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JR, ni vu ni connu… Quoi que !

 
Il existe un artiste qui ne passe pas inaperçu… Et pour cause ! Il expose partout dans le monde des œuvres toutes plus grandes les unes que les autres… Sa galerie ? C’est la rue. Et comme il le dit lui-même, c’est bien « la plus grande galerie d’art du monde ». Son nom ? JR. Oui, JR, c’est tout. Des initiales, un chapeau et des lunettes de soleil : voilà le personnage. Petit rappel pour ceux qui n’auraient pas encore entendu parler de celui qui fut, pourtant, élu l’artiste le plus populaire sur Internet en 2012…
Son projet semble simple : coller ses images en noir et blanc sur les murs, les ponts, les toits… Faire vivre le street art à l’échelle mondiale. En flirtant sans cesse avec l’interdit, il repousse les limites de la nature intimiste de l’art en proposant à tout un chacun de participer à cet engagement en collant sa propre photographie quelque part. Apporter sa pierre à l’édifice et construire son chapitre dans le grand livre de JR…
En effet, si au départ, il affichait ses tirages à travers des projets plus personnels, comme 28Millimètres ou Face2face, c’est en 2011, lorsqu’il reçoit le Ted Prize, que son art prend un nouveau tournant. Ce prix lui offre la possibilité de formuler « un souhait pour changer le monde ». De là, il concrétise ses valeurs et ses aspirations à travers Inside Out, un projet d’art participatif international. Désormais, les personnes du monde entier peuvent recevoir leur portrait puis le coller pour soutenir une idée, une action et partager cette expérience. Pour ceux qui voudraient en apprendre davantage, je vous laisse découvrir son site internet, son dossier de présentation ou encore sa revue de presse.
Car aujourd’hui, je me penche donc sur ce projet précis, Inside Out, et tout ce qu’il implique en matière de communication, d’image, d’identité et de revendications.
Mondialisation ou délégation ?
Dans cette nouvelle conception de l’art à grande échelle qui rassemble des centaines de personnes, une première critique brûle alors les lèvres… Qui est JR et qu’est-ce qu’il est ? Car lui-même ne se voit ni comme un photographe, ni comme un street artiste… Mais plutôt comme un pratiquant de « l’art infiltrant ». Mais il ne prend plus toutes les photographies, ne peut pas être présent sur tous les sites, et délègue finalement à de nombreuses petites mains un travail désormais complètement collectif… Alors, JR est-il toujours un « artiste » ?
Cependant, cette idée de « délégation », mais surtout de « partage », s’inscrit dans la logique d’anonymat que conserve et revendique JR : il ne s’agit pas de signer ses photographies ni de crier son nom sur tous les toits, mais bien de créer un mouvement, un rassemblement, derrière un message, un projet qui montre, somme toute, un aspect positif de la mondialisation. Ainsi, si l’artiste est critiquable pour certains, le projet lui, n’en reste pas moins admirable.
L’anonymat… Un aspect sur lequel JR ne plaisante pas, déclarant notamment pour Le Supplément sur Canal +, qu’il peut aller à son propre vernissage sans qu’on le reconnaisse et que cela reste « un luxe assez incroyable ». JR est donc insaisissable. Et lorsqu’une grande partie de son « exposition » se fait de manière sauvage, sans autorisation et dans certains pays plutôt restrictifs, cet anonymat apparaît comme une solution efficace.
Pourtant, en 2012, il reçoit donc le Grand Prix de la e-réputation, attribué par l’agence de production de contenu éditorial Smiling People, qui récompense la popularité des artistes sur la Toile, en France et dans le monde. Alors, pas si anonyme que ça ?
JR, artiste ou communicant ?
Il faut donc bien se concentrer sur l’ampleur que prend Inside Out, aspect qui apparaît comme remarquable au regard d’un combat pour la liberté d’expression à une telle échelle. Mais si l’on poursuit le questionnement sur l’artiste que serait JR en avançant que finalement, il est désormais une « star » pour un projet qui rassemble les artistes qui sommeillent en chacun de nous. Alors, que représente-t-il ? Une autre réponse possible : un excellent communicant !
À tel point qu’il nous faut préciser un certain nombre d’enjeux qui reflètent cette idée : JR est mondialement connu et réussit un peu plus chaque jour à faire grandir son projet par la transmission de ses idéaux. Et tout ça, sans aucun sponsor, en série limitée et en finançant lui-même ses projets… Chapeau bas tout de même !
Car c’est principalement un discours bien formulé et qui parle à notre société, qui se cache derrière ces collages : créer le lien entre les gens, faire en sorte qu’ils aillent chercher l’histoire de ces photographies, partir de l’intime, de l’identité personnelle pour créer une œuvre d’art. Voilà ses mots d’ordre. À ce titre, JR serait « porteur d’avenir » pour ceux qui participent à Inside Out, devenant acteurs de ce projet par leur propre histoire et contribuant à son étendue toujours plus grande.
« In your hand it has more meaning than in mine, so do it ! »*
JR est donc un très bon communicant et cette idée est tout à fait visible dans ses interviews ou même dans son discours du Ted Prize : charisme, prestance et sensibilité sont au rendez-vous. Cet aspect se double d’une très forte présence dans les médias et sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram, Canal +, GQ, Le Monde Magazine, The New York Times Magazine… et j’en passe ! Il envahit les médias comme il le fait dans les rues.
De plus, il ne choisit pas ses lieux par hasard. Outre le fait qu’il aime jouer avec les limites du possible, JR vise quand même des sites précis et symboliques : du trottoir et des écrans publicitaires de Times Square à New York en passant par le Pôle Nord avec le mouvement (et le hashtag) #savethearctic, il s’infiltre dans des lieux-clés, marquant de manière efficace les esprits.
Le succès est lui, véritable, puisque si JR reste habituellement ferme quant à ses financements et sa « liberté » sur le plan marketing, sa dernière intervention à Marseille fût entièrement prise en charge et valorisée par la ville, capitale européenne de la culture. Celui qui a commencé dans la rue et qui n’a jamais voulu la quitter est désormais une personnalité phare du XXIème siècle.
Entre omniprésence et censure ?
Pourtant, s’il est partout sur la toile et sur les murs, cette omniprésence se double d’une dimension paradoxale quant à l’utilisation de ses images. Si tout le monde peut voir ses œuvres et les immortaliser, JR émet une restriction sur les photos qu’il fait lui-même de ces collages. Et oui, les photographies de JR sont soumises à conditions : on ne peut les publier seulement si l’on parle de son travail !
La vision de JR en tant que communicant prend ici toute son importance : on peut tout à fait découvrir et faire découvrir son univers mais uniquement s’il est au centre des discussions. En effet, pour la distribution de ses images, c’est par l’Agence VU’ à Paris qu’il faut passer, mais l’on se trouvera confronté à cette instruction : « Ces images ne peuvent pas être utilisées en illustration, mais uniquement dans le cadre du travail de JR ». Alors si je veux montrer les favelas de Rio ou bien les façades de Berlin, ça sera sans les collages de JR. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai pu mettre que des captures d’écran pour cet article. Toujours aussi anonyme que ça ? Toujours aussi altruiste que ça ?
Mais oui, ne l’oublions pas, ce projet est collectif : ce n’est finalement plus de JR dont on parle mais bien de l’Histoire (avec un grand H) qu’il est en train d’écrire avec les petites histoires de chacun. Ces restrictions renvoient finalement au statut de l’artiste qu’il faut protéger : l’agence photographique est bien là pour faire valoir les droits sur les images des photographes et artistes qu’elle représente. Si JR est véritablement partout, cette omniprésence se trouve, non pas censurée, mais limitée. Serait-ce pour accentuer l’impact de son travail, qui transcende justement la définition de l’artiste – qui cherche à se faire reconnaître comme tel – pour atteindre des concepts plus révolutionnaires, novateurs et marginaux ? Ne serait-ce pas justement, pour se construire une identité qui transcenderait le personnage pour devenir une véritable aventure humaine ?
 
Laura Lalvée
* JR dans son trailer du film Inside Out : « Dans vos mains, cela a plus de sens que dans les miennes, alors faites le ! »
Sources :

/jr
http://www.lesinrocks.com/inrocks.tv/le-street-artiste-jr-retourne-time-square/

Street Art "What are you looking at" ?
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Jacques ne l’a pas dit mais le street art est en vogue

 
Jacques ne l’a pas dit mais peut être qu’il devrait en parler davantage. Je parle de tous ces artistes de rue à l’image de Banksy, JR ou encore Mark Jenkins qui travaillent depuis des années à surprendre les individus que nous sommes par l’exposition d’œuvres d’arts inattendus destinées à faire réagir celui qui les voit à savoir le plus souvent, le piéton.
Si je prends le temps de m’arrêter sur leur travail aujourd’hui c’est parce qu’il me semble que le street art est un mode de communication au sens le plus brut du terme tout comme l’art est de manière générale un mode d’expression et donc un mode de communication. Le particularisme du street art, enfin selon moi, réside dans le fait qu’il confronte le spectateur à un spectacle inattendu et donc surprenant voire même parfois choquant. Il est possible d’ailleurs que ce type de réaction soit celle attendu par l’artiste dès le moment où il conçoit son œuvre : par exemple Mark Jenkins comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous expose consciemment certaines de ses œuvres, des personnages en scotch habillés pour ressembler à de véritables personnes, à la vue de tous et filme les réactions des passants à leur contact.

Ce type de travail permet alors l’établissement d’une communication implicite entre l’auteur de l’œuvre et le spectateur de cette même œuvre. En effet, le premier va révéler à l’autre l’existence d’un point de vue dont il n’avait pas connaissance par le seul fait de l’amener à réfléchir au sens de ce qu’il voit. Ce qu’il voit est alors souvent très ordinaire, quelque chose qu’il voit tous les jours à tel point que paradoxalement il n’y prête même plus attention. Ce peut être le visage des gens qu’ils croisent dans la rue (JR et ses expositions photos caricatures), ou les ordures qui inondent les poubelles (Tim Noble et Sue Webster) ou encore le détournement d’objet du quotidien (la cabine téléphonique de Banksy). Eclairés sous un nouveau jour, mis en valeur par un nouveau regard l’artiste pousse son public à se poser de nouvelles questions et met en lumière des phénomènes courants et pourtant important.
Ce type d’art connait à l’heure actuelle un certain succès puisque des agents économiques et sociaux ont pu dernièrement, reprendre à leur compte ce type de mécanisme. On peut citer ici les autorités néo-zélandaises qui jouent à réaliser du trompe l’œil sur les trottoirs pour alerter les piétons sur les dangers de la route mais aussi un organe de sensibilisation anglais qui utilise le tag comme vecteur de son message sur la nécessité d’utiliser des préservatifs[1] et enfin les trois fausses grand-mères d’un groupe nommé Neozoon qui cherchent à faire passer leur message quant à la lutte contre la maltraitance des animaux en affichant des fourrures dans les rues de Paris et Berlin[2].
Ainsi, le street art en vient à se démocratiser et à se mettre parfois au service d’idéaux qui communiquent alors de manière frappante sur leurs idées. Si l’idée est intéressante il convient cependant de ne jamais oublier que le street art trouve ses racines dans la sincérité, le partage d’idées fortes et une certaine abnégation des artistes qui le représentent puisqu’ils cherchent avant tout la confrontation avec le public. Des lors, il est nécessaire de s’inscrire dans cet esprit pour réussir à frapper avec succès et une certaine éthique, l’esprit des passants qui verront votre travail.
 
Justine Jadaud

[1] road4.com
[2] wecomin

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