Cristina
Société

Il était une fois une princesse, qui fit tomber la couronne

 
Ce sont des temps difficiles qu’est en train de vivre la couronne espagnole : l’Infante Cristina, fille cadette du roi Juan Carlos, duchesse de Palma de Majorque, septième dans l’ordre de succession au trône d’Espagne, est invitée à comparaître le 8 mars prochain devant la justice de son pays, soupçonnée, entre autres, d’avoir blanchi de l’argent. Qu’une princesse soit ainsi suspectée de malversations financière, c’est bien une première dans l’Histoire de la Péninsule, qui pourrait bien coûter son titre à son père, dont la couronne est déjà vacillante et souffrant d’un gros déficit de popularité.
L’ancienne star du handball espagnol, Iñaki Urdangarin, co-fondateur d’une société patrimoniale spécialisée dans l’organisation de congrès sur le sponsoring sportif, et accessoirement époux de l’Infante, est en prise avec la justice espagnole depuis près de trois ans. Il est accusé d’avoir réussi à réunir près de six millions d’euros grâce à l’institut Noos, détenu en moitié par sa royale épouse. En novembre dernier, le juge Majorque en charge de l’affaire avait saisi le « petit palais » des époux princiers, une sobre maison de 2 000m2 située dans le très chic quartier de Pedralbas à Barcelone. Après neuf mois d’une enquête minutieuse, l’Infante va devoir justifier  sa position et son implication dans les affaires illégales de son mari. Le juge la soupçonne d’avoir blanchi et géré l’argent obtenu illégalement par ce cher Iñaki et il est certain d’avoir entre les mains les preuves nécessaires pour mettre la duchesse dans ses geôles.
Les médias espagnols sont eux aussi convaincus de l’implication de l’héritière, désignant l’amour comme motif de cette trahison. Quant aux Espagnols, ils attendent avec impatience que le couple royal s’explique, et notamment sur le train de vie des époux, rendu public par l’enquête, que l’on pourrait qualifier de scandaleux en ces temps de crise économique. Amoureuse ou non, l’implication de la princesse héritière dans de louches transactions financières et la façon dont elle semble en profiter si allègrement porte quoiqu’il en soit préjudice à l’image de la famille royale et devrait mobiliser une armée de communicants. Mais celle-ci est déjà bien entachée par ailleurs et la communication du palais semble ne se limiter qu’à de rares coups de com sans logique d’ensemble.

En effet, cette nouvelle, parue le 7 janvier dernier dans la presse, tombe comme un couperet sur la tête du roi, et prolonge « l’annus horribilis » de Juan Carlos, déjà en disgrâce auprès de son peuple et roi maudit depuis de longs mois : le sceptre avait failli lui glisser des mains lorsqu’il s’était rendu en avril dernier au Botswana pour aller chasser l’éléphant, safari au cours duquel il s’était fracturé la hanche. Si des excuses publiques, encore une première dans l’histoire de la royauté, avaient un peu réussi à redorer son image, la balle que son petit-fils de 13 ans s’était tirée dans le pied avait douloureusement rebondit médiatiquement dans le sien et trainé derrière lui comme un boulet. Par ailleurs, l’auto-proclamation d’enfants naturels et ses frasques amoureuses possibles qui avaient fait couler beaucoup d’encre à la parution d’une biographie de son épouse, la reine Sofia, ont concouru à entacher, peut-être définitivement, sa crédibilité auprès de ses sujets.
Aussi, le roi qui ne peut plus marcher sans béquille, s’était appuyé sur une communication politique en apparence solide mais qui n’est pas parvenu à endiguer sa chute dans les sondages, peut-être à cause de son caractère trop épisodique: seuls 50,1% des Espagnols ont une bonne image de leurs suzerain contre 76,4% il y a moins d’un an. Ce n’est pas en multipliant ses déplacements dans le pays et à l’étranger ou par à la création d’un site internet en 2012 ou encore d’une nouvelle émission hebdomadaire rendant compte chaque semaine des activités des Bourbons, que sa Majesté a réussi à établir un nouveau contact avec son peuple, et notamment avec les plus jeunes : 57,8% des moins de trente ans estiment qu’un meilleur système politique pourrait être mis en place. C’est dire si les quelques actions de com du palais ont payé.
Mais avant qu’un nouveau régime soit inauguré, c’est le peuple qu’il conviendrait de fédérer à nouveau et c’est la tête du roi que 45% des Espagnols demandent pour mettre sur le trône son fils Felipe. Une étude parue en début d’année dans le quotidien El Mundo révèle que près de 60% des Espagnols estiment qu’il est temps pour le roi de se retirer.
Ainsi, après 37 ans de règne et de services rendus à la nation, c’est bien l’abdication qui menace le souverain aujourd’hui. Malgré son rôle décisif dans la transition démocratique après Franco, les Espagnols ne soutiennent plus un roi aujourd’hui vieillissant et malade, l’invitant à prendre exemple sur la reine Beatrix des Pays-Bas qui a laissé sa couronne le 30 avril dernier à son fils, ou sur Albert II, roi de Belgique, qui le 21 juillet a pris sa retraite, ou bien sûr, sur le Pape Benoît XVI.
De là, on peut se demander si l’opinion publique n’est pas la nouvelle autorité divine des puissants. On pourrait tirer de ces abdications en série l’enseignement suivant : alors que leurs illustres prédécesseurs jouissaient d’un droit divin séculaire, les monarques de notre ère doivent désormais répondre de leurs actes devant la sphère publique et tirent aujourd’hui leur légitimité de leur cote de de popularité et de l’amour de la foule. La communication politique, nouvelle épée dont doivent s’armer les rois modernes ? Quoi qu’il en soit, celle de Juan Carlos semble coincée dans son fourreau, au moment même où il devrait déjà être en croisade !
 
Inès Garmon
Sources
LeMonde
HuffingtonPost
CourrierInternational
Crédits photos
Esmatouristic
GHI

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