi un train de retard. Hambourg attend quant à elle les résultats du référendum qui doit sonder l’engouement de sa population le 26 novembre. Peut-être lancera-t-elle alors une campagne de web-communication plus intense.
Deux écoles pour les sites officiels : Budapest et les autres. Los Angeles, Rome, Hambourg et Paris ont des sites modernes, épurés et attractifs. A la vidéo de campagne de la première page succède un simple scroll pour découvrir d’autres informations. Paris se démarque encore en proposant de cliquer sur un « participer » dès la page d’accueil. Le site de Budapest s’illustre lui par un design accumulant des informations visuelles diverses, bien moins attractif donc.

Le rêve Parisien
Le rêve est le thème phare de la campagne de communication de Paris. Le slogan « Je rêve des jeux » est véhiculé par les plus grands sportifs français, répété par des enfants dans les publicités télévisées et inscrit sur chacune des publicités de la candidature de Paris.

 
Sur le site éponyme, une communication originale : le crowdfunding. Le financement participatif repose sur une démarche habile : la mise aux enchères d’objets appartenant aux meilleurs sportifs français, dédicacés et utilisés lors de grands évènements. Cette semaine on s’est ainsi disputé le maillot de Thierry Omeyer, porté lors des qualifications de l’Euro 2016 et dédicacé par celui qui a été élu meilleur gardien de handball de tous les temps en 2010, finalement adjugé à moins de 200€. L’originalité de l’appel au financement ne s’arrête pas là. Vente de rubans « je rêve des jeux » à 2€ et envoi de sms à 0.65€ : chaque participation compte.
Cependant, bien qu’en avance sur celle des villes concurrentes, la web communication de Paris reste à améliorer. Elle peine par son manque de dynamisme et de cohérence. Le site « je rêve des jeux » ne figure qu’en page 3 des résultats d’une recherche google « Paris 2024 ». Rares seront ceux qui s’aventureront jusque là lorsqu’on sait qu’une page 2 de Google est déjà reconnue comme « l’endroit idéal pour cacher un cadavre », pour citer un même devenu viral sur tweeter. Très faible visibilité donc. Autre défaillance : les comptes des différents réseaux sociaux ne redirigent pas dans leur description vers le site officiel. Un problème d’unité difficilement concevable. Le compte Instagram, pour sa part, mérite un bon point pour son unité visuelle et ses graphisme épurés et ludiques.

La communication digitale pour remporter les Jeux ? Paris s’est dotée du meilleur atout en terme de communication en la personne de Mike Lee, celui qui a réussi à faire basculer quasiment chaque campagne en sa faveur. Le directeur du cabinet de communication Vero a déjà décroché Londres 2012, Rio 2016 et la Coupe du monde de football 2022 au Qatar. Un vrai guerrier, son cabinet est connu pour ses méthodes peu tendres, capable de déstabiliser chaque adversaire. Son rôle est de crédibiliser la candidature de Paris auprès du CIO. Pour cela, il va connaître les 102 membres de l’organisation sur le bout des doigts car ce sont eux qui éliront la ville des JO 2024. Le poids lourd de la communication réussira-t-il à porter Paris jusqu’aux Jeux ?
Adélie Touleron
LinkedIn
Sources : 
http://www.lexpress.fr/actualite/sport/jo-2024-les-points-forts-et-les-points-faibles-des-adversaires-de-paris_1716079.html
JO 2024 : Un mois après l’ouverture de la course, Rome vire en tête sur Facebook et Paris sur Twitter
http://abonnes.lemonde.fr/jeux-olympiques/article/2015/06/25/paris-2024-la-boite-de-com-qui-fait-gagner-les-jeux_4661244_1616891.html
http://tempsreel.nouvelobs.com/sport/20150623.OBS1362/jo-2024-mike-lee-le-roi-du-lobbying-qui-peut-faire-gagner-paris.html
Crédits : 
Captures des comptes officiels de la candidature de Paris aux JO: Facebook, Instagram, Twitter 
AFP 
Site officiel de la candidature de Budapest